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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
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"Repas de famille"

"De quoi m'as tu traité ??" fulmine Eric.

Quoi, encore une dispute ?! Depuis midi, cela n'arrête pas... au moins, celle-ci ne relève pas de la querelle familiale : l'interlocuteur d'Eric Chavanel n'est autre que Philippe, avec moi le seul "intrus", je devrais dire que nous sommes, lui et moi, les seuls étrangers à la famille invités à ce repas...

Eric, furieux, porte un coup violent à la tête de Philippe, lequel s'écroule.

Je me porte au secours de celui-ci ; s'il est assommé, il l'est bel et bien ! J'essaye de le ranimer, en vain... en tâtant son pouls, je comprends la raison de son immobilité, qui semble tout sauf naturelle : en réalité, je suis au chevet d'un mort. Je me tourne vers Eric : "Mais !... Qu'avez-vous fait ?!..."

*

Mon petit ami, Thomas, m'avait prévenu :

- "Tu sais, Loulou, ils sont parfois un peu abrupts... et acceptent mal ma préférence pour les hommes. Mais je ne peux résister à l'envie de les faire bisquer un peu, ce dimanche. Je veux m'afficher avec toi ! Accompagne-moi !"

Je lui ai juste dit "Ok, mon coeur". Les disputes familiales sont monnaie courante, chez les gays, ma propre famille n'échappait pas à cette règle : on voit mal les pédales dans le milieu "Vieille France".

Je ne peux pas faire faux-bond à Thomas : c'est devenu ma seule famille, tout au moins la seule que je revendique ; la seule qui m'accepte comme l'un des siens, mon unique point d'encrage dans cette vie dissolue qui est la mienne... une vie à l'écart de la société. Notre grande différence d'âge en choque plus d'un, mais Thomas n'en a que faire, il vit bien sa vingtaine et m'aide grandement à accepter ma presque soixantaine...

Nous voici donc au Monteil-au-Vicomte, petit village Creusois dont les principaux résidents sont des retraités Néerlandais ou Anglais, sans compter Tonton Mounche, notre hôte, Dunkerquois de souche.

Seigneur, quelle famille ! On dirait qu'ils ne partagent rien, sauf ce repas ! Je croyais avoir tout vu en matière de querelles intestines avec les frères et soeurs de mes propres parents, mais la famille Chavanel remporte la palme ! Si Eric, le cousin violent, souffre peut-être d'un trouble de la personnalité narcissique, les autres ne valent guère mieux : électeurs du Rassemblement National de la première heure, psychorigides, antisémites, homophobes - je comprends pourquoi Thomas a tant tenu à nous exhiber devant eux - et, est-ce une surprise ? Racistes en diable...

Et c'est à n'en plus finir qu'ils se disputent. Les raisons ne semblent plus avoir de fin : Madeleine s'est remariée avec un juif, Robert a volé la montre que le grand-père destinait à Patrick, Rudy est au chômage, Caroline n'a pas rendu son argent à Claude... Je me demande bien ce que je fais parmi ce ramassis de dégénérés. Ah oui, Thomas me l'a demandé. Pauvre de lui, je comprends qu'il ait choisi une vie en marge de toutes ces valeurs sulfureuses !

Seul Mounche, le patriarche, reste calme et compréhensif avec ses rejetons ; jamais il ne manque d'un bon mot, d'un sourire, il se joue des réparties cinglantes et des insultes marmonnées en affichant une attitude bienveillante et douce : un vrai papi gâteau...

Lassé de tant de méchancetés, je me tourne vers mon voisin de gauche : c'est Philippe, le seul autre invité à ne pas faire partie de la famille, tout comme moi. On se présente, on bavarde ; c'est un collègue de travail d'Eric, mais lui n'est pas étonné par l'ambiance de ce repas, il me confie qu'Eric est exécrable et tyrannique au boulot. Etant donné son ascendance, je n'en suis qu'à moitié étonné !

Le repas se termine, des petits groupes de discussions, je devrais dire de disputes, se forment, Philippe et moi, nous nous séparons, je reste proche de Thomas. Nous nous affichons devant tous, sans honte, nous tenant la main, nous nous montrons des signes d'affection. Je l'aime.

Eric se lance dans une conversation passionnée avec Philippe, Mounche s'assied en retrait et sirote un digestif, l'oeil espiègle, observant son petit monde...

*

Après le drame, Eric est effondré :

"Il a fait une rupture d'anévrisme... il m'avait confié sa déficience physiologique, une malformation artério-veineuse. Un simple coup porté à la tête, ou un choc, pouvait le tuer net... Il m'a insulté, j'ai vu rouge... Mon Dieu, je vais aller en prison !..."

J'interviens : "J'ai tout vu, il s'agit d'un accident... enfin, je pense... Vous devez tout raconter à la police, Eric, je vous accompagnerai, je vous soutiendrai... c'est ce qu'il y a de mieux à faire".

L'ensemble de la famille Chavanel garde la tête baissée : tout le monde ici sait qu'Eric est violent. Après... Eric en prison, c'est le déshonneur pour la famille.

C'est alors que Mounche prend la parole : "Oui, Eric, tu iras voir la police, et tu ne seras pas seul : je t'accompagnerai. Pour confirmer que tu n'as pas frappé ce Philippe, qu'il est mort brusquement, sans intervention extérieure. Il doit bien s'agir d'une rupture d'anévrisme, ton coup n'aurait pas pu le tuer, tout le monde est témoin... pas vrai, vous tous ?"

Tous acquiescent ! C'est incroyable, eux qui ne partagent plus rien, sont tous prêts à mentir, à partager un secret honteux, pour protéger l'un des leurs ! Je proteste :

- "Mais j'ai tout vu ! Eric doit...

- Il n'en est pas question." me coupe Mounche. "Thomas, mon enfant, éloigne-toi de cet étranger" ajoute t'il, d'une voix douce. Je me tourne vers Thomas, mon aimé. Lui qui me tenait la main, la lâche à contrecoeur, m'enlace et dépose sur mes lèvres un baiser. Je l'entend murmurer "Ne m'en veux pas, Loulou... Je t'aimerai toujours..." Je n'en crois pas mes oreilles ! Comment peut-il... ? Eric saisit Thomas par l'épaule et l'éloigne, le confiant, en pleurs, à une cousine ou une soeur, qui l'emmène dans une autre pièce.

