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alaind : La décision
 Publié le 05/12/24  -  5 commentaires  -  6310 caractères  -  33 lectures    Autres textes du même auteur

Texte d'actualité sur la fin de vie.


La décision


L'homme d'une trentaine d'années marchait de long en large dans la chambre. Il ne ressentait ni la soif ni la faim. Malgré sa jeunesse il semblait affaibli, les épaules voûtées et la démarche hésitante. Parfois son regard s'attardait sur l'objet posé sur la table de nuit puis sur la silhouette allongée sur le lit. Le sommeil semblait paisible, trop paisible d'ailleurs pour être naturel. L'instrument qui captait toute son attention semblait l'attirer et en même temps lui faire peur malgré sa banalité en ces lieux de douleurs.

Tout à coup, il quitta la pièce, d'un pas plus assuré, comme s'il venait de prendre une décision… la décision, celle qui le torturait depuis de longues minutes, depuis que la médecin de famille avait terminé sa visite quotidienne et quitté la maison. Pourtant ce n'était pas le cas, il ne parvenait pas à s'y résoudre, il lui fallait réfléchir encore, surtout, le courage lui manquait.

Gaston, c'était son nom, sortit dans le petit jardin attenant à la bâtisse, en passant dans le hall il jeta un œil réprobateur sur la pendule qui égrainait son odieux tic-tac. Si seulement elle pouvait s'arrêter, lui donner un peu plus de temps de réflexion. Il ne lui restait que quelques minutes pour agir… ou ne pas agir. Quelle que soit la décision qu'il allait prendre il lui faudrait du courage. Cela lui semblait tellement compliqué car le fait de ne pas prendre de décision en était implicitement une.

Il s'imposa de s'asseoir sur le banc, quand il tendit le briquet vers la cigarette qu'il venait de poser au bout de ses lèvres, ses mains tremblaient. Quand il parvint à l'allumer malgré l'humidité ambiante, il en tira deux ou trois bouffées puis la jeta et l'écrasa rageusement : il ne devait pas se remettre à fumer, c'était certainement ce poison qui avait conduit son père là où il se trouvait. Il ne parvenait pas à comprendre ce qui l'avait poussé à acheter ce paquet de cigarettes, ce qu'il n'avait pas fait depuis deux ans, depuis le début de la maladie qui avait bouleversé sa vie.

Le soir tombait sur la campagne normande et sur la mer dont on entendait le bruit des vagues. Il faisait froid, en cette fin du mois de novembre, pourtant Gaston ne le ressentait pas, pas plus qu'il ne remarquait le léger brouillard qui avait envahi la cour.

Comment en était-on arrivé là ? Cet être gisant à quelques mètres de lui était son père, il avait planté chacun des arbres qui garnissaient le jardin, c'était sa passion après le travail. Gaston pensa que maintenant il était devenu comme eux, d'ailleurs les médecins qui le suivaient, dont celui qui venait de le quitter, avaient employé le mot d'état végétatif.

C'était pourtant la seule présence humaine autour de lui. En effet, depuis le décès de sa mère alors qu'il était encore un enfant, il vivait seul avec son père. Cette perte soudaine les avait rapprochés. C'est peut-être à cause de cette complicité que ni l'un ni l'autre n'était parvenu à concrétiser une liaison.

Ce père, toujours présent, à la fois paternel et maternel, l'avait accompagné durant toute sa scolarité, avait applaudi à ses succès, souffert à ses échecs, consolé les premiers chagrins d'amour. Comment ne s'était-il pas aperçu, voilà plus de deux ans, de la confusion des mots qu'il employait, de ses absences soudaines dans leurs discussions, de cette fatigue chronique qu'il attribuait à l'âge alors qu'il n'avait pas encore cinquante ans. Il avait fallu les crises d'épilepsie qui l'avaient amené à consulter puis à abandonner son métier d'instituteur qu'il exerçait avec passion et abnégation. Une tumeur maligne au cerveau le rongeait

C'est alors qu'avait commencé l'engrenage infernal ; les scanners, les radios, la chimio, rien n'y faisait, les paroles se faisaient plus rares, plus confuses, la démarche devenait plus hésitante. Au fur et à mesure que la paralysie d’un côté gagnait les rictus envahissaient le visage, les rares sourires se transformaient en grimaces. Si les médicaments calmaient la douleur, ils semblaient également annihiler tout sentiment, Gaston avait l'impression de perdre son père petit à petit. La communication, d'abord difficile, était devenue compliquée puis impossible.

Les médecins s'acharnaient ; malgré de longs séjours à l'hôpital, de longues opérations que les chirurgiens appelaient trépanations, les rayons qui lui brûlaient les cheveux, la dégénérescence s'accentuait.

Le comble avait été atteint quand les docteurs avaient prescrit des séances de massage pour essayer de ralentir la paralysie. Pourtant rien n'y faisait et progressivement, celles-ci s'apparentaient à des séances de torture. Si son père ne parvenait quasiment plus à exprimer des sentiments, Gaston voyait bien la terreur dans ses yeux en voyant arriver son bourreau, il parvenait difficilement à supporter ces regards implorants.

Assis sur son banc, Gaston revivait tout cela, comment pouvait-on laisser souffrir aussi longtemps un être humain, le mal était irrémédiable Que restait-il du héros qui avait illuminé son enfance ? Il en avait perdu sa dignité d'homme, il fallait le changer comme un bébé, il y a quelque temps ; l'alimenter à la becquée maintenant, par des flacons suspendus. Il semblait que désormais le seul ressenti était la souffrance.

