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Bleu horizon |
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Bonsoir,
Merci à tous les intervenants ayant permis la publication de ce texte ainsi qu’à ceux me faisant l’honneur d’un retour. Ludi faisait humoristiquement remarquer que Widjet avait bien savonné ma planche en demandant aux oniriens de s’occuper de sa nouvelle sur ShortEdition. Mais Widjet n’est qu’un enfant de chœur. Je pouvais rêver mieux, pour le premier texte que je suis parvenu à terminer depuis plus d’un an, que ce jour béni où Oniris ferme boutique en niquant les deux jours d’exposition dont bénéficient habituellement les nouvelles. C’est déjà pas très marrant de voir partir des copains sur des brancards, mais si en plus on rebouche la tranchée ! J’aurais trouvé élégant que les orgas décalent d’une journée la parution des nouvelles suivantes, mais l’élégance se perd chaque jour un peu plus, certains jours plus que d’autres. Puisque c’est ainsi, je serai long, très long, extrêmement long… Ce texte est un sonnet. Comment ?! Si si, je vous jure ! Bon, d’accord, c’aurait dû être un sonnet, entamé il y a plus d’un an et que je n’ai jamais pu finir, comme je n’ai pas pu finir tout ce que j’ai entamé depuis (poèmes et nouvelles). Si j’enquiquine régulièrement les auteurs par mon caractère de pinailleur, je ne suis pas moins sévère à mon propre endroit. Je ne trouvais pas assez bon tout ce que j’ai entamé et je ne trouvais plus l’envie de le poursuivre. C’est peut-être l’échange entamé récemment avec un onirien qui m’a permis de retrouver une motivation suffisante, car je dois reconnaître que l’absence prolongée de retours, d’interactivité, émoussait fortement cette motivation que je conservais pourtant de manière solitaire avant de connaître Oniris. Ne parvenant décidément pas à poursuivre l’écriture de ce sonnet, je me suis dit que j’abandonnerais provisoirement cette forme pour une autre dans laquelle je me sens plus à l’aise (la prose) et qu’il serait toujours temps ensuite d’extraire de sa gangue le minerai pour le fondre dans le creuset poétique. Il ne reste du sonnet que le premier alexandrin (Te souviens-tu d’Amiens au cœur des champs de waide ?... bien vu, Tizef et Alexandre !... mais pouvait-on en attendre moins de votre part ?). La première phrase en forme de question m’a sans doute porté spontanément vers l’écriture d’une lettre, dont je ne sais pas si elle peut être considérée comme une nouvelle. Ensuite, l’envie m’est venue d’écrire ce que, je suppose, l’on appelle de la poésie en prose, mais je savais que, dans ce cas, j’aurais dû travailler beaucoup plus sérieusement le texte et je craignais que ma motivation encore précaire ne mène une fois de plus à l’abandon. J’ai donc terminé dans la nuit ce texte entamé le matin même, connaissant pourtant toutes les imperfections que je voyais comme le nez au milieu de la figure et que les commentateurs ont d’ailleurs relevées avec beaucoup d’à-propos. Etant resté longtemps absent du catalogue, j’aimerais profiter de cette publication pour aborder quelques points que je pense généralisables au-delà de ce texte. A. LA PEUR DU SUJET J’ai toujours peur d’aborder ce genre de sujets pour deux raisons : 1. Je crains de susciter de l’émotion « facile » par le traitement d’un sujet fédérateur et d’événements que je n’ai pas moi-même au moins partiellement vécus (que je n’ai pas moi-même payés, aurait dit Céline). Il est évident que je n’ai rien connu de tel ni même d’approchant, que j’ai toujours vécu dans le confort d’une société paisible, même si elle connait par ailleurs des violences d’autres natures, nettement moins spectaculaires, et je ne voudrais pas avoir l’impression de voler pour mon propre profit la souffrance des autres. 2. Je crains de raconter des conneries sur des sujets que je ne connais pas ou insuffisamment. J’avais une dette de longue date envers un onirien auquel j’avais promis de m’attaquer à une nouvelle de guerre, mais jusqu’il y a trois semaines, trois textes entamés sur ce sujet étaient restés à l’état d’ébauche pour cette raison. Je ne sais pas si cette lettre peut être considérée comme une nouvelle, mais j’espère au moins avoir partiellement apuré cette dette. Au sujet du point 1, Ludi a écrit : « J’ai lu ici ou là que les sujets rassembleurs fabriquaient forcément des plumes pour les fesses des paons. […] Personnellement j’aurais plutôt le réflexe inverse et le cynisme plus affûté que d’habitude. » C’est exactement ça et je lui sais gré de ne pas éviter ce cynisme qui me chatouille également en de pareilles circonstances. Heureusement, Tizef (« Tu nous avouerais l'avoir trouvée dans un grenier que je n'en serais pas surpris. ») et Pimpette (« on dirait une vraie...une vraie lettre de poilu ») m’ont beaucoup rassuré sur ce point et, par la même occasion, sur le point 2, même si je n’ignore pas la remarque pertinente de Pepito (« "Hier, le capitaine a reçu du cuivre." il s'est mangé la douille alors ?») sur un point qui me tracassait effectivement mais que je n’ai pas voulu modifier comme je l’expliquerai plus loin. B. CARACTERE LITTERAIRE EN CONTRADICTION AVEC LE CONTEXTE Sur un point différent mais tout de même voisin du point A 1, j’ai noté la remarque de Socque (« Cette "lettre de Poilu" est forte et expressive, mais je la trouve décalée : trop écrite, trop littéraire pour quelque chose d'écrit dans l'urgence pour empêcher un frère de s'engager, à la veille d'un assaut probablement mortel. »). C’est en effet ce que je pensais également avant d’entamer l’écriture, mais j’ai changé d’avis, pour deux raisons (à la fois avant et après avoir écrit ce texte) : 1. Pour