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A propos de "Ce jour-là" de Larivière
Maître Pat de Velours
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16/04/2007 17:44
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Les synthécoms c'est assez jubilatoire à faire mais ça laisse quand même un goût de trop peu... Je vais laisser ici mon commentaire sur ce texte , histoire de ne pas encombrer l'espace sous le texte...

Contrairement à d’autres textes que j’ai pu corriger ici ou là, et dont les défauts m’apparaissent avec beaucoup plus d’acuité quand je les commente, celui-ci me fait l’effet contraire. Plus je le lis, plus je l’apprécie, j’en saisis les nuances et le trouve bien écrit… Peut-être faut-il y voir là une écriture qui ne se laisse pas appréhender au premier coup d’œil, qui dévoile sa richesse pour qui veut bien s’y plonger sans réticence, accepter de se laisser embarquer.

Ce récit n’est pas de ceux qu’on oublie sitôt la dernière page refermée. Il continue à diffuser tout un tas de pensées qui vont au-delà de ce qu’a écrit Larivière… Sans doute est-ce lié aux thèmes abordés dans cette histoire, des thèmes qui me touchent particulièrement. La guerre d’Algérie, la part obscure et ses blessures, les faux semblants, l’équilibre toujours précaire… (ou comment faire avec certains traumatismes ?).

Ainsi, à partir de la trame proposée par l’auteur je tisse mes propres méandres pour me l’approprier, le réorganiser selon des reliefs qui ne ressemblent certainement plus exactement à la géographie de l’auteur. C’est ce que j’appelle, moi, la part du lecteur, nourrie de mon imaginaire, mes expériences, mes intérêts… tout ce qui compose ma subjectivité. Évidemment, le décalage entre le récit tel que le conçoit l’auteur et ce qu’on en perçoit peut être saisissant (et parfois déstabilisant pour l’auteur). Qui a raison ? Qui détient la vérité sur le récit ? Larivière dirait : « c’est moi ! » … Pas sûr… Tout dépend de quelle vérité on parle. Mais c’est lui, bien entendu, qui a la responsabilité de nous proposer ce récit en l’état… puisque c’est lui qui offre son point de vue, qui fait le choix de nous le raconter de cette manière. Et puis, il est suffisamment généreux et intelligent pour savoir qu’on ne maîtrise pas l’effet de nos écrits sur le lecteur, de même que nos paroles sur l’autre.

Ces questions sont intimement liées à la question débattue ici même sur Oniris : « Pourquoi écrit-on ? », (question qui me semble aussi liée à « Pourquoi lit-on ? »). Je pense que les raisons sont multiples : pour communiquer, produire un effet sur l’autre, pour exprimer ses pensées, émotions, pour penser etc. En tout cas, que ce soit une écriture tournée vers l’autre ou vers soi, elle tente à mon avis de traduire le plus finement possible ce qu’on a dans la tête, le corps… (pensées, émotions, sentiments, visions etc.). Or l’écriture, de même que la parole, est soumise à des règles précises qui rendent difficile cet exercice de sublimation qui ne nous satisfait que rarement. Ces règles laissent tout de même un certain nombre de choix (point de vue énonciatif, lexique, syntaxe, structure etc.). Les choix que fait l’auteur et qui obligent évidemment à renoncer à d’autres possibilités. L’insatisfaction, le renoncement c’est bien évidemment ce qui permet de maintenir le désir d’écrire… Cet idéal qu’on tente d’atteindre, qui s’échappe, se rapproche, s’éloigne…
Les choix, que ce soit dans les thèmes ou la forme, ne sont pas toujours conscients… Sait-on toujours ce qu’on écrit (ou ce qu’on dit d’ailleurs) ? Ce qui nous échappe peut parfois être perçu par l’autre… ou pas. L’autre, le lecteur en l’occurrence, qui va aussi glisser sa subjectivité dans quelques interstices…

Pourquoi ce long préambule, me direz-vous ? Il n’est pas là, uniquement, pour le plaisir de disserter (même si ce genre de chose m’intéresse). Mais je tenais à préciser certaines idées sans être interrompue. Idées dont nous avons débattues Larivière et moi au sujet de son texte. Et puis surtout, pour expliquer que ce commentaire ne ressemblera pas tout à fait à celui que j’aurais fait sans en avoir échangé avec lui.

