Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Sentimental/Romanesque
Alice : Dédoublée
 Publié le 26/04/15  -  21 commentaires  -  8083 caractères  -  383 lectures    Autres textes du même auteur

« Juste au mauvais moment / Une poussière d’ange t’es tombée dedans » - Ariane Moffatt, « Poussière d’ange ».


Dédoublée


Quand Gaëlle est arrivée, elle avait comme une ecchymose dans le regard. Elle a commandé un café, le latte avec du sirop d’érable dedans, comme d’habitude. Elle a pris son gobelet, l’a contemplé pendant cinq bonnes secondes, et puis elle est allée le jeter dans la poubelle à l’opposé du comptoir.

Solenn a pris sa pause plus tôt.


Gaëlle n’était plus tout à fait Gaëlle. Quelque chose à l’intérieur s’était accroché. Ses doigts vacillaient comme des flammes de bougie sur son ventre, le pressant convulsivement.

Solenn avait déjà compris, mais les gens lâchent plus facilement la bombe quand on joue au con. Pointant la poubelle :


– Trop de sirop d’érable ?

– Je sais pas si je devrais boire du café.


Solenn l’a prise par le bras.


– Y a une pharmacie pas loin.

– Je veux pas savoir.

– Tu fais un test.


Elle l’a pratiquement portée jusqu’à la pharmacie.

À la fin de la pause de Solenn, Gaëlle n’a pas voulu rentrer chez elle, ni chez Michael. Enfermée dans les toilettes de la brûlerie avec un mode d’emploi sous les yeux, elle entendait son amie servir les clients.


Elle a su ce qu’elle savait déjà en entendant : « Voulez-vous de la crème fouettée dedans ? » Elle s’est accrochée à la phrase pour ignorer le résultat du test une seconde de plus, une foutue seconde de plus, juste le temps de penser à sa mère quand elle la laissait lécher les batteurs tout droit sortis de la crème. Juste le temps de penser une dernière fois sa vie sans ajout. Ensuite elle a laissé sa langue d’enfant fourcher vers le pluriel.

En sortant des toilettes du café, elle avait une telle absence de larmes dans les yeux qu’elle en paraissait folle.


***


Michael a bien réagi. Dans les vagues de l’aveu, il a même fait l’amour à Gaëlle, à sa Gaëlle de dix-sept ans déjà toute réveillée de l’intérieur. Il lui a fait l’amour doucement, sans penser, comme on profite d’un moyen de contraception, comme on se dit « de toute façon ».


– On avorte ?

– On avorte.


Michael avait risqué le mot, Gaëlle l’avait vomi. Elle avait l’impression que le mot à lui tout seul, il avait de quoi le tuer, son accident.


Quand il lui a dit qu’il l’accompagnerait, elle a dit non. Il a dit qu’il viendrait, qu’il ne la laisserait pas toute seule, que c’était sans discussion. Elle a arrêté de discuter. Elle l’a giflé. Deux fois, pour bien se venger du fait qu’il ne lui donnait pas assez de raisons de le détester. Il lui avait caressé les cheveux pendant qu’elle hachait les mots « test » et « pas fait exprès ». Il lui avait fait l’amour comme un con, comme un saint.

Elle aurait voulu lui cracher dessus. Elle s’est juste enfuie.

Le surlendemain, elle a demandé à Solenn de l’accompagner. Tôt, très tôt, le plus tôt possible ; maintenant, s’il vous plaît, qu’elle avait dit au téléphone. Elle croyait très fort que, mieux que les arbres, ces choses-là savaient s’enraciner. Si elle attendait trop longtemps, c’était certain, ils devraient retirer d’elle une vraie souche, avec ses entrailles piégées dedans.


Les bras entortillés, elles ont fait boiter sa conscience jusqu’à la clinique. Dans la salle d’attente, Solenn a reçu un texto de Michael et elle a fait ce qu’il lui demandait : prenant la main de Gaëlle, elle a pressé ses phalanges l’une après l’autre, moins bien qu’il l’aurait fait lui-même mais assez bien pour la calmer.

Elle s’est installée à son chevet lorsqu’ils l’ont ramenée, avec son ventre vidé scrupuleusement. Solenn savait que Gaëlle n’aurait pas voulu, mais elle a quand même pris une photo du corps à la maigreur adoucie par les draps cassants, des yeux clos apaisés par les sédatifs, et l’a envoyée à Michael pour qu’il arrive à dormir.


