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Re : Défi n°1 : Une dispute, des chutes de neige ? Une nouvelle... |
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Chevalier d'Oniris
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"Hors-piste"
Jeudi 12 décembre 2019, chaîne des Aravis, combe du grand Crêt. Je ne sais pas à quelle profondeur je suis enseveli mais ça presse là-dessous. Pourtant dès que j’ai senti que ça décrochait, j’ai nagé comme un dingue pour tenter de rester à la surface. J’ai dû me briser une côte dans l’avalanche, à chaque inspiration je prends une décharge violente dans le flanc droit. La neige me comprime le buste, les bras et les jambes. Je suis complètement coincé, mais par chance, j'ai la tête dans une poche d'air qui devrait me permettre de tenir un peu. Tout s'est passé tellement vite, je revois Jules en contrebas me faire signe de suivre la trace. On savait que ce passage était risqué à cette période de l'année avec les fortes chutes de neige de ces derniers jours. Je l'entends encore me dire avec son sourire en coin "Allez Clément, ne fais pas le timide, l'ascension a été éprouvante, regarde-moi toute cette bonne poudreuse, on va se gaver, c’est le moment ou jamais d’en profiter". Mais quel con je fais ! Pourquoi je l'ai suivi ! Ça ne me ressemble pas de prendre ce genre de risque. J'ai envie de hurler pour appeler à l’aide mais je sais que ça ne sert à rien, il faut que je m'économise si je veux avoir une chance de survivre. J’ai perdu une bonne partie de mon équipement, j’espère seulement que ma balise ne s’est pas décrochée, impossible de vérifier. Pour tenter de maîtriser mon souffle et l’angoisse qui m’envahit, je pense à toi Marie. Je t'aime tellement. Quelle bêtise ! Je m’en veux rageusement ! J'ai été égoïste de me lancer dans cette randonnée juste avant l'arrivée du bébé. ***** Une semaine auparavant, Hôpital de Sallanches, Unité cancérologie Tout le monde en choeur dans la chambre du boss : - Santé Patron ! - C’est peu de le dire... le chemin est encore long, mais... merci les gars ! ça me fait chaud au coeur de vous voir là… toute l’équipe autour de moi ! Alors que les médecins ne lui avaient pas donné plus de six mois à vivre, Michel était bien présent, debout devant nous, diminué certes mais son regard n’avait rien perdu de son intensité et pétillait plus que le liquide infâme qu’on s'était servi pour l'occasion. - Alors Michel, quand est-ce que tu reviens nous mettre une raclée sur les pistes ? - Ben, je ne sais pas trop, ils ne m’ont accordé ce protocole expérimental que sous certaines conditions. Les prises de sang sont bonnes mais je ne suis pas encore complètement tiré d’affaire, ils vont me garder en observation un bon petit moment je pense. En tout cas je vois que vous vous en sortez très bien sans moi. Faut continuer comme ça hein les mecs ! A la boutique, le groupe s’était serré les coudes depuis l’hospitalisation du mentor et la disparition soudaine de Paul, élément clef du staff et ami d'enfance de Clément. Il y avait bien eu une période de flottement mais Jules, une tête bien faite qui avait remplacé Paul au pied levé, avait réussi à redynamiser l’équipe avec toute la fougue et l’audace de sa jeunesse. Nous étions plus soudés que jamais. - "Tu fais quoi la semaine prochaine Clément ? T’es en congé, non ?" demanda Jules - Oui, j’en profite avant le grand démarrage de la saison, je vais enfin prendre le temps de préparer la chambre de la petite. L’accouchement est prévu pour le 28. Et toi ? pourquoi cette question ? - Moi aussi j’ai pris quelques jours d’évasion, j’avais prévu de grimper à la Tête Pelouse mais mon pote s’est dégonflé, du coup… ça te dirait de m’accompagner ? - Ouh la ça fait un bail que je suis pas monté là-haut moi ! Je ne sais pas... - Allez Clém’ ! Bientôt tu vas troquer la poudreuse contre une boîte de talc, et les montagnes contre un tas de couches sales, et les descentes au flambeau par… - … C'est bon Jules, j'ai compris ! T’es chiant ! Okay je vais en parler à Marie, mais j’te garantis rien ***** Six mois plus tôt, sur le parvis Notre Dame de Toute Grâce, plateau d'Assy Le ciel était clair en ce début du mois de juin, la chaîne du mont blanc était somptueuse, seul son sommet était masqué, perdu dans un léger voile grisâtre, ce qui n'annonçait rien de bon pour les jours à venir. - Paul n'arrivait pas à croire ce qu'il venait d'entendre, sonné, il faillit perdre l'équilibre. - Mais comment ? quoi ? Tu en es sûre ? Tu en as parlé à Clément ? - Oui… d’après le gynéco… c’est pile la semaine où Clément est parti pour son stage de parapente. Ca faisait des mois qu’on essayait. J’arrive pas à le croire non plus. On sera jamais sûr à 100% mais voilà quoi… - Et merde ! C’est la cata... Clément et Paul se connaissaient depuis longtemps, et déjà au lycée ils avaient tous les deux le coeur en pagaille en pensant à Marie. Mais finalement c’est Clément qui avait réussi à conquérir la Belle. Cependant alors qu’ils tentaient depuis des mois d’avoir un enfant sans succès, une tension insidieuse s'était installée entre eux. Clément avait de fait décidé de prendre un peu l’air pendant un week-end de parapente et Marie en avait profité de son côté pour sortir entre copines et passer quelques soirées arrosées entre amis. Sauf que ce soir-là, la situation avait dérapé... - Qu’est-ce qu’on va faire ? interrogea Paul - Je ne sais pas, il me faut un peu de temps pour réfléchir, on l’a tellement attendu avec Clément ce bébé. Et nous, c’était une erreur tu le sais bien, ça ne s’est produit qu’une seule fois, et ça n’arrivera plus jamais. - Mais qu’est-ce que tu racontes ? il faut qu’on en parle à Clément, je ne peux plus supporter cette situation. Je bosse avec lui tous les jours, c’est mon ami, et je l’ai trahi…J’arrive plus à le regarder en face, putain... - Non, c’est hors de question. Je ne vais pas compromettre mon couple parce qu’on a merdé un soir. Quand le bébé sera là, on fera en sorte d’en avoir le coeur net et on avisera ! - Mais t’es devenue complètement folle, on nage en plein délire ! Si tu crois que je peux garder ça pour moi. - Ecoute-moi bien, on n’est plus des gamins, il faut qu’on assume nos actes ! - Parce que tu as l’impression d’assumer