Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche



Parcourir ce sujet :   1 Utilisateur(s) anonymes



« 1 (2) 3 4 5 ... 11 »


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Visiteur 
une question : comment fait-on pour calculer le nombre de caractères dans son texte? merci par avance

Contribution du : 29/03/2020 21:39
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Visiteur 
Open office possède une fonction pour cela... je suppose que Word aussi. Sinon, certains environnement de programmation également (j'utilise RJ Text Ed).

Contribution du : 29/03/2020 21:49
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Maître Onirien
Inscrit:
25/06/2009 19:48
De Les Alpes
Groupe :
Évaluateurs
Primé concours
Auteurs
Groupe de Lecture
Membres Oniris
Post(s): 14817
Hors Ligne
@ HERLINE

Si c'est dans Word, il faut d'abord sélectionner votre texte.

Ensuite, aller dans la barre d'état (en général en bas de l'écran) et cliquer à gauche sur "Mots".

La boite de dialogue des statistiques s'ouvre et donne toutes les indications.


Contribution du : 29/03/2020 22:34
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Expert Onirien
Inscrit:
16/07/2019 14:25
Groupe :
Évaluateurs
Auteurs
Groupe de Lecture
Primé concours
Comité Editorial
Responsables Edition
Membres Oniris
Post(s): 3094
Hors Ligne
De main en main.


Sa main saisit le cadre en aluminium et Lola se tracte à l’aide de ses avant bras, et cale son pied dans une rainure, et se hisse à nouveau. Gestes agiles qu’elle répète depuis une dizaine d’étages. Elle lève un instant son regard vers le sommet. Le clair de lune se reflète sur la paroi de glace. Il lui reste deux niveaux pour parvenir à destination. Son vêtement la gratte, elle lui a dit pourtant que cette combinaison n’était pas idéale. Max a insisté, lui répétant que c’était une seconde peau confortable, noire et invisible dans la nuit, elle fulmine contre les fabricants chinois avec leurs étiquettes à rallonge qui mordent le côté. Le frottement lui arrache sa peau sensible.
De loin, son corps petit et mince ressemble à une fine araignée qui se déplace sur un miroir. Un crépitement dans son oreille l’informe qu’il est là, elle baisse son menton vers le micro attaché à son col.

- Tu en es où ?
- Je suis arrivée, c’est bon, dit-elle en plaçant ses pieds sur un rebord large de dix centimètres.
- Tu finis de te préparer !
- Oui, je sais, un bas sur le visage et des gants en latex. Déjà que je ne supporte pas cette combinaison, rage-t-elle. 

Tout en se tenant d’une main à la rainure d’aluminium, indifférente au vide sous elle, Lola a ouvert sa poche ventrale et s’équipe avec habilité.


- Maintenant, c’est le plus délicat. Il faut découper la vitre.


Lola cherche cette partie d’elle qui a été emballée par la proposition de Max, pour l’instant elle maudit sa décision. Et pourtant…
C’était un samedi après midi, elle prenait un café à sa terrasse préférée, le soleil de mai la réchauffait agréablement lorsqu’une ombre a chassé la chaleur bienfaisante.
Furieuse, elle a ouvert les yeux pour invectiver l’importun, un grand type à lunettes, genre adolescent pas fini avec une barbe, passeport nécessaire pour passer la frontière du pays des adultes.


- Lola Massini ?
- Oui, et alors ? répond-t-elle d’un ton sec.
- Il faut que je vous parle. J’ai un job pour vous !
- Qui êtes vous ?
- Peu importe, moi, je sais qui vous êtes ! Vous êtes Lola Massini, la femme araignée. J’ai besoin de vos services.


Cela a fait tilt. Elle galère pour trouver du travail dans son unique domaine de compétences, l’escalade à main nue, sans corde. Pour survivre, elle acceptait plein de petits boulots, mais sa vie, sa vie, c’est grimper toujours plus haut. C’est sa respiration. C’est un défi à dépasser à chaque fois. Plus haut, toujours plus haut. Des montagnes, des buildings ici ou ailleurs, voilà sa vie, et ce depuis ses 8 ans, ce qui a fait le désespoir de ses parents qui voulaient la voir plutôt monter l’échelle sociale. Elle ne supporte pas d’être enfermée et rêve constamment d’être loin du sol avec le ciel au dessus de sa tête.

Max lui a expliqué dans un endroit discret ce qu’il attendait d’elle. Et là, elle a d’abord dit non. Elle n’est pas une voleuse qu’est ce qu’il croit ? Au dernier étage d’un immeuble dans un appartement immense dans lequel loge toute sa famille, un prince des émirats a rapatrié des bijoux qu’il expose pour ses amis. Et surtout, un fameux qui s’appelle la main d’émeraude. Et voilà, en plein dans le mille de sa seconde passion, les pierres précieuses ou non, en tout cas, les pierres rares. Elle aime les univers minéraux. Pendant des heures, elle peut observer un caillou, le toucher, le faire rouler entre ses doigts, le faire glisser sur sa joue, même le goûter du bout de la langue. D’ailleurs, à son envie de grimper se rajoute la quête de pierres qu’aucun doigt humain n’a touchées. La main d’émeraude l’a fait rêver, la main est la partie du corps qu’elle préfère, elle admire souvent la sienne en grimpant. La main d’émeraude ? Elle l’a imaginé au point de la désirer intensément. Max est un hacker, il a été commandité pour réaliser ce vol. Car parmi ses compétences, il a le piratage des services de sécurité pilotables à distance. Il a fini par la convaincre en lui disant que ce prince était un multimilliardaire et que perdre cette main ne le handicaperait pas !

Lola a accepté pour vivre de son art, par son lien charnel avec les pierres, et par sa difficulté à suivre les chemins tout tracés à l’horizontal comme à la verticale. Et puis, Max lui a été sympathique d’emblée, là elle aurait dû réfléchir à deux fois car ses emballements passés lui prouvaient ses erreurs de jugement.

