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1 Utilisateur(s) anonymes
Re : Défi de nouvelles n°7 |
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Envoyée !
(C'est pas top, bricolée en 1 heure, mais j'avais envie de participer)
Contribution du : 23/07/2022 08:31
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Re : Défi de nouvelles n°7 |
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Expert Onirien
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Envoyé !
Ce samedi à midi Moi ça m'a pris 10 heures au bas mot ; heureusement que j'ai commencé tôt. Tous les jours sur le métier j'ai remis mon ouvrage. Longue séance de labour le temps était clément.
Contribution du : 23/07/2022 12:09
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"Je suis le Ténébreux,- le Veuf,- l'Inconsolé,/ Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :/ Ma seule Etoile est morte,- et mon luth constellé/ Porte le Soleil noir de la Mélancolie." "El Desdichado" G. de Nerval |
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Re : Défi de nouvelles n°7 |
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Bravo senglar !
Contribution du : 23/07/2022 12:28
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Re : Défi de nouvelles n°7 |
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Salut Donaldo75,
Oups, malaise... J'ai cru que c'était toi. mais c'est cherbiacuespe pour le récit des vaches. Mon récit est envoyé. Et toi ? Vilmon
Contribution du : 23/07/2022 20:09
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Re : Défi de nouvelles n°7 |
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Salut Vilmon,
Je suis encore dans la phase de R&D.
Contribution du : 24/07/2022 08:19
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Nous sommes les acteurs Témoins d'un nouvel idéalisme Dans le théâtre extrémiste (Dirk Polak) |
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Re : Défi de nouvelles n°7 |
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Organiris
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C'est aujourd'hui !!!
J'ai hâte de vous lire ! Pour mémoire, les textes envoyés à Lulu seront postés (pas dans l'ordre de réception pour brasser le tout) dans la journée ou demain pour les derniers envois. L'anonymat sera levé dans quelques jours, histoire d'attendre les commentaires... Mais on peut jouer à qui a écrit quoi si on veut ! Le fil des commentaires est ici: http://www.oniris.be/forum/defi-7-commentaires-t30364s0.html#forumpost429190
Contribution du : 24/07/2022 08:21
Edité par Perle-Hingaud le 24/7/2022 8:40:35
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Re : Défi de nouvelles n°7 |
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Profondeur de champ
J'ai une étrange profondeur de champ. Ma compréhension des événements se limite en netteté selon la distance. Trop près, j'en appréhende mal les raisons, trop éloigné, j'en saisis moins le sens. Ainsi, il m'arrive de tarder, car je me questionne pour des choses triviales. Je sucre ou je sale mon café, je porte des bas de couleurs appareillées ou différentes, je réponds à cette salutation ou je me renfrogne en grognon. Quant aux grands questionnements de la vie, mon esprit est atteint de myopie. Trop éloigné, je n'arrive pas à faire un discernement net afin d'en tirer une philosophie rassurante. Le temps constant de la mathématique quantique, la psychique du béhaviorisme, ou encore le soulagement de l'âme en accordant le pardon. Et de cet espace encadré par ces deux limites de perception, se trouve ma profondeur de champ. Avec toutes ces réflexions, j'arrive en retard au bureau. Je suis perplexe devant mon patron qui pique une crise. Pourtant mon réveil tient bien l'heure et je me questionne où se trouve ce temps perdu qui m'amène une fois de plus à écoper des menaces de renvoi. Après mes excuses, que je partage sincèrement, il pointe avec fureur les dossiers à traiter, le visage cramoisi. J'attrape aussitôt le paquet avant qu'il ne tourne au bleu, il retient toujours son souffle