HadrienM a écrit dans son commentaire du poème de LéopoldPartisan : « Mauthausen 1944 »

‘Le poétique ne naît pas de la plainte et du besoin de pitié. ‘
et
‘L’idée n’étant, bien évidemment, pas de nier l’atroce réalité humaine, mais justement, dans le matériau poétique, non de s’en défaire, mais parfois de s’en éloigner ‘

Pour moi le poétique peut naître de partout et de tout, c’est juste une nuance du regard, un décalage de la perception qui donne ce sentiment du poétique, un tout petit décalage d’avec la pensée claire et qui donne à s’étonner parfois de l’immensité de notre ignorance de la réalité de la vie.

Ce sentiment figure plus dans le cerveau et le cœur de celui qui lit le poème, que dans le poème, en tout cas au moins autant.
Pour ma part je ne peux que le juger légitime du fait qu’il est bien réel, ce regard.
Que le décalage soit dû au sentiment de pitié me gêne moins que lorsqu’il est le fait d’un pur jeu d’esprit, enfin quand je dis esprit j’entends réflexion et calcul de mots (c’est mon côté sentimental).

S’éloigner de l’atroce réalité humaine sans s’en défaire… je me demande comment on réussit ce tour de force… peut-être comme on peut épingler un papillon sur une planche par pur amour des papillons ou de la connaissance…par ignorance de la douleur quand même quelque part, non ?
Ou bien le génie poétique souffre tant par nature qu’il peut s’abstraire sans rien céder au commun des mortels : question humanité.

Corbivan (… de passage)

PS. Le commentaire de Ramana sur le même poème m’a aussi paru un peu tomber dans la critique trop facile.

PS 2 : je ne commenterai pas le poème en question parce que je suis en vacances...malgré le petit écart ci-dessus, mais je trouve la démarche légitime de parler encore de ces événements, et je ne vois pas en quoi ce serait une « excuse » pour nier l’actualité (pour faire simple), ou s’en dédouaner à bon compte...ce que ne fait d’ailleurs jamais l’auteur, il me semble.

Bonsoir, Corbivan. J'ai le bonheur d'être mentionné dans votre commentaire, alors je vais peut-être vous répondre.

Plusieurs remarques à faire.

1) Le poétique peut en effet naître de n'importe quoi, et c'est en ce sens que la littérature me semble l'art de la nuance : l'on déplace l'œil et la caméra se charge du reste (malgré la perception périssable du réel, la caméra arrange et défait le monde et le réel ; elle introduit de la mise en scène, propose un discours particulier sur les événements et intervient comme une sorte de catharsis : voilà à quoi sert la poésie sans doute). Mais il y a la nuance et la facilité : l'écriture de l'histoire, en l'occurrence de la mémoire, est un exercice d'une extrême difficulté, tant il s'agit de proposer un matériau unique (le sentiment d'originalité) parmi des érables poétiques bien usés (la reproduction du motif de la mémoire, surtout lorsqu'il s'agit de cette période historique). Mon reproche était simple et relativement argumenté (et je suis tout à fait heureux de m'en expliquer ici) : il y avait beaucoup de facilité dans l'écriture poétique de la mémoire. Bien entendu, la démarche n'est pas inintéressante, mais ce motif-là semble n'avoir aucune audace intellectuelle et esthétique. Rimbaud lance au lecteur, et donc au prochain poète : "il faut être absolument moderne". Il y avait peut-être de l'ironie dans cette même chose, mais on peut tout de même retenir que Rimbaud nous fixe comme objectif non seulement de fixer des vertiges - donc de privilégier, selon lui, l'expression de l'individualité dans un paradigme poétique -, mais surtout de cesser de convoquer des motifs historiques, des motifs passéistes dans la littérature poétique. Rimbaud est pourtant, lui aussi, un poète de l'histoire ; il y a bien évidemment une dimension politique et historique dans son œuvre. Alors il faudrait essentiellement comprendre que l'histoire, jeu des mémoires et des représentations, n'a pas le cœur tout à fait poétique.

2) Le poème de LéopoldPartisan n'était pas d'une beauté étourdissante ; c'est le moins que l'on puisse dire. Mais était-ce au fond nécessaire ? Cela ne signifie pas que c'est laid, mais la question esthétique ne me semble pas essentielle dans l'idéal de ce poème. Le génie poétique met en scène le monde, l'histoire des hommes (au sens subjectif puis commun : l'histoire individuelle et l'histoire de la cité) et le chaos qui semble témoigner de l'humaine condition. Les artifices du poétique interviennent essentiellement sur la mise en scène (rendre l'écriture belle, solliciter les capacités visuelles du lecteur et inviter à réfléchir sur les conditions d'énonciation et de pratique du beau) et sur la poéticité (interroger les critères de poéticité : de quoi est fait le poème ? formellement puis dans le contexte ?). Cette démarche-là ne me semble pas avoir été assez solide dans le poème de LéopoldPartisan : l'usage du motif historique me semble trop simple et rapide pour que ce soit authentiquement réussi.

3) Le génie poétique est une longue affaire. Aussi court qu'est ce troisième point, il permet juste de dire que je ne jugeais absolument des compétences littéraires du littérateur (en l'occurrence LéopoldPartisan), mais bien de l'excès de facilité dans l'usage extrêmement simple d'un motif plus difficile qu'il n'y paraît.

A vous lire,
Hadrien.

Merci de votre réponse HadrienM.

Le beau… ha oui, j’avais oublié 

Je trouve très intéressant ce que vous dites sur la mémoire et l’histoire comme objets poétiques (difficiles)…je n’y avais jamais réfléchi.
Personnellement, j’avais écrit un poème sur le sujet de la Shoah (intitulé ‘Holocauste’ peut-être fautivement d’ailleurs) quelques années après avoir vu le documentaire de Frédéric Rossif : de Nuremberg à Nuremberg…diffusé sur Antenne 2 vers 1988, une des réflexions qui m’a longtemps occupée l’esprit (et c’est pas fini) c’est que les faits relatés étaient relativement récents, et je me demandais si les hommes avaient évolués depuis, si ce genre de barbarie était encore possible en 1990…je n’ai pas de réponse, ou je préfère ne pas répondre, pour ne pas me fermer l’espoir. Mais c’est difficile, en tout cas pour moi.

Vu votre positionnement sur ce genre de texte, j’aimerais vous passer ma tentative par MP, si ça vous tente, sinon pas grave.
J’avoue n’avoir pas trop osé le proposer ici ou ailleurs…mais surtout ici, redoutant un peu un flop, toujours difficile à avaler, quand naïvement ou instinctivement on tente de prendre la parole ou de se la donner pour évoquer des tragédies aussi terribles.

Cordialement

Corbivan

J'ai lu dans les commentaire qu'après 70 ans certains en avaient marre que l'on parle de la seconde guerre mondiale et non de ce qui se passé aujourd'hui, alors je me permet de les renvoyer à 2 textes publiés ici en leurs temps relatifs au temps présent ou même à venir:

http://www.oniris.be/poesie/leopoldpartisan-bruxelles-ma-belle-7805.html

http://www.oniris.be/poesie/leopoldpartisan-autres-regards-sur-un-monde-qui-bascule-prends-ton-fils-tu-l-offriras-en-holocauste-4492.html

Bonjour, Corbian.

J'ai lu avec plaisir votre réponse et vous invite bien évidemment à m'envoyer votre essai par MP.

Bien confraternellement,

Hadrien.