autant que je sache, la vie dans les tranchées n’était pas faite que de boucherie, elle était aussi et peut être surtout faite d’ennui, les journées pouvant être nombreuses et longues entre deux assauts du feu. De nombreux objets, notamment des instruments de musique, ont été confectionnés par des poilus pour tromper leur ennui et l’angoisse qui devait alors prendre la place de la peur, plus immédiate. Des millions ou même des milliards de lettres (je n’ai plus le chiffre en tête, mais c’est énorme) ont été écrites dans les tranchées. On n’a sans doute jamais autant écrit. Et pas seulement des lettres. De nombreuses vocations d’écrivains y sont nées, je crois. On peut imaginer qu’Albert ait eu toute la journée pour écrire sa lettre, peut-être qu’il ait écrit un ou plusieurs brouillons les jours précédents, voire même qu’il ait écrit cette lettre dans sa tête pendant des semaines avant d’en écrire le premier mot sur du papier. Et puis, l’enjeu est essentiel pour lui : il s’agit de sauver son frère cadet, le dernier de la fratrie (et même de la famille) puisqu’il sait que la probabilité est très grande pour qu’il meure le lendemain. Personnellement, je ne m’étonnerais pas du fait qu’il ait apporté tout le soin possible dans l’écriture de cette lettre. Il craint d’ailleurs de n’avoir pas le verbe suffisant pour convaincre son frère, d’où la phrase « Si je tenais ici-même dans notre boyau un camarade possédant le talent d’écriture qui me fait défaut […] », dont je concède à Caillouq qu’elle peut être de mauvais goût. Moi-même, d’ailleurs, auteur de ce texte, j’ai écrit cette lettre en une journée, mais seulement après avoir songé pendant plus d’un an au sonnet qu’elle aurait dû être. 2. Le hasard a voulu que avant-hier, c’est-à-dire la veille de la parution de ce texte et au cours d’une journée trop pluvieuse, je me rende avec mon fils à une exposition sur la première guerre mondiale, à Liège. Exposition par ailleurs excellemment structurée, je me dois de le préciser à l’attention de ceux qui pourraient s’y rendre, alors que d’ordinaire je ne suis guère « expo » ou musée (mon fils, qui ne l’est pas plus que moi, m’a fait spontanément la même remarque). Au bas d’un grand nombre de panneaux ont été posées des phrases extraites de lettres de poilus. Certes, ces phrases ont été sélectionnées par les organisateurs de l’expo, mais il s’agit de lettres d’anonymes et pas d’écrivains. Je me suis trouvé vraiment admiratif devant la qualité littéraire d’un grand nombre d’entre elles. Je retournerais bien à cette expo rien que pour les noter. En soignant la forme de leurs écrits, peut-être que ces hommes étaient avant tout soucieux de rendre leur fond tel qu’il leur apparaissait ou, mieux, tel qu’ils le ressentaient. C. NARRATEUR ET NIVEAU DE LANGAGE Des commentateurs (Socque, Widjet, Coquillette) jugent le niveau de langage du narrateur peu compatible avec l’âge et/ou la condition et/ou la formation d’Albert et/ou le contexte. En réalité, je ne saurais formellement démentir ce jugement, mais je le crois fondé sur un a priori que je me suis personnellement convaincu d’abandonner. Je ne crois même pas nécessaire d’avancer l’argument fallacieux selon lequel Albert aurait un niveau d’écriture bien supérieur à la moyenne de son époque en raison d’un don particulier, argument qui supposerait une hypothèse statistique tirée par les cheveux. Il m’arrive régulièrement de voir d’anciennes émissions de télévision des années cinquante, soixante et même soixante-dix, rediffusées par nos chaînes du service public (français et belge, mais surtout belge) et de constater que le niveau de langage et la diction y sont extraordinairement meilleurs qu’aujourd’hui, non seulement dans la bouche des journalistes, mais aussi et c’est encore plus intéressant, dans la bouche du quidam interviewé dans la rue, dont certains signes annexes permettent de supposer qu’il n’est pas d’une condition ni d’une formation élevées. Il me semble qu’il y a un siècle, l’écriture (et la lecture aussi), quel qu’en soit le motif, était une activité bien plus fréquente qu’elle l’est aujourd’hui, que le soin y apporté était beaucoup plus grand et que la fréquence de cette activité permette d’en expliquer un exercice plus abouti. D’ailleurs, dans la lettre, je me suis limité à une conjugaison peu riche, alors que des modes/temps aujourd’hui tombés en désuétude étaient, je crois, assez bien maîtrisés, y compris par des gens de condition modeste. Par ailleurs, Widjet, je n’ai pas compris ce qui te fait conclure qu’Albert est un homme bourru. Tu as peut-être intégré des éléments du texte que je n’aurais pas moi-même intégrés (ça peut arriver), mais j’ai été très surpris par ce terme. Encore une fois, Tizef me rassure sur ce point ("à l'époque, rares étaient les enfants du peuple qui pouvaient y prétendre mais, nantis du seul certificat d'études certains ouvriers écrivaient des lettres dont ne seraient pas capables bien des bacheliers de ce siècle. C'était le cas pour mon père et pour mon grand-père qui porta l'uniforme bleu horizon"), même s’il est évident qu’un témoignage ponctuel ne forme pas la règle. Il s’agit néanmoins d’un témoignage que je prends pour ce qu’il est, c’est-à-dire non contestable, sauf à douter de la mémoire de Tizef. D. ADRESSE DU NARRATEUR A UN PERSONNAGE INTIME J’ai été amusé en découvrant le commentaire de Coquillette car j’avais déjà écrit la veille ce qui suit. Ce n’est pas évident du tout car l’équilibre n’est pas simple à trouver entre deux extrêmes : le premier considérant que le texte est écrit avant tout pour le lecteur et l’autre considérant uniquement la logique de l’adresse, c’est-à-dire que les choses connues de l’émetteur et du destinataire n’ont pas à être mentionnées. J’ai naturellement envie de placer le curseur plus près du second extrême parce que j’ai trop souvent lu ce genre d’adresses où le naturel est complètement sacrifié au profit de l’information du lecteur, afin qu’il se trouve confortablement installé dans le contexte et sans risquer l’incompréhension de sa part. Le résultat est alors catastrophique : impossible d’y croire une seule seconde. Mais je ne souhaite pas non plus perdre le lecteur en le lançant dans le vide. Il faut donc que j’évoque des éléments connus de l’émetteur et du destinataire sans pour autant que cette évocation paraisse trop artificielle. Le début du texte évoque l’enfance commune, mais sous forme de question interrogeant la mémoire. Procédé classique dont, je crois, il ne faut pas abuser. Je n’ai donc pas voulu insister plus que nécessaire, juste le temps qu’il fallait pour mettre cette enfance en contraste avec les événements présents, contraste justifié autant à l’adresse du destinataire qu’à celle du lecteur, je crois. Manifestement, pour Coquillette, c’était encore trop. A la réflexion, je ne lui donne pas tort car j’aurais en effet pu me priver, au début du texte, d’écrire que Fabien est l’aîné, puisqu’ Albert écrit plus loin : « je suis à présent l’aîné ». Aurais-je pu réduire encore davantage l’évocation du contexte commun ? Peut-être, je ne sais pas. La question revient en fin de texte, mais sous une autre forme car il s’agit cette fois d’inviter le destinataire à ne jamais perdre cette mémoire. Le texte évoque la perte de la mère, événement connu à la fois de l’émetteur et du destinataire, mais à des moments différents, par des moyens différents et il s’agit de la première évocation entre eux. Le courrier reçu de la tante Amélie représentait un procédé commode pour y parvenir. La cause de la perte du père n’est en revanche pas mentionnée. La décrire eut été de trop. Eux savent pourquoi et puis basta ! Moi-même je ne le sais pas et n’exige pas d’Albert qu’il me l’apprenne. Concernant l’utilisation de la waide dans la confection des vêtements des soldats, c’est plus délicat. Je me doutais que la plupart des lecteurs ignoreraient ce fait et je ne pouvais me permettre de le passer sous silence sans risquer de perdre complètement le lecteur. Je n’ai pas voulu expliquer ce qu’était la waide, ce qui aurait été absurde puisque elle est bien connue tant de l’émetteur que du destinataire. J’ai supposé que l’expression « champs de waide » et l’évocation des vêtements étaient suffisantes pour que le lecteur comprenne qu’il s’agit d’une plante utilisée pour ses propriétés colorantes. Le nom de la plante n’ayant en lui-même que peu d’intérêt et étant probablement inconnu du lecteur, j’ai préféré, tant qu’à faire, l’utiliser sous sa forme picarde, ce qui, je l’espère, permet de renforcer le caractère authentique du courrier. Quant à l’explication du rôle joué par la waide (ou guède, en français) dans la confection des vêtements, je ne pouvais vraiment pas m’en dispenser puisqu’il s’agit de l’angle d’attaque du texte. J’ai profité du doute que pouvait raisonnablement avoir Albert autant que je l’ai moi-même quant à la connaissance de Julien de ce rôle. La waide a été utilisée après le début de la guerre, surtout à partir de 1915, raison pour laquelle, d’ailleurs, j’ai situé l’écriture de la lettre douze mois après le début du conflit, c’est-à-dire après que le contact physique entre les deux frères a été interrompu. Albert peut raisonnablement être ignorant du degré d’informations des civils, d’autant qu’il sait que l’armée surveille (autant qu’elle le peut étant donné le volume) les courriers envoyés et reçus par les soldats. Les courriers à recevoir peuvent être censurés afin que de mauvaises nouvelles, tant familiales que géo-politico-militaro-stratégiques, n’entament pas le moral des troupes et/ou ne les détournent pas de leur conviction de l’intérêt des combats. Les courriers à envoyer peuvent l’être afin que l’opinion publique ne s’émeuve pas outre mesure en prenant conscience de l’importance de la boucherie. Rappelons que, deux ans plus tard, la révolution bolchévique précipitera le retrait de la Russie du conflit et que, un an plus tôt, l’assassinat du pacifiste Jaurès fut probablement motivé par ses velléités de rapprochement entre les prolétariats des nations belligérantes, velléités insupportables pour les va-t-en-guerre. E. TRAVAIL, RETRAVAIL ET RERETRAVAIL D’UN TEXTE J’ai expliqué au début pourquoi j’ai voulu m’en tenir au premier jet et la première journée d’écriture, mais j’avais conscience en le proposant que ce texte est très inégal. Ce que j’estime être de bonnes choses côtoient les pires. Je reprendrai peut-être ce texte en le travaillant dans le sens que je souhaitais : la poésie en prose. Je ne possède pas de définition de la poésie au sujet de laquelle je ne connais d’ailleurs que peu de choses, mais j’en identifie tout de même certains éléments. En dehors de caractéristiques évidentes (images, rythme, métrique, jeu sur les sonorités), je suppose qu’il en existe de plus subtiles comme, par exemple, la concision, caractéristique très contraignante pour moi qui ai souvent besoin d’espace pour m’exprimer. J’aurais par exemple pu écrire que la défense stratégique et symbolique de la capitale exige le sacrifice d’autres villes pour tenir le front à distance, qu’Amiens fait partie de celles-ci, que la mère n’a pas suivi son fils, envoyé se réfugier au Havre chez la tante Amélie, qu’elle a succombé dans la démolition de la maison familiale qu’elle n’a pas voulu quitter et que tout ceci est révélé dans un