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Re : La mort peut bien frapper
Visiteur 
Miguel,

Votre poème faisant jurisprudence au Sorgel, peut-on annoncer que l’alternance des rimes n’est plus obligatoire en classique sur Oniris ?
Chic, Paul Valéry pourra nous côtoyer :

Assise, la fileuse au bleu de la croisée
Où le jardin mélodieux se dodeline ;
Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.

Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline
Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,
Elle songe, et sa tête petite s’incline.

Un arbuste et l’air pur font une source vive
Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose
De ses pertes de fleurs le jardin de l’oisive.

Une tige, où le vent vagabond se repose,
Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,
Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose.

Mais la dormeuse file une laine isolée ;
Mystérieusement l’ombre frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.

Le songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,
La chevelure ondule au gré de la caresse...

Derrière tant de fleurs, l’azur se dissimule,
Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.

Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,
Parfume ton front vague au vent de son haleine
Innocente, et tu crois languir... Tu es éteinte

Au bleu de la croisée où tu filais la laine.


La fileuse (Terza Rima) – Paul Valéry 1927

Quel distrait, ce Polo…

Bellini

Contribution du : 16/06/2021 23:31
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Re : La mort peut bien frapper
Maître Onirien
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Mais, je ne vois pas en quoi il n'y a pas d'alternance des rimes dans mon poème; c'est une règle à laquelle je suis très attaché, car la musicalité d'un poème en dépend beaucoup. Mais dans mon texte, qu'on me montre deux rimes féminines différentes qui se toucheraient.

Contribution du : 17/06/2021 09:45
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Re : La mort peut bien frapper
Maître Onirien
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@Bellini

et @Ithaque dont le drône a survolé nos échanges :)

Si l'un des héritiers de Paul Valéry (qui écrivait comme bon lui semble) présentait cette terza-rima à Oniris, elle serait classée en néo-classique.
Rappelons quand même que le jeu de rimes est : a b a - b c b - c d c - d e d , etc...sans condition de nombre et respectant l'alternance féminine-masculine + 1 vers final isolé rimant avec la rime embrassée du dernier tercet.

En cadeau, un exemple parfait pour terminer et laisser sa page à Miguel dont on s'éloigne du sujet qui concernait un quintil sur 3 rimes féminines identiques embrassées par 2 rimes masculines, avec toute ma reconnaissance pour sa patience et son amabilité.


À Zurbaran

Théophile GAUTIER
Recueil : "España"

Moines de Zurbaran, blancs chartreux qui, dans l’ombre,
Glissez silencieux sur les dalles des morts,
Murmurant des Pater et des Ave sans nombre,

Quel crime expiez-vous par de si grands remords ?
Fantômes tonsurés, bourreaux à face blême,
Pour le traiter ainsi, qu’a donc fait votre corps ?

Votre corps modelé par le doigt de Dieu même,
Que Jésus-Christ, son fils, a daigné revêtir,
Vous n’avez pas le droit de lui dire : « Anathème ! »

Je conçois les tourments et la foi du martyre,
Les jets de plomb fondu, les bains de poix liquide,
La gueule des lions prête à vous engloutir,

Sur un rouet de fer les boyaux qu’on dévide,
Toutes les cruautés des empereurs romains ;
Mais je ne comprends pas ce morne suicide !

Pourquoi donc, chaque nuit, pour vous seuls inhumains,
Déchirer votre épaule à coups de discipline,
Jusqu’à ce que le sang ruisselle sur vos reins ?

Pourquoi ceindre toujours la couronne d’épine,
Que Jésus sur son front ne mit que pour mourir,
Et frapper à plein poing votre maigre poitrine ?

Croyez-vous donc que Dieu s’amuse à voir souffrir,
Et que ce meurtre lent, cette froide agonie,
Fasse pour vous le ciel plus facile à s’ouvrir ?

Cette tête de mort entre vos doigts jaunie,
Pour ne plus en sortir, qu’elle rentre au charnier !
Que votre fosse soit par un autre finie !

L’esprit est immortel, on ne peut le nier ;
Mais dire, comme vous, que la chair est infâme,
Statuaire divin, c’est te calomnier !

Pourtant quelle énergie et quelle force d’âme
Ils avaient, ces chartreux, sous leur pâle linceul,
Pour vivre, sans amis, sans famille et sans femme,

Tout jeunes, et déjà plus glacés qu’un aïeul,
N’ayant pour horizon qu’un long cloître en arcades,
Avec une pensée, en face de Dieu seul !

Tes moines, Lesueur, près de ceux-là sont fades :
Zurbaran de Séville a mieux rendu que toi
Leurs yeux plombés d’extase et leurs têtes malades,

Le vertige divin, l’enivrement de foi
Qui les fait rayonner d’une clarté fiévreuse,
Et leur aspect étrange, à vous donner l’effroi.