toi ?... - Ok je vais peut être un peu loin, mais on va bien finir par trouver une solution. On n’est pas obligés d’en parler tout de suite à Clément. Dans tous les cas, je n'avorterai pas. Paul était très agité, à ces mots sa colère avait gonflé tel un ballon de baudruche écarlate prêt à exploser. Il avait dévisagé Marie avec mépris et avait lancé : “Je suis odieux, tout ça est odieux et toi tu penses pouvoir vivre avec ça comme si de rien n'était ! Pas moi !...” avant de se ruer sur sa vieille Transalp et de partir en trombe. - "Non Paul ne fais pas ça !" Mais Marie n’avait pas eu le temps de le rattraper. ***** Jeudi 12 décembre 2019, chaîne des Aravis, apnée Depuis combien de temps je suis là-dessous… J’ai l’impression que ça fait une éternité... Normalement Jules aurait déjà dû me trouver. De là où il se tenait, il doit être passé à côté de la coulée. Si ce n’est pas le cas, on n’a aucune chance de s’en sortir. Ma combinaison fait bien son boulot, j’ai froid mais je sens encore mes membres. Par contre la poche d’air s’est affaissée, et je commence à bouffer de la neige. Je sens mon rythme cardiaque monter d’un cran et un acouphène qui ne veut pas me lâcher est sur le point d’annihiler ce qui me reste de calme et de lucidité. Dans ce vacarme intérieur voilà malgré tout que j'ai l'impression d'entendre le bip d'un détecteur de balise. Il me semble que celui-ci devient de plus en plus insistant et sonore, si ça n'est pas une hallucination, ça veut peut-être dire que je ne suis pas si loin de la surface et que quelqu'un approche. Avec mes dernières forces, je me mets à hurler. Puis plus rien, le bip disparaît... le manque d’oxygène va me faire tourner de l’oeil. Je rassemble tout ce qui me reste d’existence pour pousser un dernier cri. Je perds connaissance tandis qu’une sonde vient me heurter la tête... ***** Vendredi 13, Hôpital de Sallanches, Urgences J’entends les pleurs d’un bébé quand je me réveille. Marie est assise dans un coin de la pièce sur un siège vert olive en simili cuir craquelé, elle tient dans ses bras un bébé. Est-ce que je suis encore dans les limbes du sommeil … ma vision est trouble. Il me faut quelques instants pour sortir de ma torpeur et comprendre que tout cela est bien réel. J’entends Marie s’agiter et dire “Il ouvre les yeux ! Jules, va prévenir les infirmières.” Elle s’approche lentement de moi, hésitante, comme si elle craignait que sa présence me fasse retomber dans les bras de Morphée. Elle reste à côté de moi sans rien dire, le bébé qui pleurait s’est calmé dans ses bras. J’essaie de bredouiller quelques mots mais je me sens terriblement fatigué… Lorsque les infirmières entrent dans la chambre, suivies de Jules, j’ai recouvré mes esprits. J’ai compris que Marie avait accouché un peu en avance. Sans me le demander, elle finit par déposer le bébé dans mes bras qui se met instinctivement à chercher dans ma blouse un pli auquel s’accrocher : “Je te présente Lucie”. Au travers de ses yeux mi-clos, j'ai l'impression qu'elle m'observe, elle semble m'accepter. Une avalanche d’émotion me submerge et je ne peux m’empêcher de pleurer. Je n’arrive pas à articuler correctement, ni même susurrer. J’aimerais lui dire “J’ai bien failli ne jamais te voir. Dans la vie, on ne prend pas toujours les chemins qu’on imagine et d’un autre côté si je ne m'étais pas jeté dans cette fichue voie, je ne t'aurais jamais rencontrée dans de telles circonstances, en sachant toute la valeur de la vie, le bonheur que tu représentes pour moi, c’est juste comme ça. En tout cas, ne regrette jamais les choix que tu feras, moi je ne regrette rien”. Au lieu de ça, je profite simplement de ce petit être logé dans le creux de mes bras puis je me tourne vers Marie : “Regarde, elle a la même fossette que moi sur le menton, sais-tu qu'il paraît que c'est héréditaire !” Les yeux de Marie s’embrument, elle se rassoit et nous contemple, Lucie et moi, avec un sourire triste… (9855 caractères)
Contribution du : 13/12/2019 20:27
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Itinéraire glaçant d’un couple de trentenaires
La route jusqu’au chalet se perdait dans nos conversations. Entre les coups de tête et les coups de pieds, mon mari me sommait de me taire, agacé que je n’eusse pas pensé — à sa place ? — à prendre le GPS de sa coupé sport. Quel imbécile ! La pinède embrassait nos agacements et la neige commençait à se rire de nous, pour de vrai. Impossible d’aller plus loin dans ce brouillamini… Il nous fallait faire une pause ! Le réveillon de Noël n’attendait pourtant plus que nous pour faire la fête. Pas de réseau non plus ! Le dernier message que j’avais envoyé à mes chers parents affichait 20h10 : "on aura du retard dsl bx". Il était bientôt 22h. Ils devaient s’inquiéter. Nous avions dû sortir trop tôt de la grand-route, les petits chemins de montagne nous avaient hélas égarés dans leur silence lugubre. Pendant qu’il était sorti vapoter, je décidai de m’assoupir quelques instants, histoire de me calmer… "Qu’est-ce tu fous ? Tu dors ? C’était la voix de mon mari, pressée. - Quoi ? - Viens voir !" Engoncée dans mon manteau de fausse fourrure, je sortais à grand-peine de la voiture. En plus, j’avais faim. Je vis alors la neige qui tombait… à contresens. Elle ascensionnait vers le ciel. Une odeur d’ambre, insistante, vint effleurer mes narines. Puis, une étrange fumée blanche s’échappa des falaises pour épouser les conifères qui dormaient depuis quelques heures. Bien que mon mari, qui continuait de vapoter sans mot dire, m’enlaçait à la taille, je commençais à grelotter, mes doigts s’engourdissaient dans le lainage à claire-voie des vieux gants que je mettais encore. Les flocons, ça et là, alunissaient sur mes prunelles et me faisaient pleurer de froid. Petit à petit, dans une osmose inénarrable, le ciel s’assombrissait et la terre s’illunait. Des scintillements bourgeonnèrent à nos pieds, embrasant le paysage, comme s’il se fut agi d’une infinité de guirlandes. La montagne rayonnait de mille feux. "Suis-moi ! m’exhorta mon mari." Et nous longeâmes, émerveillés, le sentier qui descendait vers la vallée. De petits nuages couraient sur nos épaules, nous chuchotant leur enfance à l’oreille. Des lutins nous prirent par la main. Une