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Sur Psychotique Apocalypse
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Bonjour,

Je prends enfin un moment pour remercier chaleureusement le Comité et mes quatre commentateurs.

Chère socque, merci pour votre commentaire, comme toujours très juste. Ce que j’aime dans le poème de Wordsworth, c’est sa définition du poète comme celui qui est capable non seulement d’apprécier la beauté de la nature, mais encore de la reproduire, de s’en souvenir quand il est chez lui, allongé sur sa couche. C’est lui dont il est question dans la dernière phrase de mon texte, qui devait à l’origine servir de présentation en exergue des « daffodils » avant de se développer considérablement.

Lunar-K, je suis honoré par l’intérêt que vous avez porté à ce texte. Vous avez très bien compris globalement mes intentions et pour préciser, je dirais que je ne fais appel ni à Freud ni à Nietzsche, mais comme l’a deviné socque (oh, c’était facile, elle me connaît déjà :) uniquement à René Girard, cet anthropologue aussi peu connu qu’essentiel pour comprendre les relations humaines, les troubles mentaux, les guerres mais aussi les religions primitives et secondes ainsi que la folie qui s’est emparée du monde moderne. Vaste programme qui n’a besoin que d’une seule hypothèse quand les psychanalystes sont obligés de postuler un nouveau complexe, un nouveau concept dès qu’ils assistent à l’apparition de nouvelles formes sociales ou psychologiques...

Ce récit biographique se propose d’exposer les conditions de la genèse d’une psychose au travers du progrès et de l’aggravation du désir mimétique, qui est d’abord le fait d’une relation père-fils. Les fils sont toujours mimétiques, d’où une légère rivalité avec le père ; mais d’habitude, les (bons) pères éduquent leurs enfants, ce qui revient à leur montrer d’autres modèles à imiter, à éduquer leur volonté et à leur intimer des ordres aussi rudimentaires que « ça suffit » par exemple. Ici, le père (faux père ou imposteur donc) imite à son tour le fils ; d’où une montée de part et d'autre du désir d’être celui qui inspire du ressentiment à l’autre et de la rivalité jusqu’à la violence. C’est un conflit métaphysique, et c’est à qui détruira l’autre.

Comme ce père se résume à son désir (d’où le symbole du feu) d'empêcher le fils d’être lui, le fils désire mécaniquement être son père à la place de son père pour devenir celui qui inspire à l’autre le désir d’être l’autre. En tuant finalement son rival, en se détournant de la fascination du feu vers un mur, symbole par excellence de l'obstacle, ce qui n’équivaut pas selon moi à l’accomplissement d’une pulsion oedipienne, car l’Œdipe n’est qu’un cas particulier de l’hypothèse mimétique et qu’il ne s’agit ici nullement de posséder une mère par ailleurs absente (la thèse selon laquelle le fils désirerait sa mère me semble délirante entre parenthèses), il devient son propre rival. C’est une étape importante de la genèse de sa psychose : le sujet est double, et comporte en lui le conflit entre son père et lui-même, comme Norman Bates dans le film d’Hitchcock.

Les péripéties qui suivent décrivent selon moi l’aggravation du désir mimétique et l’implacable chute du héros. La psychiatrie elle-même n’aura pas raison de la psychose du sujet, comme il se doit puisque les psychoses sont inguérissables (on ne peut que les soigner). C’est là qu’intervient le recours aux évangiles et notamment l’épisode où un homme vient crier devant Jésus que celui-ci est dangereux et va faire s’écrouler son monde. C’est peut-être un fou, mais un fou qui a compris, tout comme Girard, que la révélation évangélique a, dans son effet destructeur, le pouvoir de dénoyauter le religieux primitif et de provoquer des guerres apocalyptiques (ce qui rend son aspect bénéfique nécessaire à la survie de l’humanité). On dirait peut-être aujourd’hui que l’homme a une crise d’épilepsie. L’auteur du texte l’interprète comme une possession par des démons. Ensuite, Jésus lui dit « sors de cet homme », et ce dernier, poussant un cri, se trouve libéré de ses démons (il est « guéri ».) J’ai utilisé cette identification du trouble mental et de la possession démoniaque pour construire le récit, qui culmine dans le dialogue de l’Ange exterminateur "arrivé à maturité" avec les oiseaux, moins anges que véritables autorités divines. Venant à la rencontre des oiseaux en toute hostilité et fanfaronnade cachant tout de même l’espérance d'être libéré de son fardeau (d’où la petitesse suffisante du signe qui le pousse à sortir de la cave), le sujet peut être exorcisé de façon spectaculaire, sa duplicité étant pleinement révélée dans l’ordre intimé par les oiseaux « sors de cet homme » (ils parlent au père) « et pose un genou à terre » (ils parlent au fils). Cette coexistence du singulier et du pluriel coïncident avec celle des oiseaux eux-mêmes quand ils évoquent sa descendance et non "leur" descendance, à savoir les poètes, une race inspirée qui vient révéler la beauté du monde à l’humanité routinière.

