Parfois, dés le matin, une migraine invalidante me prenait. On m'installait dans la chambre parentale, la plus fraîche de la maison. On disposait sur mon front une poche de glace, et l'on entrouvrait les volets.
Un remue-ménage agitait la maisonnée, qui cherchant sa serviette de bain, qui le parasol et qui ses lunettes.
Enfin la porte d'entrée se refermait sur un bruit de serrure.

C'est un moment que j'affectionnais. Le silence s'installait et avec lui cette satisfaction d'être enfin seule pour quelques heures.
La chaleur aidant, j'avais tôt fait de m'assoupir.

Lorsque je me réveillais, les yeux au plafond, j'assistais à des scènes de rue. Par un effet d'optique que je ne saurais expliquer, les silhouettes en mouvement des passants, et jusqu'à la couleur de leurs vêtements étaient restitués, à condition d'avoir trouvé le bon entrebâillement des volets.
La rue était peu fréquentée mais de temps en temps passait une calèche mue par un cheval. Le tintement régulier et familier des sabots sur le goudron avait pour effet de me faire replonger dans la somnolence.

Coccinelles et capucines
Invasion de coccinelles exotiques. La façade sud de la maison en est couverte. On voudrait les accueillir, les protéger. L’expérience nous a prouvé que notre climat « océanico-continentalo-méditerrannéen » de la région ne convient guère aux Bêtes à Bon Dieu (Dieu ne serait-il pas si bon que ça ?) et surtout que ce petit animal ne sait absolument pas trouver le meilleur refuge pour l’hiver.
Quand les autochtones se réfugient sous les écorces, pierres et fleurs fanées, les migrantes, elles, choisissent un coin de plafond, un encadrement de fenêtre voire l’écuelle du chat, tout endroit où leur espérance de vie ne dépasse pas quelques semaines ou quelques mois dans la meilleur des cas.
L’an prochain, qui protégera mes capucines favorites ? Personne, rien. Les résidentes du passé ont déserté les lieux, les remplaçantes ne survivront pas.

Citation :
P.S. je ne sais pas afficher le titre du lien plutôt que le lien, désolée.

Le jour du kapok

Il était impératif de choisir un jour sans vent.

Alors, elle drapait sur sa tête un torchon et s'en faisait un turban. Nous l'aidions à transporter sur la terrasse le grand matelas et quelques coussins.
D'un coup de ciseaux précis elle défaisait une couture et ses mains allaient chercher au fond des enveloppes le kapok duveteux.
Il nous était recommandé de ne pas remuer trop d'air autour d'elle.

C'était un vrai bonheur de voir voltiger au soleil les flocons de couleur miel. Il fallait éviter qu'ils ne s'accrochent dans les cheveux car il était ensuite très difficile de les en déloger.
Comme des outres vides, les enveloppes et les taies attendaient à terre qu'on leur rende leur chaleureux contenu. Elles n'avaient pas le temps de soupirer bien longtemps, car une main preste les plongeait assez vite dans une lessiveuse où elles n'avaient qu'à protester à grands bouillons.

Une mer de kapok invitait irrésistiblement à aller se rouler dans ses flocons.
Cela était bien entendu interdit.
Le grand problème à présent, était de surveiller la survenue d'une brise capricieuse qui aurait tôt fait d'éparpiller le kapok. Nul n'aurait pu arrêter le larcin de cette voleuse.
Réchauffés, désaspetisés par les chauds rayons, les cotonneux flocons savouraient paresseusement ces quelques heures de liberté surveillée en attendant d'être de nouveau emprisonnés pour le bien-être des corps fatigués.

Veritas
On connait les détecteurs de mensonges dont la fiabilité reste à prouver, l’invention du professeur Colza, une huile dans le domaine de la recherche (élève du professeur Tournesol) pourrait révolutionner la vie politique. De la dimension d’un petit pois, Veritas est un dispositif qui, placé dans un micro déclenche un sifflement dès que la personne interviewée prononce un mensonge.
--Ou une vibration, il suffit de le programmer, vous pouvez faire un essai.
Je ne mens jamais, j’invite Sophie, ma charmante collaboratrice à tester cette invention.
-Que puis-je dire ?
Je lui conseille de dire qu’elle ne trompe jamais son mari, je suis bien placé pour savoir que c’est faux
Effectivement le bidule se met à siffler, trop fort à mon goût, serais-je son unique amant ?
-Vous avez demandé l’agrément pour le diffuser ?
-J’attends le feu vert de l’Administration, le responsable m’a promis que cela ne durerait pas longtemps…seulement, j’avais caché un petit micro piégé, il a vibré !

Le vieux qui faisait tomber les feuilles


Tous les matins vers 9h00, le journal à la main et la canne dans l’autre, le vieux traversait le jardin. À l’aller il l’ignorait et au retour, il faisait tomber ses feuilles, l’air grave, à l’aide de sa canne. Une, deux, trois puis il disparaissait. Ce manège durait depuis début septembre. Accomplir un rituel au mystère bien gardé ? Asseoir sa domination sur cet arbre de plus de cent ans son aîné ? Entretenir sa souplesse et sa dextérité ? Se créer des repères pour rythmer sa journée ?

Mi-octobre, accompagnant d’un geste les dernières feuilles dans leur chute forcée — comme à l’accoutumée sous mon regard intrigué — il afficha un air plutôt satisfait dans lequel je pus cependant déceler une touche de morosité. Il leva enfin pour la première fois les yeux sur moi, en brandissant sa canne pour me la désigner.

– Il n’y a pas que les vieux qui ont besoin d’aide pour ne pas boiter, même les saisons faut les aider…


http://www.oniris.be/forum/micro-nouvelles-commentaires-t19775s0.html

881 caractère titre et espaces compris

ARTHUR

Arthur essaye de me parler, et il me fixe de ses grands yeux enjôleurs. Mais j'ai beau essayé de le comprendre, je n'y arrive pas.

Il a bientôt 3 ans, il est roux comme l'était son père, ce père qui l'a lâchement abandonné avant sa naissance.

Il n'est pas comme vous et moi, Arthur est différent. Aussi, à la tombée du jour, je suis obligée de l'enfermer. Mais rester seul dans une pièce, il déteste ça. Se sentant prisonnier, il gratte aux carreaux de la porte close.

Il me regarde de ses grands yeux attristés tout en m’adressant des suppliques à fendre le cœur. Mais je dois me montrer inflexible, ne pas céder à la pitié.

Résigné, après de longues minutes de protestations infructueuses, il se calme enfin.

Le lendemain matin, je le libère, lui prodigue quelques caresses, et lui donne un doux baiser. Arthur qui n'est pas rancunier, se blotti tout contre moi, et il se met à ronronner

La matinée était jolie, la cuisine fleurait bon le café. Marc s'étirait en écoutant le glou-glou apaisant de la cafetière en plein travail. Il bailla, se servit un verre de jus d'orange et alluma la radio. Deux chroniqueurs débattaient vigoureusement sur une nouvelle réforme parlementaire, l'une semblait hystérique, ses propos débordaient d'incohérence et d'émotion, et l'autre, pédant comme un pape, se gargarisait en aphorismes lacunaires. Ce vif échange fit sourire Marc.
Tout cela était tellement inutile, les véritables enjeux étaient constamment éludés tandis que les questions futiles étaient débattus avec une véhémence qui frôlait parfois la folie. Tout ceci n'était qu'un grand théâtre, le monde regardait la scène avec attention et derrière le décor se mouvait les ombres. Marc ne croyait plus du tout à la politique, cela l'amusait, tout au plus. De toute façon ce serait bientôt fini, c'était la fin de son deuxième mandat...

Avec titre, 765 caractères (espaces non compris)

L’HOMME SUR LE BANC

L’homme était assis, solitaire, sur ce banc de pierre, il fixait de son regard vide le journal posé sur ses genoux.
Ignorant la pluie, le vent, les oiseaux indiscrets qui atterrissaient sur les bords de son chapeau, il restait immobile, étranger au monde qui l’entourait. Seul un silence épais répondait aux discours que je lui adressais. Son costume usé par le temps, témoignait de sa ténacité. Imperturbable il lisait ce journal, toujours le même et rien ne pouvait troubler son attention.
Je m’approchai de lui jusqu’à pouvoir le frôler. Assis à ses côtés je m’intéressai à sa lecture. Avec étonnement je ne pus que constater une évidence, les deux pages offertes à ses regards étaient vierges de toutes inscriptions, l’érosion des éléments avait gommé les ultimes nouvelles de cet exemplaire, des nouvelles qui l’avaient pétrifié, transformer en cette statue couverte de fiente de pigeon.