Cher journal,

je t'écris de l'au-delà...
Hier, j'ai franchi le pas de trop. Celui qui mène au précipice. Et j'ai sauté...

Étrange, la chute. Elle n'avait rien de convenu.
C'était un effondrement à l'horizontale. À peine une éraflure suspendue qui m'a engloutie toute entière.

Au bout de ce qui m'a semblé être un tourbillon de lumière, je me suis retrouvée à califourchon sur un cumulus, blanc séraphin suspendu entre Terre et Ciel. Aussi moelleux que nonchalant, il allait parmi ses semblables au gré d'un vent venu du Sud, à en juger par la douceur du souffle et le crépitement d'infimes grains de sable sur ma peau.

Le cheminement aurait pu durer ainsi toute mon éternité, lorsque une sensation vaguement consolante de fin de voyage m'a fait ouvrir les yeux. J'étais arrivée à destination.

Autour de moi, ce n'était que merveille de paix, de pureté, de parfaite adéquation. Le bleu exalté inondant le firmament répondait à la coulée d'or pur d'un soleil qui souriait sur la mer de nuages.

J'étais en train de me laisser submerger, lorsque soudain m'est apparu Jonathan, le goéland.

Il a déployé ses ailes immenses, comme pour m'inviter à poursuivre avec lui le périple, et il m'a dit : « Nous sommes libres d'aller où bon nous semble et d'être ce que nous sommes ». Puis il a rajouté  : « Tu es libre d'être à l'instant toi-même, vraiment toi-même, et rien ne saurait t'en empêcher. » (**)

Avec lui à mes côtés, jour après jour, cher journal, je sais que je parviendrai à sortir de la caverne...



(*) Pour qui souhaite lire en musique
(**) autres citations de Jonathan Livingston Seagull

Cher journal,
Pardonne-moi, j'avais oublié où je t'avais rangé.
Mais maintenant, j'ai oublié ce que je voulais te dire...

Cher journal,

Hier soir, j'ai observé le ciel. Il me fait peine autant qu'il me comble et me donne de joie. " Comble" n'est pas le mot : j'ai encore en moi toute ma mémoire, ma richesse, mon salut. C'est elle aussi qui me tient. Elle annihile le temps...
Alors, hier soir, j'ai regardé là-haut à travers les barreaux et ce que j'ai vu, c'est l'infiniment grand qui contraste tant avec ma cellule, un espace confiné contre un espace illimité. Ce n'est évidemment pas la première fois que je vois ça, mais c'est la première fois que je t'en "parle", et t'en "parler" me permet de me dire.
C'est un spectacle inouï dont jamais je ne me lasse : des points si lumineux qui vous happent et vous hypnotisent. Savoir qu'ils sont si loin...

***
De comètes en comètes, pas une échappatoire.
Tu le sais, c'est ta vie, suspendue aux soleils,
c'est ta vie étendue aux quatre coins du ciel.
Et tu peux avancer au hasard des étoiles
vers un rêve concret
se balançant soudain
aux confins de ta chambre.

***

Cher journal,

Aujourd'hui aurait revêtu les habits des autres jours, entre ces quatre murs, hardes grises et plutôt moroses, si le gardien ne m'avait remis un pli.
Une lettre d'une plume inconnue. J'ai ouvert. Assez fébrile je dois dire. Qui m'écrivait ainsi sans laisser d'adresse ? J'ai peu à peu été plongé, happé par ce qui prenait forme sous mes yeux. Au fil de la lecture, un univers se créait dans mon esprit, me submergeait, me ravissait, me divertissait au sens pascalien du terme, réunissant innocence, dépaysement et envoûtement. Je lisais mais j'oubliais que je lisais tant je voyais l'humanité sous mes yeux, des étoiles de nuit, une fois encore m'étaient offertes. Savoir que quelqu'un me donnait son temps, ses mots, sa générosité, sa beauté me touchait plus que tout, moi qui n'avais que peu de contacts avec le monde extérieur.
J'ai passé tout le reste du jour à relire cette étrange missive tant son empreinte était forte... Aussi n'ai-je pas eu le besoin d'écrire de poésie. Une empreinte, voilà ce qui me tient.

