L'enfer (Apollinaire)

Un homme a traversé le désert sans rien boire
Et parvient une nuit sur les bords de la mer
Il a plus soif encore à voir le flot amer
Cet homme est mon désir, la mer est ta victoire.

Tout habillé de bleu quand il a l’âme noire
Au pied d’une potence un beau masque prend l’air
Comme si de l’amour – ce pendu jaune et vert-
Je voulais que brûlât l’horrible main de gloire.

Le pendu, le beau masque et cet homme altéré
Descendent dans l’enfer que je creuse moi-même
Et l’enfer c’est toujours : Je voudrais qu’elle m’aime.

Et n’aurais-je jamais une chose à mon gré
Sinon l’amour, du moins une mort aussi belle.
Dis-moi, le savais-tu, que mon âme est mortelle ?

Non, Méléagre, je ne crois pas que ce soit permis, mais Apollinaire avait la prosodie très élastique et là nous devions suivre ses rimes... Je crois que pour le Jardin des Oliviers on peut mieux faire, mais d'emblée le sujet m'a plu et s'adaptait aux rimes, comme tu l'avais remarqué. Je suis certaine que tu sauras mieux en tirer parti en le triturant à ton gré, ici tout est possible...

Alex bravo pour le muret et le poème que tu nous a construit en prime ! Tu as bien mérité ton repos dominical... C'est au pied du mur que l'on voit le maçon... et le poète ! Les deux sont bons !

"L'enfer" d'Apollinaire où je retrouve ma "mandegloire" ("Lucie de l'Amère-Mort-sur-Loire")... Merci Tizef !

Réflexions philosophiques, pardon à Louise Labbé qui ne parlait que d'amour !


La connaissance

Si je m’attarde un jour en espérances vaines,
Et sans vouloir traquer les fautes coutumières,
J’irai boire en secret à toutes ces rivières
Dont les cours paresseux jaillissent des fontaines.

Pour abreuver ainsi nos âmes trop humaines,*
Il nous faut filtrer l’eau de nos sources premières,
Prouver, sans s’expliquer, d’où viennent ces lumières
Qui ruissellent sans fin sur nos cœurs et nos peines.

Il n’est point de réponse et mon esprit essaie,
Poussé par le désir qui dirige son dard,
De comprendre le droit de mériter sa part

Du savoir en ce monde et, quoi qu’il dise ou fasse,
Même s’il doit souffrir d’une nouvelle plaie,
Je lui ferai sur terre une royale place.

Un beau poème philosophique, qui reprend de belle façon des métaphores classiques : la soif de connaissance, la connaissance comme lumière, la quête du savoir. A ce titre, j'aime beaucoup les quatrains.

Le sonnet en lui-même est très bon (tout comme l'était celui sur le jardin des oliviers) mais lorsqu'on sait que l'un et l'autre proviennent d'un exercice de bouts rimés, on reste sans voix.
Plus généralement (attention les chevilles) je trouve que le niveau général de ce qui n'est qu'un atelier d'écriture est supérieur à celui (tout aussi général) des poèmes retenus par le CE.

Effectivement, Mona est en veine, après le Mont des Oliviers la voici Prométhée au féminin. Et avec quelle réactivité ! Bravo Mona !

Merci les amis pour vos aimables encouragements. Il est évident que ces sonnets ne sont que des esquisses et demandent encore beaucoup de travail pour être pleinement accomplis. Premiers jets à travailler pour traquer le mot juste, éviter les "chevilles" qui empêchent les nôtres d'enfler (merci Tizef !) Dans ce dernier, en me relisant j'ai relevé 2 hiatus qui m'ont fait malmener mon premier tercet, mais prosodie oblige ! Il se peut que d'autres fautes m'aient échappé, ne pas hésiter à me les signaler, on est là pour ça !
Il est évident que les rimes obligatoires freinent un peu l'inspiration, mais elle serait peut-être tout à fait absente sans ces rimes directives, même si elles nous semblent parfois contraignantes. La poésie classique est avant tout un canevas dans les mailles duquel on brode en suivant un tracé bien précis, c'est ce qui en fait la difficulté mais en même temps le charme, car il faut contourner les obstacles et vaincre les contraintes pour voir naître l'oeuvre finale. Passionnant, non ?

Oui, c'est vrai que j'écrirais moins s'il n'y avait pas les Bouts rimés. C'est dur de retravailler un texte après l'avoir posté ici, mais certains sonnets, de chacun d'entre nous, sont très intéressants. Beaucoup de choses à garder. Et puis ça m'a permis de découvrir le classique, ce qui est déjà une bonne chose.

Bon, moi, j'ai repris les rimes de la série précédente, pour essayer l'idée que j'avais eue, et écrire un sonnet sur le même sujet que Mona. Pas pour faire concurrence, mais juste pour comparer.


Je suis seul à veiller, prier dans la nuit noire.
Jacques, Jean, Pierre, au pied d'un grand olivier vert
Sont endormis. Bientôt ils verront ma victoire.
Pour la dernière fois je respire cet air...

L'heure est venue, enfin, de ma mort, de ma gloire.
Ôte-moi, si Tu peux, tout ce calice amer ;
Si c'est ta volonté, Père, je veux le boire.
Moi qu'on nomme Seigneur, je suis Celui qui sers.

Le Père donne un fils au monde tant Il l'aime ;
J'ai vécu comme un homme, et je vais mourir même
Pour racheter l'humain par Adam altéré.

Je suis le fils de Dieu, mais ma vie est mortelle.
J'ai vécu sur la Terre, et je meurs de bon gré.
Ma résurrection dans trois jours sera belle.