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Réalisme/Historique
angoobiang : L'Honneur de la Traîtrise
 Publié le 28/06/08  -  5 commentaires  -  10060 caractères  -  13 lectures    Autres textes du même auteur

L'honneur de la traîtrise retrace le renoncement de certains peuples d'Afrique et notamment du Gabon à leur origine Négroïde. L'esclavage, par l'anéantissement de la dignité de l'Homme Noir, a suscité de drôles de comportements que l'on retrouve encore dans certaines mœurs au Gabon. Sans haine.


L'Honneur de la Traîtrise


Note de l'Auteur : Cette histoire ne retrace qu'un détail parmi tous les drames et toutes les hontes dont a souffert le peuple Noir. Aucune incitation à la haine raciale.

Note des Publicateurs : Âmes sensibles s'abstenir.




La pesanteur. C’est cela. Une sensation de pesanteur. Lourde, incontinente, sans grâce. J’avais mal. Si mal, sous ces chaînes que je ne portais plus. Mes rêves me saisissaient, mes rêves me trahissaient et m’offraient à des douleurs bien trop profondes pour un être humain. Et pourtant, nous étions des centaines, et peut-être des milliers dans ce cas. L’homme Blanc n’avait que faire de notre souffