Le temps était superbe en ce début du mois de janvier. Il faisait étonnamment doux et Sophie et Maxime profitaient de la saison morte pour visiter la côte avant que des flots de touristes ne viennent gâcher la pureté et la beauté des paysages. De Cannes à Menton, de Vence à Tende, ils retrouvaient les paysages d’enfance de Maxime, ceux qu’il avait peints avec tant de bonheur sur ses toiles. Carnet après carnet, il prenait des croquis de tous les sites qu’ils visitaient. Le soir en rentrant, ils montraient les dessins à leur fille, lui expliquant où ils étaient allés, et lui décrivant les couleurs qu’elle ne pouvait voir sur les esquisses à la mine noire. Ils choisissaient ensemble les lieux où ils iraient les samedis et dimanches quand ils n’allaient pas chez Jonathan. Si Mathilde et sa mère aimaient bien aller à Monaco profiter du luxe de la villa de leur nouvel ami, ce n’était pas vraiment le cas de Maxime. La maison était située sur le versant de la colline, suffisamment haut pour que la vue soit dégagée sur la mer et sur le palais. On y parvenait après avoir suivi une petite route qui montait en lacets, encaissée au milieu des hauts murs de clôture des grandes propriétés qui se succédaient les unes à la suite des autres. Dès que l’on passait le lourd portail de l’entrée, la vue se dégageait, et on accédait à l’habitation à pied, en suivant un petit sentier qui zigzaguait au milieu d’une collection de cactées digne d’un jardin botanique. Elle s’élevait sur trois étages, épousant la déclivité, et une magnifique terrasse en constituait le toit. C’était sur celle-ci qu’habituellement ils dînaient, la principauté déployant ses lumières et mettant en valeur le noir profond de la mer. Une grande piscine avait été installée au niveau le plus bas et c’est surtout là, au grand dam de son père, que Mathilde passait le plus clair de son temps. Elle ne savait pas encore nager, et Maxime ne pouvait supporter de la perdre de vue.
C’était lors de sa première visite que Jonathan comprit qui était vraiment Maxime. Il leur avait fait visiter la propriété, et en passant dans la salle à manger, Mathilde avait reconnu un des tableaux de son père. C’était une vue du Baou de Saint-Jeannet, le montrant comme un animal tellurique, avant-garde des montagnes qui étaient venues jusque-là pour défier la mer. Jonathan s’était dit très honoré de rencontrer l’artiste, mais d’infimes détails avaient convaincu Maxime que ce n’était pas de bon cœur, qu’il ressentait une certaine déception à constater les qualités du mari de Sophie. Un peu comme un chasseur qui croit arriver au but, mais qui s’aperçoit que sa proie s’échappe encore. Depuis il y avait toujours quelqu’un qui voulait absolument rencontrer ce peintre célèbre, et qui se déclarait très admiratif. Ensuite bien entendu on lui demandait s’il n’avait pas un tableau en cours, on évitait de demander s’il avait un tableau à vendre, cela aurait été vulgaire. Et dans les yeux de ses interlocuteurs Maxime voyait la cupidité, le calcul de la plus-value qu’ils pourraient faire, ou alors la notoriété qu’ils gagneraient s’il était su qu’ils avaient un des tableaux de cet artiste. Mais il déclinait toujours poliment. Et à ceux qui lui demandaient ce à quoi il était en train de travailler, il répondait que pour le moment il était en phase de renouvellement, qu’il devait se remplir l’esprit des magnifiques paysages de la côte avant de reprendre le pinceau. Mais force était de reconnaître qu’il était jaloux. Il avait compris qu’ils avaient été amants pendant la guerre, et en plus avec le consentement d’Arnaud, quelque chose que Maxime ne pouvait concevoir. Le temps avait passé, c’était lui qui avait épousé Sophie, mais justement, le démon du Maure de Venise le piquait de son venin. Il ne pouvait pas croire à l’innocence quand Jonathan et Sophie évoquaient les années quarante, ou quand leurs attitudes démontraient manifestement leur amitié, voire leur admiration réciproque. Il savait Jonathan riche, et lui devait peindre pour pouvoir maintenir son train de vie. Mais ce qui le perturbait le plus, c’était qu’il puisse ressentir ce sentiment. Il s’était cru jusqu’à alors maître du jeu, même si l’amour s’était émoussé, il n’avait jamais pensé que sa femme pourrait le quitter. Bien entendu rien n’était encore arrivé, mais cet « encore », c’était ce qui faisait mal, quelque chose au fond de lui venait de prendre peur. Sophie pourrait trouver mieux ailleurs, et Mathilde, qui s’amusait dans la piscine avec son rival l’aurait bien vite oublié. Qu’il soit jaloux était la preuve que son subconscient avait accepté qu’il ne fût plus le seul soutien possible de sa femme.