Cher journal,

Je suis le bleu roi de mes jours de mes nuits
le bleu violent de l'ecchymose qui viole et marronne
l'orange d'un soir d'orage virant au noir de rage
mes vers sages mes verts tendres renversants

Je suis l'espoir émeraude sous l'accent circonflexe
le Ô hardi sur les joues éclaboussées du rouge sang
qui ose tout le matin gris pour renaître d'une fièvre rose

Cher journal,

J'ai voyagé aujourd'hui...Si...si...si...Tu ne me crois pas, hein ? Tu me connais maintenant, tu sais quelle propension j'ai à la contemplation. C'est elle qui m'a fait voyager. Après les murmurations, le ciel de Turner, la nuit et la lettre-étoilée, voici ma dernière trouvaille...
Une bibliothèque. Mais oui, il y en a une dans la prison.. J'y suis allé un peu intimidé mais j'ai fini par en franchir le seuil. Pour étonnant que cela puisse paraître, je m'y suis senti bien. Il y a plus de fenêtres que dans ma cellule et surtout il y a les livres. J'en ai ouvert un. Un livre de photographies de dunes. Et j'ai plongé. Un bain plus sain y a pas...
J'ai suivi les paraboles, embrassé les stries, senti le vent. Je ne sais plus combien de temps je suis resté là, scotché au sable. On est venu me chercher alors que la bibliothèque fermait. Ma cellule est grande désormais. Elargie par des visions dunaires aussi douces qu'étendues. La plongée a duré jusqu'au soir.

Cher journal

Je te fait de plates excuses pour m'avoir montré la route
si parfois le chemin en était rude et surtout caillouteux
j'avoue que dans ma tête c'était installé ce maudit doute
mais grâce à toi, mon esprit est devenu un atout fabuleux...

La plume de Bruno

Cher journal

Ma journée englobe la nuit. Je voulais juste te dire que j'ai désormais assez de couleurs, de sable amoncelé, d'images et d'audace en moi pour toiser et même terrasser épisodiquement l'ogre- réel.

Cher journal,

tu en conviendras, les rêves, songes d'une nuit par forcément intranquille, d'où qu'ils viennent, contiennent tous leur part d'étrange et de mystère. Même les plus rationnels d'entre-nous, lorsqu'ils tentent de leur trouver une explication sensée, ont conscience de cette troisième dimension où ils nous entraînent malgré nous...

Ainsi, dans la nuit d'un jeudi au vendredi, j'ai fait ce rêve particulièrement zinzin où une voix venue de nulle part susurrant à mon oreille me demanda si je savais ce qu'était une maman pouille et un papa maille.

Tu me connais, j'ai foncé tête en bataille dans l'embrouille avec la ferme intention de remettre les mailles à l'envers à l'endroit, et les poules sans chichi dans leur poulailler...

Dans ma divagation, la maman pouille est, bien sûr, une personne aimante, attentionnée, qui débarbouille, grattouille, épouille et touille dans la marmite à longueur de journées sans fin, toujours en gazouillant. Parfois, cette maman-là, quand elle doute, elle bafouille. Curieuse aussi, elle farfouille, voire carrément elle fouille (un peu, car elle est polie, la maman pouille). On l'imagine sans peine en train de s'adonner régulièrement aux chatouilles et aux papouilles avec ses fripouilles adorées...

Oui, mais c'est quoi un papa maille ? tonitrua le rêve sans me laisser le temps d'aller au bout de mon épreuve...

Le papa maille, euh... voyons voir, ne serait-il pas trop souvent ce papa qui défaille lorsque maman pouille a besoin de lui. Celui qui pinaille et rouscaille quand sa marmaille lui tourne un peu trop bruyamment autour pendant qu'il rimaille avachi sur le canapé croyant mériter pour si peu une médaille ?

Ou peut-être est-il cet autre, père canaille un peu trop porté sur la ripaille, la bouteille et la boustifaille, qui piaille, criticaille, vanne et raille sans cesse la maman pouille, qui à elle seule, comme d'habitude, débarbouille, grattouille, épouille et touille, toujours en gazouillant.

J'en étais là de mes interrogations dubitatives, lorsque dans un tintamarre à fendre d'un seul coup le marteau, l'enclume et l'étrier, le réveil en fanfare à sonné.

Une fois ranimée j'avais cependant tout oublié de ce rêve incongru parmi les incongrus.

Jusqu'à ce matin, où je t'ai ouvert et me suis laissée happer par le blanc virtuel d'une page blanche qui me narguait...

@ Cat

Pardonne mon indiscrétion, je sais bien qu'un journal doit rester secret mais je n'ai pas pu résister, j'ai lu!

Tu as le droit de me traiter de canaille, de me faire une tête de citrouille, mais franchement quelle trouvaille ta petite bafouille!
Ce ne sont pas des carabistouilles, on la connait cette pagaille; c'est bien toujours la même bataille quand il s'agit de la marmaille!

Il est géniaille ton journaille!