J'interpelle Mounche : "C'est insensé ! Vous..."

M'interrompant une nouvelle fois, celui-ci, me foudroyant du regard, éructe "Sale pédéraste ! Thomas épousera sa cousine Caroline, et toi, le jardin saura accueillir tes restes... Il ne sera pas dit que la famille Chavanel aura un de ses fils en prison, comme un vulgaire voleur !"

Les autres font cercle autour de moi. Certains ont saisi une lampe, Eric s'est, lui, armé d'un tisonnier. Tous ont dans les yeux une haine farouche, dirigée contre moi. Le cercle se resserre, de seconde en seconde.

Eric lève son tisonnier, prêt à frapper.

6320 Caractères.

Contribution du : 26/04/2021 21:05
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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
Maître Onirien
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Diako

Septembre était chaud, les feuilles des marronniers frissonnaient derrière les fenêtres.
La classe était agitée. Des petits groupes discutaient, des élèves assis sur leur chaise, tournés vers l’arrière, le côté, tout sauf vers l’avant.
Ça promet, songea Denis depuis son bureau. Entre les nouveaux contractants de moins en moins formés, les anciens profs en dépression ou tentés par la reconversion, les résultats des élèves de l’année dernière… si on emmenait la moitié jusqu’au bac, ce serait un miracle.

Il s’éclaircit la gorge.
- Bonjour à toutes et à tous.

Il attendit que le calme s’installe, se présentât, parlât du programme de français et enchaînât.
- Cette année est très importante pour vous. Je vous le rappelle, les règles d’admission ont changé, et votre note globale dépendra autant de l’évaluation continue, du grand projet, que de l’examen final. Je vous conseille donc…
- Ça y est, il me fatigue déjà, murmura Élise.
- Chut, c’est important, répliqua Myriam.
- C’est bon, on sait qu’on doit travailler en classe et à la maison, ça fait dix ans qu’on nous le répète.
- Le thème cette année, pour le premier grand projet, reprit le prof principal en haussant la voix, sera la présentation d’une langue étrangère.

Encore un coup du classement Pisa et des cabinets de consulting, songea Denis. Le pays était tellement à la traîne en langues étrangères, qu’on en mettait à toutes les sauces. On saupoudrait de tout partout, sans maîtriser aucun sujet.
Il se rappela ses bonnes résolutions. Les élèves ne sont pas responsables des problèmes de l’Ed Nat. Ne pas s’énerver quand on ne peut pas influencer un événement.

La sonnerie retentit.
- Pour lundi, lisez au chapitre trois de la page quarante-huit à la page cinquante-et-un et commencez à réfléchir à la langue que vous choisirez pour votre grand projet !

*

Myriam essuyait la vaisselle à côté de sa maman qui la lavait dans une bassine. Elles faisaient une bonne équipe toutes les deux. Elles parlaient de tout et de rien.
La télé laissait échapper des actualités depuis le salon. Son père et son oncle commentaient certaines nouvelles. Ils n’arrivaient jamais à se mettre d’accord et finissaient par retourner à leurs livres respectifs. Puis ils parlaient à nouveau en haussant la voix.

- Maman, tu sais, pour le grand projet ?
- Oui mon cœur.
- J’ai choisi le thème, je vais parler du Diako. Je voudrais faire ça pour grand-père, fit-elle d’une voix douce.

Meron ne dit rien. Cela faisait déjà deux ans.
- Je pense tous les jours à lui, avoua-t-elle finalement.
- Moi aussi mummy.
- Et tu arriveras à parler de lui devant tout le monde ? Tu te rappelle la fois où…
- Je m’entraînerai.

*

Myriam rêvassait. Elle se demandait pourquoi les autres n’étudiaient pas autant qu’elles. Peut-être que leur avenir était déjà tracé, ou que leurs parents les aideraient pour lancer leur carrière. Mais les examens ?
Elles étaient presque seules au CDI. Un gars de leur classe, Simon, lisait des bandes dessinées. Elle s’efforçait de ne pas le regarder.
Pourquoi s’enterrer ici quand presque tous avaient des ordinateurs portables ? L’avantage c’était de pouvoir imprimer des docs.

- Il n’y a vraiment rien sur internet, c’est fou, lança Élise.
- Ce n’est plus une langue parlée…
- C’est surtout qu’elle n’est pas documentée. Je ne dis pas ça pour t’embêter. Mais sur l’espéranto, par exemple, j’ai des centaines de livres sur le sujet… le problème c’est plus de faire le tri. Toi, tu vas galérer pour tes recherches !
- J’ai vu. C’est dans trois mois.

Élise réfléchit.
- Je pense qu’il faut revenir aux principes de base de la communication. Évidemment il faut des infos. Mais le cœur du message, c'est pourquoi. Pourquoi c’est si important pour toi.

*

Myriam observa les élèves. La plupart n’étaient pas concentrés. Elle s’y attendait. Ça s’était passé comme ça pour les autres.

« Une langue, nous l’avons tous rappelé, est un moyen d’expression. Elle est liée à une culture. C’est aussi un moyen de décrire le monde. Certaines langues sont officiellement mortes, mais toujours employées, c’est le cas du latin et du grec ancien, que nous pouvons encore étudier à l’école. »

Sa voix tremblait un peu. Elle se força à se détacher de ses notes et vit Élise lever les pouces en l’air à son intention.

« La langue dont je vais vous parler est morte, et il y a très peu d’informations à son sujet. On estime qu’elle a été parlée par environ cinq mille personnes au maximum, sur un territoire grand comme la Corse. Elle a été peu à peu supplantée par la langue Couhsitique Ts’Amay. Ironiquement, les locuteurs du Ts’Amay se tournent eux-mêmes vers la langue Konso, qui est parlée par environ deux cent mille personnes. »

Il s’appelait Yared. Il avait de beaux yeux noirs. Il parlait quatre langues et en baragouinait une dizaine d'autres. Il n’avait jamais trouvé son français assez bon.
Il savait cuisiner, mais il ne le montrait pas. Il se contentait de faire le café. Mais quel café ! Qu’est-ce qu’elle aurait aimé goûter un de ses plats.

