Lorsque Raoul de Nérigean demanda à l’abbé que Pierre Toussaint entrât à son service comme apprenti, celui-ci accepta aussitôt. Néanmoins, Rambert crut bon de préciser au maître d’œuvre qu’il ne s’agissait là que d’un prêt pour quelques années, et que le petit estropié continuait d’appartenir au monastère. En effet, l’abbé avait su, avec le temps, rectifier sa première impression : Pierre n’était point sot, loin de là. Au contraire, cet enfant silencieux et contemplatif l’intriguait fort. La première idée du père supérieur avait été de le maintenir au scriptorium sous les ordres de Théobald, mais le nouveau chantre n’avait pas voulu de lui. Dans ces circonstances, la proposition du maître d’œuvre Raoul avait tout de suite plu à l’abbé, car cela lui permettait de garder un droit de regard sur l’enfant, de l’observer à distance, et d’attendre de savoir comment le petit évoluerait avant de trancher définitivement sur son sort.
Pierre passa donc au service de Raoul de Nérigean. Un mois environ après leur première rencontre, le maître d’œuvre vint un beau matin le voir dans la Grand cour, et il lui annonça ainsi la nouvelle :
« Eh, petiot ! Viens par là. Ça y est, j’ai parlé à l’abbé, maintenant, tu es mon apprenti. Cela veut dire que tu iras partout où je te dirai d’aller, et que tu feras tout ce que je te dirai de faire. Par contre je t’autorise à dire tout ce que tu penses, et à penser tout ce que tu veux. Tu peux proférer tous les jurons du monde, et maugréer autant que tu pourras, peu m’en chaut, mais en aucun cas, je ne t’autorise à désobéir ou à bâcler ton travail, c’est d’accord ? »
Pierre écarquilla les yeux.
« Bon, dans un premier temps, tu vas juste me suivre, et tu vas ouvrir tout grands tes yeux et tes oreilles, et fais bien attention, parce que j’ai la langue bien pendue. »
L’enfant murmura « oui » d’une voix sourde et emboîta le pas de Raoul. Le maître d’œuvre le conduisit jusqu’aux écuries. Là, se trouvait une carriole flanquée de deux mules. Un serviteur aida le petit à monter. Pierre n’était pas très rassuré : où donc allait-on l’amener ? Devant la mine consternée du marmot, Raoul fut pris d’un rire gras et lui dit sur un ton jovial :
« Vé… Tudieu ! C’est la première fois que tu sors de cette prison, petiot ? Alors, prends garde à ton cœur, l’ami. Ces vieilles bourriques marchent aussi droit que des frères convers à la veille du carême. Tu verras, pitchoune, la liberté, ça fait tourner la tête… Et ne t’inquiète pas, tu reviendras au monastère avant la nuit tombée, j’ai promis à ton abbé que tu dormirais tous les soirs à Tussignac. »
Le maître d’œuvre monta à son tour dans la carriole, prit les rênes et dirigea le convoi vers l’entrée du monastère. Il héla le portier qui lui ouvrit les deux battants de la porte. En sortant de l’abbaye, l’enfant eut un pincement au cœur. La carriole entama alors la descente du sentier escarpé qui menait à la vallée. À chaque tournant, l’attelage brinquebalait et menaçait de renverser la charrette dans l’abîme. Pierre ferma les yeux et s’agrippa tant bien que mal à son siège, pris d’une soudaine angoisse.
« Té… Ça ne va pas être une partie de plaisir que d’acheminer tout notre matériel jusqu’à l’abbaye, tu peux me croire, petiot », s’exclama Raoul.
Mais l’enfant n’écoutait pas. Il priait à voix basse.
Pierre n’était pas au bout de ses peines, car une fois arrivés en bas de la colline, ils se retrouvèrent en face de la Garonne, qu’il s’agissait à présent de traverser. Raoul salua le batelier qui vivait dans une misérable cabane sur la berge, et engagea la carriole sur une gabare. La rivière, qui de loin semblait une minuscule ligne limpide et tranquille, de près était large et boueuse, pleine de remous. À bord du frêle esquif, Raoul expliqua qu’il s’agissait là de l’effet du mascaret, que les marées de l’océan remontant la Garonne créaient ces tourbillons, mais l’enfant était trop inquiet pour prêter attention au discours du maître d’œuvre. Le bonhomme ne cessait de baragouiner à un débit torrentiel, d’une voix caverneuse avec un accent rocailleux, tout un charabia fait de jurons et d’expressions gasconnes que le petit saisissait difficilement. Ce flot de paroles l’étourdissait au moins autant que les embûches du chemin. Pierre, habitué pendant des années au silence des moines, ignorait que tant de mots pussent sortir d’une même bouche à la fois. Il scruta l’onde tumultueuse, et se souvint tout à coup des terribles créatures pêchées dans le fleuve qu’il avait vues autrefois dans les cuisines du monastère, des anguilles qui se débattaient, encore vivantes, les corps entremêlés jusqu’à ne plus former qu’un magma grouillant et visqueux, des lamproies dépourvues de tête avec des orifices noirs et béants en guise de bouche, des brochets aux dents affilées comme des poignards, de gigantesques silures… Il imaginait avec effroi à présent tous ces monstres aquatiques qui hantaient le fond de l’eau, tapis dans la vase, s’apprêtant à bondir à l’instant sur la gabare pour le dévorer. Mais l’embarcation parvint sans encombre sur l’autre rive et la carriole continua son chemin. Le petit, pris de maux de cœur, décida de fermer les yeux tout le reste du voyage.