Concernant la fin, il n’y aura pas de reproduction d’après moi car l’ange exterminateur, constitué d’une dualité et d'un désir de détruire le monde, a été détruit. Le héros ne se trouve pas non plus en situation de brûler (de désir (d’être(important))), ni d’avoir des enfants, dans ce monde où l’élément féminin n’est pas même évoqué : il est seul avec sa pioche et son savoir-faire élémentaire, transmis inextremis, pour réaliser un travail qui le dépasse et qu'il ne comprend pas. Mais ce n’est Sisyphe avec son rocher absurde, c’est plutôt Candide avec sa morale du jardin. Ce n’est pas un châtiment divin mais une rédemption par le travail. Le héros reçoit la mission divine de se transcender lui-même en créant ce qu’il ne peut pas comprendre, dû à sa parfaite inexpérience de l’amour et de la beauté, mais qui sera donné à (la vue de) ceux qui seront capables d’admirer le champ de jonquilles (appelées aussi narcisses dorés).

L’apocalypse, qui devait être déclenchée par l’Ange exterminateur, en tant que destruction du monde, a pu être évitée. L’apocalypse en tant que révélation, c’est à la fois la crise d’identité du héros, la soumission d’un égaré à des anges (l'Agneau qui triomphe de la Bête) et l’établissement d’un lien sain, inter-générationnel, vertical, entre le père et le fils, bref mais déterminant, puisqu’il lui apprend à travailler donc à trouver sa place dans le monde.

Concernant l’aspect absurde que vous relevez, ce n’était pas du tout dans mon objectif. Le comportement du héros devient absurde, ou plutôt de plus en plus pathologique, mais j’ai voulu que tout le texte soit transparent et construit sur l’aggravation du désir et donc de l’état de santé du narrateur, depuis le moment où il ouvre les yeux (troisième phrase) jusqu’à la longue phrase très complexe sur les différentes imbrications du désir et de l’imitation de soi et d'autrui(juste avant qu’il entende l’oiseau), une véritable horreur.

Encore merci de m’avoir si bien compris.

Arteflex, merci beaucoup pour votre commentaire et pour les échos que vous avez ressentis en vous, car je les ai ressentis moi-même.

Contribution du : 18/11/2012 16:29
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Re : Sur Psychotique Apocalypse
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Contribution du : 18/11/2012 16:32
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Re : Sur Psychotique Apocalypse
Visiteur 
J'ai failli oublier brabant pour son commentateur très vivant et spontané :)

Contribution du : 18/11/2012 17:10
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Re : Sur Psychotique Apocalypse
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Bonjour Renaud,

Une tout grand merci pour ces explications et précisions fort intéressantes, vraiment. C'est un sujet qui me passionne moi aussi et j'aimerais, en reprenant les divers points qui font débat dans votre argumentation, préciser quelque peu à mon tour le commentaire que j'ai fais de votre texte.


Citation :
je ne fais appel ni à Freud ni à Nietzsche


Pour Nietzsche, je veux encore bien y croire, malgré tout le passage sur la puissance et la volonté, et corrélativement sur la volonté de puissance associée ici au désir dont, finalement, tout le texte parle. Mais je conviens aisément que cet emploi flagrant d’expressions nietzschéennes ne recouvre pas nécessairement une référence à Nietzsche, ni aux concepts nietzschéens eux-mêmes (l’expression et le concept ne se confondant pas). Ce d’autant plus que, comme je le dis dans mon commentaire, la volonté de puissance que vous mettez en scène me paraît, de par sa nature éminemment négative, assez éloignée de celle de Nietzsche. Je comprends donc tout à fait que vous vous défendiez d’utiliser Nietzsche dans ce texte, et c’est même tout à votre honneur car il s’agirait sinon, à mon sens, d’un mauvais usage de Nietzsche.