Lola a un matériel ultra sophistiqué pour faire un rond dans la fenêtre dont elle n’a plus qu’à actionner la poignée. Pendant ce temps, Max a interrompu le signal d’alarme. Avec souplesse, elle saute sur le sol. Elle regarde autour d’elle c’est un grand salon avec un bar. Elle sait que toute la famille et domestiques sont repartis pour quelques temps aux émirats. Il ne reste que deux agents de sécurité situés dans un petit local à l’entrée de l’appartement.


- Je fige l’image des caméras avant ton arrivée, tandis que moi je te vois. Tu vas avancer jusqu’à la porte au fond à droite, tu peux l’ouvrir.


A l’aide de sa mini torche, Lola balaye le couloir bordé d’une série de portes. Max l’a fait déambuler de pièces en pièces. Tout au fond, il y a une salle avec de nombreuses œuvres d’art. Et au centre, éclairé d’une lumière bleue, un piédestal, avec une vitrine. Lola s’approche, et elle reste un moment, subjuguée. Les éclairages intérieurs de la vitrine mettent en valeur le bijou central. C’est une paume de main en or, avec des doigts en émeraude.


- C’est magnifique !
- Je coupe la sécurité du bloc. Une trappe va s’ouvrir devant tu vas pouvoir y glisser ta main.


Aussitôt dit, aussitôt fait, dans un chuintement doux une petite porte s’ouvre. Lola glisse sa main à l’intérieur. Sa propre main fait face à la main d’émeraude, ses cinq doigts de chair touchent les cinq doigts d’émeraude. Elle est fascinée. A ce moment précis, l’alarme se déclenche, et un cercle, telle une menotte, vient se refermer sur son poignet. Elle est prisonnière.

- Max !!!

Immédiatement, l’alarme s’arrête et le poignet de Lola est libéré, avec soulagement, la jeune femme dégage sa main.


- J’ai merdé ! Mais c’est bon, je contrôle, prends le bijou, tu as très peu de temps pour quitter le bâtiment. Les agents de sécurité arrivent. Souviens toi du plan, file rejoindre la buanderie, il y a un vide linge, vu ton gabarit tu vas pouvoir te glisser dedans. Dépêche…

Aussitôt dit, Lola suit à la lettre les instructions, après avoir saisi le bijou. Elle a entendu les pas des agents de sécurité courir dans le couloir tandis que la porte de la buanderie se referme sur elle. Des odeurs fétides, mélanges de sueur et de parfum musqué, du linge en attente d’être lavé, lui sautent à la gorge. Lola repère un trou rectangulaire dans lequel on doit enfouir le linge afin qu’il chute en dessous pour être réceptionné et lavé.

- Tu vois le vide linge ?
- Oui, il n’est pas large, dis donc …

Ce n’est pas la largeur mais sa claustrophobie qui lui noue le ventre.

- Dépêche ! Tu as deux armoires à glace à tes trousses.

Lola ne réfléchit pas davantage, elle se jette dans le conduit, et atterrit à l’étage en dessous dans un grand panier de linge qui amortit généreusement sa chute.

- Il était temps, ils viennent de rentrer dans la buanderie. Merde, ils regardent le conduit. Un mec va descendre en dessous.
- Je fais quoi maintenant ???
- Tu te planques ! Trouve un endroit, vite ! Il n’y a ni caméra ni alarme à cet étage. C’est l’étage du personnel. Absent comme leurs maitres.

Lola regarde autour d’elle, des étagères avec des piles de linges lavées et repassées. Elle repère une étagère haute, elle grimpe rapidement, et se glisse dessus contre la paroi. Au même moment, la porte s’ouvre à toute volée, la lumière jaillit du plafonnier. Lola s’arrête de respirer. Des bruits de pas lourds, des objets sont renversés ou déplacés, un homme hurle.

- Il n’y a personne ici, chef !
- Ici, non plus, il ne s’est pas volatilisé, merde ! Il est rentré par la fenêtre du salon, il n’a pas pu repartir par là, il serait passé devant nous ! Il venait du toit sans doute. Il est forcément à l’intérieur. Regarde les autres pièces autour, cherche bon sang !


Lola déglutit. Elle est prise au piège. Un murmure à son oreille.

- Laisse le chercher quelques minutes, ne bouge pas. Du haut de ton étagère, tu vois une autre porte, c’est un petit local avec un vide ordure. A mon signal, tu descends et tu mets le bijou dans un gros sac lourd et jette le dedans, je le récupèrerai en bas. Ensuite, je te dis comment sortir de là.

Une alarme se déclenche dans la tête de Lola, tandis qu’elle se gratte le côté droit là où il y a ces étiquettes qui la blessent de plus en plus. Sous ces doigts, elle sent un objet dur. « C’est un antivol ou quoi ? ». Ou quoi ? Brusquement, des mots de Max résonnent dans sa tête, « du haut de ton étagère » comment sait-il ça ? Il n’y a pas de caméra dans cette pièce. En faisant le moins de bruit possible, elle baisse sa combinaison jusqu’à la taille. Elle peut comprendre qu’il avait besoin de la traquer. Mais mais …pourquoi a-t-il omis de lui dire ?

- Tu peux y aller, ils sont partis dans les escaliers à ta recherche.
- D’accord.

Elle arrache l’étiquette avec la puce et renfile sa combinaison. Elle descend, prend un sac en tissu y glisse un fer à repasser et d’autres linges, elle prend soin de faire plusieurs nœuds afin d’en rendre l’ouverture difficile, elle glisse l’ensemble dans plusieurs sacs poubelles auxquelles elle noue fermement les liens. Elle le jette dans le vide ordure.

- Sac envoyé !

Lola balance le micro et la puce sur l’étagère qu’elle vient de quitter, puis sort de la pièce. Elle se repère quelques minutes et trouve une fenêtre qui donne sur une autre façade, l’ouvre, l’enjambe et descend le plus vite possible. C’est plus facile de monter que de descendre. Mais elle est agile. Un grésillement dans ses oreilles.

- Ca y est ! J’ai récupéré le sac ! Tchao la belle ! Tu sauras te débrouiller !

