Très beau texte d'un autre époque...

Srakeeb

belle consigne Rosebud...Merci, encore?

S’assoir à la terrasse de ce café, un rêve qui devient réalité. Aujourd’hui je suis libre comme l’air si léger de ce matin calme, ensoleillé. Mais tout à coup il se met à pleuvoir des gens : un bus vient d’ouvrir ses entrailles, elles se répandent sur la place dans un flot sonore et empourpré, agaçant. Leurs faces offertes à frire au soleil rient à toutes dents, telles des figurines surmoulées. Je sens mes sourcils devenir deux accents circonflexes. Une douzaine de regards ne peuvent se défaire du mien, ils me voient, je les vois, inévitablement. Plus loin un autre groupe se confit en dévotion pour un jeune guide. Dans un lent cortège ils se suivent. Je subis leur écoulement sans broncher. Je maudis le sort de les avoir mis là juste sous mon nez, juste à cet instant où j’avais tant besoin de vivre.

"Ces contraintes me font mourir..."


Clara chérissait les reportages qui la conduisaient au bout du monde. Ce jour-là elle suivait des papous aux pieds couverts de boue pendant que sa main faisait disparaître un faux-pli imaginaire, appuyant de toutes ses forces sur sa table à repasser.

Une fois sa télévision éteinte, elle engloutit un paquet de Petit Lu, sa Madeleine de Proust version névrosée : toujours la même forme, la même couleur, les mêmes arômes artificiels si rassurants. Alors que le biscuit fondait sur sa langue, son regard parcouru son salon bien rangé.

Son sapin de Noël luisait juste à côté. Chaque nuit elle revenait pour intervertir deux boules ou deux guirlandes afin d'obtenir une décoration symétrique, un équilibre millimétré, sans jamais y parvenir. Elle se détendit à la vue de sa bibliothèque dont les livres étaient bien alignés par ordre alphabétique ou par thème, selon les jours, et sentit monter en elle l'envie de tout refaire...

Elle sortit de sa réflexion en entendant un bruit sec dans son jardin. Son salon d'habitude si sombre fut soudain éclairci par le soleil. Elle ouvrit la porte et découvrit que le vieil arbre planté devant sa fenêtre s'était brisé, emporté par une bourrasque. Elle s'approcha du petit muret qui avait suspendu sa chute pour voir les dégâts : la cime de l'arbre avait abattu la porte de la maison voisine.

Son univers si bien rangé était bouleversé, il fallait intervenir. Elle partit à la recherche de son voisin afin qu'il vienne la secourir. Elle franchit d'abord le muret, puis se fit un passage entre les branches pour atterrir à quatre pattes sur le sol en béton d'une pièce plongée dans la pénombre. Angoissée par l'obscurité, ses doigts parcoururent le mur à la recherche d'un interrupteur.

Quand elle ne fut plus éblouie par la lumière, Clara eut un moment de stupeur en découvrant la pièce où elle se tenait. Des placards blancs immaculés envahissaient trois des murs de la pièce, des armes de poings recouvrant le dernier.

Absorbée par sa découverte elle n'aperçut pas son voisin, tapi dans un coin. Par réflexe le corps de celui-ci s'était recroquevillé, la main crispée sur le couteau de chasse qu'il venait de polir.

Clara ne comprit pas tout de suite le choc dans son dos, ni la douleur du second coup qui lui fit fléchir les genoux. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit, comme dans ses pires cauchemars. L'air resté bloqué entre deux côtes ne rejoignit jamais ses cordes vocales qui se tordaient.

ps1 : 2475 caractères, promis je n'ai pas débordé ! Moi qui trouvais que cette contrainte était trop contraignante, tout compte fait je l'ai trouvée trèèès intéressante, merci Rosebud !

ps2 : heureuse de retrouver les participants habituels, toujours la même qualité d'écriture !

ps 3 : je souhaite la bienvenue au nouveau talent Srakeeb, qui vient de tomber dans la marmite !

Très joli texte, Lobia, mais il faudra vous remettre au repassage pour effacer un dernier pli...
Bon été à tout le monde.

@ Acratopege : merci pour votre bienveillance face à mon texte que je suis affligée de relire ce matin Les liens de la contrainte étaient bien trop serrés pour moi, j'étais pieds et poings liés.. je n'ai pas écrit de texte aussi scolaire depuis la 3èmeB ! J'espère que la prochaine contrainte portera plus sur le fond que sur la forme pour retrouver mes ailes ^^
Bonnes vacances où que soyez !

