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Fantastique/Merveilleux
Agueev : Le cri
 Publié le 08/05/21  -  6 commentaires  -  9558 caractères  -  50 lectures    Autres textes du même auteur

Quel est ce cri qui me réveille chaque nuit et que je suis le seul à entendre ?


Le cri


Mes yeux s’écarquillent et visent la lueur de la lune qui traverse ma chambre. Mon cœur part en vrille. J’attrape l’interrupteur dans la seconde et mes doigts tremblants font valser la lampe, le cendrier et la bouteille de bière sur la table de nuit. Encore le cri.


Cela fait trois jours que je suis réveillé en plein sommeil par cet horrible cri. Un râle humain à la fois désespéré et agressif. Toujours lorsque je suis en plein sommeil, entre deux et quatre heures du matin. Mon rythme cardiaque, monté en flèche, se calme peu à peu au moment où j’allume la lumière. Il n’y a plus un bruit dans ma chambre. Je m’étonne à chaque fois de ne pas entendre les voisins s’être réveillés en même temps que moi à cause du cri. Il est si intense !

Je m’allume une clope, remets en place le merdier tombé de ma table de nuit et regarde l’heure, il est cinq heures. Je me suis endormi à trois heures. Il est vrai que je suis rentré tard d’une soirée largement arrosée et après j’ai glandé devant la télé en fumant deux pétards. J’étais tellement éclaté que je me suis déshabillé, vautré sur le canapé, puis j’ai rampé jusqu’à mon pieu. J’abuse un peu en ce moment…

Le cri a réussi à me dessaouler. Je n’arriverai pas à me rendormir. Je regarde par la fenêtre, tout est calme dans ma petite rue parisienne grisée par l’aurore, rien ne bouge et les poubelles vertes dressées devant chaque porte d’immeuble me font penser à des gardes en uniforme. J’ai allumé la cafetière, l’odeur du café se dégage au rythme du goutte à goutte. En prenant la première tasse fumante, mon corps se réchauffe et les brumes de mon cerveau s’évaporent. J’en ai plein le cul d’être réveillé par ce cri, comme si quelqu’un cherchait à me rendre fou. Hier j’ai demandé à la gardienne si elle avait entendu quelque chose ou si elle avait eu des plaintes des occupants de l’immeuble. Rien. Elle m’a regardé, avec ce même regard lorsque je sors ma guitare à la main, lorsqu’elle me croise avec des potes à cheveux longs ou quand elle me voit à deux jours d’intervalle avec une nana différente. En gros je crois qu’elle ne me prend pas très au sérieux.

J’entends enfin les premiers pas des voisins du haut, je peux suivre leurs déplacements de la chambre aux chiottes, chacun leur tour. Je remarque qu’ils ne tirent la chasse qu’une seule fois, juste après que le second a terminé. Je me demande si c’est le signe d’un amour véritable que d’accepter de faire « pipi commun » lorsqu’on vit en couple ; ou simplement un acte écolo ou radin pour économiser l’eau. Peut-être les trois à la fois.

J’entends les appels du bébé du dessous et ses parents se lever en trombe en ouvrant brusquement la porte de leur chambre. Une course contre la montre s’enclenche pour s’occuper de l’enfant tout en se préparant pour aller bosser. Je perçois des engueulades. Le bébé se remet à crier de plus belle. Je me demande si seuls les amours véritables peuvent passer l’épreuve de la naissance d’un enfant.

Les portes claquent sur le palier, les pas résonnent dans les escaliers, les moteurs démarrent dans la rue et les éboueurs font s’entrechoquer les poubelles en les vidant dans leur camion-benne.

Vers 10 h 00, tout redevient silencieux dans l’immeuble et dans la rue. Je ne bosse pas aujourd’hui. Je pense au cri et je n’arrive plus à me rappeler à quoi il ressemble.


Quelqu’un frappe à ma porte. Je me suis assoupi quelques minutes et j’ai l’impression d’avoir dormi deux heures. Mes jambes tremblent légèrement à cause des six tasses de café. Je n’attends personne pourtant. J’enfile un t-shirt et un jean en vitesse, range ce qui m’entoure et me passe de l’eau dans les cheveux. Le « toc-toc » se fait plus fort. « J’arrive ! J’arrive ! »

En ouvrant la porte je découvre une femme dont la beauté me rend muet. J’ouvre grand les yeux. Elle est brune, les cheveux coupés au carré, les yeux verts. Elle porte un tailleur et des bottes qui soulignent la finesse de ses jambes. Un air strict mais très sexy. Visiblement elle n’est pas surprise par l’effet qu’elle produit et me sourit.


– Vous êtes bien Antoine ?


Je balbutie un oui hésitant.


– Puis-je entrer ?


Ma mère m’a toujours dit de ne jamais faire entrer d’inconnus à la maison. Mais aujourd’hui, je suis un adulte et je ne peux pas laisser s’échapper cette femme incroyablement belle. Cela serait une trahison à ma condition masculine…


– Je vous en prie, bien sûr !