fée nous apprit à voler, juste un peu. Une douce chaleur respirait autour de nous lorsque nous arrivâmes au village voisin : nous fûmes accueillis par d’autres lutins, couronnés de ciels et parsemés d’arbustes ; des lumières versicolores, partout, éblouissaient nos yeux attendris. Dans une clairière de lune, nous mangeâmes avec appétit, avec nos hôtes, des rêves marengo à la crème de rires et des bûches au beurre de comètes. Des grelots parlaient noël, des rennes s’ébrouaient à la lisière des bois, des comptines s’échouaient dans nos assiettes… Avant de partir, un elfe rieur nous offrit dans un coffret d’ébène et d’or un peu de sa féerie et des confitures de nébuleuses. Un délice, à ce qu’on disait ! Cent mille pincements au cœur accompagnèrent notre retour à la voiture ; les lumières peu à peu s’éteignaient, les nuages s’effilochaient sur nos lèvres et la neige se remit à tomber de là-haut. Il faisait à nouveau plus froid, beaucoup plus froid. Il n’était que 22h00 lorsque nous fîmes demi-tour pour espérer rejoindre la grand-route qui mous mènerait plus rapidement au chalet. Je m’endormis à nouveau, encoconnée dans l’agréable tiédeur de l’habitacle. "Réveille-toi, on y est ! La voix mielleuse de mon mari me tira du sommeil. - Tu le croiras pas, lui dis-je dans un rire, j’ai rêvé qu’on avait mangé avec des lutins… - Ah bon ? Au fait, dis-moi, c’est toi qui as acheté ça ? - Quoi ça ? - Ces confitures de… nébuleuses, sur le siège arrière." (3593 caractères)
Contribution du : 13/12/2019 20:44
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Re : Défi n°1 : Une dispute, des chutes de neige ? Une nouvelle... |
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Neige d'antan
– Est-ce qu'il va neiger ? – Non grand-père, tu sais bien qu'il ne neige jamais dans nos régions. – Oui, mais est-ce qu'il va neiger ? Orane pète les plombs et sa sœur accourt à ses cris. – Mais enfin, c'est pas possible, il ne peut plus rester avec nous. Je te préviens, Jasmine, je cherche aujourd'hui une maison de retraite. En plus, avec les listes d'attente, on n'est pas sorties ! Et je me demande avec quoi on va payer. C'est intenable ! – Est-ce qu'il va neiger aujourd'hui ? – Trente-troisième fois depuis ce matin. Ou vingt-sept, ou cinquante, ironise Orane. Jasmine ne dit rien. Orane a raison, c'est un désastre. Il devient impossible de garder grand-père à la maison. Il n'a plus qu'elles, maintenant, et toutes ces années ont défilé si vite. Les jumelles adorent leur grand-père. Un homme qui n'a pas eu la vie facile, qui a dû beaucoup se battre pour émigrer, s'installer ailleurs, recommencer une vie. Les deux sœurs sont pleines de ces histoires magiques qu'il leur a toujours racontées, des histoires qu'il enrichissait au fil du temps qui passe. Mais au fond, c'était toujours le même récit, celui d'un déchirement. Les souvenirs de son pays sont la base ultime dans laquelle il se réfugie. – Écoute, Orane, ce n'est pas la peine de s'énerver… – Quoi, pas la peine de s'énerver ? Mais je ne m'énerve pas, Jasmine, je ne m'énerve pas ! Je n'en peux plus, tu comprends, je n'en peux plus, je craque. – On va trouver une solution. Je te trouve trop… – Est-ce qu'il va neiger aujourd'hui ? – Non, Grand-père, répond Jasmine doucement, non, il ne va pas neiger aujourd'hui. – Demain, est-ce qu'il va neiger demain ? – Non, là, c'est trop, crie Orane, on ne peut plus vivre comme ça ! Et elle ouvre son ordinateur à la recherche d'une maison de retraite. – Orane, on avait dit qu'on s'occuperait de grand-père jusqu'au bout, tu ne peux pas renier ta parole, tu l'as promis à maman. – Et alors, qu'est-ce qu'elle en savait, maman, que grand-père deviendrait ingérable et que… – Ah non, il n'est pas ingérable, tu exagères ! se fâche sa sœur. – Est-ce qu'il va neiger aujourd'hui ? – Mais ça va empirer, tu comprends pas ça ! Et plus on tarde, plus ce sera la galère pour lui de s'adapter à un nouveau lieu de vie. – Mais toi, tu veux toujours faire à ton avantage. Grand-père t'agace, allez hop, maison de retraite. Eh bien non, dans ma vie, c'est pas comme ça. Jasmine part en claquant la porte. Elle sait au fond d'elle que cette dispute n'est pas entre elles deux, mais qu'elle est le signe qu'il faut prendre une décision, que le temps est arrivé. C'est Orane qui a raison. Cette dernière la rejoint au salon. – Excuse-moi, je suis très énervée en ce moment. Je n'en peux plus de voir grand-père comme ça. Devenir un radoteur sénile. – Ce n'est rien Orane, c'est toi qui as raison. L'heure est venue de décider. Par la porte restée ouverte, la voix chevrotante du grand-père déroule sa litanie : – Est-ce qu'il va neiger aujourd'hui ? Orane arrive près de lui et l'entoure de ses bras. – Non, grand-père chéri, non, il ne va pas neiger aujourd'hui. Ni demain. Je suis désolée, grand-père. Et elle se blottit contre lui et pleure son impuissance. Grand-père pose une main sur l'épaule de sa petite-fille, une main tremblotante. Mais pour une seconde, une toute petite seconde, il imprime sur la peau une pression, comme il faisait autrefois quand elle avait du chagrin. Il savait la rassurer. Et dans cette chambre modeste, Orane se revoit dans la maison où ils habitaient tous ensemble. Elle revoit l'œil malin face à ses grosses peines. Il lui disait toujours ce qu'elle voulait entendre. Orane se tait maintenant, elle attend la question. Elle sait ce qu'elle doit faire. Jasmine, qui s'est approchée, lui souffle un « oui ». Deux minutes passent, dans le silence. Puis : – Est-ce qu'il va neiger aujourd'hui ? Orane regarde sa sœur, qui hoche la tête. – Oui, grand-père, il va neiger aujourd'hui. Et demain il fera très beau, nous irons marcher dans la neige, comme on faisait avec maman et grand-mère. Et elle tapote son oreiller. Le vieil homme sourit imperceptiblement. – Ah, il faut qu'on sorte les skis. – C'est déjà fait, grand-père, j'ai tout préparé. – Alors je vais dormir, pour être en forme demain. – Oui, dors, grand-père. – Mais vous savez, toutes les deux, que j'ai rencontré grand-mère un jour de neige… – Oui, grand-père, tu nous a raconté… – Bon, je vais dormir. Vous savez où est mon bonnet rouge ? Oui, elles savent. Son bonnet sur la tête, grand-père s'endort et Orane et Jasmine sortent sans faire de bruit. Le lendemain matin, il fait très beau, le thermomètre affiche déjà 25°. Grand-père est mort dans son lit. Il est souriant. Il s'ébattait dans sa neige bien-aimée quand la vie l'a quitté. Pour lui seul il avait neigé. (4770)