***


C’est en se réveillant que Gaëlle pleure enfin.


– J’aurais pas pu. Dis-moi que j’aurais pas pu, fuck.

– T’aurais pas pu.


Elle fixe le ciel par la fenêtre, le regard encore pluriel, l’âme encore dédoublée. Chacune de ses respirations enrobe une petite mort, et là, dans une chambre aux murs blancs comme un surplus de vide, hors du temps, Gaëlle s’autorise à la peur panique, au dégoût viscéral de cette pensée que l’âge réinvente quinze fois la portée d’un même événement. Que son erreur, dix ans plus tard, on lui aurait peinturé une chambre.


***


Lorsqu’elle frappe à la porte, Michael va lui ouvrir, avec un regard tout en ouate. Sa peau à elle luit de froid. Elle sent les draps vides. Mais ses yeux enfin ennuagés le rassurent. Depuis trop longtemps, tout était trop vrai. Trop à découvert.


– C’était la seule solution. On a dix-sept ans.

– Essaye pas d’expliquer ça. Ça s’explique pas. Ça se fait et c’est tout.


Elle le regarde avec une tendresse froissée dans les yeux. Pas trop sûre qu’il en a valu la peine. Il a l’air si pataud, si rapetissé dans l’épreuve. Un petit garçon avec une maison retirée des épaules, la moue au bord des larmes, les bons sentiments dégoulinant des cils trop longs.


Il lui prépare son repas préféré. La regarde gratter sa nourriture. Lui donne vingt minutes.


– Dis quelque chose.


Regard torve.


– Passe-moi le sel.


***


– Gaëlle, ton latte ma belle.


Gaëlle prend son gobelet sans merci. Il y a une partie d’elle qui ne sait plus parler pour rien. Autour, le monde entier essaie de lui border l’âme. Elle étouffe, la Gaëlle.


Envie de crier quelque chose mais les mots ne suivent plus depuis longtemps.


– Tu regrettes ?


Michael, son propre latte dans la main, lui pose la question pour la centième fois. La centième fois c’est la bonne :


– Je regrette de jamais pouvoir lui raconter une histoire.

– T’aurais été une bonne mère, c’est juste…

– J’aurais été une mère nulle. Tout en bordel. Mais j’aurais été bonne pour lui raconter des histoires. Alors je regrette pas de pas avoir été sa mère pour de bon, je regrette de pas lui avoir raconté des histoires.


Même si elle a peur des souvenirs depuis la clinique, depuis les blouses au-dessus d’elle qui lui ont rincé la vie du ventre, Gaëlle sort de l’instant pour se souvenir des histoires de sa mère. Toujours originales. De la voix qui racontait, chantonnant à moitié.


Julie se promenait sur la rue, avec sa sacoche rouge. Bill le voleur l’a bousculée et a volé sa sacoche rouge. Pendant qu’il s’enfuyait, Julie s’est mise à crier que le doudou de son enfance était dedans, qu’elle ne s’en séparait jamais. Bill, il s’est arrêté, a fouillé dans la sacoche rouge, a trouvé le doudou et l’a laissé tomber sur le trottoir. Et puis il s’est enfui pour de bon. Julie a ramassé son doudou, lui a fait un câlin, et puis elle est allée s’acheter une autre sacoche rouge. Bien remplaçable.


Gaëlle se souvient de Bill, se souvient du voleur sorti de la voix maternelle, du voleur qui volait les adultes mais jamais les enfants. Son accident aurait été en sécurité, dans un monde où tous les voleurs auraient été des Bill. Elle se console en se disant que, dans la vraie vie, il y en aurait sûrement eu un pour s’en foutre, d’emporter son doudou.

Avortement ou pas, y a toujours un coup de scalpel quelque part.


***


C’est la nuit et Gaëlle pense aux blouses au-dessus d’elle. Et à la lumière, au trop de lumière de la lampe chirurgicale. Il y a déjà trois mois. Le sédatif l’a ralentie, mais pas aveuglée. Pas protégée. Les médecins lui ont affirmé qu’elle était inconsciente, que c’était la procédure, mais elle est sûre de ne pas avoir dormi. Ou alors de l’avoir rêvé et c’est pareil. Parce qu’un cauchemar c’est un cauchemar.


Gaëlle tapote son ventre et frissonne jusque dans les ongles. Elle se rappelle que Michael a insisté pour rester, qu’il est roulé en boule sur son enfance encore intacte à l’autre bout du lit. Elle lui en veut assez pour le réveiller :


– T’entends ?