La discussion que nous avons eue, a permis d’entrevoir des différences dans la manière d’appréhender le texte. Je me sens donc obligée de tenir compte de ses intentions. D’abord, parce que c’est son texte et qu’il tient à son interprétation. Ensuite, parce qu’il fait partie des auteurs qui attendent des critiques constructives. L’avis de l’autre peut, en effet, être important pour saisir si ce qu’on veut dire est bien ce qu’on a dit.

Je n’avais pas compris un élément fondamental pour lui… mais secondaire pour moi. Fondamental, parce qu’il permet d’introduire une causalité à ce qui se passe pour le personnage. Il s’agit de la mort de sa femme. Pour être plus claire, je n’avais pas compris que sa femme était morte et ça n’avait pas forcément d’importance pour moi. Le récit, tel que je l’avais perçu, tenait très bien sans cet élément, était même – pour moi – encore plus fort. Je trouve très intéressant le fait qu’on ne voie pas les choses de la même manière. Ça m’a fait réfléchir sur les raisons de mon aveuglement. Et rien que pour ça, ce texte m’apporte vraiment un « plus ». C’est là, bien sûr, qu’on touche à la confrontation des subjectivités.

Tenir compte de l’interprétation de Larivière me paraît essentiel dans ce commentaire. Parce qu’il s’agit de l’aider à comprendre pourquoi cet élément n’est pas évident à la lecture. J’y vois deux raisons : l’une est liée à ma part de lectrice, l’autre est plus en rapport avec ses choix au niveau de la forme. Je pense qu’il est plus intéressé par la deuxième partie. Mais je tiens à développer la première aussi, même si cela ne dédouane pas la seconde. En fait, les deux sont liées. Je dirai, pour résumer, que l’élément en question ne se perçoit pas pour des raisons que j’ai pu repérer. Mais que ce n’était pas important pour moi compte tenu de ma propre subjectivité.

Évidemment, la sensibilité de Larivière l’a conduit à penser qu’on n’avait pas compris son texte. J’ose espérer qu’il n’en est rien. Je vais donc résumer ce que j’en ai compris :

C’est l’histoire d’un homme dont le passé douloureux et traumatique a été refoulé. Un passé lié à la guerre d’Algérie, passé trop pesant qui va commencer à faire surface, à suinter. Ce retour du refoulé se fait progressivement dans la solitude d’un matin où l’homme est chez lui. Tous les mécanismes de défense mis en place depuis son retour de la guerre et que je traduirais par une pathologie répandue – la normose – sont décrits avec insistance et non sans humour. Mais on sent, de manière allusive que tout cela est en train de s’effriter et peut conduire à une décompensation.

Un élément fondamental ?

Le fait que sa femme soit morte est, pour Larivière, ce qui origine la décompensation. Pour lui, l’amour de sa femme ou pour sa femme, était un élément stabilisateur qui l’empêchait de s’effondrer. Sa femme, morte, le confronte à la solitude… il se retrouve face à lui-même (ce qu’on perçoit bien dans l’insistance à être au plus près de cet homme, dans cette centration sur son physique, les traits de sa personnalité, son environnement).

Après réflexion, je dois avouer que ça tient la route. Un deuil peut provoquer ce genre d’événement. C’est même assez courant.