Elle entend un grand rire, et la communication est coupée. Elle saute à terre, et sourit en s’enfuyant et murmure pour elle même : « Tchao Max ! A bientôt si tu veux récupérer la main sans omettre de me payer, cette fois ci. »

Contribution du : 30/03/2020 20:02
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Maître Onirien
Inscrit:
28/12/2008 17:33
Groupe :
Évaluateurs
Auteurs
Membres Oniris
Primé concours
Groupe de Lecture
Post(s): 20793
Hors Ligne
Le vieil homme et la rivière


Jean Farges, comme tout médecin, avait toujours recherché une combinaison idéale de médicaments à prescrire à ses patients. Idéal ne lui paraissait cependant pas le qualificatif le mieux adapté, car il existe parfois des cas complexes de malades souffrants de plusieurs pathologies. Il tentait alors de déterminer le meilleur compromis entre les médicaments destinés à soigner chacune, ce afin de limiter les possibilités d’interactions négatives. Mais lorsqu’il s’agissait de ne s’attaquer qu’à une seule maladie, la mise en commun de deux produits susceptibles de se dynamiser l’un l’autre lui apparaissait fondamentale. Il consultait pour cela les médecins spécialistes de la ville voisine et les professeurs qu’il connaissait à l’université où il avait été formé.
En complément des remèdes classiques, voire parfois, en replacement de ceux-ci, il conseillait à ses patients des soins à base de plantes : thym, ortie, plantain, ail des ours, salsepareille…, ainsi que toute activité destinée à améliorer le moral : promenade, sport, développement de la vie intellectuelle et sociale.

L’an dernier, au début de l’été, vinrent en consultation des parents inquiets pour leur enfant, Paul, âgé de dix ans. Ils revenaient travailler au pays après avoir vécu quelques années en région parisienne, si bien que leur petit garçon se sentait un peu « déboussolé ». Celui-ci ne présentait pas de symptômes particuliers, à part une certaine apathie et une maigreur préoccupante due à une alimentation insuffisante. Le docteur Farges prescrivit quelques vitamines et plantes appropriées, destinées à redonner à l’enfant tonus et appétit, ainsi que des recettes simples de bons petits plats qu’il pourrait lui-même cuisiner. Et surtout, il avait bien insisté sur la nécessité d’entreprendre des exercices physiques : marche, vélo et natation. Concernant cette dernière activité, les parents paraissaient hésiter.

– Marcher et faire du vélo, d’accord, mais pour la natation, ça va être difficile pour nous, annonça le père. La piscine de la ville se situe à quinze kilomètres de notre domicile. Nous n’avons qu’une seule voiture et j’en ai besoin pour mon travail presque chaque week-end.
– C’est l’été, il peut aller avec sa maman dans la Lidenne, à la plage du barrage de Portès, proposa le docteur. Vous pouvez même vous y rendre à pied, c’est à moins de deux kilomètres de chez vous. Trois fois dix minutes de nage chaque jour, entrecoupé par des bains de soleil : excellent pour la vitamine D !
– Oui, j’aimerais bien aller nager, mais pas à la plage, dit l’enfant.
– Il a peur du regard et des moqueries probables de ses camarades de classe qui pourraient se retrouver là-bas, traduisit sa mère. C’est à cause de sa maigreur, docteur.
– Cette maigreur va s’atténuer peu à peu si Paul fait des exercices physiques réguliers, tout en se régalant avec mes bons petits plats. Je connais un autre endroit où on peut se baigner : dans le bas de l’ancienne gare d’Auzers. Il suffit de descendre par l’étroit chemin qui longe les rails rouillés et on arrive en cinq minutes à la rivière.
– Oui, je vois où ça se situe, dit le père. C’est un joli coin, mais un peu sauvage, je trouve.
– Un de mes patients, Carle Jault, habite près de la gare. Il doit avoir dans les quatre-vingts ans ; allez lui rendre visite, il est très gentil. Il vous conduira vers le petit barrage qui a le même âge que lui, construit pendant la guerre par les Allemands avec de très grosses pierres. On l’appelle encore parfois « le barrage des Boches ». Il tient toujours le coup, mais il faudra le consolider avec des galets et des mottes de terre. Essayez avec Paul, vous verrez, il va adorer.
– D’accord, Papa et Maman, on va faire ça ?
– Oui, dès qu’on pourra, certains soirs. Et surtout en août, quand Papa aura ses quinze jours de congés, acquiesça sa mère.
– Parfait ! Mais attention à ne pas trop effrayer mes truites, conclut le docteur Farges, satisfait d’avoir trouvé une combinaison idéale pour requinquer le corps et l’esprit de Paul.

Un mois et demi plus tard, Paul se sentait beaucoup mieux dans sa peau ; non qu’il ait pris beaucoup de poids — un peu de muscle peut-être —, mais il avait indéniablement retrouvé une certaine joie de vivre. Il ne marchait pas, il courait ; il ne faisait pas de vélo, mais engageait des défis de vitesse avec son cousin Pascal. Et surtout, il adorait la rivière, sa Lidenne, et le barrage des roches ; renommé ainsi par sa mère qui lui avait expliqué que « Boche » était un mot insultant pour les Allemands. Nous étions en paix avec eux désormais, et pour l’éternité. Paul et ses parents avaient sympathisé avec Carle Jault. Ce dernier avait appris à l’enfant à pêcher les vairons avec une canne en noisetier, un bout de fil et un hameçon très fin. Les pauvres petits poissons étaient aussitôt remis à l’eau ; Paul les trouvait si jolis : tigrés, avec des reflets dorés et parfois un ventre rouge orangé.
Paul et son cousin, sous la surveillance discrète d’un parent ou de Carle, avaient parfaitement colmaté les brèches du barrage, si bien que l’eau ne s’écoulait plus qu’en déversoir de l’ouvrage. Ils appréciaient beaucoup ce site, si beau et tranquille, avec une petite grève de sable ocre parsemé de micas argentés, des rochers plats où l’on pouvait s’allonger pour bronzer au soleil, les feuillages bas des aulnes où le courant scintillait en un miroir éclaté.
Le plan d’eau avait fière allure, peu profond — un mètre au maximum —, donc l’idéal pour la baignade des enfants. Mais aussi des adultes, car les parents de Paul s’en donnaient à cœur joie, malgré une température de l’eau ne dépassant pas les quinze degrés. Le soleil des après-midi réchauffait un peu le courant calme, le bonheur s’égaillait autour de leur plage privée.