lorsqu'on le contrarie. Sous les railleries de mes compagnons de travail, je me dirige vers mon pupitre en hésitant. Comme il m'arrive souvent, je me questionne si c'est bien là le mien. Je me rassure, puisque je suis le dernier arrivé et que c'est le seul pupitre libre, alors il est forcément à moi. J'y dépose les documents en fronçant les sourcils, tout cet arrangement autour de l'ordinateur ne me rappelle rien de familier. – Hé, Singalet, c'est pas parce que Maurice est vacances que tu peux prendre sa place, tu sais ? me dis le jeune dont j'ai oublié le nom. – Il est en vacances ? je lui rétorque. C'est dommage, j'ai une question à propos du dossier Mortimer. Alors où puis-je déposer ces dossiers ? – Certainement pas ici, me répond-il en ricanant. Pourquoi tu ne les apportes pas à ton bureau ? ajoute-t-il en pointant un autre pupitre libre, caché derrière une série de filières. Je rejoins le pupitre indiqué et, à mon soulagement, j'y retrouve mes petits pense-bêtes collés tout autour de l'écran. Mes bouées de sauvetage dans cette mer truffée d'incertitudes. Je dépose les dossiers près d'une autre pile et je remarque qu'ils sont semblables en observant leur fiche. Intrigué, je m'assois sans prendre le temps de retirer mon imper. Sans souvenir de pluie durant mon chemin ce matin, je suis surpris qu'il soit trempé. Je les parcours en diagonale, leur présentation organisée me permet de faire rapidement des liens. D'un côté, je retire ceux qui m'apparaissent pertinents, sans raison nette, par intuition. J'écarte les autres en les déposant sur la chaise pour visiteur. Étrange, j'aperçois déjà plusieurs dossiers qui s'y entassent. Avec incompréhension, je me questionne sur leur présence. À ce moment se présente Mélika, la jolie commis-réceptionniste. Sa ravissante coiffure blonde d'une large natte tressée, portée à son épaule, attire mon regard. – Pas jojo, notre patron, hein ? me demande-t-elle en chuchotant, en se penchant légèrement vers moi. Mais qu'est-ce que tu regardes, Singalet ? – Tes cheveux, je lui réponds sans réfléchir. – Oh ! Tu as remarqué ce changement, s'exclame-t-elle, ravie. Tu es bien le seul. Merci, c'est gentil. Tu aimes ? – C'est magnifique, je lui rétorque en remarquant le tableau derrière elle. C'est ce qu'il me manque pour éclairer ma journée, j'ajoute en y observant attentivement les informations qui se recoupent avec ceux des dossiers. – Toi, tu sais parler aux femmes, me confit-elle en rougissant. Allez, je te laisse travailler, termine-t-elle avec un clin d’œil. Je saisis les dossiers choisis et je me lève, un peu fébrile, en laissant tomber mon imper au sol. Il peut bien attendre que je le ramasse plus tard, il y a plus important pour le moment. Je m'approche du tableau, j'agrippe le feutre sur son rebord, je retire son bouchon avec ma bouche et de façon presque mécanique, j'ajoute des liens entre les photos des victimes et la carte de la ville. Furetant de temps à autre parmi les dossiers, j'inscris des notes au bas des photos et j'y fixe des nouvelles. Mes compagnons finissent par remarquer mon ardeur. – Holà, Singalet, ne bousille pas notre tableau, s'exclame le jeune. Maurice va rager. – Attends, lui chuchote un autre. Je crois qu'il est dans une crise de révélation, lui confie-t-il. – Tu crois ? – Assurément, ce n'est pas la première fois que je le vois aller, le jeune. Allons, viens t'asseoir avec moi et admirer le spectacle. Tu vas comprendre pourquoi notre patron le tolère. Il a un champ d'expertise assez particulier. – Dans quel sens ? demande le jeune en prenant place aux côtés du vétéran. – Il dit que c'est à propos de la profondeur de champ. Il arrive à percevoir nettement ce qui nous échappe. Oh, regarde, il jubile, il est sur le point de trouver la solution. Je les entends discuter de moi, mais j'entrepose ces informations sans importance quelque part dans mon cerveau pour les récupérer plus tard ou pour les oublier. En effet, je suis sur le point d'élucider cette affaire de crimes en série. Des meurtres propres, avec peu d'indices, sans