L’étage 51 N’EST PAS la zone 51, N’EST PAS une fabrique de l’alcool du même nom, N’EST PAS le cinquante-et-unième lieu d’un cinquante-et-unième anniversaire d’une cinquante-et-unième personne prise au hasard dans un groupe de 51 individus (qui auraient tous à ce moment-là cinquante-et-une raisons de faire une halte dans le coin).
- Ok mais du coup c’est quoi l’étage 51 ? Demande un brave quidam trottinant par là.
- C’est un lundi…
…Ou peut-être un mardi, allez savoir… je veux dire, allez-y, allez-y vraiment…

L'étage 52 baigne dans les effluves d'alcool de l'étage précédent. Mais pas pour longtemps.

Grisé il louvoie, tandis que, éternellement ses portes claquent.

Ici, les numéros se délitent dans l'espace. Là où une conversation intéressante prenait place, on la déplace tout au fond du panier. Des fois que s'ensuivrait un gentil tintamarre que nul ne saurait gérer...

Ici, la peur est aux aguets. On bâillonne, on calfeutre, on devient pleutre et rien n'y fait.

L’étage 53 s’écrit au fur et à mesure de sa valeur ajoutée.

On ne s’y bouscule pas pour inventer la suite de son histoire, mais il faut bien reconnaître que l’ascenseur est quinteux et que le concierge n’a plus l’âge de cirer les pompes ni les boiseries, ni de dégoiser sur le voisin de palier.

En dehors de ces moments de passion superficielle, on y parle de tout et de rien sur un ton d’urgence absolue et les décisions qui devraient en ressortir sont l’objet de navettes interminables entre le 5 et le 3.

Autant dire que ça déménage au 53.
L’avenir même de l’étage étant tributaire de la bonne marche d’escalier, encore faut-il que celle-ci soit convenablement balayée par le rayon laser ayant remplacé au pied levé le concierge mis à.
Fasse le syndicat de la corporation que reviennent les mauvaises langues et les bavards qui faisaient autrefois les gorges chaudes de la profession, les lasers n’ayant pas vocation à jeter l’opprobre sur le locataire désireux d’un peu de diffamation.

L’étage 54 est un ensemble de vallées, de montagnes, de plaines et de forêts luxuriantes, de bois perdus comme de bois éperdus, de landes qui cachent et révèlent d’autres landes.

Durant une première période appelée l’Âge de Diamant, l’étage 54 est peuplé par un très grand nombre d’entités chimériques et merveilleuses telles que des Titans, des Dragons, des Fées, des Géants, des Lutins, des Mange-Nuages, des Vagabonds Célestes et des Hommes-des-sables.
Tous ces êtres fantastiques, par-delà les monts et les bois, les plaines et les vallées, tous attendent le retour de « l’Enfant Créateur », ainsi nommé par eux-mêmes.
Note : Dans un recoin caché de la Vallée des Pierres-luisantes, on peut trouver une petite malle en métal rouillé contenant quelques jouets usés ainsi que le dessin d’un enfant âgé de sept ans (âge certifié, l’enfant l’ayant précisé dans un recoin de la feuille à carreaux, au feutre noir, à côté de son prénom, ayant visiblement estimé que cela était nécessaire pour signer son dessin).

Durant la période suivante, période appelée l’Âge du Déclin, tous les êtres présents à l’étage 54 semblent peu à peu perdre leur espoir initial, et progressivement, les uns et les unes après les autres, cessent de croire en l’éventuel retour de l’Enfant Créateur.
Les Titans, entre colère et chagrin, brisent des lunes entre leurs mains crispées. Les Fées, dans leur désespoir, se changent en cris de lumière. Les Dragons tournoient au-dessus des sommets, le cœur battant, les yeux fermés sur le vide, un vide si grand, si terriblement grand. Les Mange-Nuages avalent parfois un arc-en-ciel par mégarde et font pleuvoir des couleurs ternes. Les Géants demeurent prostrés, jusqu’à être confondus avec les montagnes. Les Lutins sanglotent. Les Hommes-des-sables sont muets comme la pierre. Les Vagabonds Célestes hésitent à rejoindre le trou noir le plus proche. Tous énoncent la dure vérité : L’Enfant Créateur semble avoir disparu, à jamais. Ou peut-être l’Enfant Créateur nous a-t-il oubliés, à jamais. Peut-être ne sommes-nous tous que vaine poussière qui jadis pensa échapper au néant.

La période suivante est appelée « L’Âge D’un Soir » ou encore « La Dernière Flamme ».
Durant ce bref laps de temps, tous les êtres peuplant l’étage 54 sont à l’ouvrage d’ultimes célébrations, en hommage à l’Enfant Créateur. Les Dragons chantent des flammes et des incendies dans le ciel, comme s’ils voulaient ranimer toutes les étoiles éteintes. Les Fées inscrivent des mots de lumière sur tous les vents qui passent. Les Titans rassemblent des éclats de lunes et allument un feu stellaire dans le noir profond. Les Géants sculptent des arcs-en-ciel et les juxtaposent sur les ténèbres. Les Lutins jouent des flûteaux le long des arbres et des roches. Mange-nuages deviennent Nuages et Nuages deviennent Mange-Nuages. Vagabonds Célestes échangent avec l’autre bout des galaxies. Et alors que vient l’aurore, Hommes-des-sables baissent les bras, laissent enfin tomber les pleurs d’argile.
De la colère aux larmes. De la peine à son acceptation. L’Enfant Créateur n’est plus là. L’Enfant Créateur ne reviendra plus. Il est temps de faire le deuil. Il est temps de partir.