« Eh… je te cause, morveux, s’écria Raoul au bout d’un moment en arrêtant la carriole. Tu m’écoutes ou pas ? »
L’enfant sursauta. Trois ouvriers se tenaient devant l’attelage. L’un deux, un maigrelet au regard espiègle et les traits taillés au couteau, et qui répondait au nom de Fifrelin, se mit à dire sur un ton ironique, avec le même accent gascon que le maître d’œuvre :
« Tu as raison pitchoune. Raoul, ce n’est pas la peine de l’écouter, dis. Moins tu l’écoutes, et mieux tu le comprends. Crois toujours juste le quart de la moitié de ce qu’il te dira. »
Les deux autres hommes firent descendre l’enfant de la carriole. Puis le groupe se dirigea en marchant vers une clairière qui se profilait plus loin. La forêt, maintenant, paraissait plus désolée qu’auparavant. De longs arbres morts jonchaient le sol de part et d’autre du sentier, la terre était toute couverte de cendres et de caillasses, une fumée chargée de poussière pesait sur l’atmosphère. Au fond, Pierre devina l’entrée d’une grotte. Devant, il y avait quelques baraquements de bois, et une dizaine d’ouvriers qui s’affairaient.
« Voilà les carrières qui viennent d’être offertes aux moines, dit Raoul. C’est d’ici qu’on doit extraire les pierres pour notre chantier. »
Pierre regarda les ouvriers travailler : certains coupaient des arbres, tandis que d’autres, aux ordres du chef charpentier, élaguaient les troncs. Il y avait aussi une forge, et disposés pêle-mêle par terre des outils étranges aux formes menaçantes.
« Nous sommes en train de tailler des poutres pour soutenir les galeries souterraines, de fabriquer des leviers pour transporter la pierre, des rondins de bois pour les acheminer, commenta Raoul. Nous n’avons pas la chance d’avoir une carrière à ciel ouvert. Alors il faut creuser la colline, et c’est un travail harassant. »
Le petit groupe avança jusqu’au trou béant. Tout à coup, l’enfant entendit un bruit sourd à l’intérieur de la grotte, que l’écho fit résonner, et vit un nuage de poussière qui sortait de l’orifice. Le garçon prit peur, était-ce là l’antre d’un dragon ? Raoul tenta de le rassurer :
« Ce n’est rien petit, c’est juste un bloc qu’on vient de terrasser. Viens, on va entrer… »
L’accès était difficile, car il fallait se faufiler entre de gigantesques rochers et escalader des monticules de gravats qui encombraient le chemin. La grotte était lugubre, et dégageait une forte odeur de moisi. Pierre entrapercevait les silhouettes furtives des ouvriers qui s’agitaient dans la pénombre. Les flambeaux projetaient leurs ombres longues sur les murs de la caverne. Il y avait aussi des enfants, qui se faufilaient par derrière les blocs à peine amincis pour les marteler et les saper. Raoul expliqua combien leur travail était risqué car ils pouvaient facilement se retrouver coincés, mais qu’ils étaient les seuls à pouvoir s’immiscer dans les interstices et les galeries les plus étroites. Pierre toisait ces petites âmes en peine, aux regards tristes et perdus, aux joues couvertes de boue, aux corps fluets. Tout cela ressemblait fort aux scènes de l’enfer décrites par les moines, mais ce n’était pas l’enfer, juste le purgatoire, l’envers du décor, l’ombre qui accompagne les grandes constructions érigées par les hommes pour plaire à Dieu.
