Étage 94

De la captivité de l'étage nonante-quatre, poèsie du temps et des fleurs, des fresques de souvenirs, des tableaux primitifs flamands étalés comme un écran sur le pare brise, comme une carte, le feu long d'une mise à mort éternelle, un supplice. Il est seul dans un deux pièces, il regarde par la fenêtre, le lampadaire rétorque un soleil de néon, un de plus. Il est joueur, de pipeau, appelé à un horaire harassant, pour nourrir une vie de misère solitaire.
Si vous avez quelque chose à donner ... attendez ... trop tard ... il est mort.
Si vous désirez lui faire envoyer une couronne, n'oubliez pas de mentionner qu'il s'agit de monsieur nonante-quatre numéro septante-deux (son nom n'est pas son numéro, c'est monsieur nonante-quatre et son numéro est septante-deux, pas monsieur septante-deux, je le répète, septante-deux est bien son numéro) au funérarium bouté du clos, 2.

Étage 95 acte 1 et acte final

Cap sur l'univers de la décrépitude et de l'ennui mortel. Les regards ont un jour pénétré en cette alcôve de l'existence. Et il fut décrété que rien, pas même l'ultime calme qui y régnait, ne mérite d'endosser un ennui aussi profond, on referma alors cet univers qui reposa comme un cocon de perfection de la désuétude, une sorte de mythe accompli de la virginité y fut associé au cours des générations qui se succédèrent sans l'ouvrir, laissant reposer la poussière sur le recueillement de l'absolu et sur la magnifique absence de relatif qui le constitue. Une vague de remords s'empare progressivement du monde à l'égard de cet univers 95 surnommé le mal aimé.
Et voici que l'on est sur le point de l'ouvrir, de mémoire d'homme, cet espace n'a pas d'odeur ni de texture. Il sera décapuchonné selon l'usage, dans une salve de cris de joie et d'émotion, lors d'un grand événement mondial d'ouverture. La question est posée de savoir si l'univers 95 ne risque pas de s'être vexé depuis le temps, on pense même à envisager une consécration compensatoire quelconque afin d'éviter le malentendu diplomatique.
Voilà, la capsule a sauté, on pénètre du regard le 'mal aimé', d'abord chacun est pris d'un ennui, voir même d'une nostalgie insupportables, ensuite après quelques minutes de bâillements et de commentaires inefficaces, une malédiction s'annonce de sa voix d'ange, et en un cri qui retentit sur chaque surfaces du monde matriciel de l'humanité alors festive, cette voix annonce la mort de toutes les créatures de dieu pour s'être approché de nouveau de l'univers 95, et de l'ennui profond que lui avait jadis provoqué le contact humain. Tout le monde meurt, avant la fin du premier acte, donc...

Univers 96

Ici nul n'est oxymore univoque, mais tout est rose rouge, silence tapageur, haine amoureuse, bistro propret, euphorique lassitude, marée sèche, sel fade, panache morne et blessures fortes.
La guérison est dangereuse, le mal ne fait pas de bien, on danse immobile et les cendres brûlent. Dans l'univers 96 tout est l'exact mensonge véridique de
l'honnêteté vile et de la décadence disciplinée. La platitude originale est aspérités rectilignes, le manque est à assouvir sans cesse, la drogue est vitale et le relief est lisse. Un glaive doux entrave la subtile évidence de la liberté. Un mur mou contemple aveuglement une étendue debout. Le parfum inodore du pollen stérile masque la vision monochrome d'un opercule perméable. Sous la lumière morte se déposent en surface des pans informes de l'univers 96, il implose vers l'extérieur sans faire de dégâts rescapés. L'affaire est classée en poursuite immobile, le temps sans repères fait un enfant surannée à l'espace néant, l'ombre irradiant traduit la déflagration apaisée du cosmos nanoscopique, l'oxymore aboie, la caravane sédentarisée passe.

Étage 97

[7 709 341 299 000 kms2]

L’étage 97 est un dédale de salles de bain. La plupart d’entre elles sont fonctionnelles, comportent une douche et une baignoire, et sont équipées en serviettes propres.

Étant donné la grandeur de cet inextricable labyrinthe, il est rare d’y croiser quelqu’un d’autre que soi.
À intervalle régulier, des douches s’activent toutes seules.

Le long de ces milliards de carreaux de céramique, une entité non-hostile parcourt en permanence cet étage.
Celle-ci, parfois appelée « le monstre de boue », est une masse informe plus ou moins consciente, avec parfois un visage très vaguement humanoïde,
un être constitué de boue et d’argile, se déplaçant lentement de salle de bain en salle de bain.

Ô Créature errante…
Es-tu l’omniprésence nécessaire à l’existence de ces lieux ?...

L’étage 98 est un ensemble de soixante millions de salles obscures équipées en rétroprojecteurs ou en télévisions,
et où se diffuse continuellement, dans chacune des salles, une vidéo de la finale de la Coupe du Monde de football de 1998.

[INFO-ALERTE1]
Invasion d’entités étranges dans trente pour cent des salles.

[TÉMOIGNAGES – EXTRAITS]
...Et elles n’ont pas l’air d’aimer le foot, étant donné qu’elles semblent s’évertuer à détourner l’attention
de celui ou de celle qui s’intéresserait un peu trop au déroulé du match.
…
Elles peuvent insuffler de fantastiques visions dans nos pensées…
…
Une planète quelque part dans la nervure d’une feuille…
…
L’histoire d’un monde perché sur une simple branche, et qui un jour tombera…
…
Une piste de danse dans une immense capsule dérivant dans l’Espace…

[INFO-ALERTE2]
Invasion d’entités étranges dans trente-neuf pour cent des salles.

Étage 99

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Étage 100


Et voilà nous y sommes…


Annonce-t-il à l’étage cent
Un être de lumière et de sang
Rencontré sur le versant
D’une immense dune de sable laissant
S’écouler le temps d’un nouvel univers naissant

…

Étage 101 perché sur les toits du monde

Pour accéder à ce lieu, ce lieu, que dis-je, ce misérable squat perché sur les toits du monde, il suffit de composer le 101 sur votre téléphone fixe.

Vous serez directement dématérialisé et pour être rematérialisé sur place sans espoir de retour.
Si vous avez composé un mauvais numéro prière d'adresser auprès du bureau de douane de votre circonscription :
- la demande f097/4.
Pour l'obtention :
- du formulaire 79a.

L’étage 102 est un ensemble de collines verdoyantes qui toutes les nuits se changent en dunes de sable.
Le long des collines verdoyantes, galopent des licornes et tournoient des dragons.
Le long des dunes de sable, des entités robotiques diverses se déplacent munies d’appareils s’apparentant à des détecteurs à métaux.

Témoignage d’un explorateur
J’y ai vu l’Entre-Fée. Je l’ai vu commander aux dragons. Je l’ai vu remettre une poignée de cristaux entre les pinces métalliques d’un robot usé par le temps.
Parfois on entend un téléphone sonner le long des dunes. Mais on ne voit jamais le téléphone.

Rapport d’une exploratrice
Sur la dune-colline marquée d’une pierre rouge, un ascenseur mène désormais à un sous-étage. Celui-ci est un entrepôt faiblement éclairé, où s'entassent
des milliers d’annuaires téléphoniques aux pages jaunies par le temps, contenant des milliers de numéros de téléphones fixes, de personnes ayant vécu dans les Étages.
La porte au fond de l’entrepôt mène vraisemblablement à l’Étage 9,1112200800100961.