Merci pour vos lectures et à Donaldo, maria, socque, hersen, Corto, Yannblev et matcauth.

J'ai passé dix-huit ans de ma vie dans un centre d'appel, trois ans d'abord comme enquêteur, avant d'évoluer comme écouteur, superviseur et autres fonctions.

La responsable de l'établissement a rapidement regretté ma promotion. Les excès, brimades et pétages de plomb des superviseurs décrits dans la nouvelle étaient bien connus et tolérés, voire même tacitement encouragés. Je ne faisais pas l'affaire dans l'ambiance nazie, on m'a rapidement reproché d'être "trop gentil" (et syndiqué qui plus est...), comme si parler correctement quelqu'un était une faute professionnelle...

Je ne peux pas citer le nom de l'institut de sondage, même en commentaires, parce que je suis en justice avec eux depuis deux ans. Ce n'est pas une petite structure de téléprospection, chez qui le management nazi est fréquent, mais une société qui a pignon sur rue et spécialistes sur plateaux télé... D'où l'énorme décalage entre leur communication high-tech et leur jargon franglais débilitant et la réalité de leurs pratiques de production...

Marx parlait des chômeurs, et du lumpenprolétariat en général, comme de "l'armée de réserve du capitalisme". C'est toujours le cas aujourd'hui : on met la pression aux personnes qui exercent des emplois peu ou pas qualifiés, avec des contrats contraignants, quitte à les épuiser, les faire partir ou les conduire au burn-out. Le message est clair : on vous remplace en 24 heures, il y a du monde qui frappe à la porte... Je me rappelle encore le jour où, en ouverture de la réunion des IRPS, le DG nous avait sorti, par pure provocation, qu'on coûtait trois fois plus cher qu'un Roumain et cinq fois plus cher qu'un Malgache...

Les foudingues libéraux, qui n'en sont pas à un concept délirant près, ont inventé dans les années cinquante-soixante le concept du Nairu. Il est peu connu du grand public mais vous trouverez le sigle dans de nombreux documents de la Commission européenne par exemple. Pour simplifier, c'est le taux de chômage acceptable (ou souhaitable) pour que le profit se fasse dans les meilleures conditions, c'est-à-dire au meilleur taux mais sans révolte sociale.

Le cauchemar du banquier et du capitaliste, c'est l'inflation : s'il prête à 10% et que l'inflation augmente les années qui suivent, il risque de ne pas s'y retrouver à 5 ou 10 ans. La façon la plus simple de limiter l'inflation, c'est de limiter la demande intérieure et en priorité celle des pauvres, car dans cette catégorie toute augmentation de revenus sera dépensée et risque de faire flamber l'inflation.

Le Nairu, c'est donc l'art de faire en sorte que les pauvres restent pauvres, par le chômage de masse, la précarité, les contrats merdiques, les allocations diverses et variées et le RSA : un bien beau projet de société (on appelle ça politique d'austérité), suivi avec zèle par tous les gouvernements depuis le gel des salaires de Mitterrand en 83... Qui pèse sur les emplois les plus ingrats et les moins bien payés et détruit l'appareil industriel depuis quarante ans (parce qu'on peut toujours trouver du travail à bas-coût ailleurs...)

Je ne suis pas négatif, je suis marxiste et donc révolutionnaire (c'est totalement différent :)

Merci pour vos lectures !

Bonjour Alcirion,

merci de ton retour sur ce texte. Et merci beaucoup sur les mots que tu mets ici, qui vont plus loin.
Ouvrir les yeux, s'il en était besoin.
Avoir une place consciente dans la société.

Bonjour Alcirion,

Merci pour ton retour.

Dans la ville où j'habite, une plateforme téléphonique est un des principaux employeurs et propose des CDD, à la chaine, si j'ose dire.

Je ne me revendique pas marxiste, mais comme il avait raison : "le propre du capitalisme est de créer des travailleurs surnuméraires", a t-il écrit.