psychose, seul un signe griffonné au feutre sur les victimes permet de les relier. Le signe astrologique du taureau. L'assassin du taureau. Ces meurtres se réalisent à intervalle irrégulier, rendant le dossier difficile à suivre. La convergence des sites de meurtre ne révèle pas d'endroit précis. C'est un problème à plusieurs variables dans lequel il y manque des équations pour le résoudre. Mais, à l'instant, je recoupe les petits délits des dossiers et je crois qu'ils concordent, d'une certaine façon. Comme pour une caméra, je règle mon foyer, ma perception devient plus nette à chaque tour de la manille, je prends du champ et l'image entre dans ma profondeur de champ. À prendre à travers champ pour ces dossiers avec un esprit en champ libre, je laboure le champ et le champ des possibles se présente. Le champ opératoire se précise en intégrant les éléments hors champ dans mon champ visuel. L'effet de champ devient pour moi de plus en plus compréhensible, des liens se forment. Ce n'est plus un champ de bataille chaotique. Je réalise que je fais une fixation sur le mot champ. Je prends quelques grandes respirations pour me calmer. Lorsque je fais ainsi une fixation sur un mot particulier, je sais reconnaître que c'est signe que je suis trop éveillé, trop stimulé. Je comprends que cet état inquiète les autres, alors avec cette technique, j'arrive à me calmer et à paraître plus sain d'esprit. Je me retourne et je remarque mes deux compagnons de travail qui m'observe avec attention. Je m'aperçois que le bouchon dans ma bouche transforme mes respirations en sifflements graves. Je le retire aussitôt, le remets sur le feutre et le dépose sur le rebord du tableau. Le jeune se lève, s'approche et me questionne des yeux. Je le regarde avec incompréhension. – Ben, cesse de faire languir, Singalet, s'exclame-t-il. Dis-nous ta trouvaille. L'assassin du taureau, insiste-t-il lorsque mon silence s'étire. – Laisse-lui le temps de placer ses idées, déclare le vétéran en s'approchant de nous. Alors, Singalet, qu'est-ce que tu en déduis ? Je vois que tu fais plein de lignes, que signifie tout ça ? – Oh, oui, je lui réponds, en revenant au tableau. Il y a tous ces petits délits qui se recoupent aux mêmes endroits des meurtres, je pense qu'ils sont liés. Comme un champ de chasse, l'agresseur prend ses proies dans le même champ d'opération. Sauf que cette fois-ci, il ne s'agit pas que d'un seul chasseur, il y en a plusieurs observant les mêmes règles à des endroits différents. C'est pourquoi le tout ne converge pas. Mais en ajoutant tous ces petits délits, des informations s'ajoutent pour permettre une multitude de convergences locales. – Et qui sont ces chasseurs, Singalet ? m'interroge le vétéran. – Une bande criminelle qui fait un rituel de passage, ou bien des bandes qui se font des concours, comme des trophées d'exploit, identifiés par le signe du taureau. – Des bandes rivales qui se font compétitions sous notre nez, rage le jeune. Si tu as raison, Singalet, et ça me semble assez fou pour l'être, il faut agir. Que suggères-tu ? – Il y a ces trois champs de chasse qui ne sont pas devenus des champs de meurtre, je lui réponds, réalisant à nouveau ma fixation sur le mot champ. – Il faut les mettre en surveillance, déclare avec conviction le vétéran. – Je vais voir le patron pour lui annoncer la découverte de Singalet, déclare le jeune. – Beau travail, mon Singalet, super de te voir aller, m'affirme le vétéran avec une forte tape de satisfaction dans le dos. Tu fais notre journée, ajoute-t-il en me quittant pour décrocher le téléphone et préparer la brigade d'intervention. Je regarde le tableau à nouveau, les lignes agissent comme un champ de vecteurs qui pointe vers un champ gravitationnel, ou attiré par un champ magnétique. Malgré mon champ social qui diffère des autres, je tire bien mon épingle sur le champ de bataille, à en mériter une médaille sur le champ d'honneur. Et voilà que je reprends ma fixation sur ce mot. Je retourne m'asseoir à mon pupitre en prenant de grandes respirations.
