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Fantastique/Merveilleux
Andre48 : Le gardien
 Publié le 01/06/18  -  10 commentaires  -  5068 caractères  -  96 lectures    Autres textes du même auteur

Évocation des difficultés à communiquer et à rester le gardien de ses souvenirs.


Le gardien


Comme chaque soir, je parcours le long couloir faiblement éclairé, vers ma chambre, au fond, près des douches. J’aime bien venir ici. Le décor est à revoir, mais la chambre confortable et j’y dors si bien. Je ne sais pas exactement comment occuper mes journées, je ne comprends rien à toutes ces histoires de rencontres, d’achats, d’argent, enfin quoi : la vie quotidienne. Ma mémoire est un peu comme une très vieille passoire, seuls quelques fils subsistent.

Cela devait m’arriver, ce soir, dans cette immense bâtisse vide de plus de trente étages : impossible de m’y retrouver. J’ai dû entrer par une mauvaise porte, et cela m’a embrouillé ; ou bien, je suis un étage trop haut ou trop bas.

Comment savoir, tout est d’un blanc sale égayé par du bleu clair délavé. J’admets que je suis perdu, puisque depuis tout ce temps à errer je ne retrouve pas cette satanée chambre, au troisième étage, au fond du couloir, à droite.

Tout semble inhabité, que des portes closes sur du silence. Je commence à paniquer. C’est alors qu’un homme tout en blanc vient vers moi et m’offre son aide : « Suivez-moi, vous avez une nouvelle chambre. »

Évidemment, si on me change d’endroit, je n’ai plus à chercher l’ancienne chambre ! Je vais essayer de bien me rappeler où se trouve ma nouvelle chambre, ce sera tout frais dans ma mémoire. Sans un mot, confiant, je le suis.

L’homme grand, fort, assez jeune et plutôt sympathique, me semble devenir un peu autoritaire. Il marche un peu trop vite pour moi, je dois presque galoper pour rester à ses côtés.

Bientôt, nous débouchons sur une espèce de petit patio désolé et il m’affirme que l’ascenseur nous y attend. Il m’a tellement pressé et fait tourner de-ci de-là, que ce patio, je doute de pouvoir le retrouver, c’est perdu d’avance !

Cet ascenseur semble ouvert aux quatre vents, j’hésite à y entrer, cela m’effraie vraiment. Il m’y pousse fermement, et me dit que nous devons aller sur le toit-terrasse.

Arrivé tout en haut, il fait plein soleil. L’espace est occupé par de nombreux cubes gris, des sentiers dallés, quelques minuscules jardins, des arbustes… Tout en bas, la ville sombre et polluée s’agite, ici c’est calme et paisible.


— Vous n’avez plus besoin de vous tracasser, de sortir, vivez tranquillement ici et organisez-vous avec les autres habitants, ils ont leurs petites manies mais ça va bien se passer.

— Merci, j’étais un peu perdu.


Il ralentit, prend le temps de me guider entre les cubes aux portes multicolores, par des sentiers où vont et viennent quelques silhouettes aux chaussures blanches. Il pousse une porte orange avec son gros numéro 5 peint en bleu en me disant : « Voici votre chambre, orange, 5 bleu. »

Je mémorise docilement les trois infos.

Je vois bien qu’il a l’air dubitatif, il doit craindre que je ne me perde à nouveau, je tente de le rassurer : « 6, orange, bleu. »

Il me regarde avec bienveillance mais ne me fait aucun compliment, puis il passe à autre chose et me précise :


— Les personnes en blanc sont disponibles pour vous ramener à votre chambre, vous apporter les repas, s’occuper de votre linge, veiller à votre tranquillité.

— Tout ça c’est nouveau pour moi.

— Je sais, si vous avez un souci, je reviendrai.


Il me quitte sans me dire son prénom, ce qui n’est pas trop poli. Bien décidé à ne plus me perdre, je me répète à l’infini ces deux couleurs : orange, bleu, orange, bleu, orange, bleu…

C’est curieux, cette simple mélopée me calme, me berce, me rassure : je suis sûr de ne plus me perdre. Oui, je sais bien que le plus simple c’est de rester assis dans mon cube ou de m’y adosser en évitant ou non les rayons du soleil.