Bonjour Alcirion,

Vous évoquez ici mes onze ans de vie professionnelle : intérim, cdd (15 mois maxi), primes de risques inexistantes, conditions de travail exécrables, malaises respiratoires, eczéma de contact en manipulant de l'acide sans protections adaptées, horaires abusifs, jeunes diplômés dont c'est le premier boulot qui vous traitent comme un chien, prudhommes, assedics sucrés par l'employeur, et ce foutu RSA... la vie quoi !

@Hersen : j'ai lu dans ton com que des centres d'appels français s'intéressaient au Portugal... Il y a quelques années, c'était la Roumanie, parce que beaucoup de Roumains parlent français et que le droit du travail est une blague dans les pays de l'est...

@dugenou : les hommes politiques ne peuvent rien y comprendre : ils n'en font pas exprès, ils viennent d'un autre univers pour la plupart et ont le cerveau conditionné par leur éducation, les grandes écoles, et le milieu dans lequel ils évoluent. S'ajoute une paresse intellectuelle qui elle est plus moderne : les "grands serviteurs de l'Etat", ça n'existe plus. J'aime beaucoup l'expression d'Emmanuel Todt qui parle de "crétins diplômés"

@maria : ma citation préférée de Marx (il avait un sens de la formule redoutable)

Le Capital a horreur de l’absence de profit. Quand il flaire un bénéfice raisonnable, le Capital devient hardi. A 20%, il devient enthousiaste. A 50%, il est téméraire ; à 100%, il foule aux pieds toutes les lois humaines et à 300%, il ne recule devant aucun crime.

C'est malheureusement toujours d'actualité...

Merci Alcirion pour ce commentaire enrichissant.
Et bravo encore pour cette nouvelle.



Don

Alcirion : c'est normal... pour reprendre une formule, on est la conséquence de ce qu'on a vécu et d'avec qui on l'a vécu.

Une autre façon de dire que les politiques n'ont pas de vécu ? À voir.

Merci Tiramisu pour ton passage !

Tu as raison, j'aurais pu aller plus loin sur certains thèmes et notamment les relations de solidarité et de résistance qui se développent tout de même en milieu hostile :)

C'est finalement l'ambiance qui m'a fait rester. Les relations étaient plus proches de l'atelier que du service. Au fil des ans, j'ai pu remarquer que les gens commencent à se prendre au sérieux, à fonctionner selon d'autres mœurs, au niveau des professions intermédiaires (je ne parle évidemment que de ce secteur de service spécialisé).

J'aurais pu définitivement entrer dans le Game en demandant un poste au siège, mais les cadres que je croisais ne me donnaient vraiment pas envie. :)

Hello Alcirion,

Je n'avais pas lu tes explications avant de faire mon commentaire.
C'est noir ce que tu dis, mais c'est réaliste malheureusement.

Lundi, sur France culture, dans l'émission les pieds sur terre, il y avait justement le témoignage d'une jeune femme qui a travaillé dans un centre d'appel, elle racontait exactement ce que tu relatais dans ta nouvelle. Il y avait aussi les applaudissements des bien notés et tout le monde devait applaudir même si on trouve ça ridicule, il fallait appuyer sur les boutons spécifiques pour aller faire pipi, ou pour aller faire une photocopie, ou faire une fausse, chacun était minuté ...Un jour comme Estelle, elle s'est tirée ...

Oui on est dans du lumpenprolétariat, oui le chômage arrange les entreprises, cela permet de faire baisser les salaires (le jeu de l'offre et de la demande de travail), cela permet aussi de manager par la peur. C'est glaçant.

Effectivement, avec ton expérience, tu pouvais aller beaucoup plus loin dans ta nouvelle. En tout cas, je te remercie pour cette lecture et tes explications.

A te relire avec plaisir ..

Merci SaulBerenson pour ton passage.

En effet, on a toujours l'impression d'être agressé par le démarchage téléphonique. Pour ceux qui travaillent dans un centre d'appel, c'est pire et multiforme :)