– Quoi ?


Elle tapote son ventre à nouveau.


– Ça sonne creux.


Et Michael l’aime tellement. Et Michael ne sait plus quoi dire. À part qu’il s’en veut un peu, d’avoir voulu vivre.

Alors il fait semblant de dormir.



 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Neojamin   
26/4/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Une histoire assez classique d'une adolescente qui tombe enceinte et avorte...en gardant avec elle le regret. Rien de nouveau. L'originalité pourrait venir du traitement de l'histoire, mais si je l'ai trouvé très bien écrite, soignée et crédible, je ne peux m'empêcher de terminer la lecture avec un «c'est tout ?» dans la tête.
Après, voilà, question de goûts et d'attentes.

Il y a de belles images que j'ai appréciées notamment :
- «à sa Gaëlle de dix-sept ans déjà toute réveillée de l'intérieur»
- « ils devraient retirer d'elle une vraie souche, avec ses entrailles piégées dedans.» Très belle image
- «les bons sentiments dégoulinant des cils trop longs.»

Une petite question, car j'ai vécu ça dans ma vie, un avortement se fait tout au début d'une grossesse et je ne suis pas sûr que l'on puisse déjà parler de «corps»:
« pris une photo du corps à la maigreur adoucie par les draps cassants»

Quelques phrases et images m'ont fait tiquer. Ce sont des exercices de styles sympathiques, mais qui perturbent à mon sens le déroulement de l'histoire. Exemple :
- «Ses doigts vacillaient comme des flammes de bougie sur son ventre»
- «Ensuite elle a laissé sa langue d'enfant fourcher vers le pluriel.»
- «une telle absence de larmes dans les yeux qu'elle en paraissait folle.»
- « elles ont fait boiter sa conscience jusqu'à la clinique»
- etc...
Je préfère des instants moins poétiques mais plus authentiques, plus poignants tel :
- «elle a pressé ses phalanges l'une après l'autre, moins bien qu'il l'aurait fait lui-même mais assez bien pour la calmer.» Ça j'aime beaucoup.

De manière générale donc, une nouvelle bien écrite, mais qui manque pour moi d'un poil d'authenticité (à cause notamment des trop nombreuses images surfaites) et d'originalité.
Un bel instant toutefois,
Merci!

   Asrya   
2/4/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
Une nouvelle que j'ai lue, relue, relue, et relue encore une fois ; pour vous dire, d'entrée, elle m'a plu.

J'aurais du mal à émettre des critiques négatives, autant vous prévenir à l'avance.
Bon... pour chipoter, j'ai fait un effort :

"Quelque chose à l’intérieur s’était accroché" / "Elle s’est accrochée à la phrase " --> répétition de "accroché" peut-être à éviter ?

"avec son ventre vidé scrupuleusement" --> scrupuleusement est-il nécessaire ? La phrase n'aurait-elle pas davantage d'impact sans ce qualificatif ?

"elle avait une telle absence de larmes dans les yeux qu’elle en paraissait folle" --> pas la meilleure phrase de la nouvelle.

J'ai cherché, mais je n'ai pas réellement trouvé d'autres passages qui me perturbaient.

C'est brillamment écrit.

La structure du récit est très intelligente, la qualité d'écriture est irréprochable, les dialogues sont puissants, intenses (en si peu de mots, c'est de l'art).
Je me permets de citer vos mots qui m'ont le plus retourné :

"Ensuite elle a laissé sa langue d’enfant fourcher vers le pluriel" --> miam.
"comme on profite d’un moyen de contraception, comme on se dit « de toute façon »" --> c'est beau.
"Que son erreur, dix ans plus tard, on lui aurait peinturé une chambre" --> pouah... quel talent.
"– Passe-moi le sel. " --> quatre mots d'une force incroyable.

Et la fin... que dire de la fin... c'est tellement fort en émotions.
Brillant.

Je trouve cet écrit d'une richesse époustouflante. Le dosage des émotions, des actions, de la rudesse de l'événement ; vraiment, je suis bluffé.
Des textes comme celui-ci, j'aimerais en lire de nouveaux tous les jours. Je pense ne jamais pouvoir m'en lasser ; merci.
Merci de nous faire profiter de votre talent, merci de nous faire partager ce don que vous avez ; oui bon, je vais loin mais... j'admire.

