Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


L'histoire de Brigitte et celle de Jean-Luc
NICOLE : L'histoire de Brigitte et celle de Jean-Luc  -  L'histoire de Jean-Luc - Chapitre 12
 Publié le 26/10/09  -  3 commentaires  -  8574 caractères  -  47 lectures    Autres publications du même auteur

Il y a peu, je me suis rendu compte que je dis « la maison » en parlant de celle d’Agathe, et « l’appartement de Paris », lorsqu’il est question de mon appartement. D’ailleurs, je ne l’évoque plus à présent que lorsque je règle les factures qui s’y rapportent, et je ne m’y rends plus qu’à de très rares occasions.


Petit à petit, certains des meubles de mon appartement parisien sont venus compléter la décoration de la maison de Genève.

Si bien qu’un jour où Agathe et moi profitions d’un week-end avec les enfants pour aller une nouvelle fois chiner dans mon ancien appartement, il m’est brusquement apparu comme ce qu’au fond il était devenu peu à peu : une coquille vide.

Pendant le trajet de retour, j’ai annoncé à Agathe que j’allais mettre en vente l’appartement, puisque de toute façon nous n’y dormions même pas lorsque nous venions voir ma famille à Paris, ce qui fait à présent de lui une charge financière totalement injustifiée.


Si nous n’y séjournons pas, c’est essentiellement parce qu’Agathe refuse catégoriquement de se réveiller dans un endroit où le réfrigérateur ne contient aucun produit frais, de nature à permettre l’élaboration d’un petit-déjeuner jugé acceptable.

Elle fait partie de ces gens qui ne sont bons à rien tant qu’ils n’ont pas pris leur café. Dans son cas, ça s’étend aussi aux oranges fraîchement pressées et aux tartines de confiture (« Les confitures, elles sont bien faites maison au moins ? »).

Nous avons donc fini, au terme de recherches méticuleuses, par porter notre choix sur un hôtel de charme, où l’on sert un petit-déjeuner qui répond au cahier des charges très strict de ma compagne.


- Tu ne peux pas le vendre tant que vous n’avez pas liquidé la communauté Brigitte et toi, non ?

- Je sais, de toute façon, il aurait bien fallu officialiser la fin de ce mariage à un moment ou à un autre, surtout si on décide un jour de se remarier.

- Bien sûr, mais ça ne presse pas tu sais.


On n’a jamais vraiment parlé de mariage, c’est seulement une possibilité, une option qui ne changerait pas grand-chose à notre vie, de toute manière. Je sais que je passerai le reste de ma vie avec Agathe, marié ou pas.

Je n’ai eu cette tranquillité d’esprit avec aucune de mes deux épouses précédentes. Avec Agathe, j’ai le sentiment de paix et de sécurité après lequel j’ai couru plus ou moins consciemment toute ma vie. J’occupe enfin dans la vie de ma compagne la place qu’elle occupe dans la mienne. J’ai cessé d’être celui qui quémande. Je ne sais pas d’où me vient cette assurance nouvelle, mais la certitude de la pérennité du lien qui nous unit me rend infiniment paisible. On peut donc finalement être heureux sans angoisse, et sans se poser trop de questions.


Agathe a ramené ma vie au niveau de simplicité dans lequel s’inscrit la sienne. Douée pour le bonheur, elle va droit à l’essentiel, sans s’encombrer de trop de questions.

C’est une femme au fonctionnement simple. Agathe est dans l’action, pas dans l’analyse. Elle attache peu de prix à la parole, elle juge les gens sur leurs actes, rien d’autre.

Par exemple, elle ne m’a jamais demandé si je comptais retourner un jour à Paris pour retrouver mes patients et ma vie d’avant. Elle n’en avait pas eu besoin, elle savait probablement avant moi que j’allais rester ici, avec elle.


- Et puis avec l’argent de la vente de l’appartement, on pourrait rajouter un étage à la maison, et la construire enfin cette deuxième cuisine, assez spacieuse pour accueillir les cours de cuisine.


Après avoir dit ça, je guette sa réaction, sans anxiété.


Ça n’est pas nous qui avons eu l’idée des leçons de cuisine, mais à force d’entendre nos hôtes nous le suggérer, nous avons fini par nous laisser tenter.

L’idée de faire la cuisine tous ensemble, juste avant de passer à table, nous séduit évidemment beaucoup, mais l’actuelle cuisine d’Agathe n’est pas assez spacieuse pour pouvoir l’envisager.


Il y a quelque temps déjà que j’en ai parlé avec un architecte d’intérieur, qui vient parfois partager notre dîner, accompagné de son épouse. La dernière fois qu’ils sont venus, il nous a soumis une idée intéressante, qui a l’avantage d’être réalisable, sans pour autant exiger l’exécution de travaux pharaoniques.

Une partie de notre soupente présente une hauteur de plafond suffisante pour permettre à un homme d’y tenir debout ; il propose donc de prolonger par une véranda cette partie, et de se contenter de dédier les parties trop basses aux rangements, indispensables dans une cuisine.

Du coup, Agathe, que la perspective des nuisances occasionnées par les travaux tétanisait, est presque prête à se laisser convaincre par la simplicité de cette proposition.


Restait la question du financement, que la cession de ma part de l’appartement de Paris devrait pouvoir régler avantageusement. Si Agathe est d’accord pour mettre en œuvre nos projets d’agrandissement, il faut que je sollicite maintenant de Brigitte l’autorisation de mettre notre ancien appartement en vente.