Si moi, je n’avais pas perçu ce facteur de stabilité, c’est que, sans doute, je pense que l’équilibre personnel ne tient pas à l’autre. Ce qui, évidemment est lié à mon histoire personnelle. Mais il y a d’autres raisons. Et celles-ci sont plus en rapport avec mon évolution personnelle et professionnelle (et nos différences quant à ce dernier point). En médecine notamment (mais pas seulement), on cherche toujours des causalités. Savoir pourquoi, c’est rassurant. Comme si ça permettait de se prémunir. Ça donne une impression de logique aux événements et rend le monde moins imprévisible, moins anxiogène. Je ne dis pas que j’échappe toujours à cette logique. Mais mon expérience m’a, en quelque sorte, dégagée de cette recherche obligatoire de la causalité. On ne sait pas toujours le pourquoi des choses… Les raisons ne se laissent pas appréhender comme ça aussi facilement. Elles sont multiples bien souvent, ne nous apparaissent qu’après-coup et parfois, ce n’est pas l’élément auquel on s’attendait qui déclenche une réaction.

En ce qui concerne le texte, je ne me suis pas questionnée sur le pourquoi du retour du refoulé. Pour moi, ce qui s’était passé était tellement douloureux qu’il fallait bien, à un moment donné, que ça sorte. J’ai aussi pensé ça, parce que ce qui concerne la guerre d’Algérie provoque, chez moi, beaucoup d’émotions. Il me semblait normal qu’à un moment donné la pression soit si forte qu’elle finisse par balayer tous les faux-semblants d’une vie construite sur du sable, des non-dits.

J’avais compris que sa femme le laissait à sa solitude. Mais, elle n’avait pas forcément besoin d’être morte pour cela. On peut parfois, être très seul avec l’autre. L’autre qui ne partage pas ses goûts, ses passions. Il y avait dans le texte, il me semble, quelque chose de cet ordre. Cette femme qui lui fait raser ses moustaches, qui ne l’accompagne jamais dans ses loisirs etc. Pourquoi n’aurait-on pas pu imaginer qu’à un moment donné ce décalage devienne insupportable ? Dans la solitude d’un matin comme les autres où il aurait tant aimé partager ce qu’il aime avec elle et où, comme à son habitude, elle ne se lève pas avec lui, même pour un petit déjeuner. Prendre conscience, d’un coup, de ce qui nous éloigne de l’autre nécessite-t-il un déclencheur. Sans doute. Mais je n’en n’ai pas eu besoin ici, tellement là aussi cela me semblait évident. Évident qu’une telle relation ne peut tenir (là on touche aussi à mes croyances sur la vie de couple). Toutefois, n’ayant pas besoin de plus de causalité, le sentiment de bonheur ressenti par le personnage me semblait si intense qu’il ne pouvait que se heurter à la réalité concrète de sa vie quotidienne.

En reprenant l’intention de Larivière à ce sujet, ce qu’il décrit est, toutefois, parfaitement cohérent. Cet homme n’a pas encore fait un travail de deuil, il est dans le déni de la mort de sa femme. S’il est si heureux, c’est sans doute, qu’il est dans cette phase où il hallucine la présence de sa femme. Peut-être après l’accablement des premiers jours où la mort ne peut être refoulée parce qu’elle se présente de manière concrète.

C’est là qu’on touche au deuxième point qui concerne la forme (lexique, composition et enchaînement narratif).

Il n’est pas évident que cette femme soit morte en raison de ce passage :

« L’homme dans son fauteuil de velours vert marron monta le son pour suivre le journal télévisé. Il le fit de façon suffisamment raisonnable pour ne pas réveiller sa femme qui dormait encore, car il était à peine sept heures du matin et que c’était un dimanche. »

C’est la deuxième allusion à sa femme dans le récit. La précédente faisait référence au passé (« C’était sa femme qui l’avait confectionnée et mise en conserve l’année dernière. »). Ici, il semble difficile de s’apercevoir d’un problème parce que la référence à sa femme est trop explicite. Sa présence est présentée comme un fait objectif, elle intervient au milieu d’autres descriptions. Rien ne nous empêche de douter de cette réalité. Bien sûr, pour le personnage, cette réalité est tangible, puisqu’il est certainement dans le déni. Toutefois, le lecteur se croit mis à une place différente du personnage par le choix de l’énonciation (le « il »), le ton utilisé (la distance introduite par l’humour, les commentaires de l’auteur), les descriptions qui ne peuvent qu’être extérieures (le lecteur omniscient). Il aurait été possible, par exemple, introduire des monologues intérieurs pour qu’on entre dans l’univers de l’homme et qu’on lui attribue cette pseudo-réalité.

