L’étage 44 est une voie d’accès menant à un refuge
de montagne. Une tempête y fait rage en permanence.
Cette tempête est constituée d’une étrange matière
rappelant à la fois la neige, la cendre et le sable.
Parfois, seulement parfois, il s’agit simplement
de pluie. D’orage et d’ouragan sur les hautes roches.
Le vent souffle de toutes ses forces – le refuge tient bon.

À l’intérieur de ce refuge, explorateurs et exploratrices,
ombres errantes et anonymes, anges perdus, anges gardiens
et enfants des étages disparus, peuvent venir s’y abriter.

L’une des fenêtres de ce refuge donne sur un autre monde :
une chaîne de montagnes silencieuse, un paysage en paix, un
ciel coloré de lune ou parsemé d’étoiles. À noter que l’une
des portes intérieures du refuge mène également à ce monde apaisé.

Ainsi le refuge perdu devient chalet, le long des grands mystères,
au creux des montagnes stellaires, et l’on dit que la nuit,
chiens et cerfs, loups et renards fantômes se rapprochent,
intrigués, comme s’ils redécouvraient la lumière.

L’étage 44 et des poussières brille par son absence.
Issu du 44 par voie de conséquence, il n’est que l’ombre de lui-même.
Les reflets de ses occupants sont marqués du sceau de la quintessence, leurs deux bras augmentés d’un effet de manche à balai, leur pied de grue patientant et jouant la montre du doigt .
Il peut arriver que des broutilles se déposent sur les poussières, et vice et versa, en strates successives.
Les carottes qui en témoignent font l’enthousiasme d’archéologues dont les pinceaux s’emmêlent au moindre étagement.
Situation rien moins que désopilante au regard des agents de propreté et autre technicien de surface pilée.

[Étage 44 et des brouettes, alias étage des Brr...]

Après l'Âge du Feu et celui de la Hache de Pierre, voici venu l'Âge du Congelé sur pieds.

Librement inspiré par l'étage Zzz, l'étage 44 et ses quelques brouettes est l'étage des Brr...

Derrière les portes closes il gèle jusqu'à ce que l'os s'émerveille, au point parfois d'en perdre les oreilles qui finissent par tomber de leur belle mort quand la bise fut venue.

Entre le blues du foie gras des oies devenues sédentaires, et les ouailles du village d'à côté qui interrompent sans cesse leurs prières du soir pour se mêler de ce qui ne les regarde pas, vulgairement parlant, on se caille les miches ici !

Ce qui ne manque pas de refroidir jusqu'aux flammes de l'enfer. Créant un embarras parmi les habitants de la plate-forme haut perchée en proie aux piques acérées de l'hiver.

Ils auraient préféré décrocher la timbale et gagner le cocotier sous des doux alizés, que d'être retenus par des taux d'intérêts exorbitants dans les courants d'air glacés d'un étage oublié des dieux.

Saint James Enedis alias Linky, le patron des joules ambiants, leur avait pourtant promis des Kwh à bas prix en veux-tu en voilà. Surtout, avait-il précisé dans un murmure inaudible, des Kwh en pagaille, oui, mais durant les heures creuses seulement. Ah, la canaille !

Le problème c'est que les heures pleines remplissant bien mieux les poches, James ne s'est pas embarrassé très longtemps de ses promesses de raser gratis. En deux temps trois mouvements, il plia ses bagages chargés d'or et s'enfuit en jet privé vers des chaudes contrées prisées par les vips de la high society.

Libre aux étages supérieurs de tailler sur mesure la morale a des couettes de cette histoire. Si morale, toutefois, il doit y avoir...

L’étage supérieur l’est par conviction et sans ciel.
Il se drape dans sa dignité depuis le passage artistique de Christo, sauvé du moral de ses troupes par des Gauloises sans et des tiges de 8 distribuées sous le manteau neigeux.
Le pli étant pris sans froncer un sourcil, on fume du chapeau pour tisser des mensonges biaisés recevables en haut lieu.
On taille la bavette à cru pour en nourrir les plus crédules, et de la chaire à canon un prêtre chante le motif du renvoi qu’un cœur contrepointe en battant la chamade.
La hauteur de vue permet sans désescalade de faire des projections à plusieurs centaines d’étages.
On sait par sérendipité que les prochains seront plus haut ou ne seront pas.

[Étage 45]

L'étage 45 ou 1945 comporte uniquement un artefact qui se trouve là en commémoration de l'armistice du 8 mai de la même année.

Un graffitis à l'arrière indique simplement :

"Autant de morts de guerre depuis, entre 1945 et 2010, shoah compris."

Personne, le vide et le silence jusqu'à ce que l'ombre ait tiré son faisceau de lumière dans les yeux des statutes.