J'espère avoir la chance de pouvoir vous lire à nouveau (je n'en doute pas),
Au plaisir,
A très bientôt,

Asrya.

   Anonyme   
5/4/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour,
c'est beau, si beau. Il y a tant de douceur, tant de beauté dans ce texte terrible. Le style est magnifique, des trouvailles fabuleuses, des petits bijoux d'écriture. Déjà au tout début cette "ecchymose dans le regard" m'a séduit. Et puis d'autres passages, ainsi celui-ci "lls devraient retirer d’elle une vraie souche, avec ses entrailles piégées dedans". Un vrai travail de cinéaste, des images d'une grande puissance, telle cette petite histoire de Bill, quel délicat voleur ce Bill !
Quoi dire d'autre, que peut-on ajouter à ce commentaire ? Qu'il faut vite courir voir ce court métrage exceptionnel pour sa photographie pastel, son émotion à fleur de peau, d'âme et de cœur.
J'aime cette histoire qui parle "d' une petite mère nulle, tout en bordel, mais qui aurait été bonne pour raconter des histoires. "
Elle accroche tant de choses en ma mémoire. C'est si juste, ce sentiment, quand on s'en veut, après cela, d'avoir voulu vivre.
Mille bravos à l'auteur.

   jfmoods   
26/4/2015
J'aime beaucoup cette métaphore filée de la violence...

« une ecchymose dans le regard »
« un regard tout en ouate »
« une tendresse froissée dans les yeux »

… qui résume, presque à elle seule, le propos.

Le marqueur de conséquence appuie sur l'intensité particulière du désarroi intime...

« elle avait une telle absence de larmes dans les yeux qu'elle en paraissait folle »

L'antithèse signale une ligne de démarcation infranchissable...

« Michael avait risqué le mot, Gaëlle l'avait vomi. »

Les marqueurs d'insistance jouent à plein...

- présentatifs : « C'est en se réveillant que Gaëlle pleure enfin », « C'est la nuit que Gaëlle pense aux blouses au-dessus d'elle »

- pronom anaphorique et cataphorique : « … le mot à lui tout seul, il avait de quoi le tuer, son accident »

- pronom anaphorique : « Que son erreur, dix ans plus tard, on lui aurait peinturé une chambre »

- pronom cataphorique : « Elle étouffe, la Gaëlle »

Une grande force, aussi, dans le compte-rendu, vécu comme hygiéniste, de l'intervention...

- l'adverbe : « son ventre vidé scrupuleusement »

- la métaphore : « lui ont rincé la vie du ventre »

Merci pour ce partage !

   in-flight   
26/4/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Alice, son café et ses bruleries :-) Lieu déjà exploité pour "lampadaires".

Très beau texte sur un sujet sensible, peut-être banalisé: Un acte comme un autre alors que...
Comme d'habitude: Dialogues ciselés, portraits brossés en quelques adjectifs et images instantanées.

J'ai aimé:"roulé en boule sur son enfance encore intacte" --> pas de meilleure phrase pour décrire ce qu'a vécu Gaëlle:une étape. Michael est lui resté petit garçon et, si ça sonne creux dans le ventre de Gaëlle, ça sonne plein dans la boite à remords de Michael.

Moins aimé " les doigts qui vacillent comme des flammes de bougie" --> j'ai bien l'image mais je ne la trouve pas top. C'est pour marquer la chaleur vivante qui réside dans le ventre de Gaëlle?

Vous enchainez les bon textes en ayant trouvé un rythme de croisière. Je serai de la partie à la prochaine escale ;-)

   bigornette   
26/4/2015
Je me risque à un commentaire, même j'ai l'impression de marcher sur des oeufs. Je ne suis pas un lecteur de poésie, plutôt un lecteur de polar, si vous voyez ce que je veux dire. J'ai l'habitude de lire des récits qui ne font pas dans la licence poétique, raison pour laquelle je ne peux pas mettre d'appréciation.

Cette précision faite, voici mon commentaire. Pour résumé, j'aime l'écriture sèche que vous avez, j'aime moins les expressions recherchées, à la limite de la préciosité.

