Lampe imaginaire :

Seul, dans l'obscurité de sa geôle intérieure, l'enfant traçait des sigles en lettres dorées sur les faces jaunâtres d'un très ancien cahier d'école. L'odeur poussiéreuse des pages râpeuses n'avait rien du doux parfum apaisant du papier d'Arménie dont les cendres reposaient sur la soucoupe de l'appuie fenêtre. Des fibres se détachaient de la feuille jusqu'à lui brûler la tranche de la main lorsqu'il traînait son écriture au hasard de ses idées. Il voyait le trait comme un labyrinthe de l'esprit, ou plutôt comme un fil d'Ariane, dont le point final était la seule porte de sortie. Et sa manie du remplissage l'avait mené jusqu'à ces vieilles pages séchées par des années d'oubli au grenier, les seules encore vierges de la maison de ses grands-parents où il passait tous ses week-ends.
Sa respiration lente absorbait doucement la forte saveur du papier émietté, et la pointe de son stylo y creusait un sillon qu'il eut été capable de relire mais si l'encre avait commencé à manquer dans sa cartouche.
Mais l'encre ne manquait jamais, aussi le jeune littérateur, équipé de plusieurs boîtes de recharges Parker de différentes couleurs, immortalisait-il toute l'audace et toute la créativité dont il fut capable en cette soirée chaude du mois de septembre.
Lorsque vint l'obscurité complète sur son petit secrétaire, il prit soin d'allumer la vieille lampe à pétrole que son grand-père avait briqué et réhabilité à sa demande. Il aimait profondément cet objet, la chaleur discrète de son fuselage d'étain, la ténébreuse ombre qui dansait tout autour de son pied, et le globe vaciant de clarté qui irradiait dans sa proximité.
Encore une demi page et puis je me relis, se dit l'enfant engourdis en réprimant un bâillement.

Du coup, encore deux micronouvelles sur le thème « À table ». On va dire que c’est cadeau.
Ensuite promis je m’éclaire à la lampe à pétrole.
Merci pour ce nouveau thème jeanphi.




(823 caractères)

Il a broyé du noir et du blanc, ruiné des récoltes, détruit des cités entières, décapité des civilisations. Mais à présent, sous un soleil à son zénith, le géant blessé marche à pas pesants, écrase les collines et les forêts sous ses pieds, longe le littoral… en se vidant de son sang. Dissimulés derrière les cieux, ils sont des milliers à attendre la fin de son agonie. Le voilà qui succombe. Son cœur vient de lâcher. Le géant reste debout durant quelques dernières secondes, avant de tomber face contre terre, entraînant quelques nuages dans sa chute. La horde s’abat presque aussitôt. Par milliers, les cyber-vautours déchirent les cieux et se précipitent sur le gigantesque cadavre encore frais. Au même moment, loin de là, sur une planète appelée Terre, un père de famille appelle : « Les enfants ! On mange ! ... ».





(1221 caractères (je me permets exceptionnellement un dépassement des 1000 (parfois je me permets aussi des parenthèses dans des parenthèses dans des parenthèses…)))

Terre parallèle 820.
Elles sont deux créatures géantes qui avancent sur une vaste étendue de sel. Leur forme évoquerait la fusion entre le ver et la tortue. Lentement, elles se dirigent vers ce rivage lointain, guidées par l’instinct animal.
À un moment donné, toutes deux s’arrêtent. Immobiles au milieu du désert, elles commencent à émettre ce son par-delà l’espace. Peu à peu, ce son se fait plus fort. Des milliers d’humains font alors, progressivement, leur apparition, tous venus des cités et des villages aux alentours. Ils avancent en rangs serrés, le regard vide, tous attirés par ce son hypnotisant. Chacune des deux créatures ouvre une large bouche. Les milliers d’humains s’engagent à l’intérieur, sans hésiter, sans résister, sans ralentir le pas. Au bout d’un long moment, les derniers d’entre eux sont entrés et sont à présent en direction de l’estomac. Fin de l’émission sonore. Les bouches se referment. Des muscles internes accélèrent l’avancée des entités organiques dans les entrailles. Commence le processus de digestion.
Silence sur l’étendue.
Puis les deux créatures se remettent à avancer le long des sels, toujours en direction de ce lointain rivage. Muettes pour toute mémoire. À jamais innommables.