courrier qu’Albert a reçu de la tante Amélie. J’ai écrit : « Tante Amélie m’a écrit qu’Amiens a payé pour Paris, que notre maison n’est plus et que maman y était ». Je suis vraiment très satisfait de cette phrase très courte, qui en plus utilise d’une manière originale et par deux fois ce verbe « être » que je trouve d’ordinaire très faible. C’est vers ce genre de choses que j’aimerais tendre. Mais cette phrase côtoie d’autres aussi horribles que celle-ci : « Si je tenais ici-même dans notre boyau un camarade possédant le talent d’écriture qui me fait défaut, je lui promettrais la mort en échange du refus de prêter ses mots pour te convaincre, mais il serait à craindre qu’il refuse précisément pour que j’honore cette promesse que je lui aurais faite quand la mort semble plus douce que la vie. » J’avais initialement écrit : « Si je tenais, ici-même dans notre boyau, un camarade possédant le talent d’écriture qui me fait défaut, je lui promettrais la mort s’il refusait de me prêter ses mots pour te convaincre ». C’est pas top, mais déjà c’est beaucoup plus simple. Mais je n’aimais pas cette double condition (si je tenais / s’il refusait) dont je me demandais d’ailleurs si elle est syntaxiquement acceptable. Je n’ai pas su me dépêtrer à temps de cet écueil et j’ai rendu la phrase encore plus moche qu’elle l’était. La nuit était déjà bien entamée et j’ai décidé d’en rester là. Mais mon Dieu que cette écriture est laborieuse ! Et puis ça, aussi : « Tout cela me semble si loin alors que c’est pourtant si proche, tant dans l’espace que dans le temps. Les mathématiques et la physique patiemment enseignées par nos professeurs ont été abolies. ». Mais bon sang, ceci n’aurait rien à faire dans un texte à prétention poétique ! Il y en a d’autres. Dans un texte a prétention véritablement poétique, je voudrais me concentrer sur deux axes : 1. Les couleurs des vêtements : la garance et le bleu horizon, qui portent en elles suffisamment de potentialités tant sur la forme que sur le fond. 2. Le vertige provoqué par la perception d’un univers dans lequel les repères habituels, tant physiques que psychologiques, ne sont plus d’application. Ces deux axes ont été exploités (à ce titre, le commentaire de Caillouq m’a fait vraiment plaisir : « J'avoue, l'espace de trois lignes, avoir cru à une nouvelle de science-fiction, avec cette étrange géométrie non-euclidienne et variable dans le temps. »), mais bien insuffisamment. Il y a moyen de faire plus et mieux, en abandonnant peut-être d’autres axes, ce qui m’amènerait sans doute à abandonner la forme de la correspondance, sans quoi l’objection de Socque deviendrait vraiment indiscutable. C’est très long, je sais, mais je n’en ai pas encore fini. Je passerai très prochainement aux remerciements individuels.
Contribution du : 12/08/2014 22:34
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Re : Bleu horizon |
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Onirien Confirmé
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Bonsoir Stony, je n'ai pas pu, voire pas su commenter votre texte à chaud. Mais j'ai aimé le lire c'est évident. Je l'ai savouré sans que je ne puisse faire de commentaire sur le fond que je méconnais : l'Histoire de France m'est étrangère au point où je n'avais jamais entendu parler de lettres de poilus (lacune que je rattrape depuis deux soirs et je vous le dois).
Encore moins à dire concernant la forme, soignée, travaillée à moins de pinailler -ou chose commune à Oniris et à certains commentateurs brillants - d'avoir les outils pointus pour charcuter chirurgicalement un texte, outils qui me font défaut. Du coup, j'en ai entamé un de commentaire, suspendu dans la foulée, estimant qu'il ne vous apportera rien de plus qui n'aie été dit. Je vous en communique l'ébauche-brouillon datant d'hier soir. PS : Cette ébauche à fournir n'est aussi qu'un prétexte pour vous glisser ici l'essentiel : J'ai aimé votre écriture, j'y ai pris goût tout en restant sur ma faim. Vivement le prochain. Ci-joint le commentaire ============ Une lettre dense, de la demi-teinte dans l'amertume, dans la désillusion. Demi-teinte aux contours néanmoins bien ciselés par une lucidité à l'épreuve des balles, émanant d' un épistolier philosophe dont la sagacité et la clair-voyance nous plongent plus profondément que des lettres de simples soldats usés par la guerre. D'une première lecture, je n'étais ressortie qu'avec la lutte garance contre les bleus dans leurs nuances, jusqu'à de jolies figures de style comme "tandis qu’il pleuvait de la terre et que le feu venu de l’horizon nous glaçait le sang", et elle n'est pas la seule, loin s'en faut. Après plusieurs relectures, l'enchaînement rapproché de "Julien...souviens..Amiens..vaurien, Fabien.."m'a semblé être le prélude d'une certaine forme de poésie sous-jacente et d'un soin que va apporter l'auteur tout du loin au sens, et même à la musicalité de sa prose épistolaire. Soin qui valorise le fond mais qui pourrait tinter comme une fausse note au départ : Je me suis rendue compte que le premier paragraphe (uniquement) aurait été parfait si le soldat épistolier était assis à son bureau après la guerre, ce qui aurait permis de justifier un certain recul et sang froid, qui pourraient paraître surfaits . Je me suis demandée aussi, si un soldat qui craint la censure des vérificateurs de courriers aurait dénigré les stratèges dès le premier paragraphe en prenant le risque d'attirer l'oeil des censeurs. ======================
Contribution du : 12/08/2014 23:45
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Re : Bleu horizon |
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Merci, Uranie.