Carle ne se trempait que les pieds et les chevilles pour se rafraîchir. Il semblait heureux. Il venait « faire son tour » après sa sieste quand il apercevait la voiture stationnée à l’ombre de l’ancienne gare. Son chien, Bob, appréciait particulièrement la baignade. Il suffisait de lancer un bout de bois dans l’eau : il plongeait aussitôt, le ramenait, et ainsi de suite, inlassablement.
Carle se souvenait du temps de sa jeunesse lorsque le bonheur inondait son cœur ; Roseline, l’amour de sa vie, à son bras. Amour qu’il avait perdu à cause d’une guerre qui ne portait pas son nom. Des petites larmes perlaient alors au bord de ses yeux, mais en même temps un sourire de tendresse réchauffait timidement son visage sec et buriné. Ce sourire, parce que Roseline était revenue à l’aube de ce siècle et qu’ils étaient retournés, tant et tant de fois, se promener au bord de la Lidenne, s’aimant comme au premier jour. Ces larmes, parce que quelques années plus tard, le docteur Farges n’était pas arrivé à sauver Roseline de cette boule d’horreur qui s’était nichée au creux de son cerveau. Aucune combinaison médicamenteuse n’avait apporté d’amélioration et une opération chirurgicale avait été jugée irréalisable ; le cancer se moque bien de nos recherches d’idéal thérapeutique. Il se souvenait que le docteur avait pleuré, lui aussi, en découvrant qu’il avait perdu la bataille.

La fin du mois d’août approchait ainsi que la rentrée des classes. Les parents avaient promis qu’à l’automne ils se débrouilleraient pour les conduire, lui et son cousin, à la piscine chaque week-end. La maman de Pascal s’en chargerait le plus souvent, car son fils, qui ne faisait encore que barboter, devait vraiment apprendre à nager.
Le dernier samedi d’août, Paul et Pascal voulurent profiter d’une ultime baignade dans la rivière. En effet, leurs parents avaient bien stipulé qu’il n’y aurait probablement plus d’autres sorties, car l’eau devenait de plus en plus fraîche. Le père de Paul les laissa devant le chemin menant à la Lidenne.

– Je vais au Supermarché, je reviens dans une heure, leur rappela-t-il. Carle vous rejoindra après sa sieste. En attendant : interdiction de se baigner et de faire les idiots. Vous n’avez qu’à vous promener dans le bois ou pêcher les vairons au ver d’eau.
– Ne t’inquiète pas, lui répondit Paul. Regarde : Bob arrive déjà à fond de train, on va jouer à lui lancer des bâtons dans le barrage.
– D’accord, alors amusez-vous bien. À tout à l’heure…

Paul et Pascal ne s’attardèrent pas dans le bois. Ils dévalèrent le chemin, devancés par Bob qui frétillait d’impatience.
Le brave chien ne craignait pas la fraîcheur de la rivière. Il s’élançait de la digue et sautait pour attraper le bâton. Parfois, il le saisissait même au vol, anticipant le lancer des enfants depuis le soleil de la petite plage.

– On va faire un concours, proposa Pascal. Va sur le haut du barrage avec Bob, je vais jeter le bout de bois et vous plongerez dans l’eau pour le récupérer.
– Génial ! S’enthousiasma Paul. Tu as raison, je peux bien me baigner, j’ai pied partout. Carle ne dira rien.
– Alors c’est parti : vas-y ! Cinq, quatre, trois, deux, un, taratata… Feu !

Bob s’élança et avait déjà presque atteint le bâton avant que Paul, manquant de réflexe, ne saute à son tour. Son corps, chauffé par le soleil, fut aussitôt saisi par l’eau froide. Il restait debout, flageolant, le souffle coupé. Une violente douleur lui envahit le crâne. Ne pouvant parler, il fit trois pas en direction de la berge, puis s’étala dans le courant sur le flanc immergé d’un rocher. Il ne bougeait plus : il venait d’avoir un malaise. Bob nageait autour de lui et Pascal, pataugeant dans quatre-vingts centimètres d’eau, criait au secours à tue-tête.

– Bordel de merde ! gronda Carle, déboulant le plus vite possible du chemin.

Il comprit aussitôt la situation et se précipita dans l’eau. Il saisit Paul par les bras et le traîna au soleil de la rive. Il l’allongea sur le côté, comme le lui avait montré un jour le docteur Farges. Il vérifia que Paul respirait encore…
Son cœur battait fort, aussi fort que celui de Carle ; tout allait bien.