Il y a quelques heures que Gaston en avait parlé au médecin traitant, demandant si un tel acharnement était réellement nécessaire, gagner quelques heures… quelques jours, à quoi servait de prolonger ce martyr.

Celui-ci avait alors administré une piqûre au malade, laissant bien en vue cette seringue que Gaston apercevait sur la table de nuit. « S'il souffre trop, faites-lui une autre piqûre, mais pas avant quatre heures, sinon cela lui serait fatal. » Le jeune homme avait bien compris le message.

Le docteur n'en avait pas dit plus, manque de courage ou moralité professionnelle, il laissait à Gaston le terrible dilemme.

Le tic-tac de la pendule lui rappela soudain que le moment était venu de prendre la décision, il rassembla son courage avant de rentrer dans la chambre. Son père n'avait pas bougé, comment aurait-il pu d'ailleurs ? Gaston prit dans la main la terrible seringue et le coton hydrophile, il hésitait encore, son passé l'étouffait.

Il s'approcha du lit les larmes aux yeux. Il ne remarqua pas que dans le couloir, la pendule venait de s'arrêter.


 
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   Dameer   
21/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Sur un sujet d’actualité, ce texte décrit les atermoiements d’un homme face à un dilemme à la portée universelle et éthique : l’euthanasie comme solution pour mettre fin aux souffrances d’un proche.

Le sujet est traité avec délicatesse, avec une construction dramatique soignée : l’alternance entre les actions présentes et les souvenirs du passé permet de construire un contraste entre la vitalité passée du père et son état actuel, ce qui intensifie le drame.

Il y a aussi ce tic-tac de la pendule, placé en jalon au début du récit, symbole de la vie, tel un cœur qui bat, mais aussi la mort, lorsque celui-ci s’arrête.

Malgré les qualités évidentes du scénario et de sa mise en écriture, j’ai l’impression d’une histoire construite de toutes pièces, pour les besoins de la démonstration, hors des réalités de la France actuelle : alors que la plupart des provinces souffrent de désert médical, et que trouver un médecin "référent" relève d’un parcours du combattant, on a l’impression qu’un contingent inépuisable de médecins et de professionnels de santé sont au chevet de ce seul patient :
- depuis que le médecin de famille avait terminé sa visite quotidienne et quitté la maison.
- d'ailleurs les médecins qui le suivaient, dont celui qui venait de le quitter,
- Les médecins s'acharnaient, malgré de longs séjours à l'hôpital, de longues opérations que les chirurgiens appelaient trépanations, les rayons qui lui brûlaient les cheveux,
- les docteurs avaient prescrit des séances de massage pour essayer de ralentir la paralysie.

Le médecin de famille effectuant des visites à domicile appartient au passé ! J’aurais mieux compris la présence d’un infirmier ou infirmière.

Un aspect occulté, c’est la délivrance que peut représenter la solution de l’euthanasie pour les proches d’un malade en phase terminale. L’accent est mis ici uniquement sur les souffrances du père, dont la maladie est pourtant un poids terrible sur Gaston, son fils, l’accompagnant du malade : il ne s’est pas marié, il a quitté son métier d’instit pour consacrer tout son temps à son père. Mais dans ses réflexions, il ne lui fait pas reproche de lui avoir sacrifié sa vie, et ne met pas en balance son propre futur.

   Provencao   
5/12/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour alaind et bienvenue.

Un texte fort qui interpelle, et pose question, mais cette liberté
n’a rien à voir avec le fait d’être déchargé des nécessités et des limites liées à la vie sur cette terre.

J'y ai lu une décision et ce n'est à mon sens pas étonnant pour désigner cette liberté à reconquérir son autonomie qu'elle soit physique, mentale ou autre.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Robot   
6/12/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Un texte qui aborde un thème contemporain et difficile. Le regard sur la souffrance de l'autre. Comment répondre à une demande sans se poser la question d'une culpabilité.
Le récit rend bien compte du dilemme. Je vois aussi dans ce texte exposé le problème de la solitude. La solitude familiale permanente imposée par les circonstances de la maladie et la solitude plus terrible encore face à la décision.
Le récit décrit bien ces deux aspects.

   plumette   
7/12/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
texte fort, sur un sujet d'actualité. L'écriture est au service du propos, simple et efficace.
un détail a interrompu la fluidité de ma lecture. Gaston a une trentaine d'année et son père est tombé malade alors qu'il n'avait pas 50 ans ( il y a 2 ans) Est-ce plausible? oui, on peut devenir père à 20 ans mais si c'est le cas, ce serait un marqueur fort de la relation père/fils , me semble-t-il et cela pourrait ressortir dans l'histoire. bon, cette observation n'a pas beaucoup d'intérêt, mon questionnement n'enlève rien au dilemme de Gaston qui est bien posé.
il m'a simplement manqué d'avoir un éclairage sur ce que le père avait pu formuler à propos de sa fin de vie lorsqu'il était encore lucide.
Bonne continuation

   Yakamoz   
8/12/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Cette nouvelle décrit bien la solitude du fils devant la décision terrible de donner la mort à son père, on comprend la position ambiguë du médecin qui ne peut pas effectuer l’acte, mais par charité ou par pitié, donne à Gaston la solution à demi-mots.

La maladie est racontée avec précision, les premiers symptômes que l’on ne veut pas voir, puis l’évolution de la déchéance jusqu’à l’état végétatif. Le symbole de la pendule qui s’arrête, c’est l’heure de la mort.

Ecriture sobre, qui va à l’essentiel, au service de cette question terrifiante qui peut tous nous concerner un jour…


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