En ce qui concerne Freud, par contre, j’ai beaucoup plus de difficulté à vous croire. Non pas que je remette votre parole en doute, bien entendu, mais l’ensemble de votre lecture de la théorie du désir de René Girard, cela est flagrant dans les explications que vous donnez ici, me paraît pencher dangereusement vers la psychanalyse, en premier lieu par l’omniprésence du père dans ce récit/délire (père ambigu par ailleurs, à la fois mauvais et bon, ou plutôt successivement, et qui n’est pas sans rappeler les sentiments eux-mêmes ambigus chez Freud du fils pour son père, mélange d’admiration et de haine). Je ne connais pas trop les théories de Girard, et peut-être trouve-t-on déjà chez lui tout cela, mais je vois mal en quoi ce que vous en exprimez dans ce texte serait incompatible avec la psychanalyse œdipienne. Et ce freudisme peut très bien être inconscient (un comble sans doute ^^), il me semble néanmoins bien être là. J’essaierai de le montrer plus en détail par la suite, à partir de vos explications.


Citation :
Vaste programme qui n’a besoin que d’une seule hypothèse quand les psychanalystes sont obligés de postuler un nouveau complexe, un nouveau concept dès qu’ils assistent à l’apparition de nouvelles formes sociales ou psychologiques...


Si ce que vous dites là est vrai, je ne pense vraiment pas que ce soit à mettre au crédit de Girard. Une seule hypothèse à partir de laquelle tout peut s’expliquer… : au mieux, c’est du réductionnisme, au pire, c’est de l’idéologie et/ou du dogmatisme. Personnellement, je privilégie toujours quelqu’un qui multiplie les hypothèses dans l’espoir de saisir la spécificité de chaque chose, plutôt que quelqu’un qui multiplie les cas particulier d’une seule et même chose plus générale. L’absurde étant que ce sont souvent ces premiers qui se retrouvent taxés d’abstractionniste et d’idéaliste (et, soyez-en sûr, ce ne sont pas des mots doux dans la bouche de ceux qui les prononcent) parce qu’ils multiplient les concepts plutôt que de s’en tenir, comme les seconds, à un nombre prédéterminé et restreint. On peut bien sûr en penser ce que l’on veut, mais, entre nous, je crois que les vrais idéalistes sont bien ceux qui subsument chaque nouveau phénomène à une même idée préalable (ou à un même petit nombre d’idées préalables) et non ces autres qui inventent ou construisent une nouvelle idée pour saisir chaque nouveau phénomène dans sa singularité…

Bref, tout ça pour dire que, d’après ce que vous en dites, le programme de Girard n’a pas l’air si vaste que ça puisqu’il n’a jamais dû formuler qu’une seule hypothèse pour construire une œuvre quand quelqu’un comme Freud (et je précise au passage que je ne suis pas freudien moi-même, et qu'il se trouve également un certain réductionnisme chez Freud avec cette toute puissance de l'Œdipe) a dû construire, élaborer, réélaborer… ses hypothèses et ses concepts à mesure de ses expériences et des nouveautés qui émergeaient à travers elles.


Citation :
Comme ce père se résume à son désir (d’où le symbole du feu) d'empêcher le fils d’être lui, le fils désire mécaniquement être son père à la place de son père pour devenir celui qui inspire à l’autre le désir d’être l’autre


Eh bien… pour quelqu’un qui considère l’hypothèse œdipienne délirante, vous me semblez ici nager en plein dedans (du moins, en plein dans les enjeux majeur de cette hypothèse)… Et peu importe que la mère soit effectivement absente du récit. A vrai dire, cela permet même, je trouve, de résoudre un des gros problèmes de l’oedipianisme qui est la sexualisation à outrance (le désir n’étant considéré que sous l’angle sexuel, comme premièrement sexuel et amené à se désexualiser seulement ensuite ; et la mère comme contrepartie de cette sexualité du désir, comme premier objet d’investissement libidinal).