Contribution du : 30/03/2020 20:08
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Chevalier d'Oniris
Inscrit:
09/11/2019 08:54
De Chaumont Gistoux Belgique
Groupe :
Auteurs
Évaluateurs
Comité Editorial
Groupe de Lecture
Membres Oniris
Post(s): 2162
Hors Ligne
Vivez !
Les journées passent, et rien ne se passe.
Je suis là, j'attends, je ne peux rien faire, il faut attendre.
Le temps est long. Je reste là. Rien ne se passe. Déjà je me répète, déjà je perds le fil.
Je pourrais discourir sur tout ce qui a changé, sur tout ce que je pense de la situation, de la solitude. De ma solitude. Mais je ne veux pas en parler, après tout, nous sommes nombreux à nous sentir seuls, c'est le cas de tous mes voisins, ils vivent la même chose que moi, dans les villages voisins également. Depuis deux mois, la situation reste sans issue, je suis là et je ne peux sortir prendre l'air, pourtant nous sommes au printemps maintenant et je ne peux sentir le soleil sur mon visage, le soleil qui fait pétiller chaque centimètre carré de peau exposé à ces doux rayons. Je ne peux profiter du bruit de la foule du marché du village, des odeurs de poulet rôti qui viennent taquiner mes narines, des voix de marchands et de marchandes vantant les mérites, qui d'un fromage de chèvre, qui d'un saucisson du terroir ou d'une combinaison de coton indigo (ça, c'est moi, hihihi). Je ne peux profiter des couleurs bigarrées qui appellent le regard, je ne peux profiter de la sensation, sous les doigts, du tissu coloré de mes tabliers en coton épais. Ni du mouvement presque liquide des chalands qui arpentent les allées, je ne peux sentir les parfums qui exhalent de ce marché qui construisait ma semaine.
Lorsque l'on est privé de quelque chose, on se rend compte que l'on n'y prêtait pas suffisamment attention, c'est là que la valeur de la normalité devient extraordinaire. Que quelques mots anodins se révèlent. Mon Dieu que je regrette de n'avoir pas osé, mon Dieu que j'aimerais revenir en arrière à ce jour froid, mais béni par le plus chaleureux rayonnement, dans cette lumière incandescente et déclinante qui me semblait normale, bien qu'elle fût magique.
Que j'aurais aimé te voir avec mes yeux d'aujourd'hui pour me rendre compte de l'amour que tes yeux gris-vert me renvoyaient, moi qui n'y voyais qu'un peu de gentillesse condescendante, n'osant imaginer autre chose. Si j'avais ouvert le sac que tu me tendais, tout se serait passé autrement. Aujourd'hui, je regrette de n'avoir pas pu ressentir s'effleurer la chaire de mes lèvres contre le grain de la peau de ton cou.
La combinaison de tous ses éléments aurait été idéale si le temps ne s'était pas arrêté. Maintenant que le silence règne, que les journées sont longues comme l'ennui, car je dois rester là, sans les activités qui remplissent normalement mes journées. Le matériel d'exposition pour les marchés est rentré, le stock de tissu et les pièces prêtes à vendre sont remisés dans des caisses dans le garage de mon fils, car là, il y avait encore un peu de place.
Mais je regrette aussi les fins de journées au tabac de la poste avec Judith, Dédé et Pierre-Alain à taper la belotte et siroter un canon de chez Dol. Le temps qui passe me semble sans fin tant les activités s'enchainaient auparavant.
Je rends compte que mes pensées ne sont pas structurées, je passe du coq à l'âne sans cesse, le temps qui passe sans activité me brouille l'esprit. Je vais donc me concentrer sur toi, toi que je ne peux plus voir te promener dans le village, tes cheveux blancs, lâchés comme les jeunes de 25 ans, toi que je ne peux plus deviner dans la foule du marché, toi qui passais devant mon étale et me posait l'une ou l'autre question sans jamais rien acheter. Puis un jour, tu m'as acheté cette combinaison en coton bleu indigo. La semaine suivante, prétextant un problème à la poche gauche, tu m'as tendu un sac dans lequel la combinaison me revenait avec un défaut, je n'ai pas réagi, j'aurais dû vérifier immédiatement, car je vérifie toujours le moindre détail de mes réalisations. Pourtant tes yeux gris-vert ne m'envoyaient pas de rancœur, mais une douceur infinie. Des sourires que je n'osais pas interpréter. Le soir j'ai déposé le paquet sur la table de mon atelier. Il est resté là pendant 5 jours, puis sachant que j'allais te revoir deux jours plus tard, j'ai ouvert le sac. Comme toujours mon travail était impeccable. Les coutures étaient bien serrées, le coton étant de première qualité, du 200gr au mètre carré, la combinaison était solide. Ensuite j'ai vérifié la poche qui semblait poser un problème, je la retourne et là, un petit papier était plié. Je l'ai déplié et j'ai trouvé un mot, le cœur battant la chamade, je l'ai lu.
Bonjour,
Si comme moi, vous désirez mieux me connaître, appelez-moi au 06 59 85 48 25.

C'était tout. Un peut maladroit dans l'écriture, un peu sec, mais c'était exactement ce que je rêvais de recevoir. Pourtant je n'ai pas passé l'appel. Et depuis, je reste dans mon silence.
Aujourd'hui, il n'est plus possible de revenir en arrière donc, je vous le dis, profitez de la vie, profitez de vivre avec les autres, sortez, aimez, embrassez, sortez au restaurant, rencontrez un maximum de monde, faites tout ce que je ne peux plus faire depuis mon décès le 5 février 2020. Et depuis, j'attends, j'attends que l'éternité se passe dans mon linceul…

Contribution du : 30/03/2020 20:16
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Visiteur 
"Une combinaison idéale"

- "Bienvenue à l'armée, grand !"

Cette phrase, Ricardo l'entendait matin et soir en ce moment. Déjà hier soir, il était sur le point de s'endormir, quand son chef de chambre l'avait réveillé, une cigarette cônique dans une main, ainsi qu'une bouteille du schnaps local dans l'autre, histoire de fêter l'arrivée du nouveau contingent.

Le ton était donné ; ça lui apprendrait à déclarer, lors des trois jours, qu'il était musicien alors qu'il connaissait à peine trois accords de guitare. L'administration militaire ne s'embêtait pas à choisir une affectation dans ces cas là : elle vous envoyait dans une fanfare, directement.

Prenez vingt-cinq jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans. Choisissez-les fêtards, musiciens de surcroït. Mélangez bien, puis catapultez-les dans une caserne Franco-Allemande, au fin fond de la Forêt Noire, en plein mois de décembre. Pour la période, arrêtez votre choix sur le milieu des années quatre-vingt-dix. Portez à ébullition...

Le résultat : des petits yeux, une sacrée gueule de bois, ainsi qu'une foutue tendance à vouloir vomir son petit déjeuner. Et quel petit déjeuner ! Allemand, comme de juste. Le choc culturel était inévitable...

Ricardo planta sa cuillère dans son bol de soupe : elle s'enfonça en produisant un "gloup" de mauvaise augure, s'immobilisa et tint droite, tout seule.

"Qu'est-ce-que c'est que ce... cette... euh ?

- Les boulons appellent ça de la 'bauer suppe wusrt', je crois..." répondit Stéph, le première classe.

- " C'est bon ?

- Grand, si on a cinq cent francs de complément alimentaire en plus sur la solde ici, abandonne toutes espérances gastronomiques... mais je t'en prie, goûte !"

