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Le silence des bigorneaux
leon : Le silence des bigorneaux  -  Chapitre 6
 Publié le 03/07/12  -  6 commentaires  -  9937 caractères  -  46 lectures    Autres publications du même auteur

Abigaël déjeuna d'une tranche de jambon, accompagnée de patates sautées, et de la moitié d'un fromage de chèvre du coin. Après quoi il prit le café dans la salle à manger, aux meubles poussiéreux. N'aurait-il pas en effet dû faire un peu de ménage, comme il en avait parlé à la Glaude ?! Mais rien qu'à cette idée, il fit la grimace. Il savoura son café, en repensant à ce qu'il avait appris le matin.


Nicole, sœur des Quignard, avait trompé son mari Caillot avec Blaise, pendant que celui-là avait lui-même une relation avec Natacha Mauvet. Ça aurait pu donner l'idée au vieux Caillot, ou à un des proches, son fils Yvan, peut-être, d'assassiner le fameux Blaise, en le poussant de son bateau. Il lui fallait donc découvrir qui l'accompagnait en mer ce jour-là, et pour ça, le plus simple était de consulter le rapport de police, établi après le décès. C'était la même chose pour le fils Mauvet, Jonas, mort en mer, lui aussi. Quant à Christian Pitru, l'associé de Caillot, la question était plus difficile ; n'importe qui, dans le village, avait pu le faire tomber de son échelle.


Il prit son téléphone, et appela la PJ à Fleury, demandant à parler à un de ses anciens collègues, près de la retraite lui aussi, avec qui il avait toujours été en bons termes :


– Allo, Zoulesky, c'est toi ?! Ici Kronz.

– Oh, Kronz ?! Ça fait un bail. Qu'est-ce que tu deviens, vieille branche ?

– La routine de tous les retraités, bien sûr.

– Qu'est-ce qui me vaut le plaisir de ta conversation ?


Il lui expliqua alors de quoi il avait besoin, à savoir les rapports d'enquête au sujet des trois décès à propos desquels il se posait des questions.


– Tu as donc repris du service ?!

– Bah, je m'occupe, que veux-tu.

– Mouais, je vais te chercher ça. Quand veux-tu passer ?

– D'ici une heure, ça te va ?

– Oh, mais c'est qu'il est pressé, le haricot !

– Oui, on peut dire ça comme ça.

– Bon, eh bien à tout à l'heure, alors.

– Tu es un ange. Le bon Dieu te le revaudra.

– C'est cela, oui…


Abigaël but encore un café, puis s'habilla et partit avec sa voiture, direction Fleury, rejoindre son ami Zoulesky. La pluie s'était intensifiée, et battait violemment le pare-brise, et le vent soufflait fort, aussi. Il devait tenir le volant fermement pour ne pas faire d'écarts. Il finit par se stationner devant le grand bloc de béton de la PJ, d'une laideur immuable, intemporelle, qui lui avait toujours soulevé le cœur. Après avoir donné sa carte d'identité au planton, il s'installa sur une banquette trouée, en attendant que Zoulesky vienne le chercher. Celui-ci arriva quelques instants plus tard, et lui serra chaleureusement la main.


– Ça va ?! Tu as fait bonne route, par ce temps ?!

– Oh, je me fais vieux, mais j'ai encore bon pied bon œil.

– Allez, viens avec moi. Je t'ai trouvé ce que tu m'as demandé.


Il suivit son ancien collègue dans les étages, jusqu'à son bureau, où ils s'enfermèrent. Là, Zoulesky lui remit trois dossiers :


– Je te laisse regarder ça, pendant que je vais nous chercher un café. Ça te dit ?!

– Parfait ! Sans sucre, pour moi.

– Oui, t'inquiète. Je me rappelle.


Il commença par le premier de la pile, qui parlait du décès de Blaise, tombé en mer un quinze novembre, ça ferait bientôt douze ans, que les frères Quignard avaient repêché quinze jours plus tard. L'autopsie ne mentionnait rien d'anormal. Il était passé par-dessus bord par gros temps, alors qu'il était en train de pêcher au large avec son associé, Fernand Jacquin, avec qui il s'entendait parfaitement. Le rapport mentionnait bien sa liaison avec la femme de Caillot, mais l'enquête avait conclu à un décès accidentel, faute d'éléments supplémentaires.


Le second dossier relatait la mort de Jonas Mauvet, en janvier de la même année, qui, elle, avait donné lieu à une enquête plus approfondie. Le médecin légiste avait en effet relevé une forte alcoolémie, ainsi qu'une grosse ecchymose à la tête du défunt, au point de douter que la mort ne soit due à la noyade. Celui-ci était tombé à l'eau, alors qu'il était en compagnie du vieux Caillot et de son fils Yvan. L'enquêteur parlait encore d'une inimitié profonde entre les deux jeunes, dont lui avaient parlé les gens du village. Selon les ragots, celle-ci provenait de ce que Mauvet avait eu à vingt ans une relation de concubinage avec la femme qu'Yvan convoitait lui aussi, une certaine Véronique Trinquet, la sœur du bidasse qui était mort en sautant sur une mine. Yvan s'était par la suite marié avec une dénommée Clarisse Maire, et Véronique avait quitté Mélile, mais la haine et le ressentiment avaient perduré entre les deux hommes. Rien ne permettait pourtant d'affirmer qu'Yvan ait pu pousser Jonas à l'eau, et l'affaire avait été classée.