Ce sont ces visites à la principauté qui le poussèrent à reprendre assidûment son travail à l’atelier, plus qu’une réelle envie, plus qu’un réel besoin de créer, il fallait qu’il redevienne un grand artiste. Il fallait qu’il assure son pouvoir sur sa femme. Il s’imposa un rythme régulier. Ils se couchaient tard, sortant souvent après le dîner qu’ils prenaient avec leur fille. Après un bon petit déjeuner le matin, la plupart du temps pris dans le jardin sous le palmier, il montait dans son antre, comme Mathilde nommait cette pièce, pour n’en ressortir l’après-midi qu’à temps pour aller chercher sa fille à la sortie de l’école. Comme auparavant, l’accès de son atelier quand il créait était interdit, que ce soit pour ses amis ou pour sa famille. Il gardait sur lui la seule clé qui permettait d’y entrer. Cette monotonie s’installa pendant quelques semaines. Ce n’était pas le bonheur dans la famille, mais ils étaient heureux d’être ensemble. Le premier indice de ce qui allait les emporter ce fut Mathilde qui en fut le messager. Cette nuit-là, ils s’étaient couchés très tard, et avaient eu du mal à trouver le sommeil. L’alcool, mélange de champagne et de whisky, la fumée des cigarettes, la musique qu’ils avaient écoutée toute la soirée, tout cela les tenait éveillés. Maxime entendit sa fille gémir. Il devait être quatre heures du matin, un silence profond régnait dans la maison. On entendait au loin le mouvement de la mer, et parfois le cri strident d’un grillon perçait l’atmosphère. La brise faisait légèrement onduler les rideaux devant les fenêtres laissées ouvertes. Il lui fallut du temps pour comprendre d’où ce bruit venait. Avant qu’il ne se décidât à se lever, ou à prévenir Sophie, un grand cri les fit se dresser d’un bond dans leur lit. Et avant qu’ils ne puissent se lever, Mathilde arriva dans leur chambre en pleurs, tremblante, les sanglots l’empêchant pratiquement de respirer. Il lui fallut un long moment pour se calmer dans les bras de sa mère, et pour leur dire d’une voix hachée ce qui lui avait fait peur. Elle n’avait plus peur de la musique du soir, la même que celle qu’ils avaient entendue le jour de Noël sur la place Masséna, et elle arrivait à s’endormir dessus. Mais là, elle était revenue pendant la nuit, beaucoup plus forte, et il y avait des voix, des cris et des rires, des bruits de verres qui se cassent, et des gens qui se disputaient. Elle avait cru que c’était ses parents, et c’est ça qui lui avait fait peur. Et la musique était toujours là, une valse qui n’en finissait pas. Quand ils lui dirent doucement qu’il n’y avait plus de musique, ses pleurs redoublèrent. Elle l’entendait toujours, elle ne savait pas pourquoi ses parents ne l’entendaient jamais, comme si elle seule pouvait l’entendre. Maxime alla dans la chambre de sa fille pour se rendre compte de lui-même. Rien, il n’y avait rien bien sûr, si ce n’est, et cela le bouleversa, un oreiller baigné de larmes. C’est entre eux, dans leur chaleur, que Mathilde finit par se rendormir. La nuit était déjà bien avancée.
