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Ils avaient couru à en perdre haleine dans le dédale de couloirs. Ils avaient enfin atteint le grand hall central. Craig se reposa contre un mur, le regard dans le vague. Abby s'accouda à la réception. Elle était encore toute tremblante, mais elle put enfin commencer à se reposer.
— On s'en sort bien, fit-elle, comme pour tenter de se rassurer elle-même.
Craig ne répondait pas.
— Bon, vous allez me dire ce qu'il s'est passé ? C'était qui, ces types ? Ou plutôt, c'était quoi ? — Je vous l'ai dit : des clones. — Oui, mais des clones de qui ? — Si je vous le disais, vous ne me croiriez pas. — Dites toujours. — Un certain Jésus Christ. Ça doit vous dire quelque chose ?
Abby ne répondit même pas. Elle regardait Craig, le visage ravagé de stupeur.
— Je vous l'avais bien dit que vous ne me croiriez pas. — Si. Je vous crois. Maintenant que vous le dites... c'est ce que Komarov a tenté de dire. Juste avant de mourir. — Précisément, approuva Craig. — Mais ces clones ne ressemblaient en rien à Jésus ? — Vous savez, je suppose que sans la barbe, la toge et la couronne d'épines, Jésus était un type parfaitement banal. Et puis, ces clones ont été dopés. Classiquement. Et génétiquement. Ça faisait partie de nos recherches sur le génome. Mais il n'avait jamais été question de cloner le Christ. C'est Komarov tout seul qui l'a fait.
Abby repensa soudain à cette liste de médicaments dopants que lui avait montrée Dimitri. Tout concordait parfaitement.
— Mais je pensais que cette histoire de Suaire, c'était du bidon ? — Je le croyais aussi. J'avais eu vent des tentatives de Komarov pour se procurer des extraits du Suaire. Mais je n'y croyais pas sérieusement. — Mais enfin ! Pourquoi aurait-il cloné le Christ ? — Par curiosité, je suppose. Komarov a toujours été passionné par l'Histoire. Il parlait souvent de ramener à la vie d'illustres personnages. J'aurais dû faire plus attention. — Vous voulez dire qu'il a recréé le Christ par curiosité ? Mais c'est complètement fou ! — Non, ça n'était probablement pas une simple histoire de curiosité. En fait, je pense qu'il y a été obligé. Rokov a probablement voulu contenter les religieux du côté des Sini Bojé. Pour éviter qu'ils n'aillent tout raconter. Quelque chose dans le genre. Vous savez, je vous rappelle qu'on est en Russie, Abby. Les événements suivent une autre logique que celle à laquelle vous êtes habituée.
Abby ne put qu'acquiescer en silence. Elle se sentait si fatiguée.
— Au moins, pour nous, tout finit bien, fit-elle, ne cherchant plus trop à comprendre. — Non. Rien n'est fini, lâcha Craig, d'un air presque navré. — ... Pardon ? souffla Abby. Comment ça, rien n'est fini ? Qu'y a-t-il ? — J'aimerais que vous veniez avec moi. Il reste une chose à faire, très importante. Mais c'est potentiellement dangereux. — Mais nom de Dieu, Nathan ! Qu'est-ce que vous racontez ? Regardez ce que nous venons de traverser ! — Je sais, fit-il en haletant. Mais j'ai besoin de vous. Vous acceptez ? — Je... — Komarov est allé beaucoup plus loin que tout ce que vous pouvez imaginer. Ce n'est pas terminé. Même si la fin est pour bientôt. Tout va terriblement s'accélérer. Il faut faire vite. — Mais enfin, Nathan ! Dites-moi de quoi il s'agit ! — Pas avant que vous ayez accepté de me suivre, répondit-il d'un air navré. Mais je peux déjà vous dire que je vous offre le reportage de votre vie. — Vous délirez. De toute façon, j'appelle une ambulance, fit-elle en décrochant le téléphone de la réception. Komarov et Rokov ne sont peut-être pas morts, poursuivit-elle sans trop y croire elle-même.
Craig lui attrapa la main et la força à raccrocher le combiné. L'espace d'une seconde, elle prit peur. Mais l'expression qu'elle lut sur le visage de Craig stoppa son angoisse. Il lui sourit, faiblement, mais il lui sourit. Sincèrement.
— Une journaliste sur les lieux, extérieure au problème, voilà ce qu'il me faut, reprit-il. Car quelque chose de très grave est en train de se passer. Vous devez m'aider. — D'accord, fit-elle, ne sachant trop pourquoi.
Elle supposa qu'elle faisait confiance à Craig, désormais.
— Très bien. Merci infiniment. Allons-y.
Sur ce, Craig se mit en marche vers la sortie, puis se dirigea rapidement vers le fond du parking. Abby lui emboîta péniblement le pas, commençant seulement, lentement à réaliser que peut-être, il était effectivement en train de lui offrir le scoop de sa vie. Et puis elle se rendit aussi compte, avec un sentiment étrange – mais pas désagréable – que finalement, à cet instant précis, sa carrière lui importait peu. Craig avait du feu dans les yeux et quelque chose de grave était manifestement en train de se passer. Et il avait besoin d'elle.
Et c'était infiniment plus gratifiant que n'importe quel scoop, fut-il le plus important de tous les temps.
— Où allons-nous ? demanda-t-elle. — Là où vous avez toujours voulu aller, répondit-il avec un sourire.
Abby marqua une pause.
— Daryznetzov ? — Précisément.
Craig passa devant sa Lada sans s'arrêter, puis il fit le tour d'un Hummer aussi monstrueux qu'imposant.
— On a vraiment besoin de ça ? fit-elle, essayant de détendre l'atmosphère. — On ne sait jamais, répondit-il simplement avec un haussement d'épaules.
Quelques instants plus tard, Abby était installée dans l'imposant habitacle du véhicule. Le Hummer démarra en trombe. Dissimulé dans une allée sombre du parking, un homme retira ses gants avec ses dents. Il poussa un juron, fit claquer son téléphone portable puis porta le combiné à son oreille.
— C'est Sibirsk. On a un problème.
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