Quelques expressions m'ont plu néanmoins, au cas où vous feriez un sondage :

"Ses doigts vacillaient comme des flammes de bougie sur son ventre" (c'est mystérieux, ça me plaît)

"une telle absence de larmes dans les yeux qu’elle en paraissait folle" (c'est hyper-juste)

"les bons sentiments dégoulinant des cils trop longs" (je ne sais pas pourquoi)

J'ai moins aimé :

"rincé la vie du ventre" (un lecteur de polar comme moi aurait préféré "rincé le ventre", par exemple)

"un regard tout en ouate" (je ne comprends pas)

"la moue au bord des larmes" (je ne comprends pas non plus, enfin si, mais en réfléchissant)

J'ai aimé les dialogues, tendus, efficaces (je suis un lecteur de polar, eh oui, toujours)

Je n'ai pas compris pourquoi à la fin de l'histoire en italique vous précisiez : "Bien remplaçable". J'avais très bien saisi la morale de l'histoire.

Voilà, je crois que c'est tout. Merci en tout cas ! Et bravo, vous avez des fans !

Signé : un lecteur de polar

   Anonyme   
26/4/2015
C'est bien, c'est même sans doute très bien. Je suppose que c'est ce qu'on appelle de la belle littérature, mais ça me gêne.
Il y a un manque total de simplicité d'autant plus gênant dans ce texte que les personnages, tels qu'ils sont présentés, sont plutôt bruts de décoffrage et complètement en décalage avec le vocabulaire et le style.
Mais bon, la littérature c'est peut-être justement ça : transcender avec des mots une situation vécue par des personnes ordinaires.

   Anonyme   
26/4/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
Terrible. Précis dans la description, poétique dans la sobriété et cette "présence" du et au ventre. Puis cette absence, ce creux.
Au point que cela rend muet.
"la langue plurielle"... juste pour signaler cette image aussi avec ce titre cruel qui joue sur le mot.

   dodo-chan   
26/4/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Alice,

La forme que vous avez donné à ce fond, démontre un angle fatal de votre plume. Le manque d'expérience je dirais. La vie n'est pas poésie. Les choses sont moches souvent. Et dans la forme et le fond a la fois. Essayez-vous de rendre consommable ce qui ne le sera jamais?

La narrateur se doit d'être objectif. Il doit s'effacer pour l'histoire et non pas se regarder écrire.

N'ayez pas peur de décevoir.

   Lulu   
27/4/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai bien aimé le côté dédoublé du personnage de Gaëlle qui ne crie aucune rage, mais qui dit à sa façon, dans son ressenti seulement la gravité de la situation.

Tout est feutré dans ce texte dans lequel je m'attendais à voir une Gaëlle bouleversée. Elle n'a que dix-sept ans, mais elle n'est pas seule. Vous l'environnez de ses amis, dont son compagnon.

J'ai bien peur que dans la réalité ce ne soit plus triste, mais j'ai bien aimé ce côté optimiste de l'ensemble. Bien qu'il y ait une opération chirurgicale, soit un avortement, il n'y a pas de déchirure entre elle et son ami. Gaëlle et son compagnon semble vivre cela ensemble, comme une épreuve qui se devait d'être.

Plus que l'histoire, je dois cependant dire que j'ai surtout apprécié la qualité de votre écriture. Il y a là une belle profondeur. Vous sa chant jeune, j'en suis d'autant plus émue.

   Anthyme   
28/4/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
« À l’hôpital, elle est examinée comme une poupée déchirée. »
— C’était dans ‘les bateaux en papier’ —

… … … …

« Avortement ou pas, y a toujours un coup de scalpel quelque part. »

Comme c’est vrai !

… … … …

La toute présence de ce qui manque …
… et qui pèse … et qui pèse …

Le « dédoublement » me semble la conséquence logique de cette cohabitation ; or on ne peut rester entre deux rives, dans les remous de la conscience.

… … … …

Gaëlle mérite mieux que d’« être examinée comme une poupée déchirée » …

Je lui souhaite de donner le coup de scalpel qui la séparera de ce compagnon qui se drape dans la feinte de son sommeil …
… de ce « compagnon » qui ne l’accompagne pas ; qui ne l’aide pas à gagner la rive de la féminité sereine.

___________________________________________

Une fois de plus …
Merci pour la pertinence et la justesse de votre sensibilité.

   Bidis   
28/4/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un texte en coup de poing. Qui m'a atteinte. Une écriture très personnelle, et j'envie cela. J'ai adoré certaines métaphores (le regard pluriel, une tendresse froissée dans les yeux, le monde essaie de lui border l'âme, rincé la vie du ventre...) , je n'en ai pas aimé d'autres (une ecchymose dans le regard, ses doigts comme des flammes de bougies,...). J'ai trouvé terrible dans sa justesse "qu'il est roulé en boule sur son enfance encore intacte". En définitive, un moment de lecture qui ne laisse pas indemne.

   Anonyme   
29/4/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C’est vrai qu’il y a un style personnel dans votre écriture, au vu des quelques nouvelles que j’ai lues de vous, et que ce style est fort, en ce sens qu’il est à fleur d’émotion, et puis que tout y est juste par rapport aux personnages et à leurs liens. Précis, ça me semble très maîtrisé, mais tout en restant souple, sensible.

Ce qui résume mon ressenti à vous lire est simplement que vous avez un vrai don (c'est à dire beaucoup plus que des facilités).

À vous relire.

C.

   Anonyme   
30/4/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Le thème n'est pas très original, mais la manière de l'aborder l'est et, pour, ça fait mouche. Sincèrement, c'est rédigé, j'ai été plongé dans l'esprit de Gaëlle jusqu'au bout. D'ailleurs, le bout, parlons-en ! J'ai tout adoré... Sauf la fin. Je trouve que c'est un peu "vite fait", disons. Peut-être que ça se termine trop tôt pour moi. Et sinon, j'aime bien tes métaphores, mais il ne faut pas trop en abuser, par contre, sinon on oublie le côté réaliste de la nouvelle. A part ça, c'est très bien !

   Anonyme   
30/4/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour Alice,

Trouver le temps pour tout lire en espace lecture, il ne faut pas trop rêver quand même !
Alors j’y vais toujours au petit bonheur la chance, espérant des titres accrocheurs qu’ils tiennent leurs promesses et sincèrement désolée de ne pouvoir donner leur chance aux autres.

Dédoublée. J’ai tout de suite pensé que c’était une nouvelle de toi, Alice. Si fort que je me suis retrouvée déçue après une première lecture en aveugle qui m’a pourtant confirmé ta plume inimitable. Cette fois-ci, il me manquait cette abondance de Poésie que je retrouve à chaque fois dans tes nouvelles.
Ce côté ‘’épuré’’ m’a donc laissée sur ma faim d’envolées.
Et puis je suis partie en vacances, j’ai goûté à de rares émotions que j’attendais avec appréhension et impatience, à mille lieues, à l’opposé de l’histoire que nous racontes ici.
Au retour, je vois la nouvelle parue. Elle est bien de toi, je ne m’étais donc pas trompée. ^^
A la relecture, délestée d’une attente enfin rassasiée, je peux m’immerger entière dans tes mots.

Si ce préambule est aussi long, Alice, c’est pour t’expliquer le mécanisme qui m’a empêchée d’être immédiatement saisie à la gorge par « l’ecchymose dans le regard de Gaëlle qui n’est plus tout à fait Gaëlle ». Je n’étais pas en état de lire ce drame trempé dans l’encre crue. C’est chose faite maintenant.

Ton histoire est triste, banalement triste, comme seule peut l’être la réalité touchée du doigt.

Avec ton talent immense, ton sens de la formule et ce sens si fin de l’observation qui fait mouche à chaque coup, tu nous la rends, cette réalité, bouleversante dans son plus simple appareil.

Combien de Gaëlle ont vécu pareille situation ?
Combien faut-il de gifles pour des Michaël qui ne comprendront jamais rien de rien « aux entrailles piégées » ?

J’ai douloureusement aimé « le ventre vidé scrupuleusement », « la tendresse froissée dans les yeux » et tant d’autres expressions du même acabit. Je ne les citerais pas toutes, il me faudrait presque tout reprendre mot à mot.

Il faut être douée pour écrire comme tu le fais. Chaque détail est passé au crible fin de ta sensibilité à fleur de peau, puis restitué de manière à ce que chacun puisse ressentir combien tragique est la situation.

Ce texte à quelque chose de fort et d’émouvant. C'est indéniable.

Merci, tout simplement.

Cat
Fan d’A.

