Grand, tatoué et l’œil terne, le punk s'était affalé devant le bureau de son conseiller à l'agence spécialisée pour l'emploi. Sa crête n'avait pas été repassée de la veille et manquait de tenue. La couleur des débuts, sans doute orange, avait maintenant viré à une sorte de brun-rouge lavasse.

Le conseiller était tenté de se retourner pour ouvrir la fenêtre et assainir l'air, empuanti de remugles de bière et de mégots plus ou moins licites. Mais les consignes étaient strictes et rien ne devait être fait qui puisse être interprété comme une provocation. La nation avait beaucoup trop besoin de bras pour se passer de l'énergie de ses jeunes.

Le conseiller avait décrit le poste où l'on se proposait d'affecter le future recrue. Il s'agissait de contrôler l'envoi des containers de produits manufacturés expédiés vers les entreprises clientes du grand conglomérat industriel national. Depuis la nationalisation de l'ensemble des entreprises (hors petits commerces), l'Etat avec optimisé ses capacités et repris le chemin de la croissance économique. Le chômage avait fondu en quelques années et les usines affichaient des dizaines de propositions de postes disponibles de suite, avec de bonnes payes et des avantages innombrables.

Pas de réponse du candidat au descriptif du poste... "C'est un bon signe", pensa le conseiller.

Envoyé par son éducateur, son protagopunk devait absolument trouver un emploi avant de passer devant le tribunal où il était prévenu de quelques douzaines d'infractions et d'insoumissions aux forces de Maintien de l'Ordre. Le conseiller trouvait que sa situation était donc idéale: ce gibier-là allait sans doute finir par accepter et il pourrait toucher son bonus pour avoir réussi à signer dix candidats dans le mois, seuil de déclenchement des primes.

Pour être certain de remporter le morceau (il n'était pas exclu que le téléphone portable du gonze carillonne dans le bureau même pour lui proposer une twitt-annonce avec une offre supérieure - le cas s'était déjà produit pas plus tard que la semaine passée, faisant filer un candidat vers un autre poste mieux rémunéré), le conseiller mit directement la barre très haut: salaire maximum + avantages au taquet + prime de déménagements sans justificatif + tickets restaurants intégralement pris en charges.

Le gars leva les paupières et fixa le conseiller d'un air morne.

"Et les vacances, alors ?" grogna-t-il d'une voix caverneuse, éraillée par les excès en tous genre.

Le conseiller sut que la partie était gagnée. Contenant sa joie, il sortit sa carte maitresse: "Quatre mois de congés payés et possibilité de les prendre à partir de deux semaines de travail effectif".

Comme son procès était prévu deux mois plus tard, le punk calcula que ça permettrait de présenter un contrat d'insertion, synonyme de mansuétude judiciaire, alors même qu'il serait en réalité en vacances. Il ne comptait pas revenir de son road-trip à l'issue de ses congés payés. Tout allait bien !

Tout le monde étant d'accord, ils topèrent.

Une fois le gars sorti, le recruteur n'ouvrit pas la fenêtre pour se nettoyer le nez. Il préféra octroyer à ses sinus un long rail de coke soustrait aux stocks de l'entreprise pour ses traders financiers.

Chouette, Palimpseste.
Un agréable mélange de "Réalisme/Historique" et de "Science-fiction".

Y a un truc que j'ai pas bien compris : votre recruteur, c'est un privé (les primes, les rails de coke pour les traders de l'entreprise) ou un fonctionnaire (devant le bureau de son conseiller à l'agence spécialisée pour l'emploi) ?
En tous cas (si ça vous gêne pas, je préfère en faire un privé), j'ai bien aimé le joke sur les primes, car là, on est en plein dans le réalisme. Même le plein emploi, dans certaines niches, ce peut être du réalisme contemporain, même si globalement ça reste de la science-fiction, ou de la nostalgie.

@stony: la phrase "la nationalisation de l'ensemble des entreprises (hors petits commerces) (...)" est là pour entretenir le suspens sur l'existence même d'une telle frontière.

Wouah Palimpseste, voilà une histoire qui fleure (sniffe?) bon la provoc sociétale.
Mes gamins, à l'unanimité d'eux même, viennent de vous élire Président à vie.

Allez donc savoir pourquoi ?

Pepito

Palimpseste j'aime bien votre histoire, c'est sympa et originale. Par contre vous dépassez les 2500 caractères largement, et je crois qu'il faut que nous évitions ça, parce que le défi est aussi de ne pas dépasser...^^

Palimpseste ton texte est très long mais si j'étais dessinateur je dessinerais tous ca pour envoyer dans un journal ainsi que les commentaires.

@ Palimpseste : sympa et originale cette interprétation de la contrainte. Et mis à part le forçage de trait (pour le second degré), c'est crédible (en tout cas sur la pénurie de main d'oeuvre) puisque les babyboomers arrivent à la retraite en masse...

Nouveau dimanche, nouvelle contrainte !

Alors ce jour je vous impose plusieurs choses:

je veux un texte poétique au sens large (poème, poésie en prose, prose poétique, nouvelle poétique); l'important est que le texte soit beau (enfin selon nos notions personnelles du Beau !), joue sur les images (métaphores, comparaisons, zeugma, et j'en passe)...

et surtout qu'il parte de cette idée (c'est une idée pas une phrase d'amorce ou imposée) :

Dehors des enfants pleurent ou rient.


A vos plumes !

Tandis qu'à l'extérieur les enfants rient et pleurent.


Il y a des endroits, des pièces aux portes closes
dans lesquels les hommes ont aboli les pas.
Ils y sont des milliers, tous pour la bonne cause
des gamins enchaînés qui ont enfreint les lois.

Oubliez l'innocence, adieu la naïveté
et ces images belles de beaux enfants joueurs.
Les gamins dont je cause ont déjà l'âme tannée
et leur malin plaisir est d'éveiller les peurs.

Les coups pleuvent, les insultes, ils gueulent et vocifèrent.
Ils ne savent pas jouer, pour eux la vie est guerre.
Leurs joues sont bien trop creuses et elles sont balafrées.

Ces sales endroits fleurissent, comme fleurit la ciguë
Des pauvres gamins paumés y apprennent à souffrir
et ces établissements détruisent tout en eux.

Bonjour, MonsieurF, stony, martin, Palimpseste, bonjour tout le monde,

Je vous propose un truc genre haiku (que les puristes se calment, je sais que je n'ai pas fait un haiku !) :

Dehors des enfants pleurent
Tombe la pluie
A l'heure
Où il faudrait qu'ils rient.

(ce qui a le mérite d'être court)