Une fois sortis de l’antre, ils se dirigèrent tous deux vers un immense bloc en contrebas du chantier. Le maître d’œuvre glissa alors à l’enfant :
« À cause de ton fichu pied, tu ne peux pas nous aider à extraire les pierres de la carrière ni à couper du bois dans la forêt, alors tu seras tailleur de pierre, et tu deviendras mon apprenti pour sculpter les bas-reliefs de la nouvelle église. Regarde bien ce bloc, petit. C’est une pierre brute et sauvage. Nous allons la débiter et la polir. »
Pendant tout l’après-midi, Pierre obéit aux ordres de Raoul sans trop savoir de quoi il retournait. D’abord, les ouvriers plantèrent des piquets à terre tout autour du bloc. Puis l’enfant aida à nouer des cordes à chaque piquet, et ils élaborèrent un immense filet pour capturer la pierre. Ensuite, il aida Raoul à appliquer pour chaque corde de la craie bleue en poudre, et en tirant d’un coup sec sur chaque corde, ils dessinèrent des marques rectilignes qui quadrillaient la roche. Puis, jusqu’à la soirée, armés de piolets et de bâtons ferrés, les ouvriers cassèrent le bloc selon les marques. Pierre posait des tacots de bois dans les fentes pour mieux ouvrir les plaies de la pierre ou bien donnait des coups de marteau depuis le soubassement pour mieux la trancher et la ciseler. Il avait l’impression que chaque coup retentissait à l’intérieur de la roche, que le bloc, comme une bête gigantesque délogée de sa tanière, essayait de se débattre encore, gémissant, à l’agonie.
Juste avant le crépuscule, Raoul appela Pierre, et ils gagnèrent tous deux la carriole. Sur le chemin du retour vers l’abbaye, l’enfant daigna enfin regarder le paysage, et se laissa bercer par le mol balancement des mules. Les vignes aux feuilles écarlates regorgeaient de grappes noires et brillantes, aux grains ronds et lourds qui invitaient à l’ivresse. Les feuilles mordorées des chênes et des hêtres balayaient le ciel rouge feu. La nature tout entière foisonnait, exubérante. Pierre demeurait béat d’admiration devant ce paysage qui lui avait semblé si monotone aperçu de loin. Et il s’émouvait de chaque brin d’herbe, de chaque feuille qui s’ébattait dans le vent. L’air vif lui fouettait le visage, le sang lui montait à la tête. Pour la première fois, il envisagea son nouveau destin. Ainsi donc, il deviendrait sculpteur, tailleur de pierre, dompteur de rochers… L’idée le réjouissait. Il se mit à rire à gorge déployée dans le vent. Il se sentait tout à coup libre et invulnérable.
Les jours suivants, il retourna à la carrière, et aida les ouvriers à achever de détruire le bloc sauvage. Au fil des jours, il apprit à mieux connaître les maçons. Tous ces hommes, pour tout dire, l’effrayaient quelque peu, avec leurs manières rudes et leurs haleines avinées. Ils étaient d’une insolente liberté, fiers et farouches, et à longueur de journée proféraient des jurons dans toutes les langues. Entre eux ils se racontaient mille batailles réelles ou imaginaires, car ils aimaient exagérer et ils étaient roublards et menteurs comme des arracheurs de dents. Ils venaient de partout et de nulle part à la fois, allaient de chantier en chantier, se vendaient au gré des voyages comme mercenaires, s’offrant corps et âmes pour quelques pièces sonnantes et trébuchantes, mais se disaient libres comme le vent. Dans les dortoirs du monastère, l’enfant entendait les commentaires des serviteurs de l’abbaye : les maçons n’étaient guère des gens très chrétiens, toujours en voyage, sans maîtres ni racines, cela n’était pas bon et devait cacher bien des crimes et des péchés. « Pierre qui roule n’amasse pas mousse », disaient-ils en substance.
Il apprit aussi à connaître Raoul de Nérigean. Le maître d’œuvre s’était entiché du garçon, et l’enfant ignorait pourquoi. Malgré son allure bourrue, le bonhomme laissait transparaître une grande tendresse. Pierre, quant à lui, se sentait réconforté par la présence de son nouveau maître, par sa carrure forte et rassurante qui imposait le respect, ses certitudes et ses décisions tranchées. Cependant, il avait remarqué que Raoul changeait du tout au tout chaque fois qu’il entrait au monastère : lui qui était impie, bravache et hâbleur en dehors de l’abbaye, il devenait d’un coup larbin servile devant l’abbé. Le bonhomme tenta de s’en justifier un jour que Pierre le regardait d’un ton réprobateur : « Petiot, ne mords jamais la main qui te donne à manger. Fais toujours ce qu’on t’ordonne, sans rechigner, même si les ordres viennent d’un sot. Ta liberté, garde-la pour toi, à l’intérieur. »