« Je voudrais faire une analogie avec la généalogie. On peut connaître le nom et les dates de naissance et de mort de ses ancêtres, mais si on ne connaît pas leur métier, leur histoire, leur personnalité, on ne sait presque rien d’eux. Le nom et les dates sont une porte d’entrée vers une compréhension plus intime, sociologique et culturelle.

Quand mon grand-père se levait le matin, il regardait par la fenêtre et pouvait dire “Ounté lo nienbé”. Ce qui voudrait dire quelque chose comme “le ciel est clair et pur”. D’après mes recherches, les personnes parlant le Diako étaient surtout des paysans, des agriculteurs. Pour eux, la météorologie, l’ensoleillement, les précipitations, étaient vitaux, car ils dépendaient de la terre pour se nourrir. On peut donc supposer que le vocabulaire lié à ces champs lexicaux était vaste. »

*

- Eh, Myriam !

Son cœur battit fort dans sa poitrine. Simon. Elle se força à se calmer.
- Ouais ?
- C’était le sang ton exposé.
- Merci. Je suis pas sûre que j’aurai une bonne note par contre.
- Tu plaisantes ? T’as tout défoncé. En tout cas s’il te sacque, on ira le voir et lui expliquer.
Elle sourit.
- En fait, il y a une partie qui manque dans ta présentation… tu vas faire quoi maintenant ?
- Comment ça ?
- Ben on a compris que ça te tenait à cœur. Tu vas monter une assoce ? Tu vas chercher des survivants qui parlent encore la langue, tu vas aller en Éthiopie ?
- J’y ai pas réfléchi. Pourquoi tu me demandes ça ?
- Oh bah, je me disais… ce serait chouette. Je connais pas trop l’Afrique, je serais sûrement un boulet, mais si un jour tu lançais une expédition… Enfin évidemment c’est ton projet, ton histoire perso. Mais ça m’a beaucoup touché. J’ai du lire trop de récits d’explorateurs, et aujourd’hui il n’y a plus rien à explorer, et quand tu as parlé de ça, j’ai pensé… Enfin, laisse tomber. Bonne chance pour les exams, bredouilla-t-il.

Mais quel crétin, se dit-il en s’éloignant. Tu l’aurais demandée en mariage, t’aurais eu l’air moins con.


6924 caractères

Contribution du : 26/04/2021 21:27
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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
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Me promenant sur le boulevard de http://achetetesfringuesici.com un jour de promos, quel ne fut pas mon étonnement du calme qui régnait : pas de bousculades, les portes restent ouvertes jour et nuit, 24/24, 7/7 ! Pourtant, j’aimais mieux quand on partait, avec mes copines, faire toutes les boutiques de la ville, bras dessus bras dessous, en riant pour rien comme des nunuches et qu’on revenait des sacs pleins de fringues bien vite reléguées au fond des placards une fois l’engouement passé.

Mais bon, ça me permet de rester à la maison plus longtemps surtout que l’école du petit est fermée et que pour l’inciter à faire ses devoirs et apprendre ses leçons c’est pas du gâteau. Il n’arrête pas de chouiner que c’est mieux avec la prof’, qu’elle au moins comprend les énoncés, qu’en plus elle connaît les réponses, qu’elle ne lui hurle pas dessus parce qu’elle est énervée. Voilà toute la reconnaissance qui m’est réservée. (mince ! Une rime! pardon)

Quand même, je n’ai plus à me farcir les humeurs de ma patronne, j’accomplis mon job à mon rythme, chez moi, pendant que le petit apprend l’Histoire de France en jouant à la console que pourtant je lui ai interdite, que le chien fait pipi partout parce que j’ai pas eu le temps de le sortir et que l’heure du repas est passée et que j’ai rien dans mon frigo !!!

Je devrais peut-être appeler mes collègues, finalement, elles me manquent, même L….qui pue le parfum en surcouches, même S...qui secoue ses cheveux gras sur mon ordi, et A... qui se vexe quand on écoute pas ses histoires de c…l avec ses ex. (ex – vexe = rimes hétérogènes...pardon bis)

Il est où le facteur, il est où ? Pas là...pour me tenir au courant des potins de l’administration, pas plus que la concierge qui a découpé son tablier pour faire des masques qu’elle vend aux récalcitrants et s’enferme dans son cagibi dès fois qu’on lui refile la peste ! Je ne reçois plus un seul courrier dans ma boîte : celle qu’on ouvre avec une petite clé et qui vous donne des sueurs quand elle est pleine d’enveloppes grises avec des bandeaux bleus en biais sur les coins, par contre celle de mon ordi pour être pleine elle est pleine : il me répète cent fois par jour « vous avez reçu un nouveau message ». Factures à régler...électroniquement…, déclaration d'impôts à compléter...électroniquement, dernières chaussures à la mode  http://godassesparcheres.com demande de sursis de loyer...case huissier...ah non ! Celui-là il sonne direct à la porte ! Tant pis, ça me fera une visite masquée. Le sien, de masque, est noir avec un dessin blanc en forme de dents de requin.

Le chien est ma seule excuse pour sortir en fin de journée mais on s’écarte tous les uns des autres quand on se croise, seuls les chiens en bout de laisse se reniflent le museau. Dès fois j’aimerais bien qu’un beau promeneur avec son chien-chien s’approche (mais non ! pas pour me renifler le museau !), pour entamer la conversation : la pluie, le beau temps, Macron, les vaccins, la reine d’Angleterre et tout et tout. Mais ça n’arrive jamais, depuis un an, je suis en jachère.

Le médecin, que j’ai consulté en distanciel, m’a recommandé de me détendre en faisant du sport et m’a prescrit, sur une ordonnance en PDF à imprimer, un tensiomètre électronique, des bandelettes pour mesurer ma glycémie afin de lui donner mes constantes lors de mon prochain rendez-vous sur http://docteurlibre.fr
Moi ? Du sport ! J’ai bien vu des coureurs à pieds sur les pistes cyclables mais j’ai vu aussi qu’ils crachaient leurs poumons alors, non merci, je ne les suivrai pas. De toutes façon ils n’ont pas de temps pour bavarder, ils courent, je ne sais pas après quoi, mais ils courent.