Vous serez donc le premier commentateur remercié. Citation :
Pardonnez-moi si je me montre indiscret. Le cas échéant, vous n'aurez qu'à ignorer mes questions. J'ai lu sur le forum que vous évoquiez votre "arabité". Ou vivez-vous ? Quelle est votre origine, votre culture ? Vous écrivez parfaitement le français. Seriez-vous originaire d'un pays ayant vu temporairement son histoire mêlée à celle de la France ? Le cas échéant, ne pourriez-vous avoir des ancêtres ayant connu les tranchées ? Pour information : je ne suis pas non plus Français. Sur ce fil, j'ai écrit "soixante-dix" pour la commodité de mon lectorat. Sinon, j'aurais écrit "septante". Citation :
J'ose penser que vous ne vous offusqueriez pas si je me permettais d'en douter. Mais c'est possible, après tout. Vous pourriez avoir du talent pour l'écriture et aucun pour l'analyse. Que vous possédiez ou non celui de l'analyse, réjouissez-vous de posséder l'autre ! Personnellement, je m'en réjouis chaque fois que j'ai le droit de vous lire. Citation :
Je me suis posé la même question que vous et ma réponse n'aurait pas plus de valeur que celle que vous pourriez apporter, n'ayant vécu, moi comme vous, aucun de ces événements. Voici en tous cas la réponse que je prête à Albert : Albert sait qu'il va mourir demain, du moins en est-il quasiment certain, il veut à tout prix éviter que son frère Julien rejoigne le contingent des morts en sursis est c'est sa dernière chance pour l'en dissuader. Pour ce faire, il ne veut rien cacher de l'horreur, alors qu'il faisait exactement l'inverse lorsqu'il écrivait à sa mère. En revanche, le mensonge lui parait indipensable lorsqu'il s'agit d'évoquer leurs proches. Bien qu'il pleure abondamment en écrivant sa lettre, ayant appris récemment la mort de sa mère et ayant perdu son frère Fabien le matin même, il veut évoquer ces décès avec le plus de distance possible et même sèchement, en veillant bien à ce que son visage ne surplombe pas le papier, afin éviter qu'une auréole ne trahisse son mensonge. Il entend mettre en oeuvre tous les moyens qui puissent surprendre et même choquer Julien, lui faire comprendre, lui faire sentir que rien, là où il se trouve, n'a plus le moindre rapport avec la douceur remémorée dans les premières lignes, ni aucun rapport avec l'esprit chevaleresque ayant rêgné à l'heure de s'engager dans la guerre, lorsque l'attaque allemande constituait le prétexte rêvé pour en découdre et récupérer l'Alsace et la Lorraine perdues en 1871. Le pantalon de couleur garance était hérité des campagnes napoléoniennes et n'avait pratiquement pas varié depuis, ni les techniques de combat au début du conflit, des soldats français chargeant à cheval, sabre à la main, au devant de l'artillerie allemande. Un million de chevaux "français" périront durant le conflit, bien que les derniers soient achetés aux Etats-Unis et en Afrique du Nord pour palier à la carence nationale. Albert cale son avant bras sur son genou, de sorte à ce que ses tremblements ne se communiquent pas à la plume qui écrit. Tout, tout dans cette lettre ne vise qu'un unique but : convaincre Julien. Par conséquent, tout dans cette lettre alerterait la censure si elle tombait entre ses mains. Si Albert devait ruser, il n'écrirait rien de ce qu'il veut écrire. Il a donc décidé d'ignorer totalement la censure. Il a une idée derrière la tête. Il en déjà parlé à la personne à laquelle il confiera cette lettre. Peut-être que cette personne connait une combine pour passer outre la censure. Je n'en sais rien, je ne connais rien de cette partie de l'histoire, elle est ouverte, comme l'était la partie que je viens de fermer en vous écrivant.