Contribution du : 13/12/2019 20:54
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Re : Défi n°1 : Une dispute, des chutes de neige ? Une nouvelle... |
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16/07/2019 14:25 Groupe :
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Chaud-froid
Théo hisse tout le matériel de skis dans le coffre de toit, il peine à le verrouiller. Notre bande de copains l’entoure et se moque de lui. - Et Théo, la prochaine fois, tu viens avec un van ? Rires, tapes dans le dos, accolades et on n’en finit pas de se dire au revoir. Il est tard, nous avons des kilomètres à avaler pour rejoindre Paris. Je me sens en dehors de cette liesse, un retrait que j’ai cultivé durant tout le week-end. J’ai hâte de partir. Nous sommes arrivés vendredi soir, deux jours sur les skis, déjeuners en altitude, soirées avec vins chauds, toujours à dix. J’en ai marre. Je salue tout le monde avec un sourire forcé. Nous prenons la route, seuls, enfin. La plupart de nos copains habitent dans le sud. Tout enivré des deux jours passés, Théo chante à tue tête « Merci à la vie » de Kalune * et tape sur le volant en rythme. Progressivement, sa voix s’amenuise, il me jette un coup d’œil. - Eh ! Emilie jolie ! Je conduis pendant deux heures, ensuite c’est toi ? - Comme tu veux. J’ai mis du temps à répondre. Je suis ailleurs. Déjà arrivée à Paris, j’envisage notre séparation. Depuis un an, j’ai emménagé dans son appartement plus grand que le mien. Un coup de cœur énorme pour cet homme a chamboulé ma vie. J’ai abandonné mon tout petit deux pièces au centre du sixième arrondissement, sa vue sur les toits de Paris, mes promenades en bord de Seine. Tout cela me manque. J’ai soif de solitude. - Emilie ! Mais t’es où, là ? Son bras droit s’allonge vers moi, sa main cherche ma peau sous mon col roulé. Ses doigts froids grattent, creusent, descendent dans mon dos. La laine me serre la gorge. - Arrête, tu me fais mal. Immédiatement, il retire sa main. - Tu fais la tête ou quoi ? - Non, j’en ai juste assez. Surpris, il se tourne vers moi. - Tu en as assez de quoi ? - De notre vie. De toi. Regarde la route ! Il reste silencieux. Sans doute se remémore-t-il tout le week-end. Il cherche l’épisode qu’il a manqué, les signes d’avertissement, les coups de semonces. Il est vrai que je ne suis pas du genre à râler. Quand ça va mal, je me replie. Je me tais. Comme Théo parle pour deux, il n’entend pas mon silence. - Mais enfin ? Qu’est ce que j’ai fait ??? Que me reproches-tu ? - Ton immaturité. - Hein ? Je suis plus que synthétique, je reconnais. A lui de comprendre. Il se tourne à nouveau vers moi, la bouche ouverte. Rien ne sort de cette bouche, elle qui voit passer le flot de tant de mots réfléchis ou non. - Tu me trouves immature ? Qu’est ce qui te fait dire ça ? - Tu ne vis que pour tes copains… - Et pour toi, aussi. Ces derniers mots sont prononcés avec douceur. Sans le regarder, je vois qu’il fronce les sourcils. Il arrête de respirer. Il finir par soupirer. - Je ne suis pas parti sans toi que je sache. Il fait allusion à certains de nos copains qui laissent femme et enfants à la maison. Je ne me prive pas d’un sourire ironique. - On n’a pas d’enfants, nous. Sous entendu, si on en a un jour, tu me laisseras sur le carreau avec la marmaille. Il tend à nouveau une main vers moi, il attrape mes doigts. Les miens restent inertes. - Dis moi ce qui ne va pas. Qu’est ce qui ne t’a pas plu ce week-end ? On s’est bien marrés, non ? - Vous vous êtes bien marrés, nuance. En fait, tu ne vis que pour ça. Te marrer. - Et alors, où est le mal ? - Grandir c’est sortir de la cour de récré ! - Tu me prends pour un gamin, c’est ça ? Tu ne m’aimes plus ? - Sans doute. - Enfin, je n’ai pas changé ! Tu m’as rencontré comme ça. Tu m’as aimé comme ça, et maintenant, tu ne m’aimes plus, mais je suis le même homme ! - Peut être que moi, j’ai changé. T’es resté sur le quai de la gare avec tes potes à te marrer, comme tu dis, pendant que je prenais le train. Théo fixe la route, silencieux. - Ecoute, j’ai un boulot stressant, tu le sais. Pour moi, des week-ends comme ça c’est vital. Cela me permet de décompresser. - Et un week-end à deux cela ne te permettrait pas de décompresser ? Tous les week-ends, on part. La semaine, c’est pareil, on multiplie les soirées entre potes. - Nous y voilà ! Tu mets du temps à accoucher, toi. Il rit. Pas de son rire gai habituel, un rire grave teinté de tristesse et de reproche. - Tu trouves que je ne te consacre pas assez de temps, c’est ça ? Pourquoi ne le dis-tu pas ? Tu approuves tout ce que je propose, aussi. Sous la lueur des phares, la nuit est recouverte d’une nuée blanche. Les températures ont brusquement chuté. Nous prenons la bretelle d’autoroute. Je ne sais pas quoi lui répondre. Dis-je oui à ce qu’il propose ? Pas vraiment. Théo est dans le mouvement de ses paroles, ou plutôt, ses paroles accompagnent son action. Il est déjà parti, et il dit qu’il part. Je n’aime pas expliquer ce qu’il ne perçoit pas naturellement. Peut être est-il temps de parler, de laisser filer mes mots. - Vendredi après midi, tu m’appelles, tu me dis que nos copains de Grenoble ont loué un grand appartement et qu’il y a une place pour nous. C’est fantastique, c’est merveilleux, qu’est ce que j’en pense ? Je ne vais pas jouer les troubles fêtes et te gâcher ta joie. Moi, j’aime te faire plaisir. Même si j’avais envie de rester à la maison avec toi. - Pour que je puisse te faire plaisir, il faudrait que tu t’exprimes. - Pour ça, il faudrait que tu me laisses de l’espace de parole. J’ai répondu cette dernière phrase sur le même ton sec que lui. Un mur de glace se dresse entre nous. J’ai hâte d’arriver à Paris. La neige tombe en gros flocons épais. Elle s’accroche au sol et forme un tissu à poids blancs qui se transforme en tapis uniforme. Le pare brise se recouvre rapidement, Théo actionne les essuies glace qui peinent à balayer l’épaisseur cotonneuse. Les phares rouges des voitures se distinguent à peine