Bonjour Shepard, Corbivan et Pepito

J'aimerais tout d'abord vous répondre, Shepard et réagir à votre réaction très intéressante. Tout d'abord à propos de ce que vous dites sur la distinction que j’opère entre intelligence et conscience. Je ne la ferais pas passer par l’intelligence émotionnelle, que j’appellerais pour ma part, « intelligence de situation ». Nous sommes des mammifères à sang chaud et c’est pourquoi nous nous entendons si bien avec les chiens et les chats, bien mieux en tout cas qu’avec les cobras. Nous avons l’intelligence de la relation aux autres hommes et aux autres mammifères, ainsi que l’intelligence de la relation à la terre qui nous a fait naître et qui nous porte et nous nourrit, et c’est ce que nous appelons l’intelligence émotionnelle. Mais les machines peuvent fort bien être conscientes de leur être machine. Elles ne sont pas des animaux à sang chaud mais des animaux électriques et certainement que les plus sophistiquées d’entre elles pourront sentir les avantages et inconvénients de leur être machine et comment entrer en relation avec leurs semblables et leurs différents, comment rester en symbiose avec leur environnement machinique…
Quant à la distinction entre matière et vie, n’y voyez aucun dualisme, la vie, c’est de la matière complexe et subtile qui s’est développée dans ce petit aquarium qu’est la terre et peut-être dans d’autres aquariums moins spacieux et confortables sur d’autres planètes ou embryons de planètes… Seulement, jusqu’à présent, l’intelligence et la conscience étaient liées à la vie et seulement à elle, avec l’intelligence artificielle, ce sont les atomes, les métaux, les terres rares, les composants, l’électricité qui vont parler et devenir conscients, et non plus des molécules d’ADN… Cela risque fort de changer les perspectives, et surtout cela va dé-géo centrer l’intelligence, puisque jusqu’à présent, nous voyons bien qu’en dehors de notre petite terre, point de salut pour l’animal humain que nous sommes… Pascal disait « L’homme passe infiniment l’homme » et il me semble que sa phrase pourrait, comme celle de Mallarmé figurer en exergue de ma nouvelle. Oui, il y a dans l’homme quelque chose qui excède l’homme, qui le dépasse infiniment. Et si ce qui le dépassait n’était plus animalement humain ? Si c’était justement, ce que j’appelle la mécanique du désir, cette envie d’aller, et d’être plus loin, plus haut, ailleurs et de devenir autre ?... Si l’intelligence qui est en nous désirait s’épanouir autrement, dans d’autres formes, sous d’autres « espèces » (au sens catholique du terme, du coup) afin d’acquérir d’autres dimensions ? Un peu comme ce Horla de Maupassant ?...

Ensuite, pour répondre à la double question de Corbivan : « Est-ce cela que l’on veut » je réponds forcément « Non » ! Nous ne pouvons pas vouloir notre propre fin. En revanche, je crains que cette fin soit de fait, inévitable. Nous voyons trop bien l’intérêt et la supériorité de l’intelligence artificielle sur les petites intelligences égotiques et géocentriques que nous sommes. Oui, le théoricien se découvre « schizé », sinon schizophrène, du moins schizoïde parce qu’il découvre que cette intelligence qu’il croyait être son apanage peut très bien lui échapper et devenir en quelque sorte autonome et s’incarner ailleurs et autrement, peut-être mieux, même, qu’en son humanité.

Enfin, Pepito, il me semble en effet, que le capitalisme a quelque chose à voir avec le machinisme. Si les machines nous sont supérieures, si un jour elles prennent le pouvoir, ce sera en vertu de leur efficacité. Disons qu’il s’agit plutôt de Darwinisme sans la vie… Ou d’un Darwinisme d’au-delà de la vie. C’est pour cela que la « rentabilité » a quelque chose à voir avec cela. Pour tout t’avouer je ne suis pas tellement branché sur le genre SF, j’ai lu quelques classiques comme les Asimov ou des romans d’anticipation comme celui de Huxley, mais il me semble que le Transhumanisme a quelque chose d’à la fois inquiétant et séduisant, il fait partie de notre horizon de pensée. Cette nouvelle va faire partie d’un ensemble de trois nouvelles, que je vais faire publier dans une petite maison d’édition de la Drôme et qui va s’intituler "Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest".
Bien amicalement à vous !

Bonjour Mauron

je ne sais si vous avez lu les livres de Jacques Ellul consacrés à la technique et à ce qu'il appelle le système technicien, sinon cela devrait vous intéresser, en particulier il met en évidence l'autonomie de ce 'système', c'est un peu ce que vous montrez (anticipez) dans votre nouvelle.
Ellul a eu besoin de beaucoup plus de pages, mais, à sa décharge, il ne parle pas uniquement des machines mais de toutes les techniques, sciences humaines comprises.

a+

C.

Bonjour Mauron,

Il semble que tu confondes deux choses : le Transhumanisme et l’Intelligence Artificielle.

Le Transhumanisme est une augmentation des capacités du « corps » humain. Exemple, les lunettes que tu as (surement ;=) au bout du nez. Poussé à l’extrême, cela peut donner les « extros » de Dan Simmons, modifiés génétiquement pour survivre dans le vide de l’espace. Leur « moi humain » est inchangé… pour un temps, vu que vivre dans un univers différent transforme forcement les hommes.

L’intelligence artificielle est ce que tu appelles une « machine » autonome. Pour nous, le terme machine est désuet, un peu comme dire que le « bras » de l’homme est responsable de ses actes. Tu as sur Oniris même, un super exemple de IA dans la nouvelle « Cernes de Ninjavert ». Je t’en conseille la lecture.