Le matin tout semblait avoir été oublié. C’est avec une joie tout enfantine que l’enfant partit à l’école, contente d’aller visiter les arènes de Cimiez. Toute la matinée, Maxime fit le tour du voisinage pour savoir si un bal, ou une fête, avait été donné la veille ; en pure perte. Plus rien ne se passa pendant plusieurs jours, et les parents, rassurés mirent l’épisode sur le compte d’un cauchemar, même si tous les soirs ils allaient s’assurer que tout allait bien. Maxime reprit son rythme de travail, et quand il était dans l’atelier Sophie en profitait pour faire des courses ou visiter le groupe d’amies qu’elle s’était fait. Elle n’avait pas réussi à savoir à quoi travaillait son mari, mais il était de bonne humeur, et c’était forcément signe que les choses allaient bien.
Quelques semaines après cette nuit, ils avaient repris leurs sorties nocturnes. Ce soir-là ils avaient rejoint Jonathan dans un nouveau club de jazz qui avait ouvert au bas de la place Masséna. C’est de bonne humeur qu’ils rentraient chez eux, quand ils remarquèrent de la lumière à l’étage. Ils mirent cela sur une lampe qu’il aurait oublié d’éteindre. Maxime ayant en poche la clé de son atelier, ils montèrent ensemble. La porte était bien fermée. Quand ils entrèrent, l’obscurité dans la pièce était complète, aucune lampe, aucune lueur. Ils avaient dû être trompés par un reflet sur une vitre. Ils allaient redescendre quand Sophie remarqua l’odeur. Une odeur pénétrante de fumée de tabac, de cigares, et même quelques relents d’alcool. Ils rallumèrent les lampes et inspectèrent la pièce. Les toiles sur lesquelles Maxime travaillait étaient à côté du chevalet, sous une couverture épaisse qui les protégeait. Tout le reste de la pièce était vide. Mais l’odeur était là. La fenêtre était fermée, ce ne pouvait donc pas provenir de l’extérieur. En arpentant la pièce, ils se rendirent compte que l’odeur était d’autant plus forte qu’ils se rapprochaient des épaisses tentures qui tapissaient les murs. Les tissus avaient dû s’imprégner de tabac avec les propriétaires précédents, et de temps en temps l’odeur, en fonction de la qualité de l’atmosphère, devait se dégager plus ou moins fortement. Il est vrai que les fenêtres étaient pratiquement toujours ouvertes, et c’était à cause d’une menace de pluie que Maxime les avait fermées avant de partir le jour même. Rassurés, il les ouvrit pour aérer et ils descendirent se coucher. C’est vers cinq heures du matin qu’ils furent réveillés par le bruit d’une cavalcade dans la rue au-dessus d’eux. Le bruit des sabots sur les pavés, les roues cerclées de fer qui glissaient dans des crissements aigus, le claquement des attelages, résonnaient dans le lotissement avec un fracas épouvantable. Le bruit s’arrêta aussi soudainement qu’il avait commencé.
Le temps était superbe quand ils sortirent en milieu de matinée, épuisés par une nuit mouvementée. Il faisait déjà chaud, mais le ciel n’était pas voilé comme si souvent en été, et on voyait au loin la mer comme une invite au voyage. La dernière branche de mimosa qui restait dans le jardin embaumait jusque dans la cuisine. Des oiseaux recherchaient déjà au pied des arbres fruitiers quelques miettes des petits déjeuners que la brise aurait négligemment mis de côté. Le jardinier était venu faire son nettoyage d’hiver, et le jardin était net et propre comme sur une carte postale. On commençait à deviner les pétales se préparer à défroisser leur robe au soleil du printemps. Tout était calme dans le voisinage, et cette sérénité contrastait avec les cauchemars qu’ils avaient eus durant la nuit. Comme le calme soudain sur les flots, après la tempête, quand on fait le bilan de ce que l’on a perdu.