Mais évidemment, cette explication ne tient que s’il avait fallu qu’on sache, de notre place de lecteur, que sa femme était morte dès le départ.

Et en fait, plus je lis ce texte plus je me dis que ce n’est pas ce que voulait Larivière. Sans doute, souhaitait-il qu’on ne l’apprenne qu’à la fin, qu’on puisse après-coup réinterpréter le récit (comme dans le sixième sens). Le problème c’est qu’on ne le devine pas parce que la fin n’est pas suffisamment explicite :

Il jeta machinalement dans un relâchement du cadenas, la main encore posée sur la baïonnette, un œil sur le rebord de la cheminée où se tenait une urne en étain impeccablement astiquée, gravée d’un cœur et d’un bouquet de chardons… »

Si Larivière avait noté « l’urne », on aurait peut-être davantage saisi cette réalité, mais ce n’est pas sûr. Notre attention est focalisée sur les événements traumatiques qui émergent, dans cette partie du récit, de façon brutale par l’utilisation des termes : « subitement, balle traçante, l’espace d’un hennissement, brusquement, comme des lumières folles, » et la phrase courte qui vient s’intercaler et qui fait rupture avec le reste du récit (« Le village, là-bas, ce jour-là, avait été rasé en représailles... »). L’impact de ce réel est sans doute trop fort et fait passer au second plan le deuil.

Effectivement, quand on sait qu’elle est morte, une autre lecture devient possible. Certains éléments sont distillés de manière subtile. Trop subtile ? En tout cas, qui ne se laissent pas appréhender lors d’une lecture rapide, une lecture de prime abord… Faut-il être initié pour entrer dans certains univers ? Notamment les univers artistiques ? Je pense qu’on peut apprécier une œuvre sans connaissances préalables (pas seulement les œuvres littéraires d’ailleurs) mais qu’une certaine éducation est nécessaire pour en saisir toute la richesse. Surtout ce qu’on range sous le vocable « contemporain ». C’est un peu, à mon avis, le cas de ce que nous offre Larivière.

Son texte est, en tout cas, pour peu que l’on s’y penche avec attention, d’une grande justesse d’un point de vue psychologique. Je me suis attardée sur deux passages :

Le premier :

« - Tu as entendu Magali ? Il va faire beau aujourd’hui ! Le temps est splendide !... »

Juste après, on peut lire :

« On pouvait apercevoir, au fond du couloir dans la pénombre, la porte entrouverte de la chambre à coucher…
Soudain, quelque chose le piqua au cou…
Quelque chose de froid comme l’acier, de fugace et de fulgurant comme un dard… Quelque chose d’extrêmement douloureux.
Il pensa tout de suite à un hyménoptère… (…) tout ce vacarme ne l’avait pas dérangée… »


La piqûre qui pourrait symboliser un rappel douloureux à la réalité est évacuée (une raison logique est tout de suite avancée : l’hyménoptère… avec toutefois une subtilité assez fine par l’utilisation du signifiant hymen qui renvoie à voile et à femme et celui de terre qui renvoie à la terre, l’enterrement… ce terme d’hyménoptère est d’ailleurs retrouvé aussi à la fin). En tout cas, des traces subsistent alors même que l’homme tente de rattacher ce qui relèverait d’une dimension psychique à une réalité physique et triviale (plus facile d’attribuer des raisons contextuelles, concrètes à quelque chose de soi). Ces traces subsistent donc sous la forme d’une sensation typique de la mort (la sensation glacée et le frisson qu’on retrouve dans les histoires de fantômes) mais elle aussi, rapidement dégagée (il se rassure en interprétant ce qui pourrait faire irruption à la conscience : le frisson est normal puisqu’il y a un courant d’air, le silence est rattaché à un événement familier : sa femme se recouchait toujours).
On se retrouve donc face à un mécanisme paranoïaque typique : interprétation logique de la « réalité » sur la base d’un faux postulat.