Il paraît qu’on peut visiter le Louvre en version 3D sur un ordinateur ! Chouette ! Aller au musée en pyjama, ou sans rien, sans me faire arrêter par les gardiens est mon plus grand fantasme…Non mais, sans blague, c’est quoi ce monde de oufs ?

C’est vrai que, malgré toutes mes obligations, entre mes quatre murs, je me sens un peu seule. Comment rencontrer l’âme sœur en restant cloîtrée chez soi ? Alors voilà, grâce à mon ordi, toujours lui, je me suis inscrite sur le site http://adeuxcestmieux.fr Le premier jour j’ai reçu plus de soixante demandes de rencontre !!! Ils m’ont fait peur tous ces hommes, au point que j’en ai fermé mon pc comme s’ils allaient surgir de l’écran tels des fauves en rut ! J'ai ouvert mon propre site : http://adieuxcestmieux.bartoi
Ah c’était bien du temps des bistrots, des restos, des discothèques, des cinémas….mais oui, dis-je à mon fils, ça existait dans la vraie vie : il m’a rétorqué « t’es démodée m’man ». Faites des gosses !

Un petit film culte ce soir ? (j’ai écrit culte ! Il faut lire toutes les lettres.) Ben oui, dans mon canapé, avec mon pyjama et mes chaussettes en laine bio de mouton des Pyrénées, couleur écrue à forte odeur naturelle, un petit verre de calva de lait d’ânesse chaud, des gros coussins en poils d’alpaga auvergnats derrière moi, un autre, avec en son creux une bouillotte en peau de loutre synthétique, entre mes bras...par défaut, faute d’un doudou en chair animée, dès fois que ça ferait illusions...rêve ma fille, rêve ça ne coûte rien.

Ensuite j’irai me coucher, comme d’habitude, je tournerai le dos, comme d’habitude, tout sera gris dehors, comme d’habitude, et dans ce grand lit froid j’aurai les pieds gelés, comme d’habitude, et quand je me retournerai, il n’y aura personne à côté de moi, comme d’habitude.

Contribution du : 26/04/2021 21:40
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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
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Manu

Je ne le sens pas, ce deal. Encore un coup foireux à la Manu. « De la fraiche facile, vite fait bien fait » me dit-il à chaque fois. D’ailleurs, où est-il maintenant ? Je l’attends toujours mon pote d’enfance, celui avec qui je partageais mon goûter à l’école primaire parce que ses parents étaient fauchés. Je dois être trop con pour croire qu’on est encore frères de sang, vu que je me les suis coltiné tout seul les quatre ans de cabane suite à ce casse à deux balles organisé par Manu le roi des plans sans accroc.

Il se pointe enfin, la gueule enfarinée, comme à son habitude.
- Tu branlais quoi, vieux ?
- Ta mère. Elle a aimé.
- On se marre avec toi, tu le sais, ça ?
- C’est un bête don.

Qu’est-ce que c’est que cette bosse sous son blouson ?
- Ne me dis pas que tu es chargé ?
- Si, je te le dis.
- Tu déconnes.
- J’entends trop d’histoires de deals où les mecs comme nous se retrouvent en caleçon avec zéro thune et nib de de marchandises.
- La dernière fois ne t’a pas suffi ?
- On était des gamins.

Des gamins. Elle est bonne celle-là. Parti comme ça, on ne va jamais devenir des adultes, ça s’est garanti sur facture. Je l’ai appris durant mes années à slalomer dans les douches, à éviter les gros bras, à calmer les junkies, à devenir invisible des matons. Manu se la coulait douce pendant ce temps, à mater des films bourrins où Al Pacino et Robert de Niro s’affrontent à coups de tirades pourries, de mimiques ringardes et d’humour italo-américain. Je l’imagine bien en train de frimer devant les petites beurettes de son quartier à jouer au bandit de grand chemin dans l’espoir d’une petite pipe vite fait sur le gaz dans sa pauvre décapotable allemande tombée du camion.
- Tu n’as pas confiance en ces gars ?
- Non.
- Alors, pourquoi on les voit ?
- Parce qu’il y a un paquet à la clé, de quoi voir venir pendant un bon bout de temps.
- Tu sors ça d’où ?
- Tu ne veux pas savoir.

Si, j’aimerais savoir mais je ne suis pas en position de la ramener. Je suis raide de chez RSA. Mes vieux ne me parlent plus depuis que je leur ai mis la honte en me faisant embarquer par les condés devant tout le monde, leur univers de coincés, la troisième division de la bourgeoisie lyonnaise, des gars trop occupés à surveiller les allées et venues de migrants syriens pour regarder au-delà de leur gros tarin.

La lune se cache derrière les nuages gris. Je l’envie, elle n’a pas à supporter les conneries d’en bas où des milliards de branleurs essaient de s’entuber entre eux, de remplir leur existence vide avec des articles argentés vendus par des chaines de télé-achat. Manu tente de se donner une contenance en roulant un pétard d’afghane. Soudain, une voiture pointe son capot à l’horizon, les phares éteints, avec les seules veilleuses en guise de lumière.
- Le business commence, me sort mon pote en levant la main.

Trois hommes sortent du véhicule. Ils ne ressemblent pas à mes camarades de promenade à la centrale de Saint Paul. Leur regard pue le sens interdit, l’interdiction de pisser en dehors des clous. Je n’ai pas spécialement un sixième sens pour détecter les emmerdes mais chat échaudé craint l’eau froide comme disait ma grand-mère. Manu bombe le torse puis démarre son cinéma.
- Vous avez la fraiche ?
- Tu es Manu ?
- En personne.
- Et tu as les deux kilos ?
- Dans ma tire.
- Et elle est où, ta poubelle ?
- A deux cents mètres, à l’abri des regards indiscrets.
- Qu’est-ce que tu attends, alors ?
- De voir le blé.