[Étage 45 et des poussières d’étoiles]

ATTENTION SUPERNOVA

En une fraction de seconde, le cœur de fer ayant atteint une masse critique s’est effondré sur lui-même.
L’explosion qui suit est alors plus lumineuse que deux cents milliards d’étoiles.
D’ici un certain temps, de tous ces éléments donnés par le chaos, des êtres feront leur apparition.
Le calcium constituera leurs os. Le fer sera dans leur sang. L’oxygène dans leurs poumons. Le magnésium dans leur carré de chocolat.

ALERTE INFO

La chambre 891 tiret 4 de l’étage 46 est une passerelle inter-dimensionnelle menant à un gigantesque ensemble de mécanismes imbriqués,
constitués de métal et de matière organique. Tous vos organes y sont prélevés. Tout votre corps est dispersé, redistribué, réaffecté. Les vaisseaux
de votre système sanguin y servent de câbles de circulation des fluides reliant un mécanisme à un autre. Le moindre de vos os, la moindre de vos
cellules, est à présent l’un des composants d’une immense et incompréhensible structure. Une petite part de vous est devenue sable.

Renaissance possible à l’étage 46.2 (à condition d’être passée par la chambre 889 tiret 2).

L’étage 47 est une route sans fin, au bord de laquelle, à intervalle régulier,
l’on trouve une cabine téléphonique, qui s’avère également être un ascenseur.

Chacune de ces cabines mène à un étage différent. Tous les cent kilomètres,
l’on peut accéder à l’étage 48 via une cabine marquée d’une flèche.

Note 1 –
Les cabines changent périodiquement de couleur, voire de forme.

Note 2 –
Le ciel offre régulièrement de bien étranges météos.

Note 3 –
Étant une voie d’accès pour possiblement l’ensemble de tous les étages, l’étage 47
contient une cabine menant à lui-même. Le temps de trajet est cependant de plusieurs milliers d’années.

Note 4 –
Sur cette route sans fin, on peut y croiser un homme fait d’argile et d’énergie blanche.
Si vous voulez appeler quelqu’un, il pourra vous aider. Demandez-lui n’importe quel numéro, il vous le donnera.
Versez une poignée de vos souvenirs dans la paume de sa main, et il vous parlera de son univers d’origine,
d’un espace-temps balayé par un océan de chaos, avant de conclure sur cette phrase que vous garderez en vous,
ces derniers mots confiés avec tristesse : Certains étages sont si fragiles…

[Étage N – À l'ombre de Râ]

Situé au septentrion, l'étage N est celui où le temps joue à parts égales entre l'ombre et la lumière. Le jour et la nuit se disputent l'espace à intervalles réguliers. Six mois l'un, six mois l'autre. Ainsi en a-t-il été décidé en haut-lieu.

L'étage N est la réplique exacte d'une journée terrestre à grande échelle. Ainsi, le jour qui se lève peut prendre jusqu'à six mois calendaires pour que le soleil atteigne son zénith. Six autres mois lui seront nécessaires pour faire le tour de la nuit, crépuscule compris.

Il faut être capable de se glisser dans la peau d'un Inuit pour comprendre tous les états d'âme qui exultent dans cet espace privilégié. Notamment, le choc des aurores boréales qui explosent leurs couleurs dans le noir époustouflé, telles un immense Soulages (*) sidéral.

Pour vivre en un lieu pareil, il faut avoir une appétence pour les extrêmes. Il faut aussi que dans son karma préside une bonne et belle étoile, ainsi qu'une bourse bien garnie d'espèces sonnantes et trébuchantes. Car ici, pas de bois pour se chauffer l'hiver...


(*) Pierre Soulages

À l’étage N+1, on se doit de porter la casquette de traviole.
Non pas que la droiture soit une faute de mieux, mais chacun observera une tendance naturelle à bifurquer dès son installation.
La déviance s’adopte comme un chien ou un T.shirt à la mode.
Elle se tient en laisse, aussi.
Il est également possible de la museler par des lignes droites, mais elle finit toujours par sinuer entre les gouttes.
On peut alors s’adresser aux redresseurs de tords mais tous ceux de cet étage ont déjà endossé sans succès le corset.
Venu tout droits de l’étage N, ils se tordent de rire à la vue du moindre contourné déjà en place, ça ne fait pas un pli.
Cagneux, braques, quinteux et gauchis côtoient le paradoxe avec l’enthousiasme retors des quinteux de la première heure et pourtant toujours en retard d’un tourment.
On voudrait se tourner vers les récalcitrants droits dans leurs bottes pour les accuser de probité candide, mais la justice a tôt fait de les corrompre.
Autant ne pas s’installer à demeure à ce niveau, tout bien considéré.