Le deuxième :

Le personnage oscille entre le rappel du passé et la réalité actuelle qu’il tente difficilement d’étouffer comme dans ce passage :

« Il sortit aussitôt de son enthousiasme et rentra à l’intérieur… Il s’adressa de loin à sa femme
- Magali !... Nom de nom, laisse ce repassage !... Et viens en pêche avec moi aujourd’hui, bon Dieu de bon Dieu !… Il va faire beau !
Il savait que sa femme ne viendrait pas, mais ce n’était pas grave, car il savait qu’elle n’aimait pas la pêche. Elle n’avait jamais aimé. Ce n’était pas nouveau et il le savait… Mais il savait aussi que si elle, elle n’aimait pas la pêche, lui… Il aimait sa femme… Il ne l’avait jamais obligée à venir et ce n’était pas, ce jour-là, qu’il allait commencer.
Car plus que tout, il aimait passionnément sa femme. Assurément, il l’aimait… En y réfléchissant, il l’aimait même plus que la pêche.
Désormais, elle n’évidait plus les truites, mais ça non plus ce n’était pas important. »


On sent bien ici le mouvement de résistance à la prise de conscience avec l’insistance sur ses sentiments d’amour, comme s’il se récitait une litanie (elle n’aimait pas, il l’aimait). Toutefois, cette défense obsessionnelle ne tient pas. C’est quand il accepte de prendre en compte la mort de sa femme (« désormais, elle n’évidait plus les truites ») que ça bascule. Il tente vainement d’échapper à ce qui émerge (« En sifflotant un air qui devait être celui d’une publicité pour un yaourt faisant chuter le taux de cholestérol, (…) Il fixa un instant la baïonnette. ») mais son environnement le ramène inéluctablement au passé, par glissement métonymique (sa femme, le deuil, la solitude, l’Algérie) auquel il est impuissant à résister : « il ne sait pas pourquoi à ce moment, comme une balle traçante (…) ». Le refoulé fait irruption, mis en parallèle avec son histoire d’amour, mêlée, ancrée au souvenir en une sorte de voile qui maintenant se déchire. On remarque l’effort de l’homme pour ne tenir compte que des événements heureux (le début de son histoire d’amour) mais le passé se fraye un chemin inéluctablement et envahit le présent (utilisation de « ce jour-là » pour décrire les événements, qui se rapportent aussi bien au passé qu’au présent, dans une sorte de confusion temporelle) :

Ce que je trouve particulièrement habile c’est la manière dont Larivière nous embarque dans ce récit, qui nous désoriente comme son personnage sans que l’on s’en aperçoive. Tout comme Martin dans « la fuite de Milou », il mène la danse. C’est lié à la structure du récit et au style qui est en harmonie avec le propos. Si je pouvais qualifier son texte par un mot ce serait celui de contraste.

Le contraste intervient à différents niveaux :
- Le ton léger, humoristique, et le registre lexical utilisés dans les descriptions, qui évoquent la banalité, la joie, la simplicité, la routine etc. dans lequel s’insinue par petites touches quelque chose de plus sombre et de violent qui vient lézarder les apparences. (dès la troisième phrase)
- La précision, voire la profusion, des détails qui contraste avec les éléments allusifs référés au drame. (Cette précision m’a fait penser à Butor, bien que le style soit différent).
- L’anonymat du personnage alors qu’on entre dans son intimité physique et psychique
- Le thème apparemment anodin (la trame apparente d’emblée) qui en recouvre un autre beaucoup plus dramatique.
- le décalage entre ce sur quoi se porte l’attention de l’homme et ce qui émerge à son esprit (il se raccroche à cette moustache présente/absente (ce qui paraît banal mais qui ne l’est pas tant : celle-ci faisant en fait le lien entre le passé et le présent), mais aussi au concret de son quotidien (la pêche, les roses, par ex.) dès qu’il est envahi par des images de violence).
- Le rythme qui alterne phrases longues et courtes caractéristiques du style de l’auteur. On lui a souvent fait remarquer la longueur de ses phrases. J’aimerais insister sur ce point, ce qui m’amènera à en expliquer l’intérêt dans ce récit.