dans la brume blanche. Soudain, l’orange des feux de détresse colorent la nuit. Bientôt, nous sommes arrêtés. - Et merde ! - Que se passe-t-il ? - Qu’est ce que j’en sais ? Mon mobile n’affiche aucun réseau. Théo tourne les boutons de la radio jusqu’à trouver 107.7. L’animatrice annonce que sur notre autoroute un camion s’est couché en travers des voies empêchant les voitures de passer et plus grave, il a entrainé un énorme carambolage en chaines. Nous restons pétrifiés à scruter les autres passagers des voitures. Tout le monde se regarde, partageant la nouvelle d’un air consterné. - On en a pour un moment ! Je coupe le moteur et je vais chercher nos sacs de couchage. Aussitôt dit, aussitôt fait, il revient en bonhomme de neige muni d’une boule de tissus. Nous secouons la neige et nous mettons les deux épaisseurs des sacs de couchage sur nous, avec la couverture de survie par dessus. - J’ai froid aux pieds. - Défais tes chaussures, et donne-moi tes glaçons ! C’est ainsi qu’il appelle mes pieds. Dans le lit, il me sert souvent de bouillotte. - Tu vois que je suis attentif. Il me masse les pieds que j’ai posés sur ses cuisses. - Bien sûr que tu as plein de qualités, tu es juste impossible à vivre pour moi. - Tu voudrais quoi ? - Ecoute, je ne vais pas te forcer à rester avec moi alors que tu meurs d’envie de retrouver tes potes. Cela ne tiendra pas. Tu feras des efforts quelques temps et puis… - Mais j’aime être avec toi. On peut trouver un compromis, non ? Un week-end sur deux, une soirée sur deux, non ? - C’est ça, comme les couples séparés avec leurs enfants ! J’éclate de rire, lui aussi. Nous nous câlinons longuement. Nous nous embrassons. - Viens sur moi, nous sommes dans un vrai igloo, personne ne nous verra, dit-il d’une voix rauque. Je n’ai pas le temps de répondre qu’une personne fait tomber la neige de mon côté et frappe à la vitre. Nous sursautons. C’est une femme avec un bonnet. Je descends le carreau. - Vous n’auriez pas des couches bébé ? Par la fenêtre ouverte, abasourdis, nous regardons dehors. La neige a cessé de tomber. De nombreuses personnes sont sorties de leur voiture. Un monsieur promène son chien. Des gens se sont regroupés autour d’un camping car. L’autoroute s’est transformée en place de village. Je finis par répondre que nous n’avons pas d’enfants. Un monsieur passe nous voir. - Venez prendre un café au camping car, apportez ce que vous avez, des verres, des gâteaux ou autre… Nous rejoignons le groupe munis de gobelets et de quelques provisions. Nous sommes accueillis chaleureusement. Les propriétaires du camping car se sont improvisés en tenancier de bistrot. La dame apporte une bouilloire fumante avec une boite contenant des sachets de café soluble ou de thé. - Nous en avons pour la nuit, dit une maman soucieuse, je n’ai pas assez de lait maternisé, nous devions sortir à la prochaine sortie… - Nous n’avons pas assez d’eau, ni de provisions, il y a des bébés, il y a des enfants. Les secours ont d’autres soucis que nous, il faut nous débrouiller. - La prochaine aire d’autoroute est loin ? demande soudain Théo. - A 5 kilomètres environ, je crois… - Nous avons des skis. D’autres personnes en ont, nous prenons des sacs à dos, et on va chercher ce dont on a le plus besoin pour tenir, non ? Mon Théo prend les choses en main. Je reconnais ce menton en avant, cette lueur d’enthousiasme dans les yeux quand il a un projet et une troupe à mobiliser. Ses grandes mains soutiennent ses paroles dans la répartition des tâches : qui va s’occuper de la liste des courses, qui va chercher les skis. Un chef d’orchestre sans baguette qui crée de la ferveur et met le monde en marche. Il s’arrête soudain et me regarde, interrogateur. Je hoche la tête, moi même, je me laisse emporter par son énergie, par son humanité. Un peu plus tard, une équipée menée par Théo file en rase campagne. Je les regarde s’éloigner, j’ai froid, je reste seule à fixer la nuit. (9573 caractères) *Merci à la vie de Kalune : https://www.youtube.com/watch?v=43uQxCGnPvk
Contribution du : 13/12/2019 21:01
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Scène de mes neiges
– Attends, je ferme les volets...ça caille ! Je me demande s’il va neiger cet hiver. Qu’en penses-tu ? – Dépêche-toi ! On a jusqu’à 23h59 pétant, après ce sera trop tard ! – Me dépêcher, t’en as de bonnes toi ! Tu crois que c’est facile d’écrire une nouvelle d’au moins trois mille signes ? Après deux phrases et je ne sais déjà plus quoi dire. – Oui, ben si tu passais pas ton temps à déconner sur les forum ! – Quoi ? Moi ? Je déconne sur les forums ? C’est la meilleure de l’année ! Qui passe toutes ses soirées le nez plongé sur l’écran à bavasser avec je ne sais qui ? Hein ? – Je ne bavasse pas moâ ! J’échange, et avec des personnes un peu plus ouvertes que toi...on appelle ça des « échanges épistolaires » – Épistolaire ! Épistolaire ! À part dégainer des vers boiteux, c’est bien tout ce que tu as comme pistolet sous tes grands airs ! – Gnagnagna…toi et tes jeux de mots à deux balles… Mes vers boiteux ?! Quel culot ! Tu n’es même pas capable de faire un alexandrin digne de ce nom et tu critiques mes vers ? – Oui mais bon...si tu avais jeté un œil sur mon dernier sonnet tu aurais débusqué cette mauvaise alternance et mon texte aurait été publié en classique ! – Ben voyons ! C’est de ma faute si tu as loupé le coche ! Quand je dis que tu passes plus de temps à roucouler avec je ne sais quels pseudos qu’à réviser ta prosodie, je dis des sornettes ? – Et patati et patata ! Tu vas me la servir longtemps celle-là ? Et toi ? Tu n’as pas fait une diérèse à « nuit » dans ton dernier... « chef-d’oeuvre »... ? Nu-it…ah ! ah ! ah ! lol ! En plus tu racontes notre vie privée, tu ne manques pas de culot ! – N’importe quoi ! Notre vie privée...pffff ! Si tu parles de la scène sur le lit une nuit de pleine lune, heureusement que j’ai enjolivé l’histoire parce que sinon… – Sinon quoi ? QUOI ? – Rien, laisse tomber, ça vaut pas la peine de remuer le couteau dans la plaie. – Le couteau (rire sarcastique) ! Dis plutôt le stylo avec lequel tu as décrit nos moments intimes, comme ça tout le monde sait ce qu’il se passe chez nous...bravo ! Waouh ! Bonjour la honte ! – Oh ! ils n’imaginent même