Au vu des commentaires reçus, je crois que j’ai un peu préjugé de ma capacité à faire comprendre le scénario de ce poème. Bien que vos interprétations soient valides et s’en approchent beaucoup (le lecteur a toujours raison), je voudrais donner ici ma propre version. Je n’ai pas cherché l’hermétisme, uniquement la symbolique. Et comme d'habitude, ma démarche est avant tout intuitive, même si les explications ci-après peuvent faire penser que j'ai "réfléchi"...
Je reviendrai vers chacun dans un deuxième temps, mais pour l’heure voici quelques précisions :

- La petite fille joue et se laisse séduire par un galet (un adulte) à qui elle fait naturellement confiance. Celui-ci fait ses quatre volontés pour lui plaire, en allant écorcher l’étang, dont le liquide, par un jeu de métaphores, devient la petite fille, sa peau. Or jouer se transforme en agression, et le caillou en amant qui griffe et escamote les saisons, c’est à dire les âges de la vie, jusqu’à la chrysalide dont dépend la métamorphose en papillon.

- La surface de l’eau se reforme, oublie l’agression, tout comme l’enfant oublie le viol, c’est à dire le refoule dans l’inconscient ( = le fond de l’eau). l’étang reforme sa surface, elle est à nouveau étale.
Mais le galet ressurgit dans la mémoire de la fillette à l’occasion de sa sortie de l’enfance, de sa puberté. C’est un galet de bitume parce que lourd, écrasant, comme l’homme sur son corps. (Alors pourquoi pas un accident sur le bitume comme second évènement, déclencheur de la « maladie » ? ).
J’ai cherché une alternative au terme sidération un peu galvaudé : abasourdie. Ce n’est peut-être pas très heureux.
Une plume extrapolée d’antan pour exprimer le fait que l’enfant n’a pu grandir, elle est toujours plume légère dans sa période de latence mais éjectée de son statut d’enfant, donc mal adaptée. À partir d’un évènement de son enfance on extrapole les conséquences.

– remors = scabieuse, (proche de scabreuse), mors du diable, ou morsure de violeur. Couleur mauve pour un look gothique que j’imagine que la jeune-fille adopte dans son désir d’exprimer ce qui la représente : dans le langage des fleurs, la scabieuse symbolise la tristesse…
Mais aussi remords par ce que la jeune fille, comme toute victime et contre toute logique, se sent responsable.

- L’énigme est celle de sa vie qui a mal tourné, qu’elle ne comprend pas. Elle traîne sa déprime et questionne son propre reflet.
La culbute est de deux, voire trois ordres. Elle se jette à l’eau tête la première, le suicide s’envisageant comme la recherche d’une solution, aussi le monde s’inverse -t-il dans son champ de vision. La culbute en tant que l’évènement qui est à l’origine de son mal-être. La culbute enfin en tant que rite de passage, tel qu’elle se l’explique plus ou moins : elle s’est fait "culbuter".

- D’où les deux derniers vers en miroir. Ils sont difficiles à lire, pour donner toute la dimension de son incompréhension.
On peut imaginer que de cette agression sexuelle a provoqué chez elle un déficit cognitif : il faut en effet arranger le réel afin qu’il soit explicable sans qu’il soit tenu compte de l’élément traumatisant, à reléguer à nouveau dans l’inconscient, ce qui compromet la capacité à réfléchir. D’où la construction d’un faux self bancal et désespérant, et d’un monde en trompe-l’œil.


Une de mes erreurs aura été de parler de galet de bitume, qui a évoqué pour nombre d’entre vous la route et donc un accident. Un viol comme accident sur la route de la vie, certes…
Une autre de penser que la mention du galet-amant pouvait évoquer un violeur, et que la calme surface de l’eau était évidemment l’équanimité d’une enfance heureuse jusque là.
D’avoir pensé que sans en faire mention, les ondes provoquées par les ricochets pouvaient évoquer les retentissements d'une agression, de loin en loin, sur l’épanouissement de la gamine.

À bientôt !

Bonsoir Cyrill

J'étais sur le point de poster mon commentaire quand je tombe sur ce fil. Je suis passé complètement à côté de votre poème. Par négligence.

Vous écrivez...

"Une autre de penser que la mention du galet-amant pouvait évoquer un violeur..."

Après coup, je prends conscience que cet "aimable galet [qui] flirte" était assez explicite pour conduire le lecteur sur la bonne piste et lui faire accepter le galet-amant.

Merci pour vos explications.

Bonjour Jfmoods, et merci pour votre intervention.

Citation :

Explicite, il me semblait. Et pourtant, il faut bien reconnaître qu'il sera passé sous les radars de la lecture et que le terme amant sera considéré, sans doute, comme une figure de style dans le contexte.

Ma déception est vive quant à ce malentendu (mal-dit plutôt) dont je me tiens comptable. Il ne faut jamais oublier qu'en tant qu'auteur on est le seul sachant. Si pour d'autres poèmes, le flou entretenu et les interprétations diverses qui en découlent peuvent élargir le champ de compréhension, là n'était pas mon intention pour cet écrit.
Je remercie bien évidemment tous les commentateurs ayant mis au jour ce problème qui ne laisse pas de m'interroger sur une alternative.

Bonjour Cyrill,

Arrivée après la cavalerie^^, évidemment je n'ai pu m'empêcher de venir sur le fil de tes explications, après avoir lu les commentaires. Je suis comme jfmoods, je prends connaissance de tes intentions d'auteur avec grand intérêt mais celles-ci du coup m'ont coupé l'herbe sous les pieds
"Il ne faut jamais oublier qu'en tant qu'auteur on est le seul sachant. [] pour d'autres poèmes, le flou entretenu et les interprétations diverses qui en découlent peuvent élargir le champ de compréhension"
Comme c'est vrai! je suis tellement d'accord avec toi sur ce point!
Je ne t'offirai pas cette fois de commentaire approfondi car je pourrais pas empêcher ma pensée d'être perturbée, plutôt "orientée" par tout ce qui vient d'être dévoilé.