L'appelé regarda la mixture dans son bol : de couleur verte vomi, il y nageait des bouts de... knackis ?! L'odeur rappelait celle des couches sales de sa petite cousine, alors qu'elle était bébé. Il porta timidement la cuillère à sa bouche... et le regretta aussitôt. Il déglutit avec difficulté, et repoussa son bol : "le goût est encore plus fort que l'odeur"

- "Bienvenue..." commença Stéph.

- "Je sais, oui !" l'interrompit Ricardo, agacé. "Y'a pas autre chose que ce truc immonde ou la charcuterie, comme petit déj' ?"

- "Essaye le mezzo mix ! C'est comme le coca..."

C'était pire. Les papilles de Ricardo aurait bien voulu coincer celui qui avait eu l'idée de mélanger du soda orange à du cola, de préférence contre un mur, et lui en toucher deux mots.

"Les ados allemands adorent boire ce truc" s'esclaffa Stéph.

"Pauvres gosses..." pensa Ricardo. Au moins, avaler quelque chose avait contribué à estomper le mal de tête. Foutu schnaps !

Sortis de l'ordinaire, ils leur restaient à se préparer pour la revue du matin : repasser leur treillis, faire briller les rangers. Une fois prêts, ils allèrent se mettre en rang devant leur escadron.

"Peloton... Gaaarde à vous !" Les appelés, les bras le long du corps, se raidirent...

Schnaps, soupe de pois cassés aux saucisses industrielles, soda au goût inhabituel : la combinaison, peut être idéale selon les critères autochtones, du moins, pour faire la fête, ou nourrir une armée, ne l'était peut être pas autant que ça pour les boyaux du jeune Ricardo. Ils se mirent, comme leur propriétaire, au garde à vous. Son visage, qui avait pris la teinte de la soupe, se crispa, alors que le chef d'escadron passait juste devant lui.

Ne pouvant se retenir plus longtemps, il lui vomit dessus.

Durant les deux semaines suivantes, au trou, Ricardo put méditer à loisir sur son geste, ainsi que sur les qualités gustatives et nutritionnelles des produits locaux.

Contribution du : 30/03/2020 20:30
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Maître Onirien
Inscrit:
27/04/2016 18:43
De Rhône
Groupe :
Évaluateurs
Auteurs
Membres Oniris
Groupe de Lecture
Post(s): 17310
Hors Ligne
Un vendredi soir à Bruxelles
C’était un vendredi soir d’automne. Luigi avait peiné la majeure partie de l’après midi pour rédiger un article sur les mérites comparés de différentes bières artisanales belges. Son enquête l’avait conduit depuis plusieurs semaines dans d’improbables petites brasseries de quartier qui rivalisaient d’inventivité pour parfumer, qui à la cerise, qui à l’abricot, qui au gingembre, qui au fenouil des bières blanches, brunes, rousses ou ambrées destinées à des amateurs très éclairés. Il avait passé ses soirées à déguster et attribuer des notes, mais ce soir, après avoir tenté une synthèse de toutes ces expériences, il était saturé et rêvait d’une bouteille de costière de Nîmes et d’un gorgonzola crémeux. C’était bien un rêve car son frigidaire était vide et il n’avait pas le courage d’aller faire quelques courses au Shopi du coin. Il doutait soudain de la pertinence de son sujet et de l’intérêt qu’il pourrait susciter.
Il faut reconnaître qu’à ce stade, aucune des combinaisons gustatives qu’il avait testées ne lui avait paru idéale. Il revenait immanquablement vers la Chouffe avec ses notes d’agrumes et de coriandre savamment mêlées au houblon. Il se dit que son goût devait être altéré, qu’il fallait qu’il s’accorde un petit temps de sevrage pour mener à bien la mission qu’il s’était fixée.

A 19 heures, il avait un rendez-vous par skype avec sa fille Carlotta qui habitait Rome avec sa mère. Ils ne s’étaient pas parlé depuis deux semaines, ses rapports avec l’adolescente devenaient compliqués, elle répondait par monosyllabes à ses questions avec un air d’ennui profond et il s’inquiétait de son look de plus en plus gothique.
Il aurait bien aimé la faire venir à Bruxelles à la prochaine rentrée scolaire, mais, sa mère, farouche Romaine s’y opposait avec véhémence.
Luigi fût déçu lorsqu’à 19h 05, une fois la communication établie, Chiara lui révéla que Carlotta était chez ses cousins. Il se senti abandonné, par sagesse joua la compréhension, afin de ne pas envenimer une situation déjà tendue, mais cette déconvenue vint appuyer sur là où ça faisait mal : son histoire avec Chiara n’avait été qu’une suite d’épisodes douloureusement intenses : une attirance inexorable mais invivable, un fort besoin de l’autre mais une incapacité à s’entendre, se comprendre et collaborer. Une alliance impossible entre l’eau et le feu ! Luigi et son flegme éteignant l’enthousiasme volcanique de Chiara qui tombait dans la déprime en lui reprochant sa « bofitude ». Et les colères de la jeune femme provoquaient la fuite de Luigi, incapable de la modérer ou de l’aider à relativiser. Et de cette alliance était née Carlotta. Une enfant vive, curieuse, inquiète, faisant le tampon entre ses parents. Luigi avait vécu à Rome avec la mère et la fille pendant quelques années dans un climat épuisant. S’exiler à Bruxelles au prétexte d’une opportunité professionnelle avait été la seule solution pour trouver une forme d’apaisement, teintée de déchirement lorsqu’il était confronté comme ce soir à cette difficulté croissante de communiquer avec sa fille. Chiara ne faisait rien pour lui faciliter la tâche, du moins, il en était convaincu Il s’interrogeait souvent sur ce qui avait pu déterminer la direction prise par son existence correspondant si peu aux rêves de sa jeunesse.