Les trois marioles se regardent un moment puis se mettent à se marrer. Il est comme ça, Manu, un clown qui s’ignore. Visiblement, son public apprécie son humour. Le trio s’approche de nous puis le plus grand sort de son blouson une grosse enveloppe en papier kraft. Mon pote en scrute l’intérieur, en sort deux petits cailloux brillants qu’il oscule attentivement, hoche la tête et déclare la transaction conforme.
- Cela me parait correct. Je vais chercher la marchandise.

Je le vois s’éloigner vers la planque, là où il a caché son carrosse. Je suis étonné que les clients restent calmes, comme si aucun coup fourré n’était possible dans ce monde pourtant imparfait. En réalité, je m’en tape, j’ai hâte que tout ceci finisse, qu’on se casse de ce trou pourri pour revenir dans notre grisaille et reprendre notre petite vie de tricard, avec un peu de monnaie en poche pour agrémenter le souper. Les mecs contemplent leurs pieds. Je n’ai jamais compris pourquoi les gens regardaient toujours leurs pompes quand ils ne savaient pas quoi dire. Ce n’est pas grave, leur conversation ne m’intéresserait pas de toutes manières.

Manu revient avec un sac de sport. Il le pose sur le capot de la voiture des clients. Le plus grand des marioles fait un signe à l’un des deux autres. Ce dernier s’approche de mon pote, ouvre le sac, en sort un paquet kaki et commence à l’ouvrir avec un couteau suisse. Ce manège me fatigue tellement je le connais. Je détourne les yeux pour regarder au-delà, loin de toute cette merde où des rectangles compactés d’herbe folle s’échangent contre des cristaux arrachés péniblement de la terre africaine par des enfants sous-alimentés. Le temps s’écoule lentement dans mes veines et je me sens mieux.

Quand je reviens à la réalité, une scène ubuesque se fige sous mes yeux. Manu pointe un pistolet sur la tempe du testeur tandis que ses camarades de galère nous braquent avec de la vieille artillerie estampillée police nationale. Je lève les bras et commence à élaborer des scénarios improbables où Al Pacino et Robert de Niro n’ont pas leur place, où parler italien avec l’accent new-yorkais ne sert pas à grand-chose et dont la fin se décline entre des barreaux métalliques ou dans un sac mortuaire. Mes oreilles entendent enfin le son déchirant des balles sortant de canons brulants puis je me retrouve plaqué au sol, un genou sur le dos, agressé par des cris gutturaux. Je regarde une dernière fois mon ami d’enfance avec qui je ne partagerai plus jamais rien d’autre qu’un champ d’osselets quand je serai redevenu poussière.

Contribution du : 26/04/2021 22:14
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Nous sommes les acteurs
Témoins d'un nouvel idéalisme
Dans le théâtre extrémiste
(Dirk Polak)
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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
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Avertissement : toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé serait fortuite.

Les Myosotis

Un matin déjà chaud, comme ceux du mois d'août, depuis...depuis longtemps, depuis toujours. Encore plus chaud car le décor est de béton. Béton certes dissimulé de ci, de là, par des arbustes. Certains sont sauvages, rescapés des pelleteuses, toupies et autre engin ; ou parvenus à tromper l’œil vigilant des gardiens d’espaces verts. D’autres sont plus ostensibles, d’allure et de naissance ostentatoire.
Dans la première catégorie se trouvent des buddleias, pas encore de renouée du Japon, mais elle arrive. Dans la seconde, quelques maigres rosiers.
Peut-être, peut-on en trouver d’autres, les résidents de cet espace n’y sont pas toujours sensibles.

Donc un matin très chaud, d’août. Quelques personnes s’affairent dehors. Les jardiniers arrosent (ce n’est pas encore interdit). D’autres personnages poussent des chariots ; chariots de linge ou mystérieux, dont personne ne sait ce qu’ils contiennent.
Le bruit des roues, sur les allées goudronnées, est lancinant et se reflète sur les murs des bâtiments centraux.

-Centrale, quel vocable, qui a tant de définitions -

Un personnage retient l’attention du spectateur, plus particulièrement. (D’autres sont par petits groupes, devant les entrées des divers bâtiments, bruyants, bavards).
C’est, me semble-t-il, une femme. Elle marche, marche, marche. Depuis trente minutes au moins. Ce n’est pas beaucoup, trente minutes, mais elle arpente le périmètre du lieu. Ses dimensions ? 300 mètres sur 150, environ. L’espace n’est pas immense, mais suffisant pour déambuler sans avoir le tournis, le vertige.
Dans son parcours, une haie de troènes l’oblige à quitter l’enceinte pour se rapprocher des bâtisses centrales. Elle baisse alors la tête, un peu plus, serre les dents.
“-Pourvu que personne ne me parle. Si je parviens en cent pas à rejoindre le grillage du grand portail, je suis sauvée. ..”
Compter les pas, encore et toujours. Compter, compter, compter, sur rien ni personne, juste aligner les chiffres d’abord puis les nombres et recommencer.

Le soleil depuis son départ a commencé sa course -course, un mot qui évoque d’abord la vitesse, mais aussi la quête de ce dont on a besoin, l'émulation entre des êtres vivants, pour être le premier, le plus fort, le plus haut -comme l’arbre dans ce qui reste de la forêt amazonienne ; il doit courir après la canopée et devant la tronçonneuse -on en revient toujours à ces engins qui tranchent, coupent, enterrent ou déterrent, partout-

Deux mille quatre cent vingt quatre pas, signes que le but est proche.
Ce matin dans l’enceinte, au Nord, elle aperçoit une silhouette, immobile sur ses pieds, seul le haut du buste ondule. Il tient dans les mains un instrument, pas un engin, non, un instrument.
Pas le choix, elle s’approche. Un vêtement de travail se dessine, un tuyau dans la main se précise. Vêtement vert du jardinier, celui des espaces verts communs. De ceux que l’on croise au bas des immeubles, dans les parties communes des résidences ou dans ces grands parcs urbains.
Déterminée, enfin, elle garde la tête froide, droite. Les yeux qui la suivent depuis les baies vitrées du pavillon “Les Myosotis” attendent ce geste, elle en est sûre, pour lui rendre la liberté.
C’est ainsi qu’elle rencontre Nadir, employé d’une société sous-traitante pour le maintien d’un semblant de vraie vie dans l’aridité de cette structure.