Contribution du : 24/07/2022 08:32
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Re : Défi de nouvelles n°7 |
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Champ d’attraction
Je suis arrivée ici poussée par le vent aux premiers jours d’automne. J’avais rencontré Adèle à Triora, en juin, avec d’autres. Elle aurait pu être ma grand-mère, mon amante, ma sœur. J’étais tombée sous le charme de ses yeux clairs et de ses mains sèches. Elle se trimballait dans une vieille camionnette avec deux chiens, l’un presqu'aveugle, l’autre estropié. Le bancale était hargneux, mais j’avais fait ma grosse voix alors que sa maîtresse s’était absentée pour porter ses onguents au pharmacien et depuis, il me respectait. L’autre se cognait sans ralentir sa course, trébuchait cul par-dessus tête et se relevait en jappant gaiement. Nous logions toutes dans une ancienne ferme, la femme qui régnait ici ne nous avait demandé que d’aider à la cueillette des aromatiques en échange du gite. Une nuit où j’avais trop raconté en brûlant de la lavande, Adèle me dit : « Viens te poser chez moi cet hiver. Le lieu est doux aux vagabondes, mon champ te plaira. » Nous nous séparâmes après trois nuits, j’avais un contrat en Ariège à honorer. Puis le vent tourna, je repris mon sac à dos et me souvins de sa proposition. Lorsque la dernière voiture me laissa devant chez elle, l’automne commençait. Pourtant, le chêne avait déjà perdu toutes ses feuilles. J’ai compris à ce moment-là, je crois. Quand j’ai sonné, le bancal et l’aveugle ont aboyé et la porte s’est ouverte sur un homme. Vincent, son petit-fils. Adèle s’était effondrée au milieu de son champ en août dernier. C’était il y a neuf mois. Je la soupçonne d’avoir prémédité ce coup bas : m’enraciner à son champ. Me lier à Vincent. Je n’ai pourtant bu aucun filtre d’amour, c’est simplement arrivé. Un corps rivé au mien, sa main sur ma hanche et je suis restée. La maison nous a bercé cet hiver, et derrière, le champ se taisait, attentif. Vincent est jardinier, paysagiste dit-il. Le matin, il enfourche sa moto pour la ville où il conçoit et entretient les espaces verts. Je n’ai jamais osé le lui avouer, mais je n’aime pas ce qu’il fait. Il contraint, il force, il dépote et il rempote. Le champ d’Adèle ne l’intéresse pas. Il ne met jamais les pieds dans ce qu’il appelle la vieille friche, parle même parfois d’y construire une serre. La mémoire de sa grand-mère le retient, ou son amour pour moi qui ai besoin des herbes sauvages. Enfin, c’est ce que je veux croire. Le printemps avance et le champ bruisse de sève. C’est à qui poussera le plus vite, le plus haut. Adèle n’a jamais voulu réguler ni contrôler la vie apportée par le vent, les oiseaux ou le dessous d’une semelle. Je viens chaque jour, j’observe et je cueille. Mon petit commerce a repris vie dans l’atelier qui m’abrite pour sécher, distiller, piler, malaxer. Les bocaux vides se remplissent, je noircis à sa suite les pages de ses carnets. Hier, les onagres ont fleuri pour la première fois. Le bancal et l’aveugle - ils répondent désormais à ces noms - m’accompagnaient. Le soleil s’est couché derrière la futaie de coudriers et les fleurs jaunes se sont ouvertes en éventail, en quelques minutes. Je suis restée tant que la lumière me permettait de leur rendre honneur, de les remercier. Ce matin, elles fanent déjà. A midi, elles auront vécu. Demain, d’autres boutons s’ouvriront, et je guetterai les graines et leur huile précieuse. Je caresse quelques graminées échappées du génocide de ce que les hommes nomment les « mauvaises herbes ». Ici, elles poussent librement, vibrent et ondulent à la moindre brise. Je passe devant l’arbre à papillons pour rendre visite aux reines du champ : les grandes berces du Caucase. Les seules plantées par Adèle, d’après ses cahiers, et qui s’étendent année après année. Les hampes sont plus hautes que moi, les ombelles forment des parapluies de fleurettes blanches constellés de mouches et