« Vous savez, je suis tellement heureuse d’être là. De discuter avec des gens qui m’ont lue, qui ont aimé ce texte. Il est important pour moi, vous comprenez. Je suis roumaine, mais j’ai de la famille à Tchernobyl, j’y suis allée. »
La petite femme me parle, les yeux brillants. J’ai donné des points à son texte, même s’il n’était pas mon préféré. Elle me considère comme si j’étais un éditeur célèbre, alors que je ne suis que… moi. Simple lectrice membre du jury. Elle est touchante et débute à peine, elle voudrait tant savoir si on l’aime. Son mari l’accompagne, un grand échalas souriant et muet: « Mon mari, il ne comprend pas, il n’apprécie pas trop ce que j’écris, mais il me relit ». Elle lui tape sur le bras gentiment : «Tu vois, il y en a d’autres, des anormaux comme moi ». Trois textes envoyés à différents concours, trois récompenses: quels débuts ! Un accent chantant, roumain mêlé de suisse, des yeux bleus ardents. « Allez-y, foncez. Ne vous enfermez pas dans les concours de nouvelles, écrivez, écrivez ». Je passe de longues minutes à l’encourager, à l’écouter. Elle est belle et lumineuse.
Demain, ils rentreront chez eux à Lausanne, elle retrouvera ses enfants et son travail. Mais une provision de petites étincelles de joie au cœur, ça ne fait pas de mal, par les temps qui courent.

J'ai six ans je crois ou un peu plus, un peu moins. J'écoute la radio dans la cuisine avec mon père. Un flash météo: Aujourd'hui mer agitée...
Un peu inquiet je demande à mon père: "Comment ils savent qu'elle va être agitée aujourd'hui maman?"

Bruxelles, soir du 31 décembre 1987.
En compagnie d’une amie, j’étais allée voir jouer la « Cage aux folles » dans un théâtre bruxellois, avec dans le rôle de Zaza, le comédien Serge Michel. La fin de la représentation fut délirante : une osmose véritable s’était créée entre le public et les comédiens et lorsque ceux-ci saluèrent, on devint tous fous. On applaudissait à tout rompre, sans discontinuité, on tapait des pieds, on criait, on se levait, les comédiens aussi tapaient dans leurs mains, on n’arrivait plus à se séparer… C’est un des plus beaux réveillons de ma vie – et pour une fois, ce n’est pas à cause de ce que j’ai mangé.
Quelques mois plus tard, je faisais mes courses dans mon hypermarché. Je vis Serge Michel qui se promenait entre les rayons et j’allai spontanément vers lui.
- Vous êtes Serge Michel ?
- Oui, me répondit-il étonné.
- Je voulais vous remercier pour cette soirée de réveillon où vous avez joué dans « La cage aux folles ». Vous avez joué tellement bien ! C’était une soirée merveilleuse, je ne l’oublierai jamais.
Il resta un moment interdit, puis me remercia, les larmes aux yeux, mais aussi comme avec une sorte d’appréhension. Je pensai qu’il craignait peut-être que j’attende quelque chose de lui. Aussi, m’esquivai-je promptement.
Quatre mois plus tard j’apprenais son décès. Peut-être était-il déjà malade lorsque j’allai ainsi à lui et était-ce pour cela que mes félicitations lui firent un tel effet. En tout cas, je suis très contente de n’avoir pas eu, cette fois-là, la timidité ou le respect humain qui m’empêchent bien souvent de céder à mes impulsions du moment.

@ Toc- art, Perle-Hingaud, Pouet, Bidis: Quelles histoires, poignantes, douces, drôles, touchantes! Merci pour vos belles participations sur ce fil! :)

UN CAFE?

Ah ces rendez-vous de fin de journée ! Des fois ça va, il reste « du jus » pour les gérer les deux pieds bien ancrés au sol, l’esprit alerte, la juste distance professionnelle qui permet de passer un bon moment tout en travaillant sérieusement ; et des fois tout ça ne veut plus fonctionner. Trop c’est trop, la fatigue est là et le professionnalisme n’y peut plus rien… ça dérape.

Ce soir là, il arrive directement du travail c’est à dire élégant, affublé du costume de l'homme sérieux. L’entretien porte sur son métier idéal et le voilà qui se lâche. Dans un état de fatigue nerveuse proche du mien, lui si précieux, si maniéré s'imagine et se raconte en explorateur du bout du monde appuyant ses descriptions d’un petit sourire en coin qui aiguise chez moi une sourde envie de rire...

Il y a un effet comique dans ce petit rictus malicieux et décalé qui accompagne un discours qui l’est tout autant ! Me voici l’imaginant quelque part au fin fond du Népal à la tombé de la nuit, marchant dans la boue, des sangsues plein les jambes et poussant des petits cris d’un vain appel au secours… Je n’en peux plus, je ris franchement, par petites bouffées contenues d’abord puis plus franchement.

D’abord surpris, il rit aussi. Tant et si bien que je lui propose de faire une pause, histoire de reposer nos esprit pour poursuivre ensuite posément l'entretien. A cette heure les bureaux sont presque vides, je lui offre un café et une cigarette que nous descendons fumer au rez-de-chaussée.

