J'attendais M., une fille qui zonait depuis dix ans, rencontrée quelques mois auparavant dans le sud, on avait convenu de partir ensemble dans le Jura chez des potes à elle, puis d'aller aider un couple d'agriculteurs âgés qui l'avait hébergée comme famille d’accueil l'année précédente ou deux ans plus tôt..
En attendant je visitais Paris au hasard. Trois jours avant qu'elle puisse quitter son foyer actuel. Sa situation était compliquée, elle avait passé deux ans à Fleury-Mérogis pour (entre autres) avoir fait évader les animaux d'un chenil avec une copine aussi révoltée qu'elle.
Le soir, Place Saint-Michel je tombe sur un gars qui me propose un acide. J'ai de bons souvenirs avec ça. Je lui en prend un. Me voilà avec mon buvard assis sur un banc du métro.
C'est un peu con. Je me sens pas à l'aise avec ce truc qui va monter. Les heures qui viennent risquent de me faire flipper, ce serait con. J'ai vu une personne faire de mauvais trips…je voudrais pas me retrouver dans cet état, ici, pour la nuit, et seul.
Il y a des souris qui se baladent entre les rails. Les rames passent. Je sens un goût de métal dans la bouche. Ça vient. L'acide commence à faire effet.
Finalement rien de plus. Pas d’hallucinations, rien. Je me suis fait refiler un truc éventé.
Arnaqué...bon...c'est peut-être pas plus mal. Au moins je reste clair et je pourrais trouver un coin plus tranquille où passer la nuit. Peut-être une chambre d'hôtel, ou un squat, j'en connais un. J'ai encore de la marge.

…

Je réécris de la poésie, ça fait quelques années. ça m'avait quitté depuis longtemps. Il y a des sujets qui me viennent par la force des choses, des urgences.
Et puis il y a des thèmes qui me parlent. La solitude je connais bien. Je me souviens du trip foireux à Paris. J'avais 17 ans.
La solitude j'en connais qui en sont morts, comme mon pote P. Seul dans la vie, seul dans sa famille.
Y'avait un peu moi, mais je ne croyais pas trop ce qu'il me racontait de ses tentatives de suicide précédentes. Il racontait pas mal de trucs invraisemblables, surtout à propos de ses expériences sexuelles, c'était pas clair, toujours borderline. Alors ça pouvait faire partie de son délire. Il s'est pas tiré une balle dans la tête mais bourré de cachets. Et ça a marché.

La solitude est éternelle, vieille comme la vie, à 17 ans ou à 27 on peut être déjà tellement vieux.

La solitude c'est aussi le moyen de se ressourcer, quand il n'y a personne pour te tenir debout, pour te tendre la main, tu ne peux compter que sur toi, et tu as la vie devant toi, tu te relèves, la vie te pousse au cul (bien qu'elle soit devant toi...mais on est en poésie où tout est permis). Tu retombes…tu te relèves...tu avances...dans le désert.

Plus tard, beaucoup plus tard tu t'y replongeras par choix, pour respirer, pour te calmer, pour échapper aux autres, à leur médiocrité, à leur ronron, à leur mesquinerie, à l'ennui.

La solitude ça use, à force. Et ça fait gamberger. En même temps des fois les gens ça fait encore plus mal. Souvent même. Alors cette solitude c'est aussi un rempart...on l'a choisit pas à 17 ans. Mais on s'y accroche, de toute façon quand on a rien d'autre, personne d'autre...pas le choix.
On s'amarre (on se marre pas...je précise pour ceux qui ont le sens de l'humour vif).
Enfin des fois je vois des solitaires qui se marrent tout seuls, ils ont tellement usé la trame de leur personne que quelque chose a craqué...et ça suinte. Ils se parlent à eux-mêmes. Je crois qu'il y a eu un temps où ils imploraient merci. Dans les bals, dans la rue, dans leur monde désertique cherchant une lueur...

Le désert on le meuble comme on peut. On peut le remplir de vide, d'étoiles ou de rêves.
Les rêves c'est pas mal, ça fait patienter.
Des années...on en sort marqué. Des rides naissantes, un pli amer de la bouche. Et méfiants ou craintifs...parfois. Mais plus solides aussi parfois. Des fois on en sort pas. J'en connais.