Phrases à rallonge : mythe ou réalité ?

Personnellement, je n’ai jamais été gênée par ces longues phrases (comme a pu l’être, par exemple Ninjavert qui, cherche sans doute un prétexte pour se faire faire de la respiration artificielle). Pourquoi ces phrases ne me gênent pas ? D’abord, elles sont ponctuées… ce qui laisse des respirations. Ensuite la longueur est souvent liée à des énumérations, ce qui me paraît là tout à fait justifié et surtout très caractéristique du style de Larivière. On a l’impression d’être embarqués dans un mouvement qui joue avec les reliefs (montées en puissance, envolées puis décalages avec des changements de registres) non sans effets humoristiques. Ces phrases longues sont ponctuées par d’autres plus courtes, ce qui rend le récit vivant et dynamique. Ces variations, je les trouve intéressantes dans la mesure où rien ne semble prévisible. On ne sait pas où Larivière veut nous conduire ce qui crée une perte de repères qu’on peut mettre en parallèle avec les mouvements psychiques du personnage.
Cela peut effectivement déstabiliser des lecteurs habitués à des récits plus simples, structurés de manière plus conventionnelle, plus classiques, plus attendus peut-être. J’aime beaucoup, quant à moi, me laisser guider par cette fantaisie toujours surprenante et ô combien jubilatoire.

J’apprécie vraiment beaucoup, on l’aura deviné, le style de Larivière. Style, pour moi, particulièrement poétique où les métaphores, images, décalages dans les registres lexicaux, personnifications, sonorités s’intercalent dans le récit de manière fluide. Cette aisance dans l’écriture qui peut allier fantaisie et sérieux suppose tout de même un travail. Même si Larivière a des facilités dans le premier jet, on devine quand même que les choix qu’il fait ne sont pas uniquement dus au hasard (?) de ses associations. Ce qui est impossible d’ailleurs à réaliser avec la structuration nécessaire d’une nouvelle.

Je ne voudrais tout de même pas paraître trop indulgente, voire complaisante, dans mon analyse de ce texte. Évidemment, on peut relever ici ou là quelques maladresses, comme par exemple :
« Arrivé dans la cuisine, ce qui fut rapide voire instantané puisqu’il y était déjà, » : cette phrase aurait pu être supprimée sans que cela nuise au récit.
« Si je veux aller en Grèce, par exemple, j’irai chercher les renseignements moi-même… » : le « par exemple » me semble de trop (ça me semble bizarre dans un monologue intérieur)

Par ailleurs, je me suis demandée si les interventions, apparemment digressives, de l’auteur et du Créateur (ambigüité intéressante d’ailleurs… entre l’auteur et le créateur).étaient nécessaires. N’alourdissaient-elles pas le récit ? N’étaient-elles pas là uniquement dans le but de faire plaisir à l’auteur ? Montreraient-elles une volonté de se désolidariser du personnage ? En quoi l’interpellation du lecteur a de l’intérêt ?
Si on y regarde de plus près, toutefois, elles apportent des indications intéressantes. Une manière d’introduire un discours sérieux sous une forme humoristique (le rapport à la religion, la morale et la société, la condition humaine pour le dire synthétiquement). Du coup, même si Larivière nous enjoint de sauter ces passages, ils ne me paraissent finalement pas si anodins que ça pour saisir le positionnement du personnage d’une part et d’autre part, ils contribuent à nous faire croire qu’on est du côté de l’auteur (partageant son omniscience, son point de vue (notamment quand il parle de l’imaginaire) alors qu’il nous mène dans un endroit dont nous n’avons pas la clef.
Ce qui ne nous empêche pas de nous sentir bien dans cet endroit. De toutes façons, tant qu’on ne sait pas ce qu'on ouvre avec cette clef, l'endroit peut nous convenir !