Contribution du : 13/08/2014 01:50
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Re : Bleu horizon |
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SOCQUE
Pour tout ce que vous faites ici, correction et commentaire : un énorme merci. Essentiellement deux critiques (au sens noble du terme) dans votre commentaire : 1. Décalage entre l'aspect (trop) littéraire de la lettre et les circonstances dans lesquelles elles ont été écrites. Mon avis sur la question n'est pas encore définitif et je me nourris de votre avis comme d'autres. Pour l'instant, mon intuition, guidée par quelques témoignages historiques, me pousse vers un avis différent du vôtre. Vous trouverez le détail de cette réflexion au point B du premier post. 2. Distanciation trop grande du narrateur par rapport aux événements narrés. Merci d'avoir abordé ce point qui me tient à coeur. Ici, je suis certain d'être d'un avis opposé au vôtre pour l'avoir constaté, ressenti à l'occasion de certaines de mes lectures. Quant à savoir si je suis capable de reproduire ce que j'ai trouvé dans ces lectures, c'est évidemment une autre affaire et je suis le plus mal placé pour en juger. Pour ce qui me concerne, le sujet ne m'apparait jamais aussi dramatique que lorsqu'il est "emballé" de manière distanciée, voire légère. L'esthétisation des sujets graves, par exemple, m'apparait comme un moyen ultra-puissant pour secouer le lecteur. Que cela puisse passer pour déplacé ou pour le moins inapproprié n'est qu'un jugement de valeur du lecteur à l'égard l'auteur, dont je voudrais trouver la force de ne plus m'encombrer, seul m'important au final l'impact provoqué chez le lecteur. Concernant cet aspect, je n'oublierai jamais la leçon reçue de Louis Ferdinand Céline, mais aussi d'autres (je pense notamment à la description de la mort de Marin Courtial des Pereires dans "Mort à crédit", mais il y a plein d'autres exemples). En remontant beaucoup plus loin dans la chronologie de ma découverte des choses, je n'oublierai jamais la leçon reçue de Stanley Kubrick dans "Orange mécanique". J'ai sans doute vu des choses plus violentes encore si l'on s'en tient à l'aspect purement factuel, mais la manière d'emballer cette violence dans un esthétisme extrême fait que j'ai rarement ressenti les choses de manière aussi violente. Le cinéma propose aussi plein d'autres exemples, notamment dans "Le silence des agneaux". Peut-être que votre objection tient surtout au fait que la distanciation est opérée par un narrateur incarné, premier concerné par les événements, s'exprimant à la première personne. Dans ce cas, je vous inviterais à lire ma réponse à Uranie. Merci, Socque.
Contribution du : 13/08/2014 14:02
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Re : Bleu horizon |
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@Stony
Tu es très volubile, mais tu n'es pas chiant. Je me permets d'intervenir sur le sujet de la distanciation. J'ignore qu'elle fut ton éducation, mais dans ma famille et en cour de récré, on m'a toujours appris que pleurer, c'était bon pour les filles. Un garçon, ça serre les dents. Ça fait face au danger et devant l'horreur, soit il la ferme, soit il ironise. Ce n'est qu'une question de dignité et de survie sociale. Ce l'était encore plus pour les générations qui nous ont précédé. Lorsqu'Albert évoque l'histoire du capitaine qui prend du cuivre, il en est forcément gravement traumatisé, mais il feint la distanciation pour évacuer le stress. Il n'écrit pas avec « ses tripes », ça c'est un truc de poète décadent. Mais avec son cerveau, en veillant bien à conserver sa dignité d'homme. Accessoirement il ne lui déplaît pas de rouler des mécaniques devant son jeune frangin.
Contribution du : 13/08/2014 19:37
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Re : Bleu horizon |
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Hello, Tizef,
Citation :
Ouf ! Est-il besoin de t'avouer que j'en doutais très fortement ? Tu comprend mieux, maintenant, pourquoi je voulais absolument m'essayer au sonnet ? On peut y être nul, mais pour être chiant en quatorze vers, il faut être vraiment très fort. J'inclurai ma réponse à ton intervention lorsque je m'occuperai de ton commentaire. Tizef, t'es vraiment un type très bizarre. Sans blague, t'as vraiment tout lu jusqu'au bout ? Je croyais qu'en fin de post, je pourrais insulter tout le monde sans que personne s'en aperçoive. J'ai bien fait de me méfier.
Contribution du : 13/08/2014 20:40
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Re : Bleu horizon |
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RB
J'étais en train d'écrire longuement à Tizef, mais je vous fais passer avant car je crois que ce sera vite fait. Je vois bien que vous êtes pressé et que vous êtes attendu chez vous. J'avais pris la ferme résolution de ne plus jamais me fâcher avec un commentateur. Je vais essayer, mais ce ne sera pas facile. Puis-je résumer ainsi votre commentaire ? Vous n'êtes qu'une pute, mais puisque tout le monde semble s'accorder sur ce fait, je vais répéter comme les autres que vous n'êtes pas trop mal gaulée. Citation :
Mon cher RB, vous ne connaissez rien au commerce ni aux choses de la chair. Pour me mater, c'est vous qui devez payer. Lorsque vous aurez réglé ce que vous me devez, je vous autoriserai à me mater encore. Cette fois-là, pensez donc à décrire un tant soit peu ce qui chez moi vous fait bander ! Ca m'excite qu'on me parle de mon corps. J'ai d'autres clients, vous savez. C'est mon métier, certes, mais ce n'est pas si simple de mouiller sur commande. Pendant un moment, j'ai pensé à alerter mon mac, mais je vous laisse filer.
Contribution du : 14/08/2014 03:15
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Re : Bleu horizon |
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Matez-moi donc ceci, je vous le fais gratos rien que pour vous.
Vous m'amusez, RB. S'il vous plait, faites-moi encore rire ! Les femmes adorent ça, c'est bien connu.