Plutôt que de sombrer dans la mélancolie, Luigi se remit machinalement à sa table de travail et fit défiler les mails de sa boîte perso. Sans se l’avouer clairement, il espérait un petit signe venant de l’extérieur, un courriel de Sofia par exemple, cette jeune violoniste hongroise rencontrée chez des amis communs dont la fraîcheur l’avait ému. La jeune femme cherchait à constituer un quatuor amateur et Luigi avait surjoué son intérêt pour ce projet, lui promettant de la mettre en relation avec le responsable de la rubrique musicale de son journal. Luigi avait été démasqué par son copain qui avait rigolé en faisant une allusion bien lourde à ses combines foireuses de séducteur. Sofia avait souri avec indulgence et lui avait tout de même donné son mail et son 06. De toutes façons, Luigi ne se faisait guère d’illusions, il fit défiler ses mails sans conviction.
Par habitude, il ouvrit la newsletter de l’institut belge du cinéma et regarda les programmes distraitement. Il élimina d’emblée la programmation de films japonais qu’il avait en horreur et remarqua que l’institut proposait à 21 heures un film français de 1973, l’année de sa naissance, au titre énigmatique et attrayant , dont l’acteur principal, Jean Yanne, lui était sympathique parce qu’il était encore plus poilu que lui. Il se décida sur le champ, pris son vélo en maudissant le fin crachin Bruxellois auquel, décidemment, il ne s’habituait pas, et passa finalement un très bon moment devant « laisse aller, c’est une valse » pastiche de film de gangsters, plein de gags et de dialogues irrésistibles.
Sa belle humeur retrouvée ne fut même pas altérée lorsqu’en sortant du cinéma il constata qu’on lui avait volé sa selle de vélo. Il rentra en danseuse dans la nuit humide et s’offrit une bière ambrée à l’aneth, avant d’aller au lit.

Contribution du : 30/03/2020 21:06
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Visiteur 
Quand le hasard s’emmêle

On était presque à la fin de l’été. Ils longeaient la Costa Del Sol. La mer était presque d’huile et le soleil était au zénith. Un calme olympien régnait sur le pont, seulement troublé par un bruit sourd qui remontait du carré*.

- Râ ! Râ ! Râ ! faisait la lame de l’éplucheur qui roulait la peau des pommes de terre.

- Les poissons nous boudent… ça fait une semaine qu’on n’a rien pris… et cette belle dorade coryphène qu’on a laissé filer… je suis dégoûtée… elle faisait au moins cinq kilos ! pesta en reniflant l’adolescente qui surveillait les moulinets des lignes de traîne.

Son père, le nez dans une revue d’accastillage daigna relever la tête pour lui lancer un regard désabusé tout en caressant d’une main distraite le chat niché contre lui.

- J’ai perdu mon plus beau rapala*… encore vingt-cinq euros de fichus ! fit-il en poussant un profond soupir d’exaspération pour bien manifester son mécontentement. Puis il se replongea dans la lecture de la page des sondeurs*.

- Et c’est quoi le menu du jour ! claironna la moussaillonne à l’intention de sa mère. Silence radio.

- Tu vas voir qu’on va encore avoir droit à des maquereaux en boîte avec des patates ! ajouta-t-elle, railleuse.

Le Maître coq* qui ne perdait pas une miette de ce qu’il se disait sur le pont fit une apparition au-dessus de la descente du carré, ignora l’équipage et scruta l’horizon comme si les mots de ses paroles y étaient inscrits :

- Et pourtant…il faudra bien vous contenter de ça….Si je compte sur tout le poisson que vous avez pêché ces jours-ci ! fit l’intéressée, morose, en retournant à sa cuisine.

A présent, le vent venait de tomber complètement et les voiles battaient en claquant lamentablement.

- Mince, c’est la pétole* ! Allez ! On affale ! Comme ça, on en profitera pour déjeuner tranquillement. On a le temps ! décida le capitaine.

Après avoir laissé filer cent mètres de chaîne dans un fracas assourdissant, l’ancre s’enfonça dans l’eau.

- Il y a un pêcheur qui nous fait des signes. Je vais voir ce qu’il veut et je vais en profiter pour lui demander s’il peut nous vendre un peu de poisson. Maman, passe-moi vite quelques pesetas ! cria la jeune fille tout en sautant dans le dinghy* amarré à l’échelle de bain, toute contente de se rendre utile et de perfectionner son espagnol…

- On se demande bien ce qu’il est en train de combiner celui-là !

Sur les lèvres du pêcheur un sourire narquois s’est dessiné, et de loin, ceux du voilier, munis de jumelles, ont compris à ses gesticulations la réponse humiliante de son refus qu’il a faite à leur fille, et qui semble dire tu te fous de ma gueule !

Puis l’annexe a fait demi-tour et les gaz à fond elle est revenue dare dare s’amarrer à leur bateau.

- Vite ! Il faut partir en vitesse… Ce type est cinglé… Il m’a traitée de tous les noms… Il dit qu’il y a des casiers et des filets tendus un peu de partout… qu’on est dans une zone interdite aux plaisanciers… et que si on reste ici, lui et ses potes vont nous tomber dessus !

On ne se fit pas prier. On remonta l’ancre, on remit le moteur en route, on oublia le déjeuner. Le silence qui s’était à nouveau installé était entrecoupé par un sens de l’humour plutôt noir :

- Vivement qu’on sorte de ce pays… jamais vu des gens aussi désagréables que ces pêcheurs espagnols ! On croirait toujours qu’on va leur bouffer leur soupe ! dit l’un d’eux.

Moins d’un mille* plus loin, le moteur se mit à caler. Le bosco* se pencha par-dessus bord :

- A tous les coups un sac plastique s’est pris dans l’hélice ! Il ne manquait plus que ça…Il va falloir plonger !

- Je vais aller voir ce qui se passe là dessous ! fit la moussaillonne tout en enfilant ses palmes et en ajustant son masque et son tuba. Elle disparut un moment sous l’eau puis réapparut comme électrisée :

- Incroyable ! Vous ne devinerez jamais !

- C’est quoi bon sang ! fit le père avec agacement.

- Un filet de poissons … on a accroché un filet de poissons. Il y en a … je ne sais pas, moi… au moins un millier !

Armé d’un couteau, son père descendit à son tour, donna un grand coup dans le filet qui libéra le produit de la pêche en même temps que l’hélice, alors que sa mère remontait avec précaution les deux bouts* fixés aux seaux frétillants remplis à ras bord et qu’elle avait pris soin de glisser sous les filières le long de la coque. Souriant dans le vide, elle songeait à sa fille et à l’affront subi par le refus du pêcheur ; pensant que quelquefois, dans la vie, il arrive que justice s’accomplisse.