pas ce qu’il se passe chez nous. Avec tes yeux rivés sur l’écran jusqu’à pas d’heure sur le fil d’un tel ou un tel, il n’y a plus beaucoup de chance pour qu’il se passe quelque chose, d’ailleurs les draps sont aussi glacés que la pire des nuits de décembre…tiens, comme celle-là. Mais ce que j’en dis... – Tu peux parler ! Quand je me retourne je vois bien les smileys que tu colles dans tes conversations ! Un coeur par ici, un bisou par là...et ton sourire béat...Tu ferais mieux d’apprendre le Sorgel et de consulter un peu plus souvent le Littré au lieu d’attendre que je corrige tes torchons. – Mes torchons ! Tu traites mes poèmes de torchons ?! Non mais je rêve ! Tu n’es pas capable d’écrire une nouvelle de 3000 signes, et quand je dis « écrire » ce serait plutôt « pondre », et avec des fautes en plus, et tu traites mes poèmes de torchons ?! – Purée ! Faut que ça tourne au mélodrame chaque fois que j’essaie de t’expliquer que ta poésie n’est pas aboutie. – Ah oui ?! Ma poésie n’est pas aboutie ?! Espèce de….. – Zut !… – QUOI ?? ? – L’ordi beugue...attends… – Ça y est ? Ça marche ? Hé ! Alors ? - Attends ! J’fais c’que j’peux...vite donne-moi la clé usb ! … J’ai une copie mais on a que 2957 caractères. – Ah quand même ?! Mais l’ordi ? – Beugué ! Il faudrait que je restaure le système mais ça va prendre près d’une heure... – Je te signale qu’il est 22h30. – Pas grave, on a le temps d’aller à scooter jusqu’au cyber-café, on finira la nouvelle, il nous reste 43 caractères pour être au top, pas la peine de chercher à faire plus long, m’étonnerait qu’on gagne le défi...elle sera postée à temps, non ? – D’accord, n’oublie pas de prendre la clé usb...et la clé du scooter. Éteindre les lumières, mettre bonnets, blousons, gants, écharpes, casques... – Ahhhhh !!! – Que se passe-t-il ??? – Viens voir ! VITE ! Jusqu’au seuil de la porte, à hauteur des genoux, la neige recouvre tout dans un silence feutré. La pelle est dans la remise de jardin...à l’autre bout...du jardin, le scooter aussi... Vendredi 13 décembre 2019, 23h59...adieu le « défi nouvelles ». [4235 caractères]
Contribution du : 13/12/2019 21:12
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Nouvelle de Plumette communiquée à Lulu par MP :
Scène de ménage Ce soir- là, il neigeait. Hélène était restée tard au bureau. Le matin, elle ne s’était pas intéressée aux prévisions météo, sinon elle aurait sûrement pris le train ! Devant le bazar qui paralysait la ville, elle avait décalé son retour. Benoît avait compris, et puis, il avait l’habitude de l’attendre. Le trajet jusqu’à La Tour lui avait paru interminable, cotonneux, glissant. Elle détestait conduire par temps de neige. Elle était restée crispée sur le volant, redoutant de glisser à chaque freinage ou accélération . Elle était fatiguée, fût soulagée d’arriver devant le portail. Tentée d’appeler Benoît d’un coup de klaxon pour qu’il vienne lui ouvrir, elle se ravisa au nom de cette fameuse « autonomie » dont elle faisait si souvent son cheval de bataille. Au dessus de la porte d’entrée, Benoît avait laissé la veilleuse allumée. Elle était attendue ! Et elle se réjouit à la pensée de la pièce chaude, où, en raison de l’heure tardive, le couvert serait sûrement dressé. Les flocons dansant dans le faisceau lumineux avaient quelque chose d’irréel et de doux. Et, en effet dans la maison : calme et chaleur, une bonne odeur de soupe et les enfants couchés. Hélène laissa ses affaires dans l’entrée, entra dans la pièce à vivre, un large sourire aux lèvres, le cœur gonflé de tendresse pour son homme. Benoît était à côté du poêle à bois, en train d’étendre du linge tout juste sorti de la machine. Il tenait à plein bras un magma mouillé, informe qu’il s’apprêtait à installer sur le tancarville. En s’approchant de lui, Hélène découvrit entre ses mains sa petite veste en laine bouillie rayée verte et blanche devenue d’une infâme couleur rose et caca d’oie. Elle lui arracha des mains et se mit à crier: - Mais qu’est-ce que c’est ? C’est ma veste ? Non mais ça va pas ! Elle est foutue ! Tu as mélangé ma veste avec ton tee-shirt rouge... Pourtant, je te l’ai dit 100 fois ! Mon linge, je m’en occupe !! T’es complètement bouché ou quoi ! Benoît lui opposa un visage incrédule et des yeux ronds : - C’est à moi que tu parles ? Tu t’entends ? Calme-toi. Tu dois être en hypoglycémie, viens manger la soupe, ça te remettra les idées en place. - Quoi !!C’est tout ce que tu trouves à dire, Par ici la bonne sou soupe !! Tu as vu le résultat de ton j’m’en foutisme à la con ! Hurla-t-elle de plus belle en lui agitant sous le nez le chiffon mouillé - Tu fais ce que tu veux avec tes fripes d’Emmaüs mais au moins respecte mes vêtements. - Tout de suite les grands mots, rétorqua Benoît J’ai donc manqué de respect à ton gilet… Benoît était facilement moqueur, le sérieux d’Hélène exacerbait ce penchant, dans les moments les plus inopportuns. - C’est facile de ricaner ! Bien sûr, tu es au-dessus de tout ça. Détaché des biens matériels…qui ne te coûtent rien puisque c’est bobonne qui fait bouillir la marmite. C’est sûr que pour rester vautré dans ta nonchalance, tu n’as pas besoin d’élégance. Benoît se laissa tomber dans le fauteuil prés de la cheminée, accablé - Ça y est ! Ça recommence. Tu as le chic pour chercher la merde. - C’est la meilleure. C’est moi qui cherche la merde. Tu n’es pas foutu de t’excuser, alors tu m’agresses. - Je rêve...Tu te mets à gueuler à peine franchi le pas de la porte et je devrais le prendre avec le sourire ? Tu verrais ta tronche de furie ! Hélène s’empara avec violence de la trompette de Benoît, posée debout sur le buffet, pavillon contre la pile de facture en attente de règlement. - Qu’est-ce qu’elle fout là ta trompette ? C’est pas sa place. Range ton bordel ou je m’en charge ! Hélène agita la trompette en tous sens au dessus de Benoît se rapprochant dangereusement de son crâne légèrement dégarni qu’il protégeait de ses deux mains .Dans un mouvement circulaire de plus en plus rapide, elle le frôla puis amortissant in extremis son geste, fis mine de reposer l’instrument. Elle plaqua de nouveau le pavillon sur la pile de factures et les fit glisser du meuble sur le sol puis se mit à les piétiner. Benoît s’était tu, il