Ici les jours se ressemblent un peu, mais j’observe la ville tout en bas et ils passent plus vite que je ne le craignais. Le temps qu’il fait, les repas, le sommeil et les rêves, ces mille petites choses que je ressens meublent mon existence.

Des gens cheminent un peu comme des ombres, certainement des pensionnaires comme moi, puisqu’ils ne sont pas vêtus de blanc. Je sais que ce serait mieux de dire bonjour, de parler avec eux, mais trois douzaines de personnes, c’est beaucoup trop pour moi.

Comment retenir leurs noms, les retrouver, me souvenir de toutes les couleurs et des numéros sur les portes ? Et ils voudront me dire leurs prénoms, me parler, venir dans mon cube… Pourquoi bousculer mon quotidien tranquille, affronter cette masse de choses à penser, à faire, à se souvenir ?

Ils disent que je suis là depuis des années, je n’ai pas vu passer le temps, eux ils savent compter. C’est vrai que je reste de plus en plus longtemps dans mon cube, je franchis de moins en moins la porte : verte ? Rouge ? Ah non, orange.

Ce n’est plus la grande forme, il me reste tous mes souvenirs d’enfance, mais répéter, rabâcher, essayer en vain de me souvenir du présent… Je sais bien qu’un jour ils me sortiront de mon cube, pour me jeter ailleurs, pour mon bien, entre les mains d’autres chaussons blancs. Si seulement j’avais le courage de chercher ce foutu ascenseur, si dangereux, si près du vide, à un seul pas.



 
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   Jean-Claude   
2/5/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,
Je me suis laissé embarquer. C'est bon signe.
La fin m'a plu.
J'ai juste une question : pourquoi "Fantastique/merveilleux" ?
Au plaisir de vous (re)lire
JC

   Anonyme   
3/5/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
J'ai beaucoup aimé votre nouvelle qui a bien su rendre ce côté "perdu " du personnage. Pour avoir visiter l'an passé à plusieurs reprises un proche dans une clinique pour "troubles de l'humeur"( psychiatrique, pour dire vrai), je pense que beaucoup des patients que j'y ai vu auraient pu être votre personnage. C'est angoissant à souhait et en même temps reposant (n'appelle t'on pas ce genre d'établissements aussi " maison de repos"), plus de contrainte d'ordre matériel, même plus besoin de penser.
L'écriture est plus que correcte, fluide, sans fioriture. Manque un chouia d'images fortes mais peut-être est-ce voulu pour mieux montrer la perte de repères, cet espace sans souvenir, quasi sans conscience.
A vous relire avec plaisir.

Eccar

   plumette   
1/6/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Andre48

j'ai lu avec intérêt votre texte qui nous plonge au coeur de la "désorientation" et de la perte de repères et j'ai imaginé que votre narrateur était atteint d'une maladie type Alzheimer qui évolue , évidemment pas dans le bon sens.

Je me suis questionnée sur cette capacité d'auto- analyse que vous prêter à ce narrateur dont on ne sait rien, ce qui a d'ailleurs un côté un peu angoissant et donne vraiment au lecteur cette sensation de flottement, de vide, de quoi est faite ou a été faite cette vie?

Les malades sont-ils conscients de leur état? peuvent-ils se formuler se que cet homme se formule? On dit aussi que certains sont agressifs, or vous avez choisi de nous brosser le portrait d'un être doux et résigné.Mais peut-être que la piste que j'ai suivi n'est pas la bonne. Vous nous direz...

Un texte sensible, écrit de façon simple

A vous relire

Plumette

   in-flight   
1/6/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,

le classement en fantastique invite le lecteur à avoir une lecture du récit détaché du rationnel et du clinique. Et, n'étant pas classé en SF, le texte ne décrit pas non plus ce que seront les futures maisons de repos. Quoique votre description renvoie une image contemporaine de la chose.

Dès lors, si l'objectif est de nous plonger dans un espace autre que la réalité, le format du texte est un peu court: on a là une ébauche, une introduction de ce qui pourrait être un véritable univers.

Je pense que l’essence du texte vise à montrer la nostalgie d'un homme à l'hiver de sa vie tout en brossant un portrait de la prise en charge clinique des maladies cognitives/"dégénératives".