Si je vous ai bien compris, afin d’expliquer que le fils désire être son père, par l’hypothèse mimétique, et sans passer par le truchement de la mère (et je crois aussi que le désir sexuel pour la mère n’est, peut-être pas délirant comme vous dites, mais au moins un cas particulier dans une théorie du désir plus générale et complexe), il faut poser que le père lui-même désire de son fils qu’il soit un autre qu’il n’est pour que le fils lui-même, par mimétisme, désire être autre que soi, donc désire être son père (le père étant l’autre par excellence, l’inaccessible, l’idéal du moi encore extérieur au moi à ce stade). Cette thèse n’a évidemment rien de surprenant, le père veut bien sûr que son fils soit autre, et tout le rôle de l’éducation consiste en cela : aliéner l’enfant pour qu’il se conforme au mieux à une certaine norme posée en idéal (lequel est donc incarné par le père jusqu’ici). Cela entraîne bien entendu un conflit, une rivalité avec le père qui constitue un obstacle à la pleine réalisation du désir de l’enfant (chez Freud parce que le père « possède » la mère, chez Girard parce que le père désire ce que l’enfant désire, parce que le père le désire). Et, dans les deux cas, me semble-t-il, surmonter cette rivalité consiste non pas véritablement à la surmonter, mais à l’intérioriser de sorte qu’effectivement en surgisse un dédoublement du moi : genèse du Surmoi qui est le résidu « sain » du complexe œdipien finalement sublimé par l’enfant.

Bref, je pense que, si on fait le pas de désexualiser d’emblée l’Œdipe, et je reconnais que c’est un pas important bien sûr, on ne se retrouve pas bien loin de ce que vous dites de Girard.


Citation :
le sujet peut être exorcisé de façon spectaculaire, sa duplicité étant pleinement révélée dans l’ordre intimé par les oiseaux « sors de cet homme » (ils parlent au père) « et pose un genou à terre » (ils parlent au fils). Cette coexistence du singulier et du pluriel coïncident avec celle des oiseaux


L’exorcisme, si je comprends bien, consiste donc pour le fils à reconnaître en son double (son « Surmoi ») non plus une introjection du père mais, finalement, une introjection de la société toute entière puisqu’il semble par-là se « soumettre » à la collectivité des oiseaux (il « pose un genou à terre » devant eux), et donc faire coexister le singulier et le pluriel, c’est-à-dire la collectivité dans l’individu. L’exorcisme comme sortie et rejet du schéma strictement familialiste donc. Au risque de m’entendre dire que je vois du Freud partout (alors même que j’ai précisé plus tôt que je ne suis pas freudien), je crois qu’on se trouve à nouveau face à quelque chose qui est déjà dans la psychanalyse œdipienne puisque, me semble-t-il, cette psychanalyse affirme bien que le passage à l’âge adulte consiste pour l’enfant à sortir de la famille afin d’investir, d’une libido désormais désexualisée, la collectivité des hommes. Le gros problème de Freud étant néanmoins qu’il n’abandonne pas pour autant le complexe d’Œdipe puisque celui-ci se trouve transposé à l’échelle du social (le patron, c’est le père ; l’épouse, c’est la mère ; et même lorsque l’enfant finit par être père à son tour, ce n’est jamais que pour perpétrer le complexe œdipien en glissant à l’intérieur de celui-ci pour jouer le rôle de père, donc d’idéal, pour son fils). C’est en ce sens que je parlais de reproduction du schéma dans mon commentaire, parce que…


Citation :
L’apocalypse en tant que révélation, c’est à la fois la crise d’identité du héros, la soumission d’un égaré à des anges (l'Agneau qui triomphe de la Bête) et l’établissement d’un lien sain, inter-générationnel, vertical, entre le père et le fils, bref mais déterminant, puisqu’il lui apprend à travailler donc à trouver sa place dans le monde.


