La Baume noire, la nuit...

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune,
Comme un point sur un i.

Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?

Es-tu l’œil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?

N'es-tu rien qu'une boule ?
Qu'un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?

Alfred de Musset, Contes d'Espagne et d'Italie

Pour en revenir à votre nouvelle, Danse l'ombre, outre Lacan, j'y retrouve beaucoup plus d'éléments associés au processus d'individuation décrit par Carl Gustave YUNG.

Le Double est le principe du même sexe que le sujet, le COMPLÉMENTAIRE est le principe de sexe opposé au sujet (l'ANIMA pour l'homme, l'animus pour la femme). Le double comme le complémentaire possèdent chacun un VERSANT positif (célestiel), assimilé au MOI, et un versant négatif (infernal) projeté sur l'autre. Par exemple, l'image du PRINCIPE FÉMININ a tantôt l'aspect de la déesse mère nourricière et protectrice, tantôt celui de la mère dévorante. L'image du principe masculin peut prendre l'aspect du héros solaire (le cow-boy); il peut également représenter le souffle vivifiant de l'esprit.

Le PUER qui est le double idéal, célestiel, l'ENFANT DIVIN, « le ciel néo-cortical ». Le Puer apparaît dans les mythes comme un être immortel, l'enfant divin. Il meurt jeune et se confronte souvent avec la mort pour tester son immortalité.


Le SENEX représente ce qui fait obstacle au renouvellement de la conscience attachée à ses vieilles valeurs et à son conditionnement. Il représente l'inertie et la résistance au changement. C'est le côté OBSCUR de la conscience, le sorcier qui cherche à s'emparer du MOI pour bloquer le développement de l'âme (de l'anima) afin de devenir une personnalité « mana », l'archétype du chef, du souverain qui exerce son pouvoir par la force et la violence. C'est le double négatif, le double infernal, « l'enfer reptilien » réceptacle de la haine, projetée sur l'autre. Le Senex est en relation avec Saturne, Chronos, le maître du temps. L'individu sous l'emprise du Senex vit dans l'insatisfaction actuelle, est inhibé par le passé ou vit dans l'insatisfaction.

Je suis très touché, Phoebus, de ces remarques qui me semblent fort justes. Il est possible, de fait, que j'aie davantage été (inconsciemment) inspiré par Jung et par ses archétypes que par Lacan. A vrai dire, j'ai écrit cette nouvelle sous une impulsion et sans référence aucune à ce que je pouvais connaître de la psychanalyse, même ,si j'en suis tout de même baigné. C'est toujours depuis une émotion, un trouble que je pars "en écriture", jamais d'un savoir, et je ne sais jamais très bien d'où ce trouble vient, c'est l'écriture du texte qui l'élucide (ou non, mais quand un texte est terminé c'est que le trouble s'est plus ou moins élucidé).

Cela dit, on peut après coup voir comment on a "réinventé" j'allais dire l'eau tiède, du moins ce que de grands devanciers avaient déjà perçu et formulé, théorisé. La littérature me semble laisser ce "jeu", cette liberté de la fiction, permettant de revoir la théorie sous un autre angle et, le cas échéant, de l'ignorer, du moins d'en faire "son miel" et de la réécrire "à sa sauce".

Mais je vous remercie d'avoir repris tous ces archétypes, ils me permettraient si je le désirais, de faire venir dans cette maison du Nord, d'autres personnages que j'aime souvent "invoquer", en particulier ce SENEX sinistre qui attire bien sûr, puisqu'il est "le côté obscur" de la vie, son ombre. Parfois, d'ailleurs, il me semble que le senex a partie liée avec le puer, du moins il m'apparaîtrait sous la forme du "sale gosse", ce senex, un sale gosse qui n'a pas envie de vivre, qui voudrait en rester là (un peu comme "mon" frère dans la nouvelle)...

Voilà, la fiction permet de gloser "à l'infini" puisque les figures forcément ambiguës qu'on y évoque permettent d'en appeler à beaucoup d'autres archétypes encore. En tout cas mille mercis pour vos remarques qui ont grandement nourri ma rêverie ce matin.

En se confrontant au Senex, votre personnage-narrateur devrait se transformer en vieux sage par le sacrifice de sa volonté de puissance. Par la prise en compte de l'ombre pour soi-même, cette transmutation du Senex lui permettra de devenir ainsi le côté structuré de la personnalité capable de mettre en forme la créativité du puer.

Et cahin,caha, on devrait s'acheminer vers un un bon vieux mystique dont le MOI est assez solide pour vivre le numineux (le mysterium tremendum) sans risquer une désintégration de la conscience dans la folie. Une expérience transcendante qui surmonte les antagonismes et montre une non séparation entre le MOI et le SOI d'une part et l'ambivalence de tout archétype.

Donc, plutôt qu'un théoricien, un mystique bien trempé et au fait des cultures chamaniques.

Je comprends mieux votre attachement au mystique lorsqu'on a abordé les religions.

C'est un grand bonheur, Phoebus, de se sentir si bien compris! Bien amicalement à vous!

"Et par ailleurs, les phases cruciales du processus d'individuation sont invariablement accompagnées d'événements "synchronistiques". Mais trop souvent ils passent inaperçus, car l'individu n'a pas appris à observer ces coïncidences et à leur donner un sens en relation avec ses rêves." C.G. YUNG

Très amicalement

Bonheur de vous lire tous les deux à la fraîche!
Et fierté pour Oniris....

J'ai le sentiment diffus de me promener entre Abélard et Bernard de Clairvaux...

Puerpimpette

Gaffe à tes coucougnettes, Abélard ! Il ne plaisante pas avec le dogme le Bernard ...
Cela dit, j'aime bien vous suivre, moi aussi, dans ce détricotage d'un texte dont j'ai apprécié l'ambiance après avoir été attirée par le titre que je trouve extrêmement poétique.

Bonjour mesdames,

On parle bien d'une castration symbolique qui permet la différenciation de la culture par rapport à la nature et de se créer l'espace de l'imaginal qui est une passerelle entre la conscience ordinaire et l'inconscient collectif ?

Dans la même veine, un texte intéressant sur l'imagination active:

"Le scientisme et le rationalisme enferment l'homme dans une conception du monde matérielle, concrète ; l’imaginaire est, dans cette vision du monde, uniquement tournée vers l’aspect rationnel des choses. La plupart des hommes semblent avoir perdu la relation avec l’imagination créative permettant de s’ouvrir à la partie immatérielle et non-rationnelle du monde et ouvrant sur le réel, propre à développer leurs capacités personnelles à trouver du sens et à cheminer vers eux-mêmes.
Nous pensons que c'est en dépassant l'imaginaire social institué, c'est-à-dire la réalité signifiante que l’on prend pour la Vérité mais qui n’est qu’une illusion, qu'un être humain peut, par l'intermédiaire de l’imaginal tourné vers la dimension spirituelle, accéder à toute une part oubliée de lui-même, puis laisser le réel se dévoiler et accéder à la totalité de l’être et du monde. "

http://joelle.maurel.pagesperso-orange.fr/articlespdf/imaginaire/imaginaldimtranscendante.pdf