Je la regarde entrer, elle se déplace comme un chat, souple, balançant son corps à chaque coup de talon sur mon parquet. Elle passe devant moi, je sens son parfum ensorceler l’atmosphère. Elle se retourne lentement vers moi et m’annonce avec douceur :


– Antoine, je viens te voir à propos du cri.


Je suis à la fois surpris et heureux qu’enfin quelqu’un ait pu l’entendre. Elle s’assoie dans mon canapé, croise les jambes en laissant deviner la couture d’un bas. Malgré mon trouble je me concentre sur sa dernière phrase.


– Vous l’avez entendu ? Vous habitez l’immeuble ? Ce cri est infernal et ça fait quatre jours que ça dure. Vous savez d’où ça vient ? Vous voulez boire quelque chose ?

– Oui.

– Un thé ? un café ?

– Il est tôt mais je préférais quelque chose de plus fort, un whisky si tu en as.


Je suis étonné mais plutôt flatté qu’elle me tutoie si rapidement et qu’elle ait assez de folie pour se taper un whisky à 10 h 30 du matin. Cette nana est superbe et cool. C’est mon jour de chance. Ce putain de cri m’a amené une top model chez moi. Je pars chercher deux verres et une bouteille à moitié pleine. Je m’installe à côté d’elle.


– C’est la galère, en plus je suis sorti les trois dernières nuits, rentré pas très frais, et à peine endormi, ce cri immonde me réveille en sursaut. On se croirait dans un asile ! Tu sais qui peut gueuler comme ça au milieu de la nuit.

– Oui.


Elle répond avec un sourire rassurant. Et continue :


– Dans un sens on peut dire que c’est moi.


Je ne comprends pas, je garde mon coude levé, immobile, au lieu de le porter à mes lèvres. Comme un automate en panne. C’était trop beau, je suis tombé sur une cinglée alcoolo qui se tape un delirium tremens en pleine nuit.


– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Antoine, c’est rare quand je me déplace personnellement, mais visiblement il y a eu un bug. Je ne sais pas si c’est les litres d’alcool que tu t’es envoyés cette dernière semaine ou s’il s’agit de l’herbe que tu fumes, ou la combinaison des deux, mais le fait est que le cri n’a pas fonctionné.


Je suis abasourdi, cette nana connaît ma vie dans les moindres détails. Je commence à flipper, j’ai l’impression d’être dans un film d’espionnage. Elle remarque la panique qui se lit sur mon visage. Alors elle s’approche doucement et pose la main sur ma cuisse. Je ne sais pas comment réagir. Elle avance son regard émeraude et me chuchote, comme pour ne pas m’effrayer :


– Antoine, je suis La Mort. Théoriquement ce fameux cri aurait dû provoquer l’arrêt de ton cœur. Avec toi cela ne marche pas.


Malgré ces propos complètement dingues, je comprends qu’elle ne délire pas. Je me lève et je ne sais pas quoi dire. Elle est trop belle pour que je la traite de tarée. Malgré ses propos azimutés, j’entre dans son jeu.


– Mais je ne peux pas mourir maintenant, j’ai 27 ans ! Je n’ai jamais fait de mal à personne. Je suis peut-être un peu inconséquent ces temps-ci, mais je comptais me reprendre. J’allais faire un régime brocoli, courgette, poisson, ralentir l’alcool. Je ne mérite pas de crever si jeune.

– Mais ce n’est pas une question de mérite Antoine. C’est ainsi. Mon job est simplement de faire passer les gens de là à l’au-delà. Ce n’est pas une punition.

– Mais je crois en Dieu, même si je ne vais plus à l’église. Je prie même chaque soir quand je ne suis pas bourré. Tu ne peux pas lui parler ?

– Je ne suis pas là pour parler d’un dieu ou de qui que ce soit. C’est ton heure pour passer de l’autre côté. C’est normal que tu aies peur. La situation n’est pas banale. Le cri aurait dû marcher.


Je m’assois, dépité, je ne sais quoi penser, m’allume une clope. J’ai l’impression d’être en plein cauchemar. Je la regarde. Son charme et son sourire m’apaisent. Je lui demande :


– Et tu vas sortir une grande faux pour me couper la tête ?


Elle sourit, me prend la main.


– On n’est plus au Moyen Âge, Antoine. Il va falloir trouver une solution. Ne sois pas inquiet.


Elle s’approche doucement, me caresse la tête et ses lèvres se posent sur les miennes. Je me laisse faire. Son baiser a le goût d’un bouquet de jasmin. Notre étreinte se prolonge. Nous nous retrouvons nus sur le canapé. J’effleure son corps parfait. Le temps est comme suspendu quand elle grimpe sur moi. J’entre en elle, caresse ses seins, ses fesses, ses cuisses. Elle commence un balancement langoureux ponctué par sa respiration de plus en plus haletante.

Je perds le sens de la réalité, est-ce une folle, est-ce la mort, le moment est tellement sensuel et érotique que je m’en moque.