L’idée de financer les travaux me plaît, c’est une façon pour moi de m’investir davantage dans ma nouvelle vie, de devenir aux yeux de tous et aux miens, davantage qu’un locataire privilégié. Bien sûr, Agathe ne me traite jamais en touriste. C’est plutôt moi qui ai besoin d’asseoir ma position, justement parce que personne ne l’exige de moi.


Cette maison était au départ celle de feu le mari d’Agathe, aussi, modelée à notre goût, elle deviendra un nouveau lieu de vie, chargé de notre histoire à tous les deux.

Agathe, qui n’est pas dupe, a choisi de me laisser faire à mon idée, et je lui en suis infiniment reconnaissant. Elle et moi, nous allons construire notre vie à partir de notre histoire passée, sans faire table rase de tout ce qui a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Nous n’allons pas refaire notre vie, nous la continuerons simplement.


De la même façon que je ne suis pas ennuyé de vivre dans le quartier de Brigitte, je ne le suis pas non plus d’occuper la maison où Agathe a vécu avec celui qui a été son mari. Sans ces deux personnes, qui ont contribué l’une et l’autre à nous façonner, nous ne serions probablement pas l’homme et la femme que nous sommes aujourd’hui.


En vieillissant, j’ai de plus en plus souvent l’intuition que nos vies ne doivent rien au hasard, et que de nos souffrances peuvent parfois naître des bonheurs imprévus. Je ne l’explique pas pour autant par la bienveillance d’une sorte de grand manitou qui pourvoirait à tout dans notre seul intérêt. J’ai toujours eu du mal à croire vraiment en Dieu, malgré tout le désir que j’en ai toujours eu.

Je préfère dire que je crois en la vie, c’est un peu différent.

L’âge qui arrive tranquillement me tient lieu de religion. J’ai cessé de m’insurger en pure perte contre ce que je ne peux changer. Je m’efforce de l’accepter, et il m’est parfois arrivé d’avoir la bonne surprise d’en tirer une force à laquelle je ne m’attendais pas.


J’ai observé des comportements similaires à l’hôpital, lorsque j’y travaillais. Quoiqu’on en dise, le corps médical ne sait pas venir à bout de toutes les souffrances physiques, et il m’est apparu que mes patients ne réagissaient pas tous de façon identique face à la douleur.

Ceux parmi eux qui, ayant pu éviter la panique, réussissaient à se dissocier de leur souffrance, en concentrant autour du siège de la douleur toutes les ressources mentales dont ils pouvaient disposer, ceux-là s’en tiraient mieux que les autres.

Une fois, j’ai croisé un homme qui m’a dit entre deux quintes de toux effroyables : « Je vais être celui qui a survécu à ça ». Quelques semaines plus tard, comme il s’apprêtait à quitter mon service, je le complimentai d’avoir pu sortir plus fort de cette épreuve.


- C’est tout le contraire. On n’est invulnérable que tant qu’on ne sait pas. Maintenant que je sais que cette violence-là existe, je ne l’oublierai plus, et il faudra bien vivre avec ça. Je me sens différent, mais certainement pas mieux armé contre les épreuves.


Je suis à peu près dans le même état d’esprit, à cela près qu’au-delà de survivre à ce qui nous a façonné, je crois qu’on doit pouvoir l’assimiler pour l’utiliser au mieux de ses intérêts.

Si on ne peut avoir de certitude, ni à propos de la pérennité de l’amour de nos proches, ni à propos de notre état de santé pour les années à venir, alors raison de plus pour être heureux, pendant qu’on a encore tout ça.

Et si demain tout devait être différent, on trouverait bien le moyen d’être encore un peu heureux, même si ça devait être autrement.


 
Inscrivez-vous pour commenter ce roman sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   jaimme   
27/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Jean-Luc semble donc avoir trouvé l'ataraxie. Et si je dis ataraxie plutôt que bonheur c'est que j'ai cette nette impression que sa relation avec Agathe n'est pas construite sur l'amour. Sur le désir de ne plus souffrir, oui. Sur la cuisine aussi... Mais pas sur l'amour.
Ou alors c'est que je suis trop extérieur à ce type de sentiment pour arriver à le comprendre.
Cette relation avec Agathe me paraît plus "maternelle" qu'autre chose... Le petit garçon a trouvé les pots de confiture qui lénifient sa vie. Et croire au destin c'est dégager toute responsabilité de ses actions passées et toute responsabilité dans ses actions futures. Pfff.
Le roman de Nicole est un sacré livre d'images sur les relations de couple. Je suis de plus en plus impressionné.

   nico84   
27/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↓
"Je préfère dire que je crois en la vie, c’est un peu différent." : cette phrase parle elle de Jean Luc ? Il croit en la vie mais il n'aime pas la donner en tout cas.

Belle réflexion sur l'auteur, sur le bonheur et le vie. Mais je n'en reste pas moins déçu que Jean Luc ait eu tout ce qu'il voulait sans se remettre en question. Ce n'est donc pas moral pour moi. Je n'arrive pas non plus à croire qu'un homme dans ces réflexions sur la vie n'arrive pas à prendre de la distance sur sa relation avec Brigitte pour comprendre son échec.

Sur la forme encore un bel épisode tout de même. Quand va il prendre contact avec Brigitte ? Et surtout pour lui dire quoi ?

   carbona   
7/9/2015
Je saute et m'en vais voir la fin.


Oniris Copyright © 2007-2023