de coléoptères. Je me sens bien ici. *** — Tu peux venir quelques matins, tout de même ! dit Vincent. Ils paient vingt euros de l’heure, on ne va pas passer à côté ! J’ai posé deux semaines de vacances rien que pour construire l’allée et leur projet d’arrosage automatique, plus le jardin à entretenir toute l’année, c’est pas rien ! Nous n’avons pas besoin de beaucoup, mais un petit pécule lui ferait plaisir. Un travail discret, que tout le monde tolère ici : si des parisiens en manque de verdure veulent aider à la survie rurale, on ne va pas se priver. Il travaille pour eux depuis déjà une semaine, je vais aider quelques heures. — D’accord… C’est où, exactement ? — À l’entrée de la ville. Tu prendras la camionnette. À deux, tu vas voir, ça ira vite. La maison est belle, c’est certain. Elle trône au milieu d’un large terrain en surplomb de la vallée. Un rêve de parisien post-confinement : l’espace, la vue sur les collines, quelques frênes majestueux, taillés régulièrement bien entendu. Car rien n’est laissé au hasard ici : les rosiers sont rassemblés, les buis longent l’allée, trois ormes forment un élégant bosquet. Il ne manque que la piscine, certainement prévue pour l’an prochain. J’arrive quelques minutes après Vincent, qui a garé sa moto derrière une petite Fiat. Je balaye la pelouse du regard : ce sera mon travail, cet espace à « nettoyer ». Vincent discute avec la propriétaire. Monsieur trime à Paris jusqu’à la fin du mois tandis que Madame, la quarantaine peut-être, grande et mince, télétravaille, comme en témoigne l’ordinateur posé sur la table de jardin. Elle se repose aussi, à voir le transat, le flacon de lait solaire, et sa tenue, short et haut de bikini. Nous ne traînons pas. Vincent retourne l’allée de terre battue qui sera pavée alors que j’enfile mes gants : ils veulent du gazon, anglais de préférence. Quelle absurdité… Je m’attaque aux plants de pissenlits, pâquerettes, luzernes qui ont colonisé peu à peu l’espace. Je trouve même de l’oseille et ce qui ressemble à des molènes bouillon-blanc. Armée d’une longue gouge, j’extraie les racines les unes après les autres. De toute façon, tout repoussera l’an prochain… La chaleur monte, la transpiration coule sur mes joues. De son côté, Vincent avance lentement mais sûrement. Torse nu, il se redresse en s’essuyant le front, suivi des yeux par Madame qui appelle : « Voulez-vous boire quelque chose, un jus de fruit, de l’eau gazeuse ? ». Vincent lui sourit : « Ce n’est pas de refus, merci ». Encore quelques heures de travail et je pars. J’ai bien avancé, il ne faudra que deux ou trois matinées pour arriver au bout de ma mission. Le soir, Vincent rentre, silencieux, mais pas de mauvaise humeur. Il a même rapporté des éclairs au chocolat avec le pain. Pourtant, quelque chose ne va pas, je le sens. — Tu as eu des soucis avec la parisienne ? Ça s’est mal passé cet après-midi ? Il répond sans me regarder : — Non, pas du tout, pourquoi ? Je suis crevé c’est tout ! Si ça ne t’ennuie pas, je vais me coucher, j’ai super mal au dos. Je monte un peu plus tard avec ma pommade contre les courbatures. Je le masse longuement, c’est vrai qu’il est tendu, bizarrement l’onguent ne pénètre pas. Une graine d’inquiétude a été plantée dans mon ventre. Le lendemain après-midi, la graine est devenue lierre. Elle enserre mes poumons et me fait suffoquer alors que je roule, toutes fenêtres ouvertes, vers la maison. Je ne suis pas une cruche. Il s’est passé quelque chose entre eux, j’en mettrais ma main aux braises. Agenouillée sur la pelouse, j’ai suivi leurs regards, leurs sourires. J’ai vu Vincent saliver lorsqu’elle s’enduisait le ventre de crème avant de s’étendre sur le transat. Le jardinier et sa patronne, quel vaudeville ! J’en rirais si ça ne faisait pas aussi mal. Je claque le portail, le bancal et l’aveugle sur mes talons, pour me réfugier au cœur du champ. Adèle, Adèle ! Ton petit-fils est une ordure, tu le sais ? Je m’allonge dans les herbes