Les rêves nous rendent meilleurs:

Je regarde des revues d’art avec Léonore et peut-être Anne-Sophie. Ce sont des revues luxueuses en très grand format où sont reproduites des peintures de maîtres avec une technique d’édition extraordinaire qui donne même le grain de la peinture. Je vois une toile de Gustave Eiffel qui représente une chaise en bois toute simple posée devant un mur bleu gris. Le dossier de la chaise est démesurément haut et le plateau du siège est émaillé d’une multitude de taches de couleurs en à-plat sont comme le témoignage du peintre qui a voulu reproduire sa sensation de la lumière qui se reflète sur la chaise. Il y a de nombreuses teintes désordonnées comme sur une palette de peintre: orange, marron, bleue, rouge, violacée et surtout une tache rose qui se prolonge par un trait qui dépasse du siège et se prolonge encore en une ligne verticale sur le mur. L’effet est saisissant. Marc mon frère me dit : « pour moi, ça n’est pas de l’art ! » Je ne comprends pas sa réflexion, d’autant moins qu’il s’agit d’une œuvre très figurative et fidèle, à l’exception de ce dossier exagérément long ; mais la sensation que me procure ces à-plats de couleurs est tout-à-fait exceptionnelle, sans que j’arrive à me l’expliquer. Je veux faire partager mon émotion et je demande à quelqu’un de regarder avec moi cette merveilleuse toile. Je feuillette à nouveau la revue, mais je n’arrive plus à retrouver la bonne page. En feuilletant, je tombe sur une toile plus extraordinaire encore : un groupe d’arbres dont on ne voit que les troncs sont plantés dans un espace inondé. La lumière du tableau évoque une journée claire et ensoleillée et le merveilleux, c’est que l’on voit distinctement l’eau clapoter et les taches de soleil miroiter. La revue est livrée avec une loupe et j’observe les détails du tableau pour comprendre comment l’artiste a réussi à rendre mobile quelque chose qui, par définition, est statique. J’ai beau examiner, je ne perce pas le secret. Je suis sidéré par le génie pictural méconnu de Gustave Eiffel. Puis, en fouillant dans les différentes revues posées sur le lit, je découvre un daguerréotype d’Eiffel le représentant faisant la sieste sur un divan, le bras gauche pendant sur le côté, une cigarette roulée éteinte au bout des doigts. Il sourit de contentement. Il porte des cheveux bouclés gris et une curieuse moustache maigrelette en guidon de vélo. Comme souvent dans mes rêves lorsque je regarde une photo, elle devient vivante et je le vois en couleur, couperosé comme un ivrogne et faisant des bruits de succion avec la bouche, comme s’il essayait d’extraire un bout d’aliment d’entre ses dents, après un repas bien arrosé. Je me dis qu’Eiffel avait bien le droit d’abuser de la bouteille si cela lui permettait de produire de pareils chefs-d’œuvre. Même, je me dis que c’était la condition sine qua non.

Je me suis trompé de fil, Lulu.