Jusqu'à ce qu'on croise la route d'une personne qui va tout changer. Celle qui sera toujours là, parce que cette personne tombe amoureuse. Parce qu'elle te ressemble. Quelque part en elle brille le même astre sombre. Parce qu'elle traverse le même désert. Parce qu'elle te dis 'Je t'aime' et tu sais que c'est vrai. Parce qu'elle t'aime comme une femme peut aimer. Parce qu'elle t’absous et t'absorbes.
Parce que tu es bien avec elle. Parce qu'elle est patiente, elle te recompose doucement. Et tu deviens un homme.

Alors la solitude continue, mais on est deux, et ça va déjà beaucoup mieux.

Voici donc en gros de quoi veut parler ce poème..je vous donne ses clefs, car après tout si j'ai proposé ce texte à votre lecture c'est que je voulais être compris.

Le titre en effet est peut-être mal choisi (Bipol l'a ressenti).

D'autres n'ont rien ressenti ou compris, et je le comprends, mais ce poème parle de ma solitude particulière, de la solitude en général aussi. J'y passe du tu au je, au elle (la solitude), au elle (l'autre personne), sans transition, sans explication, du particulier au plus général sans prévenir non plus. Je fais souvent (trop peut-être) ça dans mes poèmes...bon je le fais moins depuis quelques temps, encore que...

Cela dit ce poème pour ma part dit exactement ce qu'il doit dire, pas plus, pas moins, de mon expérience de la solitude pendant la fin de mon adolescence jusqu'à ce que je rencontre ma mie, belle solitaire...(et tendre comme la mie du pain...merci Widjet mais je parle du pain comme nourriture terrestre qu'on partage, qu'on gagne et qui nourrit, et puis du cœur, c'est moins évident si on manque, ou se prive, d'un des deux ingrédients) et solaire comme...le Soleil, si, si ...
et en ce sens, à ce poème, je ne peux pas en enlever quoi que ce soit, ou y ajouter quoi que ce soit.
(Ah ! que c'est bien d'être d'accord avec soi-même...et ça pour un solitaire c'est très important !)

Quoi dire d'autre...un des synonymes de frigide est glacée, un autre insensible…

Pour ceux qui auraient eu du mal avec le creux de la solitude et le cœur dans la cage de l'alcool...je comprends, mais ça existe.
Et vivre nu, c'est vivre dépossédé, et la dépossession suprême n'est-ce pas d'être seul au monde, ou de se sentir seul au monde ce qui revient strictement au même ? Et l'alcoolique n'est-il pas seul dans son tête à tête avec son cœur qui bat trop fort (sans parler de la gueule de bois).


Merci à ceux qui ont permis la parution de ce poème : CE et correctrices.
Merci à ceux qui l'ont commenté...qu'ils aient apprécié ou pas, moi qui commente très peu, surtout ces derniers temps, je sais que ce n'est pas toujours facile et que ça prend du temps...donc je vous en suis reconnaissant.

A vous lire.

Corbivan

J'ose à peine écrire après ce petit bijou... Ce n'est pas une explication, c'est une poésie.
Merci de partager, Corbivan.

non Yvon j'ai dit que tu aurait tout aussi bien pu mette un autre titre

car cette poésie est ce que tu ressens en toi de façon si importante, celle qui fait ce que tu es, ton jardin quoi

Salut Corbivan, je confirme l'intervention de Perle, ces explications de ton poème sont magnifiques et fort émouvantes.

Bravo à toi pour l'ensemble.

Bonsoir Corbivan,

Avec Perle et Pouet, je suis complètement séduit par tes "explications". Qu'est-ce que c'est bien dit tout ça, ce contexte, ces sentiments et cette sensibilité.
Au plaisir de te lire.

Vincente.

Bonsoir et merci à Perle, Bipol, Pouet et Vincente de leur passage ici.

J'ai essayé d'envoyer un MP aux autres commentateurs mais je me suis trompé, l'envoi groupé n'a pas marché, par contre j'ai envoyé le message au groupe des correcteurs...donc j'arrête mes tentatives, en espérant que les autres ne me prennent pas pour un ingrat.

finalement...j'ai réessayé l'envoi groupé d'un MP...donc pour que ça marche il faut que les destinataires soient en surbrillance....or j'avais l'habitude de cliquer une fois sur la liste de ceux-ci, au préalable péniblement recherchés dans l’annuaire..ce qui les désactivait tous sauf un...

On apprend tous les jours.