Je ne suis pas certain d’avoir bien compris ce passage des jonquilles. Il est vrai que je l’avais interprété en termes de reproduction (comme je viens de le dire) en ce sens que le fils deviendrait père à son tour ici et donc recommencerait le cycle du désir mais en prenant une toute autre place dans celui-ci. Je l’avais donc interprété dans les termes de Freud, une fois encore, ceux-là que je viens juste d’exposer. Et plusieurs éléments me semblent en effet aller dans ce sens. Et en tout premier lieu le fait que son champ soit un champ de « narcisses ». Car, le Narcisse (narcissique) par excellence, c’est bien l’enfant, et tout ce récit me paraît être l’histoire d’un narcissique qui cherche à se dépasser lui-même pour finalement trouver sa place dans la collectivité (ce que vous dites d’ailleurs vous-mêmes). Et pour cela, préalablement, il s’agit évidemment de prendre le père non plus comme le représentant despotique du triangle familial mais comme membre lui-même de la collectivité. Ce n’est qu’à ce prix que peut en effet s’instaurer un véritable lien intergénérationnel (qui ne se laisse donc pas réduire au lien strictement œdipien du père-fils).

Je ne vois pas bien en quoi ce que vous dites diffère de ce que je dis, ni comment ne pas voir là-dedans la reproduction d’un cycle qui serait le cycle générationnel lui-même. Peut-être pourriez-vous m’éclairer là-dessus ?


En tout cas, encore merci pour ces explications, et bravo pour votre texte, vraiment très chouette bien qu'un peu prise de tête quelquefois (mais j'avoue que ce n'est pas forcément pour me déplaire)...


Contribution du : 23/11/2012 11:37
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Sans puissance d'expansion, sans une certaine domination sur les choses, la vie est indéfendable. Une seule chose est exaltante : le contact avec les puissances de l'esprit.
A. ARTAUD
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Re : Sur Psychotique Apocalypse
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Excellent sursaut Renaud !... A... AHAHAH... AAA ~~~ je retourne à mes lianes... lol :D) :D) :D) AA ~~

:)))))

Contribution du : 23/11/2012 13:18
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"L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête."