Contribution du : 14/08/2014 03:51
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Re : Bleu horizon |
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TIZEF
Je romps encore l'ordre chronologique des commentaires pour m'occuper de toi en priorité. C'est que je pense depuis tout à l'heure à ce que tu m'as écrit sur ce fil, et que ce « tout à l’heure » est devenu lointain au point de former une nuit blanche. Le ciel est déjà bleu à l’horizon, même si je ne fais que le deviner au travers des nuages. Le commentaire d'abord... Plusieurs commentateurs m'ont fait des remarques qui m'ont fait chaud au cœur, sans que j'élude pour autant les critiques que j'accepte d'autant mieux que je me les étais par avance adressées. Mais ton commentaire est sans doute celui qui me fait le plus de bien. Un bien fou, en réalité. Je me suis perdu dans l'écriture en m'obstinant à tenir compte des critiques qui m'ont souvent été adressées au sujet de l'hétérogénéité de mon langage. Je ne réfute pas ces critiques, ni ne blâme leurs auteurs, c'est seulement qu'elles ne me concernaient pas. Elles voyaient des maladresses là où il y avait une intention. Leurs auteurs font partie de ma famille, mais ils ne sont que des cousins alors que j'écris avant tout pour mes frères. J'espère ne pas me montrer prétentieux en disant que j'ai cru pouvoir reconnaître en toi un frère, même si la forme d'expression que tu empruntes est différente de la mienne, sauf par accident. Je me permets de reprendre une partie de mon commentaire sur "A Petropavlovski" : Citation :
Alors, lorsque je lis ceci : Citation :
Je me dis que je ne me suis pas complètement planté, et je me rappelle que c'est pour qu'on me dise ce genre de choses que j'écris, que c'est pour toi que j'écris, pour des lecteurs comme toi. Tu me remets sur les rails alors que j'avais déraillé. Je te dois combien ? My God, pourquoi m'as-tu lancé sur la question de l'éducation ? Tu ignores forcément que cette question me passionne. Elle m'obsède, plus exactement, au point que je rêve depuis des années d'écrire un roman sur ce sujet, dont il existe des bribes ayant d'ailleurs formé, après maquillage, quelques nouvelles autrefois publiées sur Oniris. J'ai l'impression que mon éducation ne doit pas être très différente de la tienne. Peut-être un poil plus moderne étant donnée la différence de nos âges. Je suis le fruit d’une famille maternelle catholique conservatrice et d’un père communiste révolutionnaire. Un choc des civilisations à moi tout seul. Famille paternelle du milieu ouvrier et famille maternelle de petits commerçants laborieux. Pourtant, bien des similitudes entre mon père et ma mère. Pas d’études au-delà de dix-huit ans pour lui et de quatorze ans pour elle. Le travail érigé en commandement sacré, par conviction de la libération des masses populaires pour lui, par reproduction mécanique des schémas hérités pour elle et, probablement selon un héritage semblable, par la conviction que la souffrance silencieuse constitue la voie de la rédemption et du mérite d’une vie meilleure dans l’au-delà, par la certitude de l’existence d’un devoir jamais remis en cause et sans aucune conscience de sa finalité. J’ai été élevé par ma mère, presque exclusivement, après que nous avons quitté l’Union soviétique où nous avons vécu durant quatre années. Mais si les idéologies sont très différentes, les différences sont en réalité faibles dans la pratique. La dignité est de se taire. La plainte est la pire des vulgarités. L’éducation est stricte, souvent sévère, parfois violente. L’émotion est contenue, ne s’exprime pas. Dignité avant tout. Les sujets intimes ne sont pas abordés. Le silence meuble souvent le vide laissé par les sujets interdits ou tout simplement intéressants. Il m’en reste jusqu’à aujourd’hui une économie structurelle de la langue orale, surtout lorsque je vois ma mère, inversement proportionnelle à ma prolixité à l’écrit. La peur du manque est constante. L’argent ne se gaspille pas. « Chez ces gens-là », chantait Jacques Brel… Ma famille, pour la plus grande partie, est néerlandophone, mais la langue la plus souvent parlée est le bruxellois, souvent considérée à tort comme un mélange de français et de flamand, y compris par la plupart des belges qui en sont ignorants, mais en réalité un patois flamand des classes populaires, le plus souvent considéré comme honteux, sauf lorsqu’il s’agit de le singer pour son effet comique. Lorsque le flamand est parlé, il l’est mal. Lorsque le français est parlé, il l’est mal. Tout cela n’a pas la moindre importance. La culture n’a aucune importance. Elle est totalement absente. Mon père, lui, est francophone. Je ne sais même pas pourquoi puisque ses parents étaient également néerlandophones ainsi que ses aïeux. Il est cultivé, autodidacte par nécessité, lettré, parle couramment cinq langues qu’il met notamment au service de différentes associations, dont des associations d’anciens combattants , des associations de rescapés de la shoah, pour lesquelles ses connaissances excellentes du français, du néerlandais, de l’anglais, de l’allemand et du russe sont précieuses pour les traductions de textes à produire lors de rencontres internationales. Cette année, la mort dans l’âme, il a dû mettre un terme à ces services rendus gratuitement car il perd progressivement la mémoire. Bruxelles fut libérée en septembre 1944. Mon père est né en novembre de la même année. Il m’a souvent semblé que d’être né juste au sortir de la guerre lui laissait une empreinte indélébile, une sorte de culpabilité qu’il trainait derrière lui de n’avoir pas souffert de tout ce qui s’est passé juste avant, et qu’il s’intéressait à tout ce qui concernait les deux guerres