Durant la période suivante appelée « L’Exode » ou encore « L’Âge des adieux », tous les êtres fantastiques peuplant l’étage 54 quittent l’étage 54.
Les Titans prennent le chemin d’un oiseau-tonnerre de passage. Les Dragons s’envolent vers l’inconnu lointain. Les Géants s’en vont d’un pas de roc. Certains êtres attendent le dernier moment pour partir. Tel Lutin en lanterne et baluchon. Telle Fée au cœur lourd qui s’allègera sur un autre sentier. L’étage 54 est désormais vidé de sa Fantaisie. Les Hommes-des-sables ont repris leur longue marche. Les Vagabonds Célestes ont choisi d’errer à jamais.
Les voilà tous partis. Si loin dans le temps et l’espace. Peut-être au seuil de l’existence. Peut-être au-delà des mots et des mémoires. Là-bas ils seront heureux.

…


Âge-Présent – Période également appelée : « La lumière qui est restée ».

Ils sont tous partis. Ils ne reviendront jamais. Et pourtant…

À l’orée de l’une des forêts de l’étage 54, l’on trouve un cabanon avec dedans une petite bibliothèque. Cette petite bibliothèque contient un certain nombre de livres contant l’Histoire de l’étage, et toute sa Fantaisie. Tous ceux qui sont partis. Tous y sont mentionnés. Décrits et redécouverts. À chaque nouvelle page, rêves et merveilles, Fées et Dragons et tant d’autres… se racontent entre les lignes, le long des paragraphes illustrés.
Certaines nuits, une silhouette apparaît sur le seuil et entre dans le cabanon. Cette silhouette semble être celle d’une personne adolescente ou adulte. Elle consulte les livres, en tourne et tourne les pages, en lit et enregistre chaque mot. Ce moment semble être à la fois rencontre et retrouvaille. À la fois tristesse et aventure. La lueur de la bougie vacille. Bientôt il fera noir. La nuit se fera presque silence.


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[Étage 54 : Étage considéré comme non dangereux et libre d’accès]

L’étage haut-les-cœurs
pour univers en friche
éclot de l’ascenseur
butant à l’hémistiche.

S’il a fenêtre close
sur un morne horizon
c’est qu’une étrange hypnose
l’a mis en déraison.

S’il a quelque pâleur
à ses murs délabrés
c’est qu’un triste bailleur
voulut le voir sombrer.

Si des parfums de rose
émanent des cloisons
c’est qu’un hymne morose
est à son diapason.

Alors crevons les nues
des songes univers
émaillons l’inconnu
de nuages en vers.

À cet étage il fut
un être au rire solaire
disant l’air éperdu
qu’il restait tant à faire.

Un soleil méconnu
y vit dans la galère
s’y sent un peu perdu
sous les cieux de lumières.

Alors le long des rues
et des chemins de terre
allons semer ces nues
imaginées hier.

Le temps est plein de trous
la vie pleine de peurs
soyons au rendez-vous
il est temps il est l’heure

De prendre soin de nous
de devenir meilleurs
car nous sommes après tout
à l’étage haut-les-cœurs…

car nous sommes après tout
à l’étage haut-les-cœurs…

Voici l’étage des langueurs
qu’un démiurge anime en solo
en déversant de pleur en fleur
une pointe de sel dans l’eau.

La vague lèche l’escalier
jouant de son écume sale
et dépose sur le palier
son œuvre lente et machinale.

Gisent ici comme une erreur
la crème des âmes errantes
qui agonisent leur auteur
de mille injures véhémentes.

( * agonisSent )

Les habitants de bas-étage
ont quelque aigreur à son endroit
ils s’y trouvent trop à l’étroit
rêvant de vivre davantage.

Désespoir et chemin de croix
font le quotidien de ces sages
qui ne veulent être la proie
plus longtemps de ce triste usage.

Il en est même qui ont froid
il en est d’autres qui s’engagent
manifestent leur sainte rage
témoignent de leur désarroi.

Clamant aux nues de fiers adages
de longs dédales en détroits
ils déambulent sans bagage
hardes lustrées en fait d’orfroi.

À l'étage des rase-mottes, que l'on nomme aussi l'étage à la Recherche du Trésor Perdu, tout vole bas. Les culs-de-jatte, les trous-de-balles, les nains de jardins, les esprits étroits, bornés, étriqués, etc... Et s'il venait soudain l'envie de gratter jusqu'au permafrost, on y retrouverait même des cons gelés depuis un bail.

Pas le con par où passe la succession des générations, celui qu'on aurait bêtement pris pour le symbole de l'impuissance et de la passivité, mais bien le con comme la lune, comme dirait Céline dans sa Mort à Crédit.

Une galerie de cons en quelque sorte pris dans les glaces, qui ne seraient même pas les glaces de Versailles, et qui attendraient un hypothétique dégel pour exhaler toute leur bêtise accumulée depuis des lustres, en mettant les bouchées doubles de façon à rattraper une richesse qui ne se rattrapera jamais : celle du Temps Perdu.