Abigaël se gratta la tête. Il trouvait étrange que l'enquêteur n'ait pas entendu parler du lien de parenté entre Caillot et le gars Mauvet, qui n'était autre que son propre fils. Quant à cette Véronique Trinquet, il se proposait bien de la retrouver, pour lui toucher deux mots de cette affaire, et lui poser quelques questions.


Le dernier dossier, concernant Christian Pitru, était un peu plus épais. Cette fois-ci, l'enquêteur avait fortement soupçonné qu'il y ait eu meurtre, au regard des trois lettres anonymes qu'il avait reçues. Toutes dénonçaient l'un ou l'autre des frères Quignard, et parlaient du différend qui les opposait au bonhomme, au sujet du rachat de ses vergers. Le bonhomme était tombé de son échelle, dans son jardin, un dimanche après-midi, alors que tous les marins du village étaient à terre, dont ses ennemis. Mais rien n'avait pu être prouvé, et là encore, l'affaire avait été classée.


Zoulesky finit par revenir avec les cafés, et interpella Abigaël :


– Alors, l'ami, te voilà prêt à réparer une injustice ?!

– Oh non, pas encore. Mais j'ai encore besoin de toi.

– Dis voir.

– Il me faudrait retrouver cette Véronique Trinquet, dont parle le rapport, au sujet de la mort du gars Mauvet.

– C'est comme si c'était fait, lui répondit son ancien collègue avec un large sourire.


Sûrement, il avait lui-même jeté un œil dans les dossiers, et s'attendait à cette demande. Il lui tendit un papier, où étaient notés une adresse et un numéro de téléphone. La belle habitait Grilleton, un bled situé à quelques kilomètres de Fleury.


– Voilà, l'ami. Mais est-ce que tu ne pourrais pas m'en dire un peu plus ?


Abigaël souffla sur son café, pensivement, en lisant le papier. Finalement, il se décida à sortir de sa poche la lettre qu'il avait découverte voilà deux jours, et la tendit à Zoulesky. Celui-ci en prit connaissance, et lui demanda :


– Intéressant, mais où as-tu trouvé ça ?

– Dans une bouteille, sur la plage de Mélile.

– Non ?!

– Tout à fait.

– Et qu'est-ce qu'elle faisait là, cette bouteille, et depuis quand elle y était ?


Abigaël réalisa alors qu'il ne s'était jamais posé ces questions, pourtant évidentes. « C'est plus un cerveau que j'ai, mais c'est de la sauce blanche ! » ne put-il s'empêcher de penser. Oui, ça n'était assurément pas ce mystérieux C. qui avait jeté cette bouteille à la mer, mais forcément quelqu'un qui avait eu connaissance de son message après son décès, et qui l'avait placé dans cette bouteille. Ce quelqu'un avait donc réalisé qui était l'assassin, et qui l'assassiné, et avait décidé d'utiliser ce subterfuge, pour tromper sa conscience, car, comme l'auteur de la lettre, il refusait de porter lui-même l'affaire devant la police. Ça pouvait d'ailleurs aussi bien être l'ami à qui elle était adressée qu'une autre personne.


Abigaël prit encore le temps de prendre des nouvelles de son ami et des gars du service, et puis il le remercia chaleureusement, et s'en fut. Dehors, le vent avait encore forci, mais rien ne pourrait l'empêcher de rejoindre Grilleton, pour interroger mademoiselle Trinquet, comme il le projetait. Il roula donc prudemment jusque-là, ballotté par les rafales de vent. La belle habitait un pavillon, à l'entrée du village. Il se gara et se présenta au portail, où deux molosses l'accueillirent dans un concert d'aboiements.


– Charybde, Scylla, à la niche ! Bonjour monsieur, que puis-je pour vous ?


C'était une grande blonde, aux cheveux longs, le nez aquilin, qui devait faire des efforts pour garder la ligne. Il sortit sa carte de police, pourtant périmée, qu'il n'avait jamais rendue à l'administration, prétextant d'avoir perdu son portefeuille. Sans se poser de question, elle le fit entrer chez elle, dans un intérieur qui respirait l'ordre et la propreté. Pour tout dire, ça sentait même la Javel, chez elle. Elle l'invita à s'asseoir dans sa cuisine tout équipée, et lui demanda l'objet de sa visite :


– Oh, je viens pour un meurtre qui date de quelques années, décida-t-il de bluffer.

– …

– Jonas Mauvet, ça vous dit quelque chose ?!

– Oui, bien sûr. Vous voulez dire qu'on l'a tué ?!