Comme son dur pinceau les laboure et les creuse !
Aux pleurs du repentir comme il ouvre des lits
Dans les rides sans fond de leur face terreuse !

Comme du froc sinistre il allonge les plis ;
Comme il sait lui donner les pâleurs du suaire,
Si bien que l’on dirait des morts ensevelis !

Qu’il vous peigne en extase au fond du sanctuaire,
Du cadavre divin baisant les pieds sanglants,
Fouettant votre dos bleu comme un fléau bat l’aire,

Vous promenant rêveurs le long des cloîtres blancs,
Par file assis à table au frugal réfectoire,
Toujours il fait de vous des portraits ressemblants.

Deux teintes seulement, clair livide, ombre noire ;
Deux poses, l’une droite et l’autre à deux genoux,
À l’artiste ont suffi pour peindre votre histoire.

Forme, rayon, couleur, rien n’existe pour vous ;
À tout objet réel vous êtes insensibles,
Car le ciel vous enivre et la croix vous rend fous ;

Et vous vivez muets, inclinés sur vos bibles,
Croyant toujours entendre aux plafonds entr’ouverts
Éclater brusquement les trompettes terribles !

Ô moines ! maintenant, en tapis frais et verts,
Sur les fosses par vous à vous-mêmes creusées,
L’herbe s’étend. — Eh bien ! que dites-vous aux vers ?

Quels rêves faites-vous ? quelles sont vos pensées ?
Ne regrettez-vous pas d’avoir usé vos jours
Entre ces murs étroits, sous ces voûtes glacées ?

Ce que vous avez fait, le feriez-vous toujours ?


Séville, 1844.

Contribution du : 17/06/2021 10:03
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Re : La mort peut bien frapper
Visiteur 
Citation :

Miguel a écrit :
Mais, je ne vois pas en quoi il n'y a pas d'alternance des rimes dans mon poème; c'est une règle à laquelle je suis très attaché, car la musicalité d'un poème en dépend beaucoup. Mais dans mon texte, qu'on me montre deux rimes féminines différentes qui se toucheraient.

Miguel,
Tout simplement parce que Sorgel ne conçoit pas trois rimes plates successives de même genre, différentes ou non. Il respecte d’ailleurs en cela l’esprit classique largement répandu, éliminant les libertés rarissimes de quelques auteurs rebelles et volontaristes. Sorgel écrit page 32, de manière nette et indiscutable à propos des rimes, selon ses principes :

« 1/ Rimes suivies : appelées également rimes plates ou rimes jumelles.
Elles se succèdent deux par deux. »


Or Sorgel est la bible du CE d’Oniris. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?

D’ailleurs, pourquoi vous contenter de trois rimes féminines successives. Pourquoi pas quatre ou cinq dans un huitain, par exemple ? Il doit bien être possible de retrouver un quidam de la Renaissance ou d’ailleurs qui ait utilisé benoîtement cette forme. Non, franchement Miguel, vous venez de couper l’herbe sous le pied de tous les commentateurs qui se faisaient plaisir à relever les défauts d’alternance.
Vive le bordel organisé ! Je ne vous félicite pas… Frondeur, va !

Bellini

Contribution du : 17/06/2021 10:28
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Re : La mort peut bien frapper
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Considérons qu'une exception ne révoque pas la règle, que ma strophe n'est peut-être pas tout à fait orthodoxe, mais que ce n'est pas la fin du monde. Je ne le ferai plus, instruit que je suis de vos remarques. Comme quoi les échanges ont du bon.

Contribution du : 17/06/2021 10:44
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Re : La mort peut bien frapper
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Il existe une exception qu'Oniris accepte en classique, (ainsi que la formule du huitain), car il s'agit d'une forme fixe précise et reconnue : le "Zadjal" composé de quatrains, en nombre indéterminé, eux-mêmes constitués par un tercet monorime et un quatrième vers rimant obligatoirement avec le distique introductif.
Le jeu de rimes est : aa bbba ccca ddda eeea

Cette fois je me sauve ....

Contribution du : 17/06/2021 10:53
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Re : La mort peut bien frapper
Visiteur 
Citation :

Miguel a écrit :
Considérons qu'une exception ne révoque pas la règle, que ma strophe n'est peut-être pas tout à fait orthodoxe, mais que ce n'est pas la fin du monde. Je ne le ferai plus, instruit que je suis de vos remarques. Comme quoi les échanges ont du bon.