En définitive, la boucle est bouclée… la précision de la mort de la femme donnerait finalement une compréhension plus étendue de ce qui se passe pour le personnage. Même si je n’ai pas eu besoin de cet élément pour apprécier ce superbe texte.

Contribution du : 11/02/2008 00:08

Edité par Pat le 11/2/2008 21:03:26
Edité par Pat le 20/8/2008 2:10:54
Edité par Pat le 20/8/2008 2:12:27
Edité par Pat le 19/10/2008 23:32:26
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Re : A propos de "Ce jour-là" de Larivière
Maître Onirien
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09/07/2007 19:16
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pfffffou !...

Je vais en mettre du temps pour répondre à ça....

Et je me dois de le faire...

D'une part, parce que je suis très reconnaissant à Pat pour le temps et le travail passé a réaliser ce commentaire (J'ai presque l'impression, très jouissive, d'être le sujet d'une thèse !...)

D'autre part, parce que "Ce jour là" me semble une nouvelle intéressante pour mon expérience d'auteur...

C'est sans aucun doute le récit qui pour l'instant m'a demandé le plus de temps, de labeur, de correction, et disons le franchement au final, d'exaspération et de douleurs...

Je dois dire aussi, en toute lucidité, que c'est pour l'instant la nouvelle qui à été à mes yeux la moins abouti et la plus décevante de toutes celles que j'ai pu écrire jusqu'a présent...

Cela a été d'autant plus frustrant pour moi par la suite, que je misais beaucoup dans l'écriture de cette nouvelle... Peut être trop, d'ailleurs...

Cette déception, ce sentiment "d'échec", cette perception amère de ne pas avoir réussi à "rendre" véritablement ce que je voulais au moment de clore cette histoire, cette sensation très déprimante d'être passé a coté de son histoire, a été pour moi très difficile à vivre d'un point de vue "artistique"...

D'ailleurs pourquoi le nier, à ce moment alors et par la suite pendant quelques temps, les remises en questions et l'introspection sur ma façon de produire ont été si intenses que j'ai douté très fortement de mes capacités à écrire...

Dans ces cas, soit dit en passant, si j'ai un conseil à donner au personne qui serait comme moi, confronté un jour à ce type d"errance" artistique, et qui n'ont pas encore trouvé l'apaisement face à cela, je leur dirais avant tout : pas de panique... Ici, on respire... Et on laisse reposer la pate et le papier....

Il faut aérez un maximum ses neurones et faire tout, vraiment tout, sauf ressascer les sentiments négatifs sur sa vision de l'oeuvre...

Prenez du recul... La vie est belle... Tout ça n'est pas si grave...

Si l'inspiration doit revenir, elle reviendra sans crier gare... Et elle le fera d'autant plus, si vous ne faites pas un blocage aussi inutile que délétère pour la créativité...

Car, une insatisfaction, si elle est trop grande et non surmonté, peut être la cause à une véritable "panne intellectuelle". Ainsi la boucle est bouclé et le cercle bel et bien vicieux... Il faut le Rompre...

Je sais que la plupart d'entre vous ne sont pas aussi engoissé, je l'espère tout du moins, mais si tel était le cas, encore une fois, ne vous en faites pas... Allez faire un tour, prenez un bol d'air bien frais, voire même plusieurs pendant quelques jours ou quelques semaines... Surtout dédramatisez... Les choses se remettront à couler toute seule...


Sinon,
Pour en revenir à ce long et subtil commentaire :

Il est inutile de dire que je suis admiratif de voir avec quel sérieux et quelle rigueur Pat arrive à décortiquer les idées, les différentes visions et les principales composantes que j'ai voulu articuler dans ma nouvelle...
L'essence même de mon travail artistique est saisi, je dirais, de façon stupéfiante... Même le style... Souvent complexe.

