Paradoxe

Le camion fonce dans la nuit noire. L'autoroute s'étire, monotone, vide, vers on ne sait où. On ne sait quoi. Il faut dire que l'un conjugué à l'autre donne à l'ensemble un avant goût de fin du monde. Au moins de disparition définitive et irréversible de l'humanité. Et franchement c'est pas le truc qui va me déranger le plus. J'aime pas mes semblables. J'aime pas leur veulerie, leur lâcheté, leurs compromis. Alors si d'un coup, ils pouvaient tous crever, moi je serais pas malheureux.
A part Marie.
Ah Marie...Marie et ses yeux noisettes. Les sourires de Marie. Je ne saurais jamais les dire. Et pourtant. Des heures à les guetter, les attendre. Et les mains de Marie, si fines. Et la bouche de Marie et ses baisers.
N'être plus que nous deux sur Terre. Marie, moi, le ciel d'une nuit étoilée.
Et procréer pour perpétuer l'espèce. Comme un con.

(848 esp comprises)

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Un vélo dans la tête


Je me souviens, quand j'étais petit, maman disait que j'avais un vélo dans la tête. Parce que je rangeais mes chaussures dans le frigo ou que j'oubliais quel jour on était. Elle me disait ça en riant mais moi je me demandais comment c'était possible, d'avoir un vélo dans la tête, ça me faisait peur. En grandissant, je suis allé dans une classe spéciale pour les enfants comme moi. Parfois, maman parlait encore du vélo dans ma tête, mais ça ne la faisait plus rire, et papa encore moins. D'ailleurs, au bout d'un moment, il est parti. En voiture.

Alors moi, j'ai ouvert la porte dans ma tête, je suis monté sur mon vélo et j'ai commencé à pédaler de toutes mes forces, si vite, si loin, que bientôt je n'ai plus rien reconnu autour de moi. Et je me suis perdu.

Vénal

"Diiiis pourquoi tu m'aimes?
- Parce que tu es belle mon amour!"

" Diiiiis pourquoi tu m'aimes?
- Parce que tu es douce et tendre, mon ange."

"Diiiis pourquoi tu m'aimes?
- Parce que tu as un sourire de rêve, mon coeur."

" Diiiiiis pourquoi tu m'aimes?
- Parce que t'as un joli cul et plein de pognon!"

(312 avec les espaces et le titre)

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Amour froid

Il est assis à côté d’elle sur le canapé. Ils regardent la télévision, c’est Roger qui tient la télécommande – c’est toujours lui qui tient la télécommande- il se sent bien. Il a réussi à l’habiller ; ça lui a pris tout l’après-midi et elle est belle dans sa robe rouge, fendue laissant voir les jarretières – foutues jarretières elles lui ont donné du mal- et puis ce décolleté mettant en valeur cette poitrine parfaite. Il n’est pas peu fier : Ava lui a coûté un bras, mais pas de regret, elle est beaucoup mieux que la vieille. Roger va se chercher une bière au frigo, demain il lui achètera ce petit haut fuchsia qu’il a vu au supermarché – et tant pis si cette foutue caissière le regarde encore de travers- Ava a besoin d’un haut correct. Il suit du regard les courbes divines de sa compagne, il descend jusqu’aux escarpins, l’un d’eux s’est détaché du pied, il s’agenouille, se saisit tendrement de la fine cheville, il réprime un frisson au contact de cette peau au grain tellement fin et absurdement froide. Roger se rassoit et maudit ces foutus fabricants qui n’ont pas encore réussi à les chauffer ces poupées.

(1132 sec)

Vacances,

Mon odorat affaibli par des années de tabagisme intensif ne m’empêche cependant pas de remarquer ce relent désagréable ; dont je ne sais d’abord pas la provenance.
Devrais-je arrêter d’écrire, de lire, pour en chercher la source ? Rien de plus agaçant que cette perspective ; il est l’heure entre loup et chien qui m’appartient, celle où les mots coulent plus facilement de mes doigts à la page et du livre à mes yeux.
Je dois pourtant reconnaître que cette situation devient pénible, voire insupportable.
À regret je m’éloigne de mon écran, j’allume la lumière et m’enquiert du pourquoi de la chose.

Oui, Touille, chat Touille en vacances à la maison pendant l’absence de sa maîtresse ; Touille , citadine, prisonnière dans mon bureau -ne s’entendant pas avec la résidente des lieux, Coquine -vient de quitter royalement sa caisse de litière…

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Pipi

Quelle nuit, bordel ! Quelle nuit ! J’ai du mal à me lever, j’ai la tête lourde : tous les signes d’une gueule de bois, alors que je n’ai rien bu. De l’orage toute la nuit, j’ai eu l’impression d’être au milieu d’un nuage électrique. Et Gaëtan il est où ? Déjà debout? Ce serait bien la première fois ! Quelle idée de se poser avec le camion à 1800 mètres d’altitude, vallée du Lys c’est le nom qui nous a attiré. Café, il me faut un café. Pas arrêté de me répéter « cage de Faraday, cage de Faraday », toute la nuit. Bon, faut que je trouve Gaëtan, même pas foutu de me faire un café, bordel…Tiens, on dirait qu’il va faire beau, pas de randonnée pour moi aujourd’hui, c’est sûr… Wouah ! C’est splendide et puis ça fait du bien cet air piquant, je me sens un peu mieux. C’est quoi, c’est cercles concentriques ? On dirait que l’herbe est brûlée, tout autour du camion… Et c’est quoi là derrière le caillou ? On dirait vaguement les chaussettes de Gaëtan, complètement cramées par-contre…