Et Nadir, un peu inquiet mais surtout curieux lui dit :
-Bonjour, Madame, passez ! Je finirai d’arroser après. Vous avez remarqué : le sol me remercie de l’eau que je lui donne ?

Il est temps de sourire. :

-Est-ce bien du thym, qui trône dans ce parterre un peu séché ?
-Oui, Madame, et juste à ses côtés, on trouve les menthes, la poivrée et la verte. J’ai même essayé de faire reprendre la Corse, sauvage dans son île. Avec nos étés si chauds, elle a toutes ses chances.

Les cent derniers pas la séparent de l’entrée de son unité. Le bruit de l’eau sous pression la lave de quelques vilaines pensées.

Les portes de l’unité franchies, elle peut enfin demander à sortir. Elle a retrouvé sa voix, un peu, ajoutée à ce sommeil revenu. Elle affiche l'apparence normale de tout humain que l’on croise partout.

***
Nadir sera-t-il là, encore, lors de son prochain séjour ? Dans son bagage, elle prendra du thé.

Unité psy de la fondation G.B. à B. 11 h 11, le 26 avril 2021.

4400 caractères environ, espaces compris.

Contribution du : 26/04/2021 22:26
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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
Maître Onirien
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Au fil des ans


Il travaille beaucoup, reçoit ses patients de 7 heures du matin à 8 heures du soir (sauf les jeudi et dimanche) dans un appartement contigu au domicile conjugal. C’est pratique, pas de trajets, il s’accorde en cours de journée de courtes pauses en passant d’un appartement à l’autre par une porte de communication masquée par un rideau.

Depuis qu’elle est à la retraite, elle fait sa comptabilité mais n’a pas voulu gérer ses prises de rendez-vous. Trop contraignant ! Elle vaque aux occupations domestiques à son rythme : les courses, le linge, la cuisine. Elle passe du temps à l’extérieur, s’est constitué un réseau de copines pour des activités culturelles. Le plus souvent, c’est elle qui promène Pitch, leur basset des alpes transformé en gentil toutou de ville.

Ils se sont toujours connus. Une façon de dire qu’ils se connaissent depuis longtemps et n’attachent pas vraiment d’importance à l’histoire de leur rencontre. Une histoire banale de médecin et d’infirmière à l’hôpital. Ils se sont perdus de vue, puis retrouvé à l’enterrement d’un ami commun. Elle, mère d’un garçon sans père, lui accroché à sa mère. Ils sont devenus amants, sporadiques mais fidèles.

Lorsque sa mère est morte, elle a été là pour lui, l’empêchant de sombrer, se glissant insensiblement dans son quotidien. Il a cru qu’elle lui était indispensable. Il l’a épousée pour lui prouver qu’elle avait tort quand elle pointait leurs douze ans d’écart comme un inévitable frein à l’engagement. Aujourd’hui , ça ne se sent pas trop disait-elle lorsqu’elle avait 53 ans , mais dans 10 ou 15 ans, je suis sûre que tu voudras te débarrasser de moi . Il jurait ses grands dieux que non.

Au début de leur mariage, leur relation, à défaut d’être passionnée, était paisible. Ils avaient plaisir à se faire découvrir mutuellement ce qui les faisait vibrer : il adorait chiner le dimanche matin aux puces pour y trouver de vieux postes à galène, elle lui fit découvrir toutes les chapelles romanes de la région, l’initia au symbolisme religieux. Ils aimaient bien le cinéma, elle les films intimistes, lui les polars. Pour le choix, c’était chacun son tour.
Ils faillirent même acheter une petite maison dans la Drôme, c’était son idée à elle, avoir un espace qui leur soit commun (elle était venue s’installer chez lui dans l’appartement hérité de sa mère) choisi et investi ensemble. Ils échouèrent, elle ne voulut pas creuser pourquoi.

C’est après ce renoncement qu’ils adoptèrent Pitch. C’était son idée à lui. Elle n’avait pas spécialement d’attirance pour les animaux. Elle le laissa choisir. Il souhaitait un chien vif et de petite taille, Pitch remplissait les critères et se montra de bonne composition.


Au fil des ans, les mots entre eux se sont appauvris, ils sont devenus fonctionnels ou informatifs. Tu penseras à acheter du pain ? Où as-tu rangé ma veste en cuir ? J’ai eu le plombier au téléphone, il viendra vendredi.
Au fil des ans, le lit en 140 est passé en 160, puis en 180 : 2 matelas sur un grand sommier. Désormais, le soir il s’écroule, couché le premier tandis qu’elle reste devant la télé.
Au fil des ans, elle a pris prétexte d’aller voir son fils qui habite Valence pour partir chaque semaine. Le lundi, elle remplit le frigo : du fromage et des laitages, de la salade soigneusement lavée, les ramequins en verre qui ont remplacé les boîtes Tupperware contiennent les légumes qu’elle a fait cuire. Dans le « cahier de liaison » qui sert aussi à la femme de ménage, elle laisse des suggestions de menu. Et le mardi matin, elle s’échappe pour ne revenir que le mercredi soir. Elle emmène Pitch qui ne supporte pas de rester seul dans l’appartement la journée, mais ça lui pèse : les poils dans la voiture, les croquettes à trimballer, le petit tour hygiénique et puis les crottes à ramasser.
Au retour Pitch jappe derrière la porte du cabinet et il n’est pas rare qu’il s’interrompe entre deux consultations pour venir lui gratter le ventre. Le jeudi il peut lui consacrer du temps. Ils attendent tous les deux ce moment, partent en promenade par tous les temps, Pitch connaît l’itinéraire par cœur. Arrivés au parc, il le détache, le laisse courir tout son soûl.

Il y a quelques temps, Pitch a rencontré Féria, une femelle beagle très stylée. Ils ont joué un long moment ensemble. C’est la maîtresse de Féria qui a engagé la conversation, elle s’est intéressée à Pitch bien sûr, puis à lui. Il y a pris plaisir, s’est surpris, le jeudi suivant à espérer les retrouver au même endroit.
De jeudi en jeudi, le rendez vous se renouvelle. Ils observent ensemble avec attendrissement les ébats de leurs chers petits, les commentent et se racontent leurs facéties. C’est le partage de ces moments avec Eliane qui lui font réaliser que sa femme n’a aucune affection pour Pitch.