Ils avaient commandé au pépiniériste de la vallée du Var un plan d’acanthe. Ils avaient découvert cette plante lors de leur arrivée à Nice. Bien sûr ils connaissaient la forme des feuilles, mais c’était comme s’ils n’avaient jamais imaginé que ces feuilles puissent avoir une existence autre qu’en marbre. Et de cette végétation dense, dans un mouvement pareil à celui imposé par les architectes grecs, naissait une colonne de fleurs blanches aux corolles coriaces qu’ils voyaient maintenant dans tous les jardins de la ville. Ils avaient été tellement surpris qu’ils voulaient absolument en avoir dans leur jardin. Maxime partit en tout début d’après-midi pour aller chercher la plante pour laquelle ils avaient déjà préparé la place au pied du palmier. Mathilde devait rentrer tard de l’école, Sophie en profita pour remettre de l’ordre dans sa chambre, ranger les poupées sur les étagères de bois recouvertes de broderie, changer les draps du lit, remettre dans leurs boîtes tous les crayons de sa fille en respectant la succession des couleurs. Elle sentit son cœur se serrer quand elle déplia un morceau de papier trouvé derrière une malle sur lequel son petit bout de femme avait recopié un poème d’amour maternel, décoré d’une vue du jardin esquissée au fusain. Elle avait déjà un bon coup de crayon, et savait se servir des couleurs pour donner du volume et de la vie à ses dessins qui n’étaient plus simplement des gribouillages enfantins. On y voyait la mare, le palmier et une belle plante d’acanthe. Elle devait se demander beaucoup plus tard, mais c’était trop tard alors, pourquoi ce dessin l’avait poussée à défier son mari et à tout risquer. Mais c’était un fait, une insatiable curiosité la poussa alors à vouloir à tout prix voir ce que Maxime était en train de peindre. Elle sut en même temps qu’il avait oublié la clé de l’atelier sur le linteau de la cheminée, comme si son esprit l’ayant enregistré plus tôt dans la journée avait enfin réalisé l’opportunité que cela représentait. Elle quitta précipitamment la chambre de Mathilde, il fallait faire vite avant qu’il ne revienne, et s’emparant de la clé, monta quatre à quatre les escaliers qui menaient au premier étage de la maison.
La pièce était dans la pénombre, presque hostile. Elle hésita un instant sur le seuil, mais elle se décida brusquement, et alla tirer les rideaux pour que la lumière chasse la brume de ses pensées. Une toile était posée sur le chevalet qui faisait face, comme d’habitude, à la terrasse. Elle était recouverte d’une pièce de tissu. Elle s’en approcha vivement et découvrit le tableau. Rien, la toile était blanche, prête pour une nouvelle œuvre. Cela signifiait qu’il devait y avoir un tableau terminé dans les toiles qui étaient alignées contre le mur. Fébrilement, elle s’en approcha, et les retourna toutes, les unes après les autres. Au fur et à mesure qu’elle les prenait, les retournait, les examinait, son premier sentiment de surprise se transformait en angoisse. Quand elle les eut toutes regardées, elle s’assit au milieu de la pièce, les mains dans les cheveux. Des larmes coulaient lentement sur ses joues tandis qu’autour d’elle les toiles gisaient, vides, immaculées, sans même un seul trait d’esquisse. Et ce vide était pour elle pire qu’un cauchemar, elle imaginait la douleur de Maxime, son dépit aussi profond que les toiles étaient vierges. Et ce blanc sur lequel le soleil jouait était pour Sophie la couleur du désespoir. Des foules de questions se pressaient dans sa tête, des multitudes d’images, de moments. Est-ce qu’elle avait été trop égoïste pour ne pas voir dans quel gouffre son mari sombrait ? Pourquoi ne lui avait-il rien dit ? Qu’allaient-ils devenir ? Et Mathilde ? Comment avait-il pu supporter ces longues journées, solitaire, dans cette pièce, incapable de traduire par le pinceau les innombrables croquis qu’il avait faits lors de ses voyages ? Comment avait-il pu supporter d’être le témoin de son impuissance, jour après jour, seul, tout seul ? Et pourquoi l’avait-il tenue à l’écart ? Est-ce que leur amour n’était pas assez fort pour qu’il n’ose pas s’ouvrir à elle, rechercher en elle le réconfort et l’envie de se battre ? Elle se sentait coupable, coupable de son aveuglement, de son indifférence. Et ces toiles autour d’elle étaient comme un reproche muet, assourdissant symbole de l’échec et du désespoir.
Le temps passait. Le soleil baissait sur l’horizon, et sa teinte brusquement orangée la réveilla comme si elle avait sombré dans un profond sommeil. En se relevant, elle remarqua dans le mur du fond un éclat de couleur, pareil à un reflet de soleil sur un miroir, alors qu’il n’y avait là que d’épaisses tentures. Elle s’en approcha et vit un accroc dans le lourd tissu qui laissait deviner sur le mur qu’il cachait une tache de couleur rouge. Elle l’élargit légèrement, et se rendit compte qu’il s’agissait de la reproduction d’une fleur de lis orangé. Elle arracha d’un mouvement violent le morceau de tissu qu’elle avait en main, et prise d’une frénésie soudaine, comme une démente libérée de ses chaînes, elle arracha à grands mouvements toute la tapisserie qui cachait les murs de la pièce.
Quand Maxime pénétra dans la pièce, Sophie était debout, au milieu, hiératique. Elle fixait la magnifique fresque inachevée qui recouvrait trois des murs de la pièce. Son visage, ravagé par les larmes qui avaient dessiné des rigoles sur la poussière qui s’était déposée sur ses joues, exprimait à la fois la douleur et l’admiration, une joie animale et une grande inquiétude, comme si elle ne se résolvait pas à croire que ce qu’elle voyait était possible. Sur les murs tout le génie de Maxime se dévoilait dans ses grands mouvements de couleur qui l’avaient rendu si célèbre, dans son touché si caractéristique qui permettait aux critiques de reconnaître ses œuvres en n’en voyant qu’une infime partie. Et elle riait, riait à gorge déployée comme il ne l’avait plus vu faire depuis des années. Elle se tourna vers lui avec la moue de la petite fille qui est surprise en train de faire une bêtise, cette moue qu’elle savait irrésistible. Oui, elle l’aimait, et tout cela était magnifique. Maxime était resté sur le seuil de la pièce. Il regardait sa femme, les toiles jetées par terre, et les grands pans de tissu mis en tas au milieu. C’était comme s’il avait peur de regarder son œuvre. Puis il s’en approcha, et méticuleusement fit le tour de la pièce, examinant le moindre détail de la fresque. C’était une représentation du casino Jetée-Promenade tel qu’il était avant la guerre, tel qu’il était quand ses parents tenaient le débit de tabac. La fresque se développait sur les trois murs. Sur le mur nord, on voyait la passerelle qui menait à la promenade des Anglais. On distinguait, sous les palmiers au fond, des calèches richement décorées qui attendaient leur propriétaire, les chevaux piaffant dans un nuage gris. Quelques silhouettes avaient été esquissées sur la frêle structure d’acier qui conduisait au bâtiment principal. Sur la gauche s’ouvrait la salle à manger. Les grandes portes avaient été représentées ouvertes, et on distinguait, sous la lumière crue des grands lustres de cristal plusieurs tables autour desquelles des convives dînaient. Sur le mur de droite, à l’est, s’ouvrait le grand salon, antichambre de la salle de jeu. Les portes étaient fermées à cette heure. Le spectateur se trouvait dans le grand hall, le dos à la grande salle de bal qui donnait sur la mer au sud. Les murs étaient richement décorés de tableaux.
Sophie était près de lui maintenant, vaguement inquiète, ne sachant pas interpréter la réaction de son mari, et surtout ne comprenant pas son air surpris. Ils allaient maintenant ensemble d’une scène à l’autre, Maxime commentant ce qu’il voyait comme si c’était pour lui-même, comme s’il avait besoin de nommer ce qu’il voyait pour réellement y croire, donner un nom pour s’assurer de la réalité des choses. Il tomba subitement à genoux en poussant un grand cri, un râle plutôt, et passa sa main qui tremblait, comme s’il avait été frappé de maladie, sur une zone de la fresque qui avait été seulement esquissée. C’était un tableau qui se situait à droite de la porte de la salle à manger. Seuls quelques traits avaient été tracés pour définir le cadre et les lignes de perspective. Mais une zone avait été finie, là où l’artiste signait. Un petit espace rectangulaire ocre sur lequel se détacherait le nom de l’auteur du tableau.
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