s’était levé doucement, avait repris avec précaution sa trompette des mains d’Hélène qui semblait ailleurs. Il évitait d’accrocher son regard. Maintenant Hélène déambulait rageusement dans la pièce, en claquant des talons. Le silence de Benoît l’exaspérait. - Je ne peux pas compter sur toi. Je porte cette veste un jour sur deux. Elle est exactement assortie à mon pantalon en lin. Tu savais forcément que j’y tenais. Et toi. Tu n’en as rien à foutre ! Ou alors ? C’est que tu ne me regardes pas. C’est ça ? Tu ne me vois pas ? Je n’existe pas ? Tu ignores tout de mes goûts ? Au fond, c’est de moi que tu n’as rien à foutre. La preuve : ce que j’aime, tu le bousilles en un tour de main, et quand tu vois que ça me touche, tu te fous de ma gueule. Je le savais !! Mais pourquoi est-ce que je m’accroche ? Qu’est- ce que je fous avec ce mec qui ne respecte rien ni personne. Hélène sanglotait maintenant, convaincue du manque d’amour de Benoît qui la regardait consterné, immobile. Hélène voulait partir sur le champ, elle allait fuir loin de cet être indifférent. Elle courut vers la porte vitrée qui donnait dans l’entrée, lança le bras en avant pour attraper la poignée. Sa main passa à travers le carreau du bas. Elle fût tirée de son drame par le cliquetis du verre sur le carrelage et la piqûre qui enserra sa main, sur le dessus de laquelle perlèrent quelques gouttes de sang qu’elle porta à ses lèvres. Benoit s’approcha d’elle, la pris tendrement par les épaules, la fit pivoter et l’amena doucement devant la fenêtre de la pièce principale. - Tu as vu comme notre jardin est beau avec toute cette neige ? (5640 caractères)
Contribution du : 13/12/2019 21:51
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Chère Liberté
De : cendrillon@nouvelles.com A : liberte@imaginaire.com Objet : Mea culpa Ma chère Liberté, Je me permets de te contacter, ce soir, pour te présenter toutes mes excuses. Je réalise, en effet, combien j'ai débordé hier matin. Tu as sans doute pensé que je t'en voulais de m'empêcher de retrouver seule mon chemin, mais je sais bien que tu n'y es pour pas grand-chose. Ce n'est pas parce que mon GPS a planté au moment où j'entrais dans le quartier – enfin je le supposais – où je devais te retrouver, que je devais te tenir pour responsable de ma situation. J'ai tellement en horreur de ne pas savoir où je vais et de me diriger vers des lieux que je ne connais pas, que je m'étais sentie réellement perdue, comme si les rues que j'empruntais ressemblaient à un capharnaüm que je n'aurais osé montrer à personne. Alors, c'est sûr, quand je suis enfin arrivée sur le parking avec ces avenues et ces noms de rues que je découvrais dans l'urgence de ce rendez-vous que tu m'avais donné, j'ai un peu extrapolé quand je t'ai finalement retrouvée. Tu semblais si distante, comme si ma liberté n'avait jamais été. Un peu comme si tout avait été un chemin noir sans réverbères, sans but. Or, je t'avais reconnue, et savais que tu pouvais me propulser vers les hautes sphères de la sérénité. Juste te voir. Juste te parler. Là où d'autres avaient baissé les bras. Tu étais sur le chemin de l'évidence, et pas seulement au carrefour du quartier des Manufactures. Hier, pourtant, quand j'ai traversé le quai des devantures éphémères ; tous ces bouquinistes qui se perdent un peu plus chaque jour, j'ai cru percevoir notre lien de toujours. Nous pouvions nous retrouver au travers des mots que nous aimions, et pas nécessairement au niveau de la rue de L'Île de France, comme c'était convenu. Je sais bien, pour te connaître depuis longtemps, que tu affectionnes ces espaces où chacun peut dire et vivre le calme des ciels bleus. Mais que penser de ton silence, toi qui ne savais pas que je n'attendais rien d'autre qu'un nouveau signe de bienveillance, un geste, peut-être, qui m'aurait rendu ce parcours plus clair et plus simple ? J'avais tant misé sur toi. Or, rien. Juste ces 1000 km de routes parcourues pour aucun retour de ta part. Tu souhaitais que je te retrouve avec Catherine et Nicolas, à 10 heures du matin. Soit. Mais pourquoi ne m'as-tu juste pas indiqué que tu souhaitais nous voir séparément ? Je croyais qu'il y avait urgence, et mon empressement à te voir était lié à cette constance que je t'ai toujours sue. Être là. Oui, juste ça. En arrivant sur le perron de ta maisonnée, ton mari m'a dit – et je peux te l'écrire noir sur blanc – que j'étais une moins que rien. Était-ce lui ? Était-ce le fruit de vos discussions ? Votre regard ? Mon GPS m'avait égarée, mais que penser de ces mots inattendus ? « Qu'est-ce que tu veux ? Qu'est-ce que tu viens faire chez nous ? » J'ai ressenti un tel décalage avec notre relation, nos discussions de jeunesse, que j'ai pensé que tu m'avais abandonnée, toi aussi. Je venais de parcourir 1000 km et mon seul but était de trouver un hôtel pour le soir. Il neigeait depuis des heures, et je savais que j'allais repartir avec des flocons sans fin. Tu me connais, je déteste la neige sur la route. Elle m'a toujours fait peur. De la voir tomber en arrivant, à hauteur de Chartres, j'ai pensé que je n'arriverais jamais à Nice, en ces lieux où, bien souvent, j'évite de clamer sous les toits que j'aime retrouver des amis comme toi à la maison avec un bon verre de vin. Tu semblais si inquiète que je n'ai pu m'empêcher d'aller à ta rencontre, mais fallait-il que ton cerbère de mari m'accueille ainsi ? T'a-t-il seulement dit quelque chose ? Pardon de le dire, mais il me semble que c'est un gougeât de première. Sa façon de me renvoyer de là où je venais était juste impensable, inimaginable dans le parcours que j'ai fait jusqu'à toi. Alors, oui, c'est sûr, quand j'ai vu que mon GPS a planté, j'ai ressenti une première fatigue détestable, car j'ai tourné en rond comme une toupie, jusqu'à pouvoir trouver ton adresse. J'ai beau m'énerver rarement, mais là, ça a été juste un peu compliqué de rester zen dans l'inquiétude que m'avait laissé ton dernier mail – tu ne m'avais même pas appelée, ni même répondu – et l'accueil de cet homme infecte, qui fait maintenant partie intégrante de ta vie, a été la goutte d'eau... Je me souviens de votre mariage. Il neigeait déjà. Quelle idée, quand j'y repense, que vous ayez choisi le mois de janvier pour ça... Mais pourquoi pas, me disais-je, aussi... Claire avait gardé sa tenue de demoiselle d'honneur pour le mariage de sa sœur et l'avait réinvestie, comme un hommage à Céline, cette petite partie trop tôt, et Jérôme avait emmené les enfants de Beaune faire de la luge au milieu de l'après-midi. Chacun avait trouvé la journée belle, même ces enfants éparpillés que les parents avaient été contents de ne plus avoir avec eux le temps de boire un verre. Jérôme était génial pour ça. La neige pouvait tomber. Encore et encore. Qu'importait, au fond... Je me demande ce qu'il reste de tout ça. Tu sembles si lointaine, bien cachée sous ton masque de pierres. Un édifice entier bâti à coups de silence et de solitude. Tu avais beau dire, mais quand tu t'es mariée, je suis sûre que ton malheur est né comme chez Emma Bovary. Pardon de faire ce parallèle, mais même si tu ne m'en as jamais rien dit, je suis sûre que tu as déchanté dès le début. C'était si lisible. Si possible. En t'écrivant, je me mesure bien ma honte de te dire toutes ces choses ainsi, car c'est tellement plus facile – ou plus lâche – de ne laisser que des mots par écrit. Mais je t'attends encore, là où je t'ai longtemps connue, là où nous nous sommes vues telles des amies pour qui parler avait un sens. En m'emportant, lorsque je suis arrivée hier, je ne t'en voulais pas le moins du monde, mais reconnais, au moins, que je ne peux deviner ce que tu ne dis pas. « Qui ne dit mot, consent », dit-on... Or, ton cher mari m'a juste répété, une fois de plus, que je ne valais rien. Quand j'y pense... Comment peut-on dire à quelqu'un qu'il ne vaut rien ? Je ne parle même pas de son côté prétentieux, mais de ce mépris qui le placerait au-dessus des autres. Tellement mesquin, tout ça. Ton silence m'a tuée, sur le coup. Au moment où je t'écris, il neige encore. Moi qui déteste ces chutes de neige interminables, je finis par m'y accoutumer. C'est comme si le cœur de la Terre s'endormait le temps d'un silence sans connotation. Juste des flocons à soi, ou pour soi, comme lorsque l'on est petits, enfants parmi d'autres, et que l'on goûte, du bout des doigts, cette fraîcheur qui ne ressemble à rien d'autre que ça : la boule de neige. J'imagine bien comment tu recevras ce mail. Mais sache que je ne souhaite pas te blesser. Ce n'est pas parce que je me suis durement disputée avec Rémi, ton mari que j'ai encore du mal à reconnaître comme quelqu'un qui compte pour toi, que notre amitié est finie. Une perche... A toi de voir... D'ailleurs, ce n'est pas non plus parce que ton frère t'a convaincue que tu étais une femme de ce quartier que tu ne devras jamais le quitter. Nous en avons déjà maintes fois parlé, mais je tiens à te l'écrire, cette fois de plus, pour que tu y songes de façon sérieuse. Rémi, lui, ne fait que t'enfermer dans ses certitudes. Or, qui est-il ? Aime-t-il seulement ton regard ? Aime-t-il seulement tes aspirations ? Aime-t-il seulement ta curiosité et ta propension à vouloir toujours aller vers ces espaces où les grilles empêchent de voir que la mer n'est pas le bout du monde ? Rappelle-toi ce fameux jeu où nous allions voir si au bout de l'avenue des Tristan, il y avait des arbres. Juste ça. Le chemin menait à un cul de sac, et parce que nous avions peur, nous n'osions pas aller jusqu'au bout. A dix ans, c'est sûr, nous pouvions tout imaginer. Mais que reste-t-il de nos pas, de tous ces parcours que nous faisions sous le soleil ou sous la neige pour voir s'il y avait quelque chose dans l'impasse ? Je ne te promets rien, mais j'aimerais tant croire que cette fraîcheur et ces appréhensions qui nous faisaient avancer sont toujours là. Un moteur pour aller au-delà de toutes ces querelles dérisoires. Tiens, il semble que la neige est en train de se calmer. Je vois que la tempête ne sera probablement pas pour aujourd'hui. Heureusement, d'ailleurs, car après avoir tenté de te retrouver, et parcouru 1000 km, me voici prête pour un autre voyage. Je dois aller à Pau dans deux jours et les routes enneigées m'effraient encore. J'ai beau savoir que l'on déneige l'ensemble des voies de circulation, il n'empêche. Rien n'y fait... Si tu souhaites venir me voir, tu seras la bienvenue. Avec ou sans Rémi, d'ailleurs. Je sais qu'il est là, et que vous êtes mariés. Ma foi... C'est ainsi. Et pardon, encore une fois, pour ce ton à son endroit, mais que dire ? Toutes ces fois où tu as pleuré au téléphone parce que tu te sentais seule, n'était-ce pas le signe d'un trop plein de mépris que tu ne pouvais plus supporter ? Je te le dis encore une fois. Tu es Liberté. Cendrillon (9058 espaces)
Contribution du : 13/12/2019 22:11
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Maître Onirien
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29/01/2013 15:18 Groupe :
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je ne fais pas de commentaire, comme demandé par tous les artistes avant minuit ; mais je suis en admiration devant toutes ces plumes inspirées !
Contribution du : 13/12/2019 22:55
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Re : Défi n°1 : Une dispute, des chutes de neige ? Une nouvelle... |
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Organiris
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Et voilà ! 10 nouvelles !
Celle de Papipoète est un peu courte, mais on la prend quand même On a, par ordre d'apparition : Dugenou Luz ours hersen Tiramisu Davide cristale plumette Lulu papipoète
Contribution du : 14/12/2019 00:07
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Personne n'est Étranger sur Terre. |
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Re : Défi n°1 : Une dispute, des chutes de neige ? Une nouvelle... |
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Tiramisu "Chaud froid" : votre dispute tient plus du désaccord que de la scène de ménage... bonne approche du thème, plus subtile. Une fois le contexte de ce désaccord posé, au cours de celui-ci, vous y revenez sans cesse, jusqu'à ce qu'Emilie et Théo, rattrapés par la réalité, soient moins centrés sur leurs petits problèmes et interrompent leur apparté intimiste. La nouvelle est aérée, et se lit facilement.
Contribution du : 14/12/2019 00:08
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