À la fin du mois d’octobre, il y eut un terrible accident dans la carrière. Il n’avait cessé de pleuvoir durant toute une semaine, et la boue s’était infiltrée dans les galeries souterraines. Plusieurs poutres, gorgées d’eau et demeurées sans appui, ne résistèrent pas à l’inondation et toute la colline s’effondra à l’instant. La bouche de la grotte se referma d’un coup, engloutissant deux enfants qui demeurèrent prisonniers dans ses entrailles. Les recherches furent vaines, la carrière les avait avalés à tout jamais. C’est alors que Raoul, bien que tout espoir fût déjà perdu, monta sur la colline et continua de creuser. Il s’acharna pour déblayer les rochers, en tentant de forcer la fortune pour sauver les enfants. Et il continua ainsi vainement pendant des heures jusqu’au crépuscule. Quand il s’arrêta, éreinté de fatigue, il se mit à pleurer comme un enfant, puis il lança son poing vers le ciel en insultant Dieu. Un ouvrier posa la main sur l’épaule de Pierre Toussaint, qui contemplait attristé la scène, et lui dévoila alors l’histoire du maître d’œuvre : Raoul avait perdu son fils, quelques années auparavant, de la même manière, et, semblait-il, quatre autres enfants encore auparavant. Le soir venu, sur le chemin du retour vers le monastère, Pierre voulut dire quelque chose pour réconforter son maître, mais les mots lui manquaient. Raoul lui passa alors tendrement la main sur ses cheveux, et ajouta, en s’efforçant de conserver un ton enjoué : « Eh, petiot, la vie est ainsi faite. La pierre se rebiffe et nous joue des tours, de temps en temps. Ce qui me préoccupe le plus dans tout ça, c’est que nous n’aurons peut-être pas assez de blocs pour notre construction. Le filon s’est tari. » Pierre regarda, perplexe, le maître d’œuvre, ne sachant que penser. La mort de ces enfants l’avait marqué au plus haut point et pourtant, il semblait si résigné à présent, si docile, si paisible…
Le lendemain matin, sous une pluie battante, les ouvriers se retrouvèrent devant la colline effondrée. Raoul prononça quelques mots pour honorer la mémoire des petits ouvriers morts, qui n’allaient pas recevoir de sépulture chrétienne, le curé du hameau ayant refusé de se déplacer dans les intempéries. Les ouvriers recueillis écoutaient le discours en silence, sévères, le visage abattu, la mine désolée. Les enfants survivants tremblaient de froid et de peur. Après cette cérémonie improvisée, chacun chercha une occupation pour tuer le temps : les bûcherons appliquèrent des bâches aux rondins fraîchement coupés pour éviter leur pourriture, le forgeron rangea ses outils pour empêcher la rouille. Tout à coup un ouvrier arriva en courant vers la clairière et s’écria qu’il venait de trouver un nouveau filon. Tous le suivirent, armés de pioches et de piolets.
Ils arrivèrent rapidement jusqu’à un petit vallon. On devinait au loin, en lisière de forêt, une paisible demeure, toute recouverte de buissons et de ronces.
« Une villa romaine presque intacte, déclara Raoul à travers sa barbe. C’est notre jour de chance. À l’assaut, les gars ! »
Les ouvriers brandirent leurs outils et crièrent comme un seul homme « à l’assaut ! », puis ils se ruèrent en dévalant la pente. Ils attaquèrent sauvagement la demeure. En peu de temps, ils démontèrent chaque pierre de l’édifice, pour n’en laisser que les mortiers. Puis, fiers de ce pillage, après avoir chargé leur butin sur les carrioles, ils se mirent à boire et à chanter à tue-tête. Pierre, accablé par le tintamarre, était resté en retrait à l’entrée de la villa. Il y avait là une statue fort belle d’une déesse aux seins nus et il s’assit en face d’elle pour l’admirer. Il n’avait jamais vu de sculpture aussi bien ciselée, de pose aussi gracile. Tout d’un coup, deux ouvriers s’approchèrent en ricanant. Ils tâtèrent la croupe de la déesse puis, jugeant que la pierre ne pouvait pas être réutilisée, ils décollèrent la statue de son socle avec leurs leviers. La sculpture tomba à terre et se brisa. Les deux maçons, sans cesser de rire, soulagèrent leur vessie en arrosant la poitrine et le visage de la divinité. Raoul apparut à ce moment précis et, à la grande surprise de Pierre, il ne rabroua pas les ouvriers, au contraire il se mit à rire de bon cœur, et après avoir échangé avec eux quelques blagues graveleuses, il s’en fut en leur ordonnant de se dépêcher, car il était grand temps de partir. L’enfant était outré.
Le soir, en raccompagnant Pierre au monastère, Raoul, qui avait remarqué la mine renfrognée de son disciple, lui demanda :
– Mais qu’est-ce qu’il y a donc, petiot, à la fin ? Pourquoi me regardes-tu avec un œil si noir ?
L’enfant répondit entre ses dents :
– La statue. Les maçons l’ont détruite. Pour rien.
Le maître d’œuvre haussa les épaules et répondit :
– Pour rien, non. Il fallait bien que mes hommes s’amusent… Ils se sont un peu vengés contre la pierre, ça n’est pas bien méchant.
Raoul s’esclaffa, mais Pierre ne desserra pas les dents.