Blaise Pascal
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Re : Sur Psychotique Apocalypse
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Hello Lunar-K,
Je réponds enfin à votre message dont je vous remercie. Veuillez excuser ce délai ; j’avais besoin de me poser.
Pour commencer, je ne suis pas étonné que vous trouviez du Freud dans mon approche de Girard étant donné que le triangle oedipien est un cas particulier du triangle mimétique. Là où Freud attribue une reproductibilité intrinsèque et bien mystérieuse au triangle oedipien, le cas général du triangle mimétique fonctionne tout seul. L’oedipe ici ne fonctionne pas à mon avis parce que la mère est absente (bien que vous trouviez une telle restriction dépassable) alors que le triangle mimétique peut être facilement « aplati » par l’identification du modèle et de l’objet du désir dans la personne du feu-père. Avec Girard, on passe aisément (sur le plan conceptuel) du mimétisme conflictuel au mimétisme positif lorsque le modèle-obstacle (le feu intériorisé) est remis à sa place. Quand les oiseaux ordonne aux rivaux intériorisés dans un seul corps de se séparer par l’expulsion de l’un d’entre eux (mais finalement des deux à la fois), il créent une distance suffisante entre les rivaux pour permettre à la médiation interne de devenir externe. Chez Girard, la médiation interne où le sujet et le modèle sont proches font que le modèle devient obstacle puisque sujet et modèle désirent le même objet, qu’alors ils se disputent en toute logique ; alors que la médiation externe, celle que le « bon père » construit avec son fils, met en place l’imitation d’un modèle (ou plutôt de plusieurs modèles) trop éloigné du sujet pour que les deux individus se disputent le même objet de désir. Cette distance s’apparente au respect que doit l’enfant à ses parents dans une société saine, mais aussi et surtout à la conscience du fait que les relations humaines et en particulier entre générations sont mimétiques. Du deuxième paragraphe et jusqu’à la fin de la première partie (« ainsi passèrent les siècles »), cet objet de désir est d’être le feu, parce que le feu, personnifiant le narcissisme absolu, se désigne lui-même comme objet de désir. Ce feu paternel est l’opposé exact de la conscience et de la connaissance de soi et il remplace par le désir mimétique toute humanité. Après l’intervention des oiseaux, le désir perd son objet d’être son propre objet de désir ainsi que sa spirale infernale, ce qui pousse logiquement le narrateur à demander à son maître, celui qui l’a délivré de la souffrance métaphysique de ne pas être soi en se plaçant en autorité divine et salvifique, au-dessus de tout être humain donc de tout modèle mondain, ce qu’il doit faire. Les oiseaux désignent alors un objet de désir (présenté d’abord comme un devoir à accomplir pour racheter les fautes commises dans le monde) qui n’a rien à voir avec le conflit, mais tout avec le don de soi. Il s’agit de quitter le désir d’être pour embrasser le désir de faire, l’action désignée étant altruiste (le contraire du narcissisme), gratuite (il ne reçoit aucun salaire) et hautement spirituelle (créer de l’or poétique à l’attention de la figure du poète donnée par Wordsworth).
Vous avez raison de qualifier la théorie mimétique de réductionniste. Girard l’assume pleinement et pense qu’une hypothèse unique éclairant tant de domaines, du moindre geste à la civilisation et du meurtre fondateur de la première communauté d’homos à la fin apocalyptique de l’humanité, est bien supérieure en termes de puissance explicative au « bricolage » des psychanalystes, obligés de compliquer et d’amender les « complexes » à chaque fois qu’ils se heurtent à une exception, c’est-à-dire à l’évidence que leur théorie ne tient pas devant la réalité, devant la moindre nouveauté. Girard ne soumet pas les phénomènes à une hypothèse unique par négation du réel et survalorisation de sa théorie, il constate la capacité de son hypothèse à éclairer les phénomènes, que ce soit en littérature, dans la vie quotidienne, en psychologie, pour donner une théorie unifiée de la religion primitive, ou pour décanter le message évangélique. Plus l’hypothèse explique de phénomènes à elle seule, meilleure elle est ; à l’instar des quatre (ou cinq) forces en (astro)physique qui expliquent toutes les propriété de la matière, en attendant la fameuse équation unique dont rêvent les scientifiques et qui expliquerait l’univers ! Mais peut-être est-ce que je comprends mal votre position épistémologique. Aussi je trouve curieuses votre objection et votre critique du réductionnisme.