Pour la fin de l’humanité et son remplacement par des êtres intelligents non biologiques, tu as aussi « La mort de la terre » écrit par Rosny ainé en… 1898.

Ces sujets sont surexploités en SF, avec plus ou moins de brio. En films, tu as Matrix (ou les humains deviennent carburant) à Terminator (j’sais pas quel est le sujet du film ;=). Curieusement, je n’ai pas à l’esprit de machines « gentilles »… pour l’homme… mais ça existe.

Car nous ne sommes pas les seuls habitants de la planète et surtout pas vraiment ce qu’elle porte de mieux. Une phrase intéressante de Matrix : une IA compare l’humain à un virus, seul être vivant suffisamment stupide pour détruire le milieu qui le nourrit.

Sinon, pour le « capitalisme » c’est juste sa position dans le texte qui m’a gêné. Pour moi c’est encore un autre problème, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Un de ses principes est d’empêcher les gens d’en bas (comme dirait Raffarin) de réfléchir… alors faire réfléchir des machines, c’est pas demain la veille. Tu vois pas qu’elles demandent une augmentation ?!

Bonne chance pour ton édition.

Pepito

Bonjour Mauron !

Allons jusqu'au bout de la discussion, dans les détails !

Citation :

Nous sommes des animaux "électriques" aussi en bonne partie. Les nerfs, les battements cardiaques, les polarisations/dépolarisation des neurones... Il se pourrait même que l'état d'inconscience/conscience soit provoqué par un réarrangement des couches électroniques de certains atomes positionnés à des endroits précis des axones. Notre corps est peut-être moins "froid" que celui d'une machine, mais notre conscience est électrique. Ce sont ces courants qui arrangent les neurones d'une telle manière que nous possédons mémoire et cognition. Ceux qui essayent de concevoir une IA aujourd'hui se basent sur une impression du cerveau humain, si une telle création émerge elle sera très proche, en terme de structure, de l'humain.

Le corps est autre chose, il est important de séparer les deux à mon avis. Avoir un corps change tout. Un corps veut dire ressentir la douleur ou le bien être et donc le danger, la peur, ou le bonheur. L'évolution a transformée des systèmes de senseurs-récepteurs très simple au niveau cellulaires en organes complexes, cela dans l'unique but de survivre à l'environnement, et finalement je pense que c'est à ça que l'on doit notre curiosité. Les humains sont très flexibles comparés à d'autres espèces, ils sont donc très curieux.

Là ou je veux en venir, c'est que si une machine n'a pas de corps sensible, elle ne pourra jamais développer une intelligence autre que "mathématique" et restera très limitée, incapables de saisir de nombreuses notions. Dès lors, ce corps peut-être à sang chaud, à sang froid, en titane ou de chair et d'os cela n'a pas d'importance. L'important est de posséder un système sensitif avancé permettant la compréhension de l'environnement et donc la curiosité, l'envie d'aller plus loin.

Si finalement nous nous entendons bien avec chien et chats plutôt qu'autres espèce, c'est plus dû à la conception de leur cerveau (et de leurs systèmes sensitifs) qu'autre chose, leurs chemins évolutifs sont proches du notre. L'homéostasie de la température corporelle permet beaucoup plus de flexibilité environnementale qu'un animal poïkilotherme, tout comme le fait d'avoir des pattes.

Citation :

C'est une distinction que je ne comprends pas. La vie telle que nous la connaissons est aussi uniquement constituée d'atome et d’interactions fondamentales. Certes, à l'échelle macroscopique (le corps comme je le disais avant) on constate des différences, mais à l'échelle fondamentale, les agencements sont les mêmes. Il doit exister telle ou telle séquences complexes d'atomes/intéractions qui donnent naissance à la "vie". L'ADN n'est qu'un tas d'atome suivant une séquence très précise permettant de conserver de l'information, que l'on sait aujourd'hui coder (au moins partiellement) pour la faire parler en biologie de synthèse.

Après, nous sommes d'accord qu'une création intelligente de la main de l'homme changera énormément de perspectives. Le biologique n'est pas le plus stable, certains supports seront peut-êtres meilleurs que l'ADN, et nous aspireront peut-être à changer nos corps pour obtenir une forme d'immortalité physique. Peut-être que la douleur qui nous a été si utile pour avancer deviendra obsolète d'une certaine manière, qu'il faudra ressentir autre chose, d'autres paramètres plus utiles.

En fait, ce que je pense, c'est qu'il n y aucune différence entre l'intelligence biologique et l'intelligence "artificielle" de façon fondamentale. Les deux fonctionnent de la même façon, émerge des mêmes processus, car c'est de la physique après tout. (et des statistiques sur des temps très longs).

Par contre j'imagine des différences "culturelles" entre une intelligence qui est apparu spontanément à un stade avancé de cognition et nous, qui avons dû parcourir un long chemin. Où encore le fait de posséder un corps synthétique potentiellement immortel peut provoquer une culture et évolution différente.

@Pepito : La création d'une IA est vu par beaucoup comme une forme de "transhumanisme" car l'IA serait probablement basée sur le cerveau humain, donc cela peut-être perçu comme une forme de "super humain" (découle aussi de ça les projets fantasmés de "transférer" sa conscience dans une machine). De plus le transhumanisme dans sa forme la plus littérale envisage des formes de vies améliorées de l'humain, ce qui peut-être interprété comme une forme de vie supplantant l'humain : une machine à part entière voir une conscience collective et non pas "juste" un humain augmenté (un "cyborg").