   Alice   
30/4/2015

   Sylvaine   
1/5/2015
 a aimé ce texte 
Bien
La banalité du sujet est transcendée par un art de la tension dramatique et une sensibilité qui m'ont émue, alors que j'étais très réticente au début de ma lecture. Les dialogues sonnent juste, les sentiments sont suggérés avec une économie de moyens qui sied au genre de la nouvelle. Mais, à mon avis, l'écriture n'est pas assez mûre : la recherche stylistique, appréciable en elle-même, reste trop apparente et tombe souvent dans une préciosité amphigourique qui nuit à la clarté. On trouve de belles réussites - j'aime beaucoup, par exemple "Michael avait risqué le mot, Gaëlle l'avait vomi.", mais pas du tout " elle a laissé sa langue d'enfant fourcher vers le pluriel" ni" elles ont fait boiter sa conscience jusqu'à la clinique." Je trouve aussi qu'il y a dans la formule "les gens lâchent plus facilement la bombe quand on joue au con" une vulgarité inutile qui tranche désagréablement avec le reste. Bref, le travail de la langue, qui est essentiel à la qualité littéraire d'un texte et que vous avez raison de privilégier, reste ici trop apparent, trop visible. Dans l'élaboration d'une écriture originale, je crois que l'effort est capital, mais qu'il ne doit pas se voir.

   Louis   
1/5/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Ce matin-là, « Gaëlle n'était plus tout à fait Gaëlle ». Quelque chose a changé chez la jeune fille.
Elle ne se sent plus singulière, mais double, mais plurielle. Un « ajout » à sa vie s'est produit, non souhaité, non désiré.
Non seulement le corps est éprouvé dédoublé, mais aussi l'âme, « elle fixe le ciel par la fenêtre, le regard encore pluriel, l'âme encore dédoublée ».
Gaëlle est autre, dans une altérité, pour n'être plus une, mais double. C'est dire que ce redoublement fantasmatique n'est pas en miroir l'image d'un narcisse. Sa grossesse est vécue comme ce qui entraîne une altération de son identité, un autre du dedans qui la ferait passer subitement de fille-enfant à femme-mère.

L'enfant qu'elle n'aura pas la renvoie à la figure de la mère, celle de toujours, et d'abord à celle de sa propre mère. Ce « double » dans son ventre est cet autre qui lui parle de généalogie et de liens primordiaux à sa propre mère.
L'image de sa mère est celle d'une femme conteuse, une voix d'abord, une voix qui raconte des histoires : « la voix qui racontait, chantonnant à moitié ».
Gaëlle est née d'un récit ; elle est fille des histoires, elle s'éprouve dans cette filiation ; elle voudrait à son tour raconter des histoires, c'est le principal regret de son avortement : « Je regrette de jamais pouvoir lui raconter une histoire ».
Un des récits contés par sa mère lui revient en mémoire, celui de Bill le voleur et de Julie et sa sacoche rouge. Le récit s'impose à son esprit par sa force symbolique. Le « doudou » que contient le sac rouge symbolise l'enfance, Julie-Gaëlle perd son « sac », mais pas son enfance ; Julie devient femme sans perte de l'enfance, elle exprime le désir de Gaëlle.
Elle veut que l'on continue à lui raconter des belles histoires, situation caractéristique pour elle de l'état d'enfance, tout en devenant femme, celle qui raconte les histoires. Elle veut engendrer, oui, mais des histoires. Ses enfants seront d'abord des récits, des contes, des nouvelles. Sa vie veut se couler dans ce qui se raconte.
Fille et femme-mère, la parole la précède, la parole l'engendre avant d'engendrer à son tour la parole du récit.

Gaëlle est tout de même un double, un double de l'auteure, qui raconte comment elle en vient, dans l'écriture, à raconter. Comment elle se voit devenir femme dans l'enfantement du récit.

Un texte riche en contenu, un texte sensible et poétique, dont je n'ai commenté qu'un aspect, mais un aspect qui me semble essentiel.

   widjet   
2/5/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Je l’ai déjà dit et écrit, Alice a du talent a revendre. Une chance pour nous, depuis sa venue sur Oniris, elle est aussi prolifique. Je ne reviendrai pas (et plus) sur l’âge de notre auteur car la valeur n’attend pas etc… (je pourrais citer un écrivain Cécile Coulon qui a vingt six ans a déjà écrit plusieurs romans et des bons).

Bon, le texte. L’auteur ne m’en voudra pas, je ne suis pas de ceux qui collent des « Exceptionnel » ou des « Passionnément » à tour de bras. Sur Oniris, cette notation est tellement galvaudée qu’elle en perd tout son sens, cela devrait plus m’agacer depuis le temps (6 ans) pourtant si, ça me gonfle prodigieusement. Mais bon, c’est mon avis, mon problème, pas le vôtre.

Allez, revenons au texte.