Ici le feu-père n’utilise pas l’éducation pour aliéner le fils : il n’éduque pas du tout. Il se contente de désirer être lui-même et c’est la proximité entre le sujet et son modèle qui crée la violence et la souffrance. Dans mon texte, le père est si narcissique qu’il n’existe pas au sens étymologique : il n’a pas conscience de lui-même, il n’est que le désir d’être soi, d’être le plus fort et c’est ce seul désir qui est transmis en guise d’éducation. L’éducation à proprement parler vient à la fin du texte quand le père est devenu une personne à part entière quoique minimaliste et qu’il est conduit par les oiseaux à « parler » à son fils, c’est-à-dire à l’éduquer. L’éducation ici étant réduite à sa plus simple expression quoique montrée dans son sens le plus absolu : le devoir, le travail, ce coup de pioche qui est le contraire du mimétisme et qui est tout entier imitation (pleinement consciente). Le père devient bon, donc modèle externe, quand il se pose en modèle à imiter de façon consciente, ceci en trois temps : montrer le geste du coup de pioche, laisser le fils imiter, puis confirmer qu’il a correctement imité. La valeur du deuxième coup de pioche est donnée par le fils pour lui-même, car il imite cette fois la valorisation de l’action et la conformité de l’imitation du deuxième coup de pioche au premier. Il faut donc deux coups de pioche pour apprendre à travailler, tout comme il faut un père conscient de lui-même et de son fils pour apprendre à se détourner des modèles-obstacles pour se tourner vers un modèle externe, le comble de l’extériorité étant bien sûr Dieu. En effet, dans le christianisme, le chrétien doit imiter Jésus parce que Jésus imite Dieu. Paul en rajoute une couche en posant qu’on doit l’imiter parce qu’il imite Jésus.
Si vous trouvez des accointances avec la théorie de l’Œdipe, c’est à mettre au crédit de Freud qui a eu l’intuition du mimétisme à l’œuvre dans les relations humaines sans réussir à mettre le doigt dessus. C’est aussi le cas pour la seconde hypothèse de Girard (contenue dans la première), qui est le mécanisme émissaire, que Freud voit partiellement en parlant de meurtre collectif « du père ». (En réalité, ce n’est pas le père qui est sacrifié, mais un bouc émissaire totalement arbitraire ou à peine marqué, un « je ne sais quoi » qui est un « presque rien » comme dirait JP Dupuy.)
La supériorité de Girard sur Freud se constate encore dans le fait qu’un seul désir explique le bien et le mal dans le monde, alors que Freud doit postuler deux pulsions différentes dont on ne sait d’où elles sortent, une libido et une pulsion de mort, sinon de la mythologie grecque, bizarrement comprise comme une sorte de savoir sur l’homme formulé sur le mode métaphorique (à ce sujet, je vous recommande chaudement l’Œdipe mimétique de Mark Anspach, je suis sûr que cela pourrait vous passionner ; on y voit qu’Œdipe est innocent, un simple bouc émissaire). La supériorité de Girard sur Nietzsche à en croire celui-là étant qu’un seul désir explique et la volonté de puissance et le ressentiment, qui ne font qu’un selon qu’on se situe dans le camp des vaincus ou dans le camp des vainqueurs.
C’est pour cela encore que je ne suis pas d’accord quand vous écrivez que « il faut poser que le père lui-même désire de son fils qu’il soit un autre ». En fait, l’hypothèse mimétique ne pose pas la singularité de ce que voudrait le père, comme par hasard ; ce père n’est lui-même que le sujet désirant imitant le désir de son modèle-obstacle en la personne de son fils (la confusion est donc totale et Girard parle de « doubles »). La seule différence séparant dans le texte le fils de son feu étant que le feu est le plus ancien, donc le plus fort… jusqu’à ce que le fils cesse de le combattre et décide d’orienter sa violence vers un mur pour casser la baraque. La vie mondaine du narrateur n’est alors qu’un conflit entre lui et autrui, tournant à son avantage au début avec le « pauvre diable » puis les « gangs » (eux aussi soumis à la seule logique mimétique) mais très vite à sa défaite et à son déclin vers la psychose : plus il devient inoffensif, moins il se supporte lui-même et plus il se réfugie dans la croyance de sa puissance, d’où en dernier ressort son identification illusoire avec cet « ange exterminateur » qui détient le pouvoir suprême, celui de décider si l’humanité tout entière doit vivre ou pas, celui qui lui confère un tel pouvoir, Satan, étant lui-même une de ses victimes, ce qui reproduit dans la logique de la psychose le « double » qu’il formait avec son feu. On peut noter que la logique apocalyptique qu’il expose est un comble du savoir sur le mimétisme, à la nuance fondamentale près que ce savoir est entièrement récupéré par le désir mimétique du psychotique. C’est-à-dire qu’il a entièrement conscience de lui-même et du mécanisme qui a fait de lui ce qu’il est, au point de se définir lui-même comme un schizophrène, mais que cette conscience de soi est en quelque sorte diamétralement opposée à une véritable conscience de soi, ce qui définit d’après moi la dépossession ou la possession, ou la connaissance sans reconnaissance, la science sans conscience.