Une semaine plus tard, c’était la Toussaint. Les maçons s’en allèrent vers l’abbaye pour assister à l’office du matin, puis, après avoir reçu leur paie, ils se séparèrent. C’était la trêve jusqu’après Pâques. Raoul néanmoins resterait seul pour passer l’hiver à Tussignac.
Une fois les ouvriers partis, le maître d’œuvre poussa Pierre du coude, et lui chuchota : « Viens petiot, il y a fort à faire en peu de temps », puis il se dirigea, le pas décidé, jusqu’aux bâtiments conventuels. Pendant toute la journée, Raoul passa en revue chaque recoin du monastère. Il filait bon train tout en parlant et en gesticulant sans se soucier le moins du monde de l’enfant qui sautillait derrière lui monté sur sa béquille et ne pouvait guère suivre son allure endiablée. De temps à autre, le gros homme s’arrêtait devant un mur, caressait sa barbe noire de ses doigts gourds, inscrivait des hiéroglyphes à la craie sur les blocs, puis, l’air satisfait, continuait son chemin, et tout cela sans jamais cesser de déblatérer.
Le lendemain, ce fut la même chose, et le surlendemain, et ainsi toute la semaine. Raoul marchait devant tout en parlant, Pierre était à la traîne derrière lui. Jusqu’à ce qu’un beau matin, lassé, le petit décidât de s’accorder une courte pause et de s’asseoir sur le parvis de l’église, laissant Raoul pénétrer seul dans l’édifice. Mais le maître d’œuvre réapparut aussitôt, l’air fort courroucé.
« Eh quoi, le pitchoune ! Tu traînasses, tu rêvasses ? Foutrebleu ! »
Pierre baissa la tête, rouge de honte.
« Tu ne comprends pas fichtre mot de tout ce que je raconte, pas vrai ? Et alors, nigaud, tu ne peux pas le dire ? Tu as avalé ta langue ou quoi, fouchtra ? Vas-y, pose-moi une question, avant que je m’énerve. Si tu crois que ça m’amuse de parler aux pierres ! »
Pierre chercha au fond de lui-même les paroles pour formuler sa question, mais les mots sortirent beaucoup plus facilement qu’il ne l’eût cru.
« Qu’est-ce… Qu’est-ce que vous faites au juste avec cette craie sur les pierres ? » demanda-t-il, et jamais il n’avait encore articulé une phrase aussi longue de sa vie.
Raoul se mit à rire.
« Ah, tu vois que ça sert à quelque chose, une langue… Eh bien petiot, je marque chaque type de pierre différente. Nous allons devoir toutes les réutiliser pour agrandir l’abbaye. Celles qui sont taillées d’une manière, je les note avec un certain signe, les autres avec une autre marque et ainsi de suite… J’ai bien peur qu’on n’ait pas assez de pierres pour réaliser notre chantier. Aussi je dois chercher toutes les manières possibles et imaginables pour feinter, ouvrir des espaces, utiliser des colonnes au lieu de murs pleins, des arcades, percer des fenêtres. Tout ça à cause de ce terrible manque de pierres. Tu comprends ? »
Pierre comprenait parfaitement. Il avait connu un problème similaire en réalisant son enluminure secrète. Le manque d’espace et d’encre l’avait obligé à redoubler d’ingéniosité et d’imagination.
– Quand est-ce que nous commencerons à bâtir la nouvelle église ? s’aventura à demander le petit, avec plus d’assurance encore que pour sa première question. – Diable, comme il y va le pitchoune, s’esclaffa Raoul. Eh ! Mais avant de construire, il faut d’abord démolir, petiot. Et crois-moi, c’est un travail bien plus pénible et dangereux. C’est un véritable art majeur que de bien savoir détruire. – Ah… soupira l’enfant, déçu.
Ils déambulèrent ainsi pendant une semaine entière dans toute l’abbaye, à compter les pierres pour les cataloguer. Ce travail était spécialement rébarbatif et lassant, mais l’enfant était ravi. Au contact de Raoul, sa langue se déliait peu à peu. Les questions se pressaient à sa bouche et Raoul aimait y répondre. Une vraie complicité à ce jour commença entre le maître et son apprenti. Le maître d’œuvre montra au garçon comment faire parler les pierres : on pouvait par exemple analyser la façon dont elles avaient été taillées, calculer le poids qu’elles supportaient, ou alors estimer leur qualité en plantant un clou ou un couteau. L’examen attentif de la mousse qui recouvrait la pierre, l’usure de la gâche et du mortier, des minuscules fissures dans la roche étaient autant d’indices qui permettaient de comprendre l’historique de chaque bloc. Mais Pierre n’avait pas besoin de toute cette science pour comprendre le langage des pierres. Il devinait du premier coup d’œil leurs blessures, leurs souffrances, leurs joies et leurs peines. Chacune d’entre elles lui racontait son histoire secrète. Très vite, Raoul se rendit compte de cette empathie toute particulière de l’enfant pour les pierres, et lui-même commença à apprendre les vertus du silence.