alors que les chiens se roulent en boule en haletant. Les graminées frémissent et chuchotent leurs secrets. J’aviserai ce soir. Vincent est revenu d’humeur joyeuse cette fois-ci. Il a décidé de laver sa moto, elle doit briller. L’aveugle vient le renifler longuement, l’air intrigué, puis il repart dans son panier. Le bancale ne montre rien, il sait qui le nourrit. Je me suis approchée pour l’enlacer et j’ai reconnu le parfum de la parisienne, de sa crème solaire. En déambulant dans le champ la nuit venue, je cherche l’apaisement. Je ne sais pas si mes larmes sont de colère ou de désespoir. Le vent m’accompagne, se lève en bourrasques qui font s’incliner vers moi les longues tiges des berces. Soudain, je sais. Adèle, tu ne les as pas plantées là pour rien. Au cœur de la nuit, je coupe, je presse, j’extrais un jus laiteux, inodore. Une petite fiole de crème. Vincent dort profondément quand je le rejoins, et son souffle, brusquement, me dégoûte. Je rassemble les esprits : demain, je partirai. J’arrive la première chez la parisienne qui m’accueille nonchalamment. — Vous terminez aujourd’hui, c’est ça ? — Oui, vous ne me reverrez plus. Je me retourne après quelques pas : — Je peux vous emprunter votre crème solaire? J’ai oublié d’en mettre… — Bien sûr. Elle rentre dans la maison, me laissant champ libre pour vider la fiole dans son flacon. Je reprends ensuite la destruction des herbes vagabondes, alors que Vincent arrive. Elle, elle lézarde sur son transat, sa peau dorée se gorge du soleil déjà ardent. Le flacon est sur la table. Le sort est entre leurs mains. J’ai terminé mon travail ici, je les salue une dernière fois et disparais dans la camionnette d’Adèle. *** Le bancal et l’aveugle suivent mes allées et venues pendant que j’emplis mon sac à dos, les pensées tourbillonnantes. Ce n’est pas bien méchant, les brûlures n’apparaitront pas avant demain et guérissent en deux semaines, sauf infection, bien entendu. Mais il y aura les marques brunes, bien plus longues à s’effacer. Peut-être reviendrai-je un jour dans le champ d’Adèle, voir si les berces ont repoussé. Je me demande qui aura des traces… et où. L’image de corps tachetés à des endroits incongrus me fait rire. Un petit rire de sorcière qui résonne alors que je disparais. 9996
Contribution du : 24/07/2022 08:35
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LA BANDE A CHAMPI
« Ils sont venus, Ils sont tous là Dès qu'ils ont entendu ce cri Elle va mouriiir, la mamm... » Excuse-moi Charles mais il n'y a pas de Mamma ici. On est à Champignac, pas aux Saintes-Maries-de-la- Mer. - La barbe, Gustave*... Que de gens assemblés ! Qui me regardent de travers ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des frissons ! Et j'ai soif bande d'harpagons. Comme ils vont ! Comme ils se saluent ! Comme ils se congratulent ! Les Champlevé, les Champ-bornois, les Champéage, les Champignon... « Et moi Et moi Et moi » Je suis un Chinois moi ? La salle des fêtes est archi-pleine – il est vrai qu'à Champignac... - ils sont tous autour de Ladislas**. Il n'a pas l'heur d'apprécier que je sois là le comte. C'est vrai que j'aurais dû m'annoncer. Tout de même, quel infâme vieux poseur ! Comment donc a-t-il pu adopter Champi ? Que lui a-t-il trouvé ? C'est vrai qu'il est de sa lignée... Les Anciens ont l'air de porter beau. Campaignel est toujours aussi gros, Champaignol et Champigneul les Dupond et Dupont de la famille en sont à leur troisième toast. Y même Champeau qui est toujours aussi rouge lui. On fête les vingt ans de Champi l'enfant trouvé, c'est un meneur, un surdoué, le p'tit dernier, il a toujours l'air de se marrer. Il va entrer à Polytechnique. Je l'ai vu faire le paon sur le campus. Y a vraiment pas de quoi, depuis qu'elle crèche à la campagne l'X c'est démodé. Mine de rien moi j'ai postulé pour l'Ecole des Mines. J'attends toujours les résultats. C'est sans doute pour ça qu'ils me regardent de travers. Ils doivent me prendre pour d'la