La nouvelle est froide et "blanche" malgré les couleurs qui maquillent la réalité (orange et bleu) et en décrivant des personnages inhabités ("silhouettes aux chaussures blanches"), j'ai cru un moment donné que vous emmeniez le narrateur vers le stoïcisme, un monde où l'on recherche l'absence d'émotions par l'absence de passions. Mais non finalement...

   GillesP   
1/6/2018
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai bien aimé. C'est sensible, on ressent bien le manque de repère du narrateur, grâce à une narration qui laisse le cadre dans le flou. L'écriture est fluide et plutôt agréable.

Deux questions et une remarque de détail:
Peut-on vraiment s'analyser avec autant de lucidité quand on est atteint de la maladie d'Alzeimer?
Pourquoi ce titre? L'homme en blanc ne joue qu'un rôle mineur.
La remarque: j'ai eu un peu de mal avec la phrase suivante: "l'homme grand, fort, assez jeune et plutôt sympathique, me semble devenir un peu autoritaire": sympathique et autoritaire, ça ne va pas très bien ensemble. Et pourquoi semble-t-il devenir autoritaire, alors qu'il ne fait que marche à côté du narrateur? Si c'est sa démarche qui fait penser cela au narrateur, il aurait peut-être fallu le dire d'une autre manière. Mais c'est un détail.

Au plaisir de vous relire.

   BlaseSaintLuc   
1/6/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Dommage, il y a des incohérences, dans ce texte plutôt bien écris, et qui se lit d'une façon assez agréable.
Voyons cela, d’abord la situation de la fameuse chambre
" Vers ma chambre, au fond, près des douches."
Pour quelqu'un qui ne se souviens pas ?
Bon sans doute les quelques fils qui subsistent,
" Immense bâtisse vide de plus de trente étages "
donc connaissance de la battisse , au moins dans son volume ,
Bon l'homme en blanc
" Plutôt sympathique, me semble devenir un peu autoritaire" contradictoire.
Mais la nouvelle chambre et " Il m’y pousse fermement, et me dit que nous devons aller sur le toit-terrasse."
Semble être une allégorie d'une existence arrivée au dernier étage de la vie.
L’Alzheimer ne s'interroge pas, puisqu'il ne se souvient de rien.
Et les déments sont un peu paranoïaques ne font pas confiance et sont plutôt agressifs.
Je ne crois pas qu'une personne en dégénérescence cognitive s’interroge à ce point sur son état,
Du coup, rien ne tient, même pas le classement fantastique de la nouvelle.
Pourtant la lecture ce fait agréablement, le sujet n'est pas cohérent, mais c'est un peu pour ça qu'il est perdu.

   Donaldo75   
9/6/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Andre48,

La narration est réussie parce que je me suis mis dans la peau du narrateur; ce n'est d'ailleurs pas une situation agréable, dans le cas présent. Je ne sais pas si je comprends mieux, mais je vois différemment les malades atteints de ce syndrome, celui de perdre la mémoire à court terme, de ne se souvenir réellement que du lointain passé. Ils ne maitrisent rien; c'est encore plus triste quand le narrateur conclut que d'autres chaussons blanc vont s'occuper de lui.

Bravo !

Donaldo

   Anonyme   
2/6/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Une nouvelle dans laquelle malgré le sujet de la perte de mémoire règne l'apaisement de ce narrateur dégagé de toutes les contingences matérielles.
Le thème de l'enfance me semble abordé à travers le jeu sur les couleurs, omniprésentes.
Un terme cependant m'a gênée : le mot " habitants " dans la réplique de l'homme en blanc.
Mais j'ai aimé ce parcours dans l'architecture presque labyrinthique du lieu où l'on se perd avec le narrateur.

Merci pour ce partage

   Andre48   
5/6/2018

   Vilmon   
10/7/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour, j'ai bien aimé cette narration au "je", bien que l'on connaisse peu de chose sur le personnage, il nous permet de saisir son environnement. Une forme de journal intime puisqu'il ne communique pas cette histoire à un autre. Le lecteur devient le personnage. Et j'ai bien senti le désarroi et les raisons qui justifient son retrait, sa volonté de s'isoler. On comprend la profondeur de sa maldie d'Alzheimer (ou équivalente maladie dégénérative) lorsqu'il répond 6, orange, bleu. À moins qu'il lui faisait une blague ?... :-)


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