Pierre passa tout l’hiver en compagnie de son nouveau maître. Dans un petit cabanon en bois spécialement aménagé au fond de la Grand cour pour servir d’atelier au maître d’œuvre, Raoul apprit à l’enfant à lire et à écrire, lui enseigna la géographie et l’histoire, les différentes techniques de taille de la pierre et les principes d’architecture. Pierre restait de longues heures à regarder Raoul qui élaborait les plans de l’agrandissement de l’abbaye, mais sans parvenir à se faire une idée précise. Une fois tous les calculs effectués, le maître annonça qu’il était temps de réaliser une maquette. Lorsqu’elle fut achevée, Pierre demeura ébahi : il pouvait la contempler enfin, sa chère prison, comme il l’avait toujours rêvée, il pouvait l’embrasser tout entière d’un seul coup d’œil, comme le font les oiseaux. Tous les détails étaient là aussi, reproduits très exactement avec grande minutie et l’enfant comprit enfin l’étendue du travail : il s’agissait de bâtir une enceinte de pierre tout autour du monastère pour remplacer la palissade de bois, de rehausser le bras droit du transept de l’église abbatiale, de refaire entièrement le porche et le parvis et d’édifier en dur plusieurs bâtiments de la Grand cour de l’abbaye, l’auberge des pèlerins et l’école. La construction pouvait durer cinq à dix ans.
Après la morte-saison, les maçons revinrent à Tussignac, et Pierre en éprouva une grande peine : ces quatre mois de silence, de paix et d’étude, toute cette belle complicité entre Raoul et son apprenti s’achevaient d’un coup. Les ouvriers, regroupés dans la Grand cour, gesticulaient et jacassaient comme des oies, troublant la tranquillité du monastère, et exaspéraient le petit au plus haut point. Les maçons racontaient leurs exactions pendant ces mois chômés. Chacun avait cherché le meilleur réconfort durant la saison froide. L’un se vantait d’avoir engrossé toutes les femmes d’un même village, un autre d’avoir été l’hôte clandestin d’un couvent de bonnes sœurs, et mille autres histoires paillardes, toutes plus abracadabrantes les unes que les autres. Dans leurs yeux pétillaient la lubricité et la malice. Raoul fit le silence et s’écria : « Fin prêts pour l’assaut du monastère ? ». « À l’assaut ! », s’exclamèrent les ouvriers comme un seul homme.
Les mois suivants commença l’ouvrage. Une partie de l’équipe se mit à monter des machines infernales sur le terre-plein devant le monastère. Elles répondaient à des noms barbares : le « grand fardier », le « mantelet à charroi double », une grue que les ouvriers appelaient « la louve ». Il y avait aussi des écureuils, des échelles, des passerelles et des échafaudages, des béliers et un boulet d’acier gros comme trois têtes attaché à une lourde chaîne, comme un gigantesque fléau d’armes. Au total, une dizaine d’engins semblables aux artefacts que l’on utilise pour la guerre, armés de poulies, de dents, de roues, de cordes et de tranchants qui siégeaient devant l’abbaye, en attendant l’assaut.
Pendant ce temps, l’autre partie de l’équipe aménageait le sentier qui menait au monastère pour y acheminer les pierres. Ils commencèrent par provoquer un incendie sur tout un pan de la colline pour y brûler les ronces et les arbustes gênants, puis ils nivelèrent le chemin en projetant rochers et cailloux dans le précipice. Ensuite, ils disposèrent des rondins au sol pour y faire rouler les pierres jusqu’à l’édifice, et enfin, ils plantèrent des épieux armés de métal, qu’ils relièrent entre eux par tout un jeu savant de cordes et de poulies. En un mois, la colline ressemblait à un champ de bataille, calcinée et fumante, bardée de pics et de crochets, de ferraille et de cordages, emprisonnée entre mille nœuds.
Un matin du mois de juin, un cor résonna dans le lointain : l’attaque du monastère allait avoir lieu. Raoul, qui faisait le guet du haut du clocher de l’abbatiale, fit tinter la grande cloche, et descendit en toute hâte jusqu’à la cour. C’était le branle-bas de combat dans le monastère. « Ils sont là, ils sont là ! » criaient les serviteurs. Les moines couraient en tout sens. Raoul fit signe à Pierre de le suivre et se dirigea vers les écuries. Il monta sur un cheval noir et hissa l’enfant sur la croupe de sa monture. Puis il se dirigea vers l’entrée de l’abbaye, ordonna d’ouvrir les deux battants de la porte, et descendit la pente au triple galop. Arrivé en bas, il arrêta son destrier : Pierre aperçut quatre longues gabares qui remontaient la Garonne. La première embarcation rappelait les drakkars des Vikings : telle une figure de proue, se tenait un bœuf aux cornes effilées et aux narines fumantes. Derrière lui, il y avait un autre bœuf et deux chevaux de trait, et la troupe des maçons, armée de piques, de marteaux, de haches et de bâtons ferrés. Les trois autres gabares étaient chargées de rochers et de tout un arsenal pour saper le monastère.