Je continue la lecture de votre message. Vous dites que l’individu doit sortir de la famille pour vivre dans la communauté. Ici on voit encore que Girard s’oppose à Freud. Là où Freud dit qu’il faut tuer le père pour devenir un homme, Girard prône la non violence et l’amour entre le fils et le (bon) père. Il y aurait tout un éloge à faire de la famille, où le père initie l’enfant en lui ouvrant les portes du social, c’est-à-dire en termes miméticiens, en lui désignant d’autres modèles que lui, ce qui suppose une humilité qui encore une fois est diamétralement opposée au narcissisme. Il n’y a aucun surmoi chez Girard, il n’y a qu’une perspective relationnelle et si les malades mentaux en sont venus là, c’est parce que leur désir mimétique s’est confronté à des rivaux et des faits de rivalité de plus en plus minables. Là où les psychiatres voient chez les patients une monade indépendante dont on peut diagnostiquer le passé et prévoir un avenir, Girard pose que si les malades ont des problèmes avec la société il ne faut pas oublier que la société a un problème avec ses malades. C’est pourquoi dans mon texte, le narrateur arrivé au stade ultime de sa psychose, ne peut être guéri par les psychiatres, sachant que la psychiatrie elle-même sait ne pas pouvoir guérir la psychose et seulement la soigner, mais ne peut guérir que par une intervention divine. Les exégèses évangéliques de Girard montrent que la théorie mimétique découle de la Bible avant d’avoir été concassée et raillée par les philosophes, les romantiques et les psychanalystes, et avant d’avoir été mise en scène dans ce que Girard appelle les « grands romans ». Ces questions qui ne concernait qu’une secte juive structurent aujourd’hui l’Occident et le monde entier, et dépassent de très loin la psychanalyse, circonscrite dans un moment très bref dans l’histoire de la pensée. On peut dire que Girard remet le message évangélique au centre des sciences humaines en passant par le détour le plus long qui soit : la pensée universitaire.
Avec tout de même une restriction, c’est que la théorie mimétique dans ses développements en est à ses balbutiements. Le chantier de déconstruction des idéologies, qu’elles soient nietzschéennes ou freudiennes est immense. (À noter que la neurologie a récemment confirmé la théorie mimétique, en mettant à jour l’existence de neurones-miroirs dans le cerveau.)
Enfin, et là je reviens à mon texte bien modeste, je n’ai pas conçu mon histoire comme celle d’un narcissique qui trouve sa place dans la collectivité, mais comme la trajectoire d’un homme strictement mimétique (un peu comme Barry Lyndon mais en pire), qui descend logiquement en enfer (l’enfer du solipsisme délirant) et bénéficie d’un salut divin qu’il accepte dans un ultime effort de lucidité (conversion du démon en ange). L’(agri)cult(ivat)eur ne se trouve pas dans la collectivité, il est dans un no man’s land, qui n’est pas vraiment le monde, ni l’enfer ni le paradis, mais quelque chose comme le lieu d’un travail forcé destiné à le racheter, à la manière d’un supplice grec (Sisyphe) moins l’absurdité, avec un sens dirigé vers le service donné aux oiseaux (pénitence). Il n’aura pas l’occasion de rencontrer d’autres êtres humains et de devenir père à son tour dans ce contexte d’arrière-monde. Je veux dire que j’assume l’aspect religieux de mon texte en n’identifiant pas la culture des daffodils à quelque chose de mondain. À la rigueur (et je n’y pense que maintenant, en rédigeant ce message), il peut s’agir d’une expérience mystique qui lui permette de revenir dans le monde réel. Le champ achevé, ayant quitté tout mimétisme conflictuel, ayant renoncé à la violence pour n’agir que dans l’amour, tout désir narcissique ayant été absorbé par plus narcissique que lui, le champ de daffodils, il deviendra un être plein de compassion et d’amour pour son prochain, et pourquoi pas un bon père tel que je l’ai évoqué plus haut.
Dans une autre nouvelle (Miracle mais aussi une autre non publiée), j’évoque le narcissisme de la nature, des végétaux notamment, et mieux encore, des fleurs. Il ne s’agit pas du narcissisme de l’enfance qui mène rapidement à la frustration mais d’un amour que la nature et notamment les fleurs se portent à elles-mêmes, que personne ne peut corrompre, sauf par la destruction de la forêt. Cet amour de soi comme tout amour est contagieux, et celui qui est capable de prendre pour modèle une fleur, le poète, devient aussi heureux que la nature, ce qui revient à une expérience mystique accomplie, qui relie directement le juste/le poète à Dieu, sans passer par les affres de la médiation interne. Un homme et une fleur sont trop différents pour entrer en conflit. J’ai d’ailleurs choisi la langue anglaise pour éviter toute concurrence et donc pour jouer sur les complémentarités (français/anglais, récit/poème, inconnu/prestigieux, paradigmatique/syntagmatique, frénétique/ataraxique, genèse/usage, documenté/intuitif, conceptuel/sincère, infernal/paradisiaque...) Dans le cinéma d’aujourd’hui, on dirait que ma nouvelle est un « prequel » (antépisode en français).

Bien amicalement,
N.

Contribution du : 16/12/2012 01:00
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