C'est vraiment quelque chose de fort, parce que, dans cette nouvelle, ma déception venait justement du fait que j'étais conscient de ne pas avoir livrer au lecteur (et à moi même) le meilleur de ce que je pouvais dégager de mon thème, justement pas cette complexité qui m'avait finalement dépassé et dont je n'étais pas arrivé au final, à me défaire... Comme si les enchevètrement (dont je suis ô combien friand) et que j'arrive à tisser d'habitude de façon satisfaisante (au moins pour moi) et presque "naturelle", m'avait ici échappé....
Comme si bizarrement, cette fois, l'intrigue trop emmelé se refusais à aboutir à quelque chose de solide et d'unitaire, mais se bornais obstinément au contraire à serrer au fil des lignes, un noeud de plus en plus ardu à dénouer...

C'est d'ailleurs ce qui m'a le plus désatabilisé en écrivant "Ce jour là"... J'avais l'habitude jusque là de voir les intrigues les plus complexes s'imbriquer, s'articuler, se meler entre elles, je dirais presque toute seule, s'embrassant spontanément, animé de leur vie propre, dans la plupart de mes récits...
Il n'en fut rien dans "Ce jour là"... Ce fut très éprouvant...
L'axe essentiel, le prisme de fusion que je cherchais en vain, me glissais des doigts et des méninges désespérement...

Aujourd'hui, avec le recul, j'ai compris ce qui n'allait pas...

Tout cela pour dire que je parlerai plus dans les détails de "Ce jour là"...
Notamment du remaniement que je ferais un jour (déjà entrepris), pour rendre le récit plus abordable, disons, de meilleures qualités, en revoyant notamment quelques peu la ponctuation (si Pat, c'est vrai, parfois les phrases sont trop longues, ou plutôt mal construites), en épurant certainement le texte des nombreuses idées parasites, d'adverbes et de paragraphes inutiles qui alourdissent l'ensemble, en gommant les nombreuses maladresses, et en rendant certaines parties plus explicites (légérement, ma conception de la lecture étant une paticipation active), mieux huilés, plus fluide pour le lecteur...

Car le fait, de prendre justement du recul, permet de visualiser les choses les plus évidentes qui sont toujours difficiles à appréhender pour l'auteur et ainsi de percevoir les quelques petites retouches capables d'améliorer l'oeuvre... Ce qui paraissait jusqu'alors comme un travail impossible digne des titans de l'olympe...


Si je le livre tel quel, à la suite du sujet ouvert aimablement par Pat, c'est qu'il me semble que mon ressenti en tant qu'auteur sur son oeuvre, peut être intéressant comme leçon à tirer pour tout auteur de façon générale, et montre à quel point notre sensibilité et notre affect quand on touche à l'artistique est à fleur de peau, et peut parfois être lourd de consquences sur les oeuvres et le travail d'écriture à venir.

Le fait de raconter une histoire peut être simple ou complexe... La façon de le faire également... Il y a ici une multitude de paramètres souvent incontrolables qui rentrent en jeu, rien que du coté de l'auteur...

Tout cela fait que l'on enfante facilement ou parfois plus douloureusement, et que parfois aussi, on n'est pas très satisfait de la progéniture... Ce n'est pas toujours facile à gérer par la suite...

Certe, il faut de la lucidité pour progresser.. Mais il ne faut pas non plus prendre le risque de tuer la fonction...



Et je remercie Pat pour avoir dit ces "quelques" mots... Et de permettre cet "épanchement", de ma part...

lol

PS : il y a évidemment des points de vue abordés dans cette nouvelle, pour lesquels nous pourrions discuter encore vivement sur le fond... Notamment sur la vision du couple, par le pisme du personnage, bien évidemment, qui n'est ni totalement le mien, ni celui de Pat, apparemment...

Re-lol...

Contribution du : 11/02/2008 01:37

Edité par Lariviere le 11/2/2008 1:56:00
Edité par Lariviere le 11/2/2008 2:18:38
Edité par Lariviere le 11/2/2008 2:26:42
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...  "En dehors du chien, le livre est le meilleur ami de l'homme. En dedans, il fait trop noir pour y lire"

Groucho Marx.
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