Les barques accostèrent. Les bœufs déchargèrent une à une chaque pierre. L’infernale ascension des blocs allait commencer. Pierre regardait les ouvriers débarquer sur la grève. Leur aspect farouche et leur air décidé dissimulaient mal la peur, qui se lisait au fond de leurs yeux. Ils plaisantaient, le rire nerveux, trépignant d’impatience. Tous appréhendaient l’instant fatidique. Les ouvriers attachèrent la première pierre aux cordes disposées le long du chemin escarpé et tirèrent de l’autre côté de la poulie tant qu’ils purent pour la soulever. D’autres ouvriers restaient derrière pour accentuer le mouvement avec de longs bâtons ferrés, et les enfants jetaient de l’huile sur les rondins pour aider le bloc à glisser. « Hisse ! » La pierre avançait lentement, par à-coups. Les hommes souffraient, les gueules déformées par l’effort, les paumes saignantes. Raoul dirigeait çà et là sa monture, guidant ses troupes, les exhortant à ne pas reculer, à dominer leur souffrance.
La première pierre fut acheminée jusqu’au monastère. D’en bas du promontoire, on voyait les ouvriers brandir leurs bâtons ferrés en signe de victoire. Un cri de joie retentit dans la vallée. Les piquets avaient tenu bon. Soulagés, les hommes répétèrent le mouvement pour la seconde pierre, puis pour la troisième, et ainsi de suite pendant toute la matinée. Or, juste après midi, un des épieux céda sous la charge répétée et se rompit d’un coup sec. Les ouvriers qui tiraient sur les cordes perdirent leurs appuis et le bloc dévala la pente. Il percuta violemment un rocher en contrebas et la colline entière trembla sous le choc. Un grand nuage de poussière se forma, et lorsqu’il se dissipa, on se précipita vers les ouvriers qui se trouvaient sur les lieux de l’accident. L’un d’entre eux avait eu la jambe broyée par la pierre. C’était la première victime de l’assaut.
On passa le reste de la journée à consolider les appuis. Raoul s’entretint avec l’abbé qui prit une décision : dorénavant, ce travail serait effectué par les miséreux et les serfs des hameaux voisins. Aucun d’entre eux ne pourrait plus bénéficier désormais de la charité des moines sans avoir auparavant aidé à la construction de la maison de Dieu. Ainsi, en cas d’accident, il n’y aurait pas à déplorer la perte d’âme aussi précieuse que celles des maçons. Les ouvriers, soulagés par cette sage décision, trinquèrent à la santé du bon abbé. Au crépuscule, ils installèrent leur campement dans la Grand cour du monastère, et pendant toute la nuit, on entendit leurs chants paillards et leurs rires résonner dans chaque recoin de l’abbaye.
Le lendemain, les vilains reprirent la besogne. Pendant quatre mois, ils travaillèrent comme des bêtes de somme. Le matin, les gabares accostaient sur la berge, en contrebas du monastère, lourdes du travail de la journée. Le soir elles repartaient à vide pour aller chercher de nouveaux blocs. Les gueux, à longueur de journée, acheminaient les pierres, montant et descendant sur le mont pelé, inlassablement, tel Sisyphe, condamnés à recommencer chaque matin la même tâche sans jamais en voir la fin. Sous le soleil implacable de l’été, leurs haillons poussiéreux dégoulinants de sueur dégageaient une puanteur terrible qui montait droit jusqu’au monastère. De temps en temps, on entendait un cri de douleur depuis le bas de la colline, qui venait troubler le silence de mise dans l’abbaye.
Comme il ne restait plus que deux ou trois ouvriers pour superviser le travail de chargement des blocs, toute l’équipe put alors commencer le véritable travail de sape. Dès le second jour, Raoul fit disposer les machines de siège sur la façade de l’église abbatiale. Un grand échafaudage fut installé, perpendiculaire à la paroi. Les maçons commencèrent par démonter le toit de l’église, puis ils martelèrent les jointures des blocs, en commençant par le haut de l’édifice. Une à une, chaque pierre fut terrassée et descendue à terre par la louve et le charroi. Les ouvriers, à tour de rôle, couraient à perdre haleine dans la grande roue de l’écureuil. Le bruit lancinant des coups de marteaux sur les mortiers, le grincement des cordes dans les poulies, rythmaient les journées. Enfin, lorsqu’au bout de deux mois, les ouvriers eurent ouvert la moitié haute du toit et de la façade, ils se mirent à creuser une profonde tranchée dans le sol et dégagèrent les fondations. Quand ils eurent terminé, ils attachèrent à une potence la grosse boule d’acier, s’en emparèrent tous ensemble, à bras-le-corps, et la projetèrent de toutes leurs forces contre la façade de l’église, qui s’effondra d’un coup, dans un vacarme d’enfer. Puis, le mur enfin crevé, le régiment des ouvriers s’engouffra dans la brèche pour pénétrer dans l’église.