Bonjour Lobia... Ravi de vous relire sur ces ondes... L'exercice de la semaine nous a tous fait cravachir et nous avons tous travaillendre d'arrache-pieds pour la réussir.

Vous êtes la bienvenue à suoir sang et eau pour la prochaine...

merci Palimpseste !
j'avoue mon addiction : l'atelier des auteurs "sado-maso" fait mon bonheur ^^

Rien qu'une forme sur un canapé, une forme d'apparence humaine, c'est ce qu'elle est devenue : sans geste sans acte sans plus d'idée les émotions enfouies et le désir enfui d'accueillir toute rencontre.

Le moindre lien met à mal sa curiosité naturelle tant il ne sait que brandir la menace d'un étouffement d'une trahison ou d'une violence dans le mot ou la main.

"Tu plais à ta mère, tu plais à ton père"... salade de fruits si jolie viens donc fondre en bouche, viens nous repaître de ton pétillant sucré d'enfant neuve, tiens-toi bien, sois bien sage surtout tais-toi, ne trahis pas ta belle image.
Nous écrirons une perfection sur ta page blanche. Ne t'en fais pour rien..

Ne sors pas bébé, crois-nous, tant de dangers courent hors nos murs, qui te saliraient ! Quelle idée de chérir ces tenues frivoles et futilités d'enfant gâtée ! La vie revient à se battre et apprendre à se battre naît des seules discipline et moralité d'ascète.

Comme on blanchit ses dents on blanchit tous les soirs son âme publiquement en faisant prière commune debout devant la croix ; c'est l'examen de conscience. Quand a-t-on été vivant dans la journée ?...
...car ces moments-là sont le plus souvent d'une sauvagerie à vaincre par la contrainte, la vigilance, le contrôle des temps libres, des connaissances, du langage.

L'imagination et la créativité font rire ou sont dangereuses - c'est "n'importe quoi" - l'argumentation et le raisonnement sont impertinence et manque de respect, punis d'humiliations et froideur pour bien se souvenir que sortir de la cage ou des rails qui conduisent d'une cage à l'autre... revient à exclure tout amour.

Agir et réfléchir par elle-même produisant des drames, soit pour elle-même, soit pour autrui...

... elle se répand sur son canapé et ne connaît plus que lui.
Elle devient lui.

Bientôt un mois que Rosebud a lancé cette contrainte... on a largement dépassé la semaine, à notre plus grand plaisir : moi aussi je me suis régalée à la lecture de toutes les inspirations que ce long laps de temps a permis d'exposer !

Mais alors... avant de donner un ou deux commentaires (c'est aussi le but de ce forum), j'ai des questions :

- Est-ce que le fonctionnement de ce forum a changé ? j'aimais bien que la contrainte soit limitée dans le temps... et aussi, est-ce que tout le monde peut proposer une contrainte ? et y participer ?

- Est-ce qu'il y aura un index qui sera un jour mis à jour, comme celui publié par stony ?
perso, je trouve motivant de se creuser les méninges pour avoir le plaisir de figurer dans un "sous-répertoire de publication" : j'aime bien parcourir ces textes issus de l'exercice, sans avoir à feuilleter toutes les pages du forum...

Merci à ??? de m'éclairer (vague impression que ce forum n'a plus trop de pilote)

@lobia : très fort, la chute ! Bien aimé le rythme du texte à partir de "son univers si bien rangé". Un début un tout petit peu long à mon goût, et un quatrième paragraphe (pivot, où le récit bascule) un peu "forcé" : on entend parler d'une bourrasque un peu tard (pour déraciner un arbre, il doit y avoir tempête depuis un moment ?)

@costic : cet art de faire vivre les scènes et les émotions !... avec si peu de mots, parce que... tant d'images et de contrastes : j'aime "ensoleillé / pleuvoir des gens" "un bus vient d’ouvrir ses entrailles" "figurines surmoulées". Je partage avec toi certains de ces moments où l'invasion contraignante tue... ce que la solitude tranquille aurait écouté vivre.

@srakeeb : pas tout compris de votre texte qui me semble léger en apparence seulement... j'ai interprété qu'il s'agit des émotions d'Angèle dans "trop tard elle les voyait venir" et qu'Angèle pète alors un plomb sans ses cachetons, ce qui lui offre une journée en HP : du coup, je trouve le récit bien dans la contrainte (qui tue !)

@acratopege : waow malin, bien écrit, et... risqué !... je trouve très réussi ce pari taquin de choisir comme propos la contrainte elle-même... pour aller donc jusqu'à la provocation, histoire de se faire "tuer"

@palimpseste : j'ai déjà dit... et je persiste : un faible pour votre trouvaille de texte !