mondiales plus que la moyenne. Je ne l’ai finalement que peu fréquenté. Les quelques samedis où j’allais chez lui, les sujets personnels n’étaient jamais abordés, mais il m’a fait visiter du pays, des musées, des camps de concentration, en Belgique et en France. De sa mère récemment disparue, j’ai entendu dire qu’il aurait souvent pleuré, mais je ne l’ai jamais vu. Surtout pas ! J’ai pleuré longtemps la femme que j’ai perdue et cette source n’est pas encore totalement tarie après dix ans. On m’a rapporté qu’un jour, ma mère aurait dit à ce sujet, c’est-à-dire à mon propos : « Un homme, ça ne pleure pas !». Parmi les nouvelles autrefois publiées sur O, l'une portait le titre "Ni d'Eve ni d'Adam". .. Je crois que je mettrai toute ma vie à tenter de me débarrasser de mon éducation et qu'au moment de rendre mon dernier souffle, je n'y serai parvenu que bien imparfaitement. Je sais que j’ai hélas et bien malgré moi probablement transmis une partie de mon éducation à mon fils, mais j’espère lui avoir épargné le pire. C’est à présent un jeune homme plein d’avenir. L’écriture de ce roman que je n’ai jamais poursuivi ne fut pas qu’une aventure littéraire, elle fut aussi et peut-être avant tout une aventure faite d’introspection, de voyages, d’archéologie familiale. Mon père et ma mère n’y tenaient pas des rôles très flatteurs. Après avoir lu les deux-cent pages que j’avais écrites, mon père a répondu pas deux-cent autres pages écrites de sa main et j’ai découvert – mais en doutais-je vraiment ? – que sous le vernis de la dignité inébranlable se dissimulaient bien des turpitudes et des mensonges à n’en plus finir. Albert pleurait-il réellement en écrivant sa lettre ? Je n’en sais rien, mais il n’est pas impossible que, dissimulé dans un cabanon aménagé dans la tranchée, ou simplement dissimulé par son uniforme bleu horizon qu’il avait relevé, à l’abri des regards indiscrets, il se soit autorisé ce que sa dignité lui interdisait. Quoi qu’il en soit, l’Histoire retiendra qu’il n’a pas pleuré, qu’il est allé fier et droit au devant de sa mort, à la suite de celles de son père, de sa mère et de son frère.
Contribution du : 14/08/2014 06:42
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Re : Bleu horizon |
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RB (bis)
Comme disait Coluche l'auto-stopeur : je n'ai même pas eu besoin de me lever, puisque je ne me suis pas couché. Alors, puisque me voilà actif dès potron minet, je vous consacre encore deux minutes. De quel droit me faites-vous un procès concernant le choix de mes sujets ? Vous qui parliez de mode, et puisque les questions de charte sont précisément à la mode, peut-être pourrais-je vous conseiller de le lire la charte pour savoir ce qu'il est demandé au sujet des commentaires. Un commentaire juge un texte (ce que vous vous êtes abstenu de faire) et non son auteur. Je vous invite également à lire le point A du premier post de ce fil. Comme nous le verrons ci-dessous, vous pourriez peut-être vous inspirer du point A 2. Concernant ceci : Citation :
Je vous répondrais que pour instruire mon procès, vous ne connaissez rien de mes sentiments et convictions. Et que savez-vous de ce que jai écrit sur le monde actuel ? Lorsque j'ai voulu me lancer dans la poésie classique à laquelle je ne connaissais rien, j'ai sollicité l'aide d'Alexandre dont l'art du sonnet n'est plus à démontrer. Celui-ci a gentiment répondu, favorablement, et nous avons entamé ma formation sur base d'un exercice concret : un sonnet à composer en alexandrins. Tout cela a fait l'objet d'un fil de discussions dédié, étalé sur plusieurs jours ou même plusieurs semaines. Pour le contenu du sonnet, j'avais choisi un thème qui me tenait à coeur : mon dégoût de la glorification de l'héroïsme du soldat dont on peut trouver des traces sous forme d'épitaphes sur la plupart des monuments aux morts des deux guerres mondiales, tant dans les cimetières de chez vous que dans ceux de chez moi. Vous imaginerez sans doute aisément mon embarras lorsqu'Alexandre m'a appris qu'il est militaire à la retraite. Heureusement, l'intelligence d'Alexandre, combinée - pardonnez-moi cette vanité ! - à la mienne a fait que nous avons pu ne pas nous fourvoyer et ne pas confondre tout et n'importe quoi. On peut être militaire et pacifiste, ce n'est pas incompatible. On peut aussi être pacifiste, ne pas être militaire, ressentir un malaise devant ces épitaphes et tout de même être reconnaissant envers ces dizaines de millions de morts, ressentir une petite part de leurs souffrances et de celles de leurs familles. Je n'ai pas l'impression que ce soit votre cas lorsque vous écrivez : Citation :
J'ai dû me pincer le nez pour lire ça. Et atteint le pompon lorsqu'on lit ceci : Citation :
Là, je me dis qu'il s'agit tout simplement de bêtise par ignorance, venant de la part de quelqu'un se déclarant militant pour les causes "actuelles". Je ne suis moi-même pas spécialiste de ces choses et je ne me risquerais pas à mon tour à proférer des bêtises sans me renseigner sérieusement, mais je serais vous, je me renseignerais tout de même un tantinet au sujet des conséquences de la première guerre mondiale aux Proche et Moyen Orient, au sujet des turpitudes fomentées entre Français et Britanniques dans le dos du monde arabe. Vous qui êtes militant des causes actuelles, qu'attendez-vous pour prendre votre plume et partir écrire en Irak ? Si vous avez besoin de conseils vestimentaires ou autres pour votre voyage, peut-être pourrais-je vous conseiller le visionnage de ce film (c'est plus romanesque, mais moins fatiguant qu'une encyclopédie).
Contribution du : 14/08/2014 09:02
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