Cette découverte déclenche une crise à laquelle elle ne comprend rien. Il l’accuse de froideur à l’égard du chien, elle trouve ça complètement ridicule, pense qu’il n’est pas dans son état normal. Ils ne parlent plus le même langage, se disputent constamment et pour la première fois, il évoque la séparation.

Après quelques temps de vie infernale, elle part un mardi matin chez son fils à Valence avec le projet d’y rester. Elle n’a rien dit de ses intentions. Comme d’habitude, elle a emmené Pitch. Sur la dernière aire d’autoroute avant Valence, elle lui fait faire son petit tour hygiénique, lui retire son collier, remonte prestement dans la voiture et démarre sans un regard en arrière.

Contribution du : 26/04/2021 23:23
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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
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L’homme aux deux regards

Aux coups insistants frappés contre la coque de son ketch*, il tressaillit. Il n’aimait pas à ce qu’on vînt le déranger. L’instinct animal qui lui faisait rechercher la solitude était devenu si puissant qu’il éprouva un soulagement quand, après leur passage, il entendit repartir le canot à moteur.

Lorsque Lili et sa mère s’engagent dans les rues aux trottoirs défoncés de Paramaribo, et passent devant ce qui avait dû être de magnifiques bâtisses coloniales hollandaises en bois vernis de blanc, ornées de balcons et de colonnes, et à présent toutes trouées de balles ; et qu’elles reviennent sans avoir réussi à faire les formalités obligatoires d’entrée, elles sont fatiguées et déçues.

˗ Je me demande bien ce qu’on est venu faire ici ! fit la jeune fille.

˗ Tu as raison. Cet endroit est inquiétant et ne ressemble en rien à ce qu’on nous avait dit ! renchérit Léa.

Quand elles arrivèrent au ponton où Nuage IV était amarré, l’endroit était pratiquement désert et calme en cette matinée de début de semaine. Et à part un porte-conteneurs ou un cargo qui passaient au large de temps en temps, il n’y avait que ce voilier un peu en retrait qu’elles avaient bien failli ne pas voir.

- Uranus ! Uranus !

Il est apparu là, gêné et enveloppé dans la chaleur déjà cuisante du jour. Il avait un drôle de regard, gris et doré à la fois, presque dur, à moins qu’il ne fût simplement triste et qu’il s’en défendît. Il leur a fait un petit signe de la tête qui voulait dire, sans doute : Oui ?

˗ Bonjour ! Nous c’est Nuage IV, le cata*, là-bas. On est arrivées des Iles du Salut* cette nuit. Vous savez où l’on peut faire les formalités ?

˗ Pas la peine ! Il y a eu un coup d’état ces jours-ci… Ils ont bien autre chose à penser vous savez !

˗ Mais…Oooh ! On se connaît, non ? Tanger ? Madère ? Gibraltar ?… Kourou alors ? demanda Léa.

˗ Moi je crois bien que c’était en Espagne ! hasarda Lili.

Il les a regardées fixement comme s’il n’avait pas saisi le sens de leurs paroles, et son visage s’est assombri un peu plus. Puis il leur a tourné le dos sans un « au revoir » et a disparu à l’intérieur de son bateau, leur signifiant pas là qu’il n’avait plus rien à leur dire.

˗ Il n’est pas très causant ce type tu ne trouves pas Maman ?

˗ Oui… c’est bizarre ! fit la mère qui n’avait rien d’autre, à propos de l’homme, qu’un tourbillon d’images confuses dans son esprit.

Pendant le déjeuner, les deux femmes ne cessèrent d’y penser. Tout à coup, Lili interrogea son père :

˗ Tu l’as vu toi, Papa, celui du ketch ?

˗ Non… mais aux jumelles, j’ai pu lire le nom de son voilier. On a dû le croiser à Port-de-Bouc, peu de temps après notre départ de l’Estaque*. Mais c’est vieux tout ça !

Au souvenir du regard du capitaine d’Uranus, Léa se souvint tout à coup :

˗ Ça y est. J’ai trouvé ! L’émission « Perdu de vue »*… Mais oui, c’est quand on est passés chez Tam Tam pour lui rendre son bouquin d’accastillage*... Sa télé était en marche et Gilou regardait cette histoire où il était question de recherches…Mais oui, vous savez bien… cet appel à témoin qui parlait de ce père de famille qui avait disparu du jour au lendemain de chez lui et dont on n’avait pas eu de nouvelles depuis sept ans déjà. Signe particulier : yeux vairons… avait dit le présentateur. Et justement le gars d’Uranus…


Peut-on arrêter les souvenirs qui reviennent et les bouffées de passé qui vous assaillent à l’improviste, celles des années perdues surtout. Mais aussi, avait-on idée, d’avoir attendu plus de vingt-cinq ans, pour dire adieu à son ancienne existence et même changé de nom, après avoir été aux ordres d’une belle-mère plus dure que la pierre, d’une épouse qui vous méprisait et vous humiliait constamment, et de trois enfants qui vous détestaient plus que tout. Oui, à quoi cela avait-il servi de s’être démené autant pour qu’ils ne manquent jamais de rien ?


Après avoir hissé les voiles aux premières lueurs du jour, il promena une dernière fois ses regards au fleuve sans fin, sur lequel des monstres d’acier surgissant de nulle part, perçaient de leur étrave* gigantesque le rideau de brume qui enveloppait l’horizon.

Longtemps encore, dans sa fuite éperdue, il devrait se faire humble, petit, modeste, et renoncer à parler.



Petit glossaire de la marine à voile

Tout lecteur n’est pas tenu de connaître parfaitement le vocabulaire utilisé par les marins lorsqu’ils communiquent entre eux. Aussi ai-je pensé que quelques explications s’imposaient.