Non seulement ce n’est pas la fin du monde, mais je pense que c’est la meilleure strophe de votre poème. J’en suis encore à me la réciter sous la lune.
Bellini

Contribution du : 17/06/2021 10:55
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Re : La mort peut bien frapper
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Soyez rassuré Miguel, en ce qui concerne uniquement votre quintil, Beaudelaire écrivait des quintils en vers alternés tout comme vous dans votre poème "Le deuil du bonheur", alors au feu les règles, quintilez comme vous le souhaitez :)

Le Balcon

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !

Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m'était doux ! que ton cœur m'était bon !
Nous avons dit souvent d'impérissables choses
Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon.

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
Que l'espace est profond ! que le cœur est puissant !
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison !
Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.

Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton cœur si doux ?
Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses !

Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Après s'être lavés au fond des mers profondes ?
- Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !

Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal - Spleen et idéal

Contribution du : 17/06/2021 10:58
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Réponse aux remarques de Castelmore
Maître Onirien
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Cher Castelmore, je trouve que vous avez été un peu sévère dans votre jugement sur mon poème "La mort peut bien frapper".

Vous me reprochez quatre occurrences de "amour " (plus un verbe "aimer"). Mais c'est sur vingt-et-un vers, c'est dilué dans la masse, si j'ose dire. Relisez les stances de Rodrigue, et vous verrez combien de fois apparaissent "amour", "maîtresse", "père", "Chimène", "gloire", "honneur" ... Je crois qui si l'on s'amuse à compter les occurrences pour en faire reproche, on passe à côté du poème. Ce qui importe, c'est la vision d'ensemble, et si on ne les compte pas on ne s'en aperçoit pas. Si cela avait choqué, les autres lecteurs s'en seraient aperçus.

Vous me reprochez quatre "si" en deux vers (c'est en trois). Cela s'appelle une figure d'insistance ; il s'agit à chaque fois d'intensifier le sens des adjectifs qualificatifs, et cela a du sens.

Vous me reprochez des mots et expressions prosaïques, comme "choses" :

"Mais elle était du monde où les plus belles choses
Ont le pire destin ..." (Malherbe)

"Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ;
L'autre tombe en la nuit d'un abîme effrayant" (Hugo)

Ce sont deux exemples, parmi bien d'autres, qui me viennent spontanément à l'esprit.

"Les autres" : ce pronom indéfini s'oppose au "tu" qui a un référent déterminé : la personne aimée ; il dévalorise ses référents, il les évoque tous à lui seul, sans les nommer ; il a donc toute sa place ici.

Je ne sais ce que vous reprochez à "comblé tes jours".

Vous me parlez de cacophonies et lourdeurs. Vous alignez les syllabes sans tenir compte de l'accentuation. Ainsi, si vous prononcez "teravirata", évidemment ;mais si vous tenez copte de ce que le "ra" de "ravira" est une syllabe longue, entourée de brèves, ça change tout :
"Rien / ne te ravira / ta modes /te conquê /te" : il n'y a plus alors de "ravirata".
"ce jeune feu" : des lecteurs m'ont fait l'honneur de trouver à mon poème des accents raciniens : je ne doute pas qu'ils en aient vu un dans cette expression.
"tufusle" : encore quelque chose qui doit être lu : "tu fus / le sacré", car on ne doit pas isoler "le " de "sacré", c'est une évidence. Il ne faut pas dissocier les sonorités du rythme. Cela constitue un tout, qui est la musicalité du texte. Si on les sépare, tout s'écroule.
Je ne vois pas ce que vous reprochez à "plus qu'humain".

Enfin, je trouve complètement gratuits les jugements "surjoué" et "théâtral" (je ne savais pas que le théâtre fût une mauvaise "chose", au demeurant), pour le premier vers, qui exprime le point de départ de cet amour d'une vie, et pour l'adjectif "impitoyable", qui qualifie mieux qu'un autre la rigueur du temps qui passe.

Cher Castelmore, je suis habitué aux critiques sur Oniris, mais je ne sais cette fois quelle mouche vous a piqué, ou peut-être simplement vous étiez-vous levé du pied gauche, comme on dit ; ça nous arrive à tous. Je ne vous en veux pas le moins du monde, il n'y pas d'enjeu, mais je tenais à vous témoigner ma surprise, et surtout à justifier des choix d'écriture qui ne vous ont pas semblé judicieux.

Contribution du : 17/06/2021 11:18
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Re : La mort peut bien frapper
Maître Onirien
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Ah, ça réconforte, d'avoir le soutien de Baudelaire. Merci Cristale !
Bellini, vous habitez donc aux antipodes de L'Hérault, car chez moi à cette heure-ci le soleil brille (trop).

Le quintil est peu usité chez les classiques du XVIIe, mais je ne désespère pas de trouver ce que je cherche. Le problème est que, comme je suis en train de déménager, ma bibliothèque est dans des cartons.

Contribution du : 17/06/2021 11:30
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