C’est ainsi que la soirée se passa à vider, à écailler et à mettre en bocaux. L’un coupait des rondelles de citron, l’autre cassait des branches de fenouil en petits morceaux pendant qu’un troisième surveillait l’autoclave*. La bonne humeur et l’entrain comique de l’équipage eurent raison du malaise qui s’était glissé comme un ver dans le fruit de cette journée.



Pour les moins amarinés :

*carré : espace de vie (en dehors des cabines), faisant fonction de salle à manger, cuisine etc.…
* rapala : leurre (poisson artificiel) utilisé pour piéger le po isson.
* sondeur : appareil servant à mesurer la profondeur des fonds marins.
* Maître coq : cuistot sur un navire.
* pétole : expression utilisée pour signifier qu’il n’y a pas un pet de vent.
* dinghy : canot pneumatique, appelé aussi youyou ou annexe.
* mille marin : 1852 mètres.
* bosco : capitaine
*bouts : cordages fins.
*autoclave : appareil de cuisson (genre cocotte-minute) destiné à cuire et stériliser (ici, les bocaux à conserves).

Contribution du : 30/03/2020 22:01
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Re : Défi de nouvelles n°2 : La combinaison n'était pas idéale.
Maître Onirien
Inscrit:
06/04/2019 15:46
Groupe :
Évaluateurs
Auteurs
Membres Oniris
Groupe de Lecture
Post(s): 10364
Hors Ligne
La combinaison n’était pas idéale
Jules était l’un de ces savants géniaux, capables d’inventer toutes sortes de choses très utiles, aussi bien le fil à couper le beurre que, après bien des essais, l’eau tiède par exemple ; c’est vous dire...
Sa spécialité était la chimie ou plus précisément les parfums, bon, disons les odeurs.
Lorsqu’il décida de créer un nouveau parfum, Jules s’isola dans son laboratoire secret, il avait la hantise de l’espionnage, il écrivait ses formules en les codant et en laissant volontairement des erreurs sur les quantités ou les proportions, histoire de tromper un éventuel plagiaire. Travaillant sous la hotte, aspiration en marche, son laboratoire ne sentait pas du tout les solvants que l’on utilise volontiers en chimie des arômes et qui très volatiles se répandent partout, lui, ne sentait d’ailleurs rien du tout, car le comble pour ce créateur d’odeurs, c’est qu’il souffrait d’anosmie, aussi il ne pouvait tester olfactivement ses préparations, il travaillait à l’inspiration, tel Beethoven, quand il fut atteint de surdité. Le résultat de ses mélanges avait toujours été pour lui, une réussite et tenait du miracle, ses parfums ne ressemblaient à aucun autre et se seraient arrachés à prix d’or s’il les avait mis sur le marché pensait-il, mais jaloux de ses compositions, il préférait les garder sous clef. Il était certain que ce qu’il élaborait en ce moment serait le nec plus ultra des senteurs paradisiaques.
Bien sûr il lui fallait réunir tout un tas d’ingrédients pour concocter ses chefs-d’œuvre, aussi allait-il en rasant les murs chez les fournisseurs en produits chimiques et autres huiles essentielles, et toujours dans le même esprit de dérouter les copieurs, il achetait en surplus certains produits qu’il n’utiliserait jamais.
Quand il pensait que ses formules étaient prêtes, il les faisait humer par l’un de ses amis, Cyrano Tarin qui était un "nez" fameux.

Enfermé devant sa paillasse, se nourrissant à peine, dormant peu, emporté par la fièvre créatrice, il ignorait les heures : était-ce le jour, était-ce la nuit? Qu’importe, il mélangeait, il malaxait, il ragougnassait, un vrai génie vous dis-je, il dosait: un soupçon de bergamote, quelques gouttes d’acétate de butyle à l’odeur parait-il si délicieuse de bonbon anglais, il ajoutait ici un peu de patchouli, là une pincée de santal, parfois une gousse d’ail pour relever, et une larme de plusieurs autres ingrédients. Mine de rien, comme on le voit, c’était très précis !!! Ce qui faisait que ses productions étaient inimitables... d’ailleurs comment les imiter, tant il mettait de soins à brouiller les pistes. Il lui arrivait parfois de ne plus retrouver sa formule finale, mais, pas toujours...
Dans son alambic le mélange réactionnel bouillonnait, gargouillait, fumait on aurait dit la marmite de Panoramix quand celui-ci prépare sa fameuse potion.

Arriva enfin le jour tant attendu où après avoir rajouté un fifrelin de poudre d’encens mélangé à un soupçon de paprika, il estima que son Grand Œuvre était achevé, ah oui, j’ai oublié de le signaler, il avait l’intention de baptiser son dernier parfum «le Grand Œuvre». Il convoqua donc son ami Tarin lui promettant le choc de sa vie de «nez».
- tu verras lui dit-il, c’est à tomber par terre !
Dans un «erlen» à peine plus grand qu’un pot à moutarde ; un beau liquide doré, huileux, évoquant la nitroglycérine, avec quelques fumerolles à sa surface, attendait de libérer toutes ses merveilleuses fragrances.
Jules, tel le maître d’hôtel du Grand Vefour découvrant la cassolette où a mijoté une poularde demi deuil, Jules dis-je d’un geste auguste ôta le bouchon du récipient en verre... libérées, de superbes vapeurs blondes commencèrent à s’élever doucement, elles atteignirent les narines délicates de Tarin qui avait fermé les yeux pour mieux se concentrer, par réflexe professionnel il prit une grande inspiration et les inhalant d’un coup tomba raide mort.
Jules se grattant la tête, dit: il y a un problème de proportion, j’ai du me tromper quelque part, la combinaison n’était pas idéale...
#4000

Cordialement.
poldutor

Contribution du : 30/03/2020 23:29
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer



 Haut   Précédent   Suivant
« 1 (2) 3 4 5 ... 11 »





Oniris Copyright © 2007-2023