Par contre, je peux te dire que j'ai été une fois de plus soufflée par la beauté de ton écriture :
"Le caillou s’exécute en rouleaux par caprice d’enfant puis siffle vers l'étang d’un vol ébouriffant.
Le caillou gifle l'eau, écornifle sa peau, lapide une âme étale en son sommeil liquide,
déchire les saisons de sa griffe d’amant, blesse la chrysalide.
Puis coule rondement d’un flegme minéral.
Sa blancheur idéale est pure trahison."

Tout est là. What else?

Salut Myndie et grand merci pour ton appréciation.


Citation :

Oui, évidemment, je me doutais bien que cette discussion précoce pourrait s'avérer délétère...
Je pense que j'aurais fait de même, curiosité quand tu nous tiens !
Mais c'est vrai qu'à moins d'un lavage de cerveau (t'as essayé ? café salé + ipéca + camomille), on ne peut plus ne pas être orienté après lecture.
Tant pis, j'assume avec une pirouette des plus cavalières

Ornicar, merci pour ton commentaire fouillé. « La mort, la vie. La vie, la mort », quelle traduction intéressante du "ricochement" de caillou !
« Deux destins », « deux temporalités » : là aussi, j’aime cette analyse.
Merci pour « l’écriture… particulièrement réussie et convaincante » et pour ce commentaire en EL qui habille un poème dès sa publication.

Papipoete, merci également.
« cette scène me rappelle tant le mal-être, que l’on peut vivre lorsque nous ne sommes plus enfant » : c’est un fait que pareil malaise au seuil de l’adolescence peut parler à chacun.
Pardon pour le mal de tête provoqué ^^, j’ai donné plus haut l’explication de cette écriture inversée.

Eskisse : Merci pour ton commentaire. « Il y a même une métamorphose du galet qui, d’"aimable" et "serti de son habit d’écume" comme une pierre précieuse, devient un projectile véhément, menaçant et violent ». C’est tout à fait ça, une métamorphose. J’ai expliqué plus haut mes raisons à propos de la "plume extrapolée d’antan" et de "abasourdie". Peut-être pas les bons termes...

Damy, tu me proposes une autre présentation. J’ai longtemps hésité au sujet des espaces, rien ne m’a convaincu complètement.
Je n’ai pas du tout pensé à La mare au diable, j’en ai un souvenir trop lointain, mais j’aurais pu imaginer ce titre. (Quant au paludisme... j’avoue que là je décroche).
Le remors, sans d : une découverte pour moi aussi, et une aubaine pour mon poème !
Merci pour le « tableau impressionniste d’atmosphère », et désolé d’avoir occasionné un tel doute.

BSL, merci pour ton enthousiasme : « le texte est génial, quelle inspiration, l’idée est admirable... »…. n’en jetez plus ! (enfin, si!)
« pour moi le pavé dans la mare, c’est la révélation de ce qu’est l’existence. Les ricochets d’un galet, les rêves glissants et les aléas de la vie » : comme c’est vrai !

Myndie, re-merci. Et encore désolé pour le spoiler. « je ne t’offrirai pas cette fois de commentaire approfondi » : ben voui, c’est normal.

Merci à tous encore une fois pour vos impressions de lecture. Ça fait mal d’être en partie passé à côté de vous, mais j’apprends

Au plaisir d'autres rencontres

Mince, j'ai édité pour faire un ajout mais j'ai traîné et le temps est écoulé.

À propos de ne pas oublier que l'auteur est le seul sachant ce qu'il veut dire.
Je ne sais pas si je serais prêt à sacrifier le choix d'un terme, d'une formule, etc, afin d'être plus près d'un lecteur lambda.
J'ai fait mes choix et celui de flouter le viol était conscient. Pourquoi ? Peut-être n'avais-je pas envie de froisser la pudeur de cette petite puis jeune fille et lui occasionner une souffrance supplémentaire.
voilà voilà...

Jfmoods, merci. Votre analyse rejoint tout à fait mon intention d’écriture, je ne saurais mieux dire.
« Le loup parvient toujours à ses fins quand il endosse le costume d’agneau. », hélas.
Je note avec intérêt la mention de L’eau et les rêves de Gaston Bachelard. L’eau en tant que médium à la rêverie, ce doit être passionnant.

bonjour Cyrill
Quelques lecteurs dont moi, se sont égarés loin du sujet, que vous pensiez avoir suffisamment laissé deviner ; hors, il semble que vous reconnaissiez n'avoir pas avoir été assez clair dans votre récit, et qu'il manqua peut-être de plus de détails métaphoriques, par exemple ?
Ce n'est rien, et nul ne s'est confondu en divagations...
Alors que moi, lorsque j'écrivis ( je ne sais plus quel texte ), le manque de clarté dans mes propos, laissa penser " à mal " de ma part ; et je dus venir en forum, rétablir le sens exact de mon propos
un peu comme si j'avais blasphémé, alors que Pas du tout !
papipoète

Bonjour Cyrill.
Excuse-moi, je suis passé en grande partie à côté de ton poème.

Paludisme : chez moi, dans les Landes, c'est le parasite qui a fait tant de victimes du temps où les lagunes (les mares) dominaient l'écosystème avant la plantation des pins maritimes (dix-neuvième siècle). Il y a donc quand même, pour me racheter, l'idée d'un grand désastre (le viol).

Je t'adresse tous mes meilleurs vœux pour l'année 2025.