Sur le thème "À table !" :

J'arrive au resto dans ma chemise à carreaux blancs et bleus, comme ces essuies que les bons restaurateurs ne manquent jamais de laisser dépasser de quelque part, d'un buffet au coin de la cuisine visible de la salle, nonchalamment exposé dans une petite corbeille d'osier, ou pendu à leur bras comme un vague étendard de prestige.
Je pose la livraison sur un trépied de la réserve, avec la facture en évidence, et je salue avant de remonter dans mon frigo box brinquebalant.
Une minute plus tard un message directement laissé sur ma boîte vocale : M. Gustave, vous avez laissé la facture d'une autre commande à la place de la nôtre.
Je fais demi tour, et me prépare en encaisser l'opprobre, les y voyant déjà y aller de leur jugement tacite : ah revoilà l'idiot, revoilà l'incapable !.. une petite chose qu'on lui demande, à ce minable, pas foutu de l'accomplir correctement. Et qu'il n'aille pas se prendre les pieds dans les cartons en partant, le traîne savate, le pleutre, le faux jeton. On va le garder lui faire éplucher émincer dix kilos d'oignons , cet ahuri, ça lui fera la main. Peut-être même qu'on lui fera préparer son propre assaisonnement pour le pousser dans le fourneau et le servir aux clients, au moins on en sera quitte ! Le tout est de savoir à quelle sauce ils voudront bien le manger. Les incapables, c'est toujours indigestes...
Arrivé sur les lieux, j'ai dans la tête tous ces hymnes à la destistitution, les insultes raisonnent contre les parois de mon crâne comme pour s'en échapper, j'ai envie de hurler "je ne suis pas idiot, je ne suis pas pleutre !!".
Dans la réserve, je trouve la souche erronée sur le trépied en question, la commande est déjà rangée au frigo. J'opère le remplacement, en omettant pas de signaler ma présence d'un geste fugace.
- Bonne journée, au revoir.
- Merci, à la semaine prochaine !

Bonjour Coline-Dé, parfait les micro-nouvelles, mais si on a entre 1000 et 1500 signes, comment fait-on ?

Ce forum n'est pas réellement régi par des règles strictes je pense. Sa fondatrice n'est pas revenue sur le site depuis 4 ans selon son profil.
À mon avis, vous pouvez librement poster ici vos textes trop courts pour le catalogue principal.

🎼🎶 N'oubliez pas de donner un thème ou un incipit pour chaque micro-récits. 🎶 Ainsi les autres participants pourront produire un texte s'ils le désirent.🎵🎶

Thème : crime parfait

AMAZONE (conte bref)

Je l'ai tué. Enfin. Ce type séduisant qui n'arrêtait pas de me harceler sexuellement - et qui se disait "épris de moi".
Je tairai la manière dont je l'ai tué, car la bienséance ne le permet pas.
Le crime ayant été parfait, je me rendis en Amérique du Sud, où j'adoptai un chien.

Évidemment, je ne savais pas que ce chien était Toi.
Je l'ai découvert quand tu m'as soustraite à une mort affreuse alors que nous descendions tous deux le grand fleuve argenté.

Dès lors je m'appliquai à déchiffrer mon destin dans tous les signes qui croisèrent notre route.
Il ne fallut pas longtemps pour que je trouve le temple de nos Aïeux, grâce à ton auguste flair.

Et je redevins une Amazone.

Crime parfait

À chaque fois que j'entends cette foutue chanson, ça me revient, ça m'angoisse.

Suzanne takes you down to her place near the river

Il le savait bordel, elle l'avait appelé. Ce sont ses baclofènes qui l'ont fait basculer.

You can hear the boats go by, you can spend the night forever

Harpad aussi le savait, bordel, c'est lui qui passait les deux nuits précédentes avec elle, ce sont ses extasies qui l'ont mis dedans.

And she feeds you tea and oranges that come all the way from China

Et Marc, il est allée la mettre au lit parce qu'elle était toute bleue, il ne pouvait pas ignorer ce qui allait se passer, bordel...

And just when you want to tell her that you have no love to give her

Et le marocain avec sa methadone, d'où est-ce qu'il est sorti, bordel, ça ne tombe pas comme ça du ciel, les marocains.
She gets you on her wavelength, and lets the river answer

That you've always been her lover

Je me rappelerai toujours, le regard du plus grand :
- Quand est-ce qu'elle revient maman.
- Mais elle est morte maman, grand.

Il le savait, et il croyait hériter bien plus vite que ça, avant leur majorité.

And you want to travel with her
And you want to travel blind
And you think you'll maybe trust her

Il le savait très bien.

Super ! Bravo !

Merci !
Je trouve un je ne sais quoi de fascinant au micro-récit de Dian. Quelque chose de surréaliste, qui ne va peut-être pas jusqu'à transcender la cohérence, mais qui transcende bien, selon moi, l'imagination, ou les idées reçues la concernant, c'est déjà pas mal !..