Le sujet est suffisamment grave pour ne pas s’appesantir et Alice l’a bien compris notamment dans les dialogues, secs, directs sans chichis. Ces échanges brefs parlent pour les personnages, témoignent de l’embarras de ces derniers, de leur chagrin, de leur honte et leur lâcheté aussi (Michael). Mieux que personne Alice le sait, moins tu te « répands » (en détails, en explications…), plus la portée émotionnelle est grande.

La recette de l'auteur est simple à comprendre, mais complexe a réussir : économie de moyens (des mots, des dialogues) pour impact maximal.

Ici, ça marche plutôt bien, mais parfois cette tendance à l’enjolivement (pas toujours du meilleur effet du reste) à certains moments eut été à mon humble avis dispensable.

Quelques exemples :

« Juste le temps de penser une dernière fois sa vie sans ajout ».
« Ensuite elle a laissé sa langue d’enfant fourcher vers le pluriel » (d’autant que l’auteur se répète avec « le regard pluriel » un peu plus loin.)
« Dans les vagues de l’aveu, il a même fait l’amour »

Sinon le « Solenn avait déjà compris, mais les gens lâchent plus facilement la bombe quand on joue au con » pouvait se dire autrement non ? Enfin, je n’ai pas compris le « dix ans » de « Que son erreur, dix ans plus tard, on lui aurait peinturé une chambre ». On fait la chambre d’un enfant avant ses dix ans ? Bref, un détail.

Quoiqu’il en soit, je suis indulgent avec cette « sophistication » car j’ai le même pêché mignon, cette appétence pour l’esthétisme, la poétisation, le fait aussi (et c'est bien légitime) de se faire plaisir (car il s’agit bien de ça). Maintenant, à bien regarder dans ce texte, je trouve que Alice n’a pas eu tant la main lourde que ça (en tout cas moins que moi dans mes textes :)

Enfin, l’auteur le sens de la formule, Alice sans en avoir l'air balance des phrases qui s’impriment recta dans notre rétine, c’est souvent fort, bien envoyé comme un uppercut au plexus au point que parfois on en oublie d’analyser la pertinence ou d’y voir immédiatement le rapport.

C’est un peu le cas de la très efficace :

« Avortement ou pas, y a toujours un coup de scalpel quelque part. »

Rien à dire, elle claque, cette phrase ! Elle secoue (et normal, c’est son objectif, nous remuer, bousculer). Mais quand j’ai lu ce qui précède cette phrase « coup de poing » (l’histoire de Bill et le message qui en découle), je me suis dit que c’était un peu trop déséquilibré, trop disproportionné et que cette phrase, aussi efficace puisse t-elle être (et elle l’est) faisait au final un peu forcé, presque artificiel. Je ne sais pas si je suis très clair.

Mais qu'Alice ne se méprenne pas. C’est un bon texte (Alice serait bien incapable de produire quelque chose de mauvais, même en se forçant), sensible et délicat toujours avec cette violence intérieure, sourde et hurlante à la fois.

Merci et encore bravo

W

PS : c'est très con, mais j'aurais préféré un "putain" à un "fuck" à la fin de la phrase "Dis-moi que j’aurais pas pu, fuck". Cela m'aurait semble plus juste, plus réaliste. Mais je peux me tromper.

   hersen   
6/5/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Me faire avoir à ce point-là, il va falloir que je m'en remette!
Au fil de ma lecture, je tique sur certaines choses, et je me dis que décidément, trop de métaphores tuent la métaphore ! Je me dis aussi qu'il y a un petit côté précieux dans l'écriture qui est trop ornemental et puis je me dis aussi, je ne sais même plus ce que je me dis, j'arrive à la fin de l'histoire et je suis bouleversée, tout simplement.
Merci.

   carbona   
4/9/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

La forme : votre écriture est agréable à lire, souvent douce et poétique mais je trouve que vous abusez de tournures chargées, de métaphores... j'apprécierais, pour ma part, plus de simplicité et de transparence pour respirer davantage et y voir plus clair.

Le fond : j'aime la manière dont le sujet est traité. J'apprécie que vous ne vous épanchiez pas sur les sentiments de la jeune femme et que vous alliez droit au but, notamment lors de la description de l'avortement. Les dialogues très succincts et directs renforcent cette volonté de ne pas tomber dans le pathos, ça me plaît.

En revanche, je supprimerais le dernier paragraphe. Je trouve qu'il est inutile de lire que Gaelle vit dans la douleur et dans le regret, on le devine amplement.

Merci pour cette lecture.


Oniris Copyright © 2007-2023