*ketch : voilier à deux mâts ; dont le grand mât est situé à l’avant et le plus petit, appelé mât d’artimon, est sur l’arrière.
*cata pour catamaran : voilier à deux coques.
*Suriname ou Surinam.cf.« Le nègre du Surinam de Voltaire » : ancienne Guyane hollandaise à la frontière de la Guyane française, traversée par les fleuves Maroni, Surinam, Saramacca et
Coppename. Capitale : Paramaribo.
*Iles du Salut : îles au large de la Guyane française (île Royale, île de St Joseph, île du Diable), marquées par l’histoire du bagne.
*l’Estaque : petit port de pêche au N-O de Marseille.
*Perdu de vue : émission télévisée française d’appel à témoin, lancée en octobre 1990 et animée par Jacques Pradel.
*accastillage : ensemble des accessoires de pont pour manœuvrer les voiles (poulies etc…)
*étrave : partie avant de la quille d’un navire.

4225 caractères, titre et espaces compris (mais en n’incluant pas les explications avec * en dessous du texte).

Contribution du : 26/04/2021 23:50
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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
Visiteur 
Le 27 avril 2 h 58

Théoriquement, il n'y aura pas d'autres participants.
(s'il devait y en avoir, bienvenue, ici, c'est l'informel, le festival off*)

À 3 h 07 : 10 participants .
Pour le défi n°3, nous étions 7, pour le 2, vous étiez 7 aussi, à participer, pas les mêmes, mais 7.
Et pour le premier festival, vous étiez 10.

Cette fois-ci et par ordre de "postation" :
Luz
Ligs (nouvel inscrit, bravo !)
Hersen
Dugenou
Placébo
Cristale
Donaldo75
Plumette
Dream
et moi

Il manque Capry, la marraine de ce défi, (prenez soin de vous, Capry, je suis inquiète de votre silence)
Alfin et Gulysse devaient venir, ils ont sans doute eu un empêchement.

Je ne sais pas ou plus comment est venue l'idée initiale de ces défis, mais voilà une super belle idée.
Le comble, serait de rallier tous les actifs, hyper ou pas, des forum. Mais aussi un ou deux pseudos "improbables", comme Ligs, ici, arrivé depuis moins de 4 mois.
Le "Partage, quand on n'a plus rien à partager" est plus qu'un succès.... On a partagé.

* dans le créneau 20h , 20 h + 8 permettant à tous oniriens outre-Atlantique-Pacifique de se réveiller

Merci à A. de m'avoir réveillée par son appel téléphonique.

Contribution du : 27/04/2021 03:23
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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
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Super, ce petit défi !

Il me reste trois nouvelles à lire (Luz, Eclaircie, Dream), ce qui ne saurait tarder.
Je poste déjà mes commentaires sur les six autres.
Un thème, des variations : merci pour toutes ces participations informelles, sans filet, et... partageuses !


Cristale Cristale :)

Le titre, c’est le lien ? On ne nous avais jamais fait le coup, quand tu débarques en nouvelles, toi, tu innoves !
Ah ben tu as plongé direct dans le direct ! Le ton est bon, on reste accroché par cette mère de famille esseulée qui regrette les partages d’avant, et qui peine à s’en inventer de nouveaux. Il y a de la justesse, sans doute, dans tout cela, surtout les rimes intempestives, qui apportent un brin d’humour bienvenu !

Merci pour la lecture !

Diako Placebo

Le sujet me parle énormément, pour des langues, c’est normal. J’ai bien aimé cette lycéenne qui s’accroche à des racines que son grand-père a connu, et il lui en reste des radicelles, puisqu’elle sait dire « un matin clair et ensoleillé ».
je pense que tu établis bien le sujet, même si le tout est très rapide, mais c’est un sujet si vaste !
La fin est assez cocasse, entre les motivations qui l’ont poussée à choisir ce sujet, et la réaction de son collègue de classe ;
la fin est assez marrante, dans un sens, elle me remet les pieds sur terre, je pars facilement loin quand on me dit « un matin clair et ensoleillé » dans une langue qu’il y a pas un quart d’heure, je ne connaissais même pas !

Merci pour la lecture !


Repas de famille Dugenou

Eh bé, quelle ambiance ! Je trouve que c’est pas mal, sauf peut-être sur le point que Thomas capitule d’une trop piètre façon. Ce point pourrait être amélioré, et tu donnerais plus de relief à ta nouvelle.
Mais sinon, toutes ces personnalités exacerbées ont leur place dans l’histoire, et peut-être, sans aller si loin, n’es-tu pas si loin de la vérité : cela doit arriver, parfois ?

Le choix du non partage pour ensuite se liguer tous contre celui qui veut dire la vérité est très bien vu !

Merci pour la lecture !

Manu Donald75

Oui, évidemment, ça a mal tourné. Comme je n’ai jamais échangé « un paquet d’herbes folles séchées » contre des diamants, je ne sais pas si c’est vraiment comme ça que ça se passe ; si c’est oui, je vais en rester à des projets plus simples d’herbes folles herboristiques.
Un sujet où souvent c’est le partage en fin d’histoire, entre deux associés, qui en fait tout le sel et tous les problèmes. Ici, c’est plus radical.

Merci de la lecture !


Au fil des ansPlumette :

Oh, quelle « bonne nouvelle », si cruelle ! Faire porter au chien tous les déboires, puis l’abandonner en partant.
J’aime énormément la subtilité que ce qui commence pour lui, il le doit à son chien. Sa femme sans doute ne le sait pas, mais c’est sur ce dernier qu’elle va cristalliser sa vengeance.

Excellent, une écriture à la Plumette ! :)


La vague Ligs

Une nouvelle bien sombre, mais bien vue.
Mettre ainsi tous ses espoirs dans un pays qu’elle ne connaît que par ouïe-dire, et puis s’enfoncer dans un tel désespoir.
La nouvelle est simplement racontée, mais elle frappe beaucoup, elle porte.
D’autant que comme illustration du thème, que peut-on dire de plus ?

Merci, Ligs, de cette lecture et bienvenue côté nouvelles !

À bientôt pour plus...

Contribution du : 27/04/2021 09:41
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Re : Défi de nouvelles n°4 : Le partage...
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Quelle belle cuvée ! J'ai commencé à lire par curiosité, et je me suis laissée embarquer !

Je reviendrai pour commenter, le partage, c'est une valeur sûre.
Bravo !

Contribution du : 27/04/2021 09:45
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