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Défi de nouvelles No 10 - Excès - Les récits |
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Expert Onirien
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16/09/2017 05:16 De Québec, Canada
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La maison sur la falaise
Quel merveilleux rêve ! Je vole comme un oiseau au-dessus de la mer, je virevolte, je tourne en tire-bouchon, je monte très haut et je chute vers le bas à toute vitesse sans aucun vertige. Je poursuis mon envolée en planant près des flots, je tends ma main pour claquer le sommet des vagues en éclaboussure, je ralentis, je suis les crêtes et les creux en observant le fond de l’océan au travers des eaux. Je m’arrête, je plonge, je pique vers les profondeurs, je nage comme un dauphin, j’admire les coraux, les anémones, les poissons multicolores, je côtoie une tortue de mer, je remonte à la surface pour sauter hors de l’eau et je retombe sur un amoncellement de détritus flottants. Je patauge parmi les déchets, mes pieds s’y emmêlent, mes mains s’y frappent et le tout m’empêche d’avancer, de me sortir de cette masse qui m’aspire comme des sables mouvants. Je veux crier à l’aide, mais des débris emplissent ma gorge et me suffoquent, un miasme boueux qui m’immobilise. Je suis entraîné sous elle, je rejoins les poissons qui gobent les fines particules de plastique, les tortues qui mâchent des films de pellicules et les crustacés emprisonnés dans des sacs. Ces amas m’entourent, m’étouffent et m'enchaînent. Dans un immense effort, d’un puissant coup de jambe, je m’extirpe du filet et je retrouve l’air libre dans un saut. J’atterris sur un cap rocheux, sur le faîte d’une falaise d’où je vois à mes pieds s’étendre toute cette accumulation jusqu’à l’horizon. Le soleil ardent brille et m’assèche aussitôt. Il est cependant si chaud que les résidus de plastique fondent sur moi, formant des coulisses qui me brûlent. Les rayons rougissent ma peau, je sens qu’elle grésille, il faut m’y soustraire, je dois me cacher de cet astre, autrefois bienfaiteur. Je cherche un abri, il n’y a que des pierres et des rochers. Je me retourne et j’aperçois la maison de mes rêves. Deux immenses baies vitrées pour admirer le paysage, plusieurs pignons lui donnant un charme rustique, des murs en clins de PVC turquoise, un toit en terre cuite rouge et comme une invitation, un large escalier de marbre blanc qui se déroule depuis le portique ornementé. J’y accours, je grimpe ces marches, j’ouvre la porte, j’y pénètre et je retrouve la fraîcheur. Les murs intérieurs sont de couleur coquille d'œuf, la salle de séjour est meublée de sofas contemporains de formes arrondies couleur crème et d’un écran plat géant muni d’un système audio immersif. Je peux y choisir à mon plaisir une infinité de chaînes, de films et de jeux sur demande. Une salle à manger se trouve à la seconde baie vitrée, où y trône une grande table en bois d’ébène et d’acajou. Mais tout ceci n’est rien comparé à la cuisine entièrement plaquée d’armoires remplies d’aides culinaires : cuisinière, four à micro-ondes, génératrice de glaçon, mélangeur de boisson frappée, machine à café et cappuccino, grille-pain, friteuse, gaufreuse, autocuiseur, mélangeur, malaxeur, batteur et batterie de cuisine émaillée en céramique. J’ouvre le réfrigérateur et j'y découvre une abondance locale ou exotique de fruits, de légumes, de viandes, de poissons, de fruits de mer, de repas préparés, de boissons sucrées ou alcoolisées, le tout excite mes papilles et me font saliver. Des aliments facilement disponibles au marché du coin ou par livraison à la porte, sans devoir les cultiver, les cueillir, les élever, les abattre, les pêcher, les apprêter ou les cuisiner. Je monte à l’étage où m’accueille une salle de bain de toute splendeur avec bain-tourbillon, douche massage, lavabo, bidet, cabinet d’aisance en porcelaine émaillée blanche avec robinetterie de chrome étincelant. De l’eau potable à profusion, chaude, froide ou tempérée sans effort, les eaux usées qui disparaissent d’un coup de manette ou de robinet. Je me retourne pour découvrir dans la chambre un immense lit douillet en baldaquin jumelé aux draperies diaphanes des fenêtres. Mais le décor ne me plaît pas, il n’est plus à la mode des revues de design intérieur, j’arrache les draps, les rideaux, les moquettes, j’ouvre la fenêtre et y balance le tout dehors. On sonne à la porte, je descends et j’ouvre, la nouvelle décoration de chambre que j’ai commandée est livrée. Mon cœur débordant de bonheur, j’amasse le tout dans mes bras et je cours à la chambre pour la redécorer. Tout ce travail et cette excitation m’échauffent, je prends la télécommande et j’ajuste la température des lieux au toucher d’un bouton. Je peux sans me restreindre facilement chauffer ou climatiser toutes les salles. Quel merveilleux mode de vie, sans tracas, à l’abri du besoin ! Comblé, j’admire le panorama depuis une de mes baies vitrées. Je remarque la mer qui s’agite au pied de la falaise, je constate les nuages gris menaçants qui couvrent l’horizon. Ils avancent, cachent le soleil, se zèbrent d’éclairs et se parent de longs rideaux d’averses. Je me dirige à la halle d’entrée, je veux aller à l'extérieur pour observer ce paysage déconcertant. Il n’y a plus de poignée à la porte. Avec soucis, je parcours toute la maison à la recherche d’un moyen pour sortir, il n’y a aucune autre issue et toutes les fenêtres sont coincées. Je regarde l’orage qui s’approche indubitablement, qui souffle de puissants vents, qui pousse de hautes vagues sur la falaise. La pluie tombe soudainement en trombe sur le toit et contre les vitres. La tempête passe à l’ouragan, détachant des tuiles de la toiture, l’eau s'infiltre et s'écoule le long des marches. Horrifié, je suis témoin du bloc de roc qui se décroche de la falaise et qui emporte ma maison de rêve vers les eaux. Les vagues la broient et les débris m’entraînent vers les abîmes profonds.
Contribution du : 10/05/2023 04:43
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