Pierre entra le dernier. Juste au moment où il s’apprêtait à franchir le mur démoli, il se souvint soudain de sa naissance dans la lézarde de cette paroi qui venait de disparaître. Il s’arrêta net, tout à coup pris de vertige. Pendant ce temps, les ouvriers, à l’intérieur de l’église, se chargeaient de détruire les images de son enfance. Ils avaient déjà saccagé l’aile droite du transept et s’attaquaient à présent à la petite absidiole secrète où, autrefois, Pierre aimait tant s’isoler. Les maçons démontèrent chacun des piliers ornés de l’enfance du Christ, et ils mirent à bas la statue de la Vierge. L’enfant sentit alors une main sur son épaule. C’était Raoul, qui lui glissa à l’oreille :
« Qu’est-ce que tu fais là, mordiou ! Viens avec moi, il y a du travail pour les tailleurs de pierre dehors. »
Pierre le suivit jusqu’aux abords de la cabane du maître d’œuvre, reçut dans chaque main un marteau et un burin, et s’assit par terre aux côtés de deux autres maçons préposés à la taille. Un ouvrier s’avança vers eux, poussant une brouette chargée de morceaux de pierre qu’il s’agissait de retailler. C’était la statue de la Vierge, qui avait été débitée en morceaux. Pierre reçut la tête, qui était le bloc le plus mince, et durant tout l’après-midi, l’enfant cassa la figure de la jeune fille à grands coups de marteau. Le soir venu, ce n’était plus qu’un morceau de pierre taillé comme les autres, quoiqu’un peu plus petit et avec les angles arrondis. Pierre n’éprouva aucun remords, au contraire, il fut même surpris de son manque de sentiment à l’égard de la jeune femme qui avait été sa mère. Il en conclut que, sans doute, ce jour précis avait marqué à tout jamais la fin de son enfance.
Il restait encore un mois avant la morte-saison. Les maçons finirent de démonter les bras de l’église, le porche et le parvis, firent tomber la palissade tout autour de l’abbaye, et creusèrent à sa place une longue tranchée. Quand vint le jour de la Toussaint, les ouvriers partirent comme ils étaient venus, chantant et beuglant comme des diables. Le monastère n’était plus qu’un gigantesque champ de ruines, éventré, béant, abandonné à la merci du vent sur sa colline désolée, sans aucune enceinte pour le protéger. Les serviteurs, apeurés, se demandaient si ces hommes reviendraient, et ce que le destin leur réserverait. Certains commentaient qu’à présent ces barbares étaient devenus les véritables maîtres du monastère, que dorénavant, ils étaient en position de force et qu’on avait déjà vu, sur d’autres chantiers, les maçons, une fois après avoir tout démoli, exiger ce que bon leur semblait, sachant pertinemment qu’on ne pouvait plus se passer de leurs services. Dès lors, Pierre regardait d’une autre manière son maître, qui demeurait seul à Tussignac, comme l’hiver précédent, en se demandant si les dires des familiers de l’abbaye étaient ou non fondés.
L’hiver de cette année-là fut particulièrement rude. Dans la nef balayée par les vents, les moines continuaient de célébrer chaque jour les offices. Emmitouflés dans des couvertures, le nez gelé, grelottants, ils chantaient les cantiques d’une voix chevrotante. Les jours de tempête, les répons s’envolaient, confisqués par le vent. Les pierres menaçaient de se détacher du haut des murs délabrés de l’église, ouverte de part en part. Mais les moines acceptaient résignés cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, et redoublaient leurs prières, affrontant avec abnégation l’épreuve que Dieu leur infligeait, et ils continuaient leur mission sacrée, stoïques, imperturbables, se réveillant dans la nuit pour chanter les louanges à Dieu au beau milieu des éléments déchaînés. Plusieurs moines, les plus anciens, ne résistèrent pas au froid et moururent. L’abbé Rambert, dans ses sermons, leur rendait de vibrants hommages, affirmant qu’il ne pouvait y avoir de mort plus chrétienne que la leur. Quelques frères décidèrent alors d’assister à l’office sans couverture ni aucune laine sous leur coule, mais Rambert s’y opposa : une chose était de se mortifier et mourir en état de sainteté comme martyrs, une autre, très différente, de se damner pour l’éternité en provoquant son suicide. Les moines fautifs eurent du mal à saisir cette nuance, mais comme de bons soldats de Dieu, ils obéirent sans sourciller à leur père supérieur.
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