vermine. J'aimerais qu'on me propose à boire, une flûte de Champagne ça m'dirait bien, comme les autres quoi. Où il est le waiter ? Faut lui faire du g'nou ? Il secoue la tête ! Un p'tit Champomy alors ? Non ? C'est peut-être Champi qui lui a donné des consignes. Pourtant on a les mêmes centres d'intérêt, l'herbe verte et l'blé en grain, les grands espaces, les racines tout ça... Tiens v'là Champs-Elysées qui pète de joie, illuminé par ses breloques, l'14 juillet en gibelote, et puis Lonchamp qui se ramène bras-dessus bras-dessous avec Championne que suit Champion qui fait la gueule. Derrière Champan trottine en sautillant... A son âge ! Ramasserait le crottin d'la piste si on le lui demandait celui-là ! Et les voilà qui arrivent, qui s'agglutinent. Ils sont tous là qui s'entrechoquent et s'entremêlent goûlument, sans rien froisser sans rien casser, il y a le ban et l'arrière-ban. On s'croirait à l'église un jour d'absolution. « Et moi Et moi Et moi » Quelle famille ! Camping-car ! Camping ! j'avais pas vu les p'tits nouveaux. Hé les potos ! Décampez pas ! Je vous parle, je vous appelle... Le méphitique Champéage me toise. Champ Clos lève le camp et Champ Libre prend du champ. On m'évite à tout bout d'champ... Euh ! Que vois-je ? Que repère-je ? Il y a un gars qui est tout triste là-bas seul dans son coin. On dirait bien qu'on est dans la même galère. J'vais l'aborder... Comment qu'tu t'appelles ? Tu permets que j'te tutoie ? Alors c'est quoi ton nom ? ''Aire '' ? Mais c'est un joli nom ça ! On ne veut pas de toi non plus ? Pourtant ça respire la campagne ton nom, les terrains d'foot, le sport en herbe. T'es comme moi... un faux cousin... non... plutôt un cousin parallèle ! C'est marrant ça ! Mais que diable est-on venus faire dans cette galère ? Mon nom à moi ? J'm'appelle Lopin. Un p'tit lopin pas même un pré. Je dois être un petit morceau de rien. Ici je suis moins important qu'un campagnol. Mais que diable est-on venus faire dans cette galère ? Quoi ! ils ont refusé tes deux copines ! Clairière et Eclaircie sont à la porte ! On a dû passer entre les mailles... Je crois qu'on ne va pas tarder à se faire exporter non plus. Elle a l'air très sélect la bande à Champi hein ! Il a dû oublier d'où il vient le parvenu... ou plutôt non il le sait trop bien, il fait partie de la lignée. Mais que diable est-on venus faire dans cette galère ? Quelle bande de m'as-tu-vu ! Des sectaires ! Des exclusifs ! Des monomorphes ! Des monoglottes ! On est parents pourtant, on a toujours été là pour la nuance. C'est nécessaire la nuance, la nuance c'est la précision ! L'a pas l'air content le Champi ! On dirait qu'il s'adresse au DJ, va y avoir un changement de programmation ? C'est quoi ça ? « … Et j'ui ai dit Toi tu m'fous les glandes Pis t'as rien à foutre dans mon monde Arrache-toi d'là t'es pas d'ma bande Casse-toi tu pues Et marche à l'om...» Séchan qui renaude ! Mais que diable est-on venus faire dans cette galère ? Dire que j'croyais qu'c'était un marrant le comte de Champignac ! Eh ben non c'est pas vraiment Spirou ici ! Dis-donc ça s'bouscule à la porte ! Regarde : Y a Domaine Y a Enclos Y a Pacage Y a Prairie Y a même Pâtis le vieux déb... Excuse-moi Charles, on est à Champignac, pas aux Saintes-Maries... Y a bled et terroir les frères ennemis Y a Manse en contredanse Y a même Friche qui s'contre... Merci Charles tu me donnes une idée... Et si... Et si... Ecoute-moi bien Aire... Reviens sur terre mon vieux. T'as pas vu comme on est nombreux, nous, les synonymes. Eh bien il va voir le Champi c'que ça va lui rapporter de snober les copains, on va la balayer, sa bande en étymologie ! Et comment on va faire ça mon pote ? Tiens-toi bien ! On va créer... LA BANDE AU GARS LOPIN ! * Gaston Labarbe : Maire de Champignac ** Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas : Comte de Champignac Dans l'ordre d'apparition Merci à George Sand, Charles Aznavour, Franquin, Molière et Renaud. Y a aussi Hergé.