C’est alors que ce qui ne devait pas arriver arriva.

Une gorgée de café dans la bouche, me voilà assaillie d’une nouvelle image incongrue, que mon hôte inconscient ponctue comme d'un fait exprès de ce petit rictus qui déclenche le rire chez moi, aussi certainement qu’une poignée ouvre une porte! Le reflexe est physique, j’explose littéralement ! Disons plutôt que la gorgée de café en attente dans ma bouche se trouve violemment expulsée en face de moi. Par reflexe je me retourne, n’osant tourner le regard vers ce que je viens de faire, incrédule, sous le choc ! Est-ce bien réel ? Est-ce que je viens bien de cracher mon café au visage de mon client ?!

Lorsque je le regarde à nouveau prête me confondre en excuses, le spectacle que je découvre éveille plus fort encore en moi la force hilare qui ne me lâche pas depuis l'épisode des sangsues. Son visage, ses lunettes, le col de sa chemise, le mur blanc derrière lui sont maculés, tachetés de gouttelettes de café! Un quart de seconde en suspens et c’est à nouveau le rire qui l’emporte pour moi d'abord violemment puis pour lui qui ne résiste pas davantage à la vague!

Il refusa catégoriquement ma proposition de lui offrir le pressing mais sut malicieux, me demander au cours des entretiens suivants de bien vouloir lui offrir un café… Au bureau, personne n'en sut jamais rien.

Merci pour toutes ces lectures captivantes ! J'adoooore !

@Annick: Cool! ça me fait plaisir. Merci :)

UN CAFE ? Opus 2 -

Comme c’est agréable de quitter son chez soi pour partir quelques jours apprendre, s’enrichir dans un lieu inconnu ! Elsa adore ces escapades studieuses qui la sortent de son quotidien. Cette fois, elle passe une semaine à Vaison la Romaine pour apprendre une technique sur laquelle il est inutile de s’étendre. Bien vite, elle et ses "collègues" trouvent l'équilibre travail - plaisir.

Ce soir c’est Houria qui invite Elsa à passer la soirée avec elle dans la charmante maison d’Hôtes où elle séjourne. Elles se connaissent un peu avec Odette la dame qui tient le lieu, en rentrant hier elle croisé Elsa dans la piscine. D’ailleurs c’est elle-même qui l’invite, il y aura aussi l’homme qui loue sa seconde chambre. Une soirée simple et de bon goût sous le ciel étoilé d'un début d'été, parfait.

Effectivement, la soirée est délicieuse. Les discussions vont bon train excepté pour l’homme de la seconde chambre qui peine à sortir de sa réserve. Seul avec trois femmes c’est peut-être beaucoup pour lui, l’ambiance est certes détendue mais loin encore du stade de la franche rigolade. C’est alors qu’Odette toute heureuse d’avoir remis en fonction sa cuisine d’été, demande :

- Quelqu’un veut un café ?

Elsa accepte bien volontiers à cette heure un café serré-mais-pas-trop avec la cigarette qui va bien. Décidemment cette soirée est une réussite, elle s’en souviendra se dit-elle en se saisissait du café que lui sert Odette, sans-sucre-merci.

La pénombre du soir les enveloppe. Il y a la lumière de la maison bien sûr, un photophore sur la table mais c’est sans vision aucune de ce qu’elle porte à ses lèvres, qu’Elsa incline la tasse et laisse se déverser dans sa bouche le nectar noir qu’elle apprécie tant. Il ne lui faut pas plus d’une nanoseconde pour sentir une saveur différente de celle du café, assez marquée qu’elle définirait comme de l’herbe ou une plante si on lui posait la question. A la même nanoseconde quelque chose de solide s’introduit dans sa bouche. Enfin, quelques choses puisqu’il lui semble avoir de la paille dans la bouche, plusieurs brins, beaucoup trop en fait. Etonnante cette façon de servir le café !

Elsa grimace, avale le liquide et demande à Odette, la langue encore encombrée :

- Dis-moi Odette, tu as mis quelque chose dans le café ?

- Non rien du tout, répond-elle.

Les mots se mêlent aux sensations et pensées déjà en alerte d’Elsa. Peu importe la grimace de l’homme de la seconde chambre, elle crache le contenu de sa bouche sur la table et attrape avec les doigts ce qui ne veut pas descendre tout seul! Puis elle se penche et regarde à la lumière du photophore ces choses qu'Odette n'a pas mis dans le café. L'homme de la seconde chambre peut alors voir l'incrédulité sur son visage suivie de près par l'effroi puis le dégoût le plus profond.

Sous ses yeux, une sorte de nid d'araignées aux pattes entremêlées. Elles gisent d'avoir été ébouillantées puis quelque peu mastiquées à l'occasion du premier café de l'été.




Aurais-je raté une carrière de cracheuse de café…?

La soirée fut délicieuse ! Le café noir épouvante-able !
Merci Ora pour cette savoureuse histoire ! J'ai aimé l'écriture...limpide !

@ Annick, merci :)