– Ça vous étonne ?

– À vrai dire, non. C'est ce que j'ai toujours soupçonné, dans le fond.

– Je croyais pourtant que vous aviez cessé votre relation, quelque temps avant sa mort.

– Oh, j'ai simplement quitté Mélile, pour qu'on soit plus tranquille.

– Et le meurtrier, selon vous ?

– Qui voulez-vous que ce soit, sinon ce satané Yvan Caillot ?!

– Qu'est-ce qui vous fait croire ça ?

– Oh, plusieurs choses, à vrai dire. Je n'étais pas leur seul point de désaccord. Comme Jonas m'en a parlé avant sa mort, le vieux Caillot avait décidé de lui céder son bateau, plutôt qu'à son propre fils, à son décès. Et ça, Yvan l'avait appris de Dieu sait qui, lui aussi. Vous savez, aucun secret ne tient, dans un village comme Mélile !

– De là à le pousser à tuer, vous le pensez vraiment ?!

– Yvan est un homme colérique et violent, une vraie brute !


Il discuta encore un moment avec la demoiselle, puis la remercia et s'en fut. Il n'était pas question de rentrer ce soir-là à Mélile, et il regagna Fleury et son appartement en roulant au pas, tant il pleuvait et ventait fort.



 
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   Anonyme   
3/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bon chapitre comme le précédent... Le mystère est toujours aussi épais mais quelques ouvertures possibles semblent se profiler.
Et oui, la fameuse bouteille, depuis quand traînait-elle dans le goémon ? Question que je m'étais posée dès sa découverte... car cette histoire de bouteille ne semble pas très claire au pauvre lecteur que je suis mais j'attendrai la suite avec patience.
Ps.Ce matin, comme chaque matin que dieu fait, j'ai jeté un coup d'oeil au goémon qui traînait sur l'estran mais point de nouvelle bouteille... On ne sait jamais avec la marée de 90 qu'on a ces jours-ci. Si j'ai du neuf je vous préviens !
A demain donc !

   brabant   
30/7/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour Léon,


Je trouve intéressant de récapituler un point important de l'intrigue en début de paragraphe. ça assoit l'esprit du lecteur.

Une troisième femme ! L'écheveau sera-t-il noué et débrouillé par les femmes ?


Je vois bien quelques approximations stylistiques et problèmes de concordance des temps... mais c'est peut-être voulu et ce sera éventuellement au correcteur de votre maison d'édition de voir cela avec vous. lol :)

Les remarques d'Alexandre, techniques (indispensables) et autres, sont à prendre en compte. Salut Alex ! On semble former un petit club autour de ce roman policier, Marite n'est pas encore passée, on lui prépare le café ?

   Marite   
4/7/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voilà, Brabant, j'arrive pour le café ! Merci !
Je suis passée hier et j'ai lu ce chapitre avec plaisir mais j'attends la suite avec curiosité et je récapitule car, avec les divers personnages et les informations que notre inspecteur arrive à obtenir, beaucoup de questions en suspens...

J'aime beaucoup la façon de présenter les personnages, les lieux, ainsi que les détails du quotidien de la vie de notre Abigaël :

" Abigaël déjeuna d'une tranche de jambon, accompagnée de patates sautées, et de la moitié d'un fromage de chèvre du coin. Après quoi il prit le café dans la salle à manger, aux meubles poussiéreux... "

C'est tout bête, mais je me serais bien attablée devant la tranche de jambon, les patates sautées et le fromage de chèvre ...

Ce n'est pas un obsédé, il prend le temps de vivre et nous laisse le temps de réfléchir aussi à l'intrigue. Il avance lentement mais sûrement et sa compagnie est bien agréable.

   MissNeko   
6/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
On s attache à cet inspecteur à la retraite. Vous maîtrisez votre sujet avec brio car quel imbroglio dans les personnages !
Je fuis fan !

   cherbiacuespe   
25/8/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Charybde et Scylla, fallait oser!

Ah! Et cette bouteille sur la grève paraissait bel et bien saugrenue.

Les choses se précisent enfin, tout s'accélère. Le mystère s'épaissi et devient passionnant. On monte en pression comme disent les commentateurs sportifs, mais là, on le ressent vraiment.

   Donaldo75   
20/10/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
L'intrigue - ou du moins l'enquête - avance et Zoulesky pose la bonne question, celle que le lecteur attentif pouvait se poser depuis le début quand ce message est arrivé dans l'histoire. Et c'est une belle pirouette que de désamorcer à ce moment précis la question car le reste du chapitre amène de la matière à l'investigation, branche les neurones du lecteur enquêteur sur des pistes déjà un peu élaborées mais de manière presque subliminale. Bref, il y a toujours de l'atmosphère et elle est pluvieuse, ventée, tourmentée sans être trop brutale même si la tempête n'est jamais loin.

Encore une lecture très agréable et qui donne envie de rester plus longtemps dans ce village flou avec ce policier à la retraite.


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