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Seul

Il y a beaucoup de vent ce soir. Trop. Du moins trop pour Octave qui l'a toujours détesté. Le froid qu'il porte, la pluie, et cette brutalité insatiable que rien n'arrête. Il n'aime que le soleil. Les nuits étoilées sur la lande. Les matins d'herbes sèches et de lumière quand monte l'odeur du serpolet, du houx et de la chaleur. Mais demain la montagne sera noyée dans l'eau. Anosmie soudaine. Le monde n'aura plus de saveur. Il lui faudra alors patienter dans son abri de pierres. Celui couvert de lichen, à l'orée de la grande forêt de pins noirs. Sa mère disait que c'était son arrière grand-père qui l'avait construit. Si longtemps avant. Octave, pourtant, y retourne, encore et encore. Parce que c'est sa vie et sa condition. Il n'y en a plus trop des comme lui par ici. Un à la Bastide, un très vieux bossu, presque mort. Et un autre au Couderc. Aussi âgé mais plus vaillant.
"Putain de vent. Putain de vie." songe t'il.

(936 esp comprises)

Plaisance

Elle n’eut aucune réaction quand elle vit son père basculer par-dessus bord. Il était là à la proue en train de ramener le foc pour accrocher le tourmentin. ça soufflait fort, et il lui avait ordonné de tenir la barre face au vent, ce qu’elle avait fait. Et puis il était tombé à l’eau et là comme si cette information n’avait pas atteint son cerveau, elle avait gardé le cap debout sur les coffres à voiles, la barre en position haute. Elle se rappelle tout : les embruns, le vent qui faisait battre les ris de la grand-voile, et malgré tous ces cliquetis de drisses sur le mât, tous ces grincements, ces sifflements, ces chocs elle avait ressenti un calme incroyable, proche, oui, proche d’un certain bien-être. Elle ne s’était même pas retournée, avait pensé qu’évidemment il n’avait pas de gilet de sauvetage. Il n’y avait plus de hurlement, plus d’ordre. Du temps qui lui parut infini s’écoula. Elle réintégra brusquement la réalité quand elle entendit derrière elle des cris étouffés, son père épuisé s’agrippait désespérément à la petite échelle qu’ils avaient, comme souvent, oubliée de replier.
(1112 sec) Pour commenter c'est ici

Anti-dépresseur

Niratu est content, aujourd’hui il va changer de nom. Le chaman ne lui a pas donné le bon à sa naissance. C’est rare, mais ça arrive. Depuis toujours il ressent comme un poids sur ses épaules, rien ne va dans sa vie, il ne chasse pas bien, il déprime, il est triste, il a même été violent avec sa compagne. C’est sûr, il doit changer de nom, le sien n’était pas pour lui. Dés demain il sera un nouvel homme, il est impatient que la cérémonie ait lieu, que le chaman lui souffle la fumée dans la figure et qu’il y lise son nouveau nom. Son vrai nom.
(562 sec)
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18 Mars à 23h 36

Ce Vendredi 18 Mars à 23h 37 j'écris.


On dit qu'on n'arrive à écrire que lorsqu'on est inspiré, et on n'est inspiré qu'à la suite d'un événement, non ... plutôt d'un sentiment, un sentiment particulier, que ce soit une profonde déception, une profonde douleur, une immense joie, etc.


Et moi, ..., c'est peut être l'amour, oui je suis amoureuse, c'est ce sentiment qui me pousse à écrire ces lignes ce vendredi 18 Mars à 23h43.


Il fait sombre, très sombre. La pièce n'est éclairée que par l'écran de cet ordinateur. Mais au plus profond de moi, je vois un autre monde, et ce monde, bien qu'il se situe au plus profond de moi m'envahit et je ne vois plus que ce monde.


En fermant mes yeux, je savoure ces petites brises qui caressent mon visage, je sens le soleil sur mes jambes et sur mes pieds nus, mes pieds nus sur l'herbe frais du matin. Et là, je respire un grand bol d'air parfumé, parfumé de lavandes et de gaufrettes au citron. Même les yeux fermés, je sens qu'il n'est pas assez sombre, pas assez éclairé non plus, c'est comme un après-midi d'été, beaucoup de nuages, des nuages orangés, mais aussi beaucoup de soleil. Non, il n'y a point de chants d'oiseaux, ni de papillons, ni des pétales de fleurs partout.


Mes sentiments quand je suis amoureuse, ... c'est ce monde. Un étrange mélange de joie et de mélancolie, mais surtout beaucoup d'espérance et de douces pensées. Car oui, ce vendredi 18 Mars à 24h 16, j'aime.