Contribution du : 24/07/2022 08:36
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Organiris
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01/07/2009 13:04 Groupe :
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Champ de vision rétréci
Tous les soirs je le regarde. Assis derrière son grand bureau, il est plus proche de la quarantaine rugissante que de la trentaine bondissante. Cependant il est encore très beau. Avec sa chevelure d’une rigueur géométrique et sa diction remarquable, il relate des villes mortes dont la moitié des maisons sont incendiées. L’autre moitié révèle des portes défoncées auxquelles plus personne ne viendra jamais frapper, lourdes du silence des vies et des corps disparus. Il a l’œil à peine humide et un maintien qui frôle la perfection. Je suis Betty Delancre, alcoolique en rémission. Je dois lutter de toute ma volonté pour ne pas céder à la tentation et aller siffler l’ensemble des mignonnettes alignées comme autant d’aguichantes prostituées sur l’étagère. Un cadeau de Mario, mon chef de rayon, il me les a rapportées de Florence. Je n’ai personne à qui en parler, mais je sens encore le manque, surtout le soir, comme si mes veines, petites bouches affamées, se dilataient et réclamaient le liquide nourricier et salvateur. Pour lutter contre l’impérieuse attraction, mon esprit et mes yeux se tournent de nouveau vers l’écran. D’une main manucurée de frais, il change de feuille et me conte maintenant les tristes tropiques après le tsunami. Les rues sont étroites et sordides, les immeubles désertés et délabrés. Plus aucun cocotier ne vient couper les perspectives brutes des murs sales et sombres. Les rares personnes que la caméra attrape dans son champ ne lui adressent même pas un regard, trop affairées dans leur misère quotidienne. Le reportage s’achève sur un tee-shirt d’enfant dans le caniveau, il baisse la tête avec pudeur, je remarque les plis de son cou. Petit outrage de l’horloge. Qu’importe, sa blondeur et les grands lacs de ses yeux ne cesseront jamais de m’ensorceler. Une demi-heure par jour. Travelling sur une banlieue quelconque. Par chez nous. Ou ailleurs. Elles se ressemblent toutes. Nuit d’échauffourées dans le ghetto. Des jeunes s’expriment sur une pelouse constellée d’ordures. L’on croirait qu’une horde de Huns a campé là. Les quelques arbustes brunis par le dessèchement ajoutent à cette impression de désolation. Devant l’objectif, des particules de poussière dansent une gavotte spectrale dans les rayons du soleil mort qui ose encore effleurer les dessins obscènes, désespérés et morbides, qui courent sur les murs de la cité nécropole. Pendant le bulletin météo, je me rejoue toujours la même scène. Comme si l’homme qui accaparait mes pensées allait surgir drapé d’enchantement et flotter alentour. Il m’arracherait à ma réalité effrayante, nous partirions sur un voilier faire le tour du monde, plus jamais je ne reviendrais à Villepinte. Au lendemain, un autre matin blême se lèvera, chargé de brumes et de désespérances. Je sortirai de mes draps avec la rémanence de ce rêve qui m’accompagnera tout au long de la journée. Histoire de pouvoir mettre des boîtes de petits pois un jour de plus encore sur les rayonnages. Le journal se termine. Il prend congé avec distinction, comme chaque soir. J’éteins le téléviseur. Ma vie reprendra demain à vingt heures
Contribution du : 24/07/2022 08:40
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