Son mouvement s’accélère, de petits gémissements éclairent mon désir. Je me serre contre elle.

Je ne peux retenir mon plaisir, le sien arrive. Nous jouissons ensemble quand elle se cambre en criant. Son cri est puissant, assourdissant.


Je sens en moi un mélange de bonheur et d’effroi quand soudain je suis en train de flotter au-dessus de mon salon. Je me vois allongé sur le canapé, la Mort nue, encore sur moi. Elle est en train de fermer mes paupières tendrement. Quelque chose m’attire vers le haut, je lève la tête et aperçois un long tunnel. Une lumière éclatante brille tout au fond.



 
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   Anonyme   
6/4/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Bon, ça me paraissait clair à la lecture que la Mort allait accomplir sa mission... Je note que le narrateur est somme toute chanceux, il part d'une manière bien plus agréable que ce qui était prévu ! Comme quoi mener une vie de barreau de chaise, hein, ça vaut le coup. Je trouve approprié que le type claque à vingt-sept ans, n'est-ce pas l'échéance maudite des artistes ces temps-ci ? J'avais vu une liste mais n'ai pas retenu les noms. Amy Winehouse ?

J'ai bien aimé la description de ce qui se passe hors de l'appartement, les poubelles alignées comme des gardes, l'immeuble qui se réveille, tout ça. La description de la Mort en femme fatale m'a moins convaincue, j'y ai trouvé des accents convenus de vieux polar. L'histoire en soi, sympa, renouvelle un peu le genre "rencontre fatale" mais ne me semble pas non plus le révolutionner.

   Donaldo75   
17/4/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une histoire réussie. La narration est concise et précise. Le style est très propre. L'auteur raconte réellement une histoire et elle donne envie d'aller plus loin; l'usage de la première personne du singulier rend le récit plus facile à accepter par le lecteur car le "je" incarne bien ce qui suit. C'est important car l'élément fantastique est de taille et il se réfère à l'une des peurs les plus scénarisées du monde, la mort. Ce qui me frappe le plus dans cette nouvelle et lui confère une telle qualité, c'est la sobriété de son propos. Le narrateur reste un être humain, il a peur de la mort mais en même temps elle prend des atours qui le fascinent; il ne part pas dans des délires psychanalytiques, philosophiques ou religieux. Il reste juste un humain et meurt comme tel.

Bravo !
Merci pour le partage.

   hersen   
9/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une bonne nouvelle que ce cri qui tue !


la narration est fort juste, et le personnage bien campé dans sa médiocrité. J'ai apprécié vraiment quand il marchande avec la Mort, il va se racheter, il allait justement commencer à arrêter ses conneries...
Mais la mort est intraitable, c'est son Heure. Mais finalement, il n'a pas perdu au change de ne pas percuter au son du cri les premières fois, même si ça a obligé la Mort à passer à l'action, c'est moins triste comme ça.

Il y a du rêve, dans cette mort qui devient réalité.

Merci de la lecture !

   Malitorne   
9/5/2021
 a aimé ce texte 
Un peu
Le style m’apparaît naïf, encore inabouti. Les choses sont survolées et dites de façon cash au détriment d’un récit pesant et approfondi. Il y a, je trouve, un gros déficit d’ambiance. On ne sent pas l’angoisse monter, prendre forme et devenir insupportable pour le narrateur. Le cri n’est pas assez terrifiant, il devrait pourtant amener sa victime au bord de la rupture. Non, on l’entend juste dire : « J’en ai plein le cul d’être réveillé par ce cri ». On tremble…
Quant à la mort vous reprenez l’image de la femme fatale ce qui n’a rien de bien original.
Assurément il y a de l’idée mais à mon goût traitée de façon trop superficielle, trop expéditive. Je comprends le classement en Classique/merveilleux, en horreur il n’aurait pas eu sa place.

   plumette   
9/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
j'ai beaucoup aimé cette histoire.

on y entre doucement sur un mode très réaliste, et faire connaissance avec le narrateur entre son récit des derniers jours et sa manière d'interpéretr les bruits alentour m'a paru habile et distrayant.

On en sait suffisemment sur lui au moment où apparait cette femme si belle et étrange.

Pour moi, le point fort est le dialogue entre le narrateur et la mort.

Beaucoup de douceur dans l'annonce du destin qui attend celui auquel je me suis déjà attachée.

votre manière de traiter ce sujet m'a fait beaucoup de bien.

A vous relire!

   Myo   
10/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Agueev,

J'aime beaucoup le début, le planter du décor, la description du personnage, ses interrogations et réactions par rapport à ce cri. Je trouve tout particulièrement bien trouvé la vie qui doucement s'installe dans l'immeuble et les bruits venus des autres appartements.

Par contre, la suite du récit m'a un peu déçue. L'arrivée de la mort en beauté fatale ne ma pas semblé très original.
Dommage, jusque là, j'étais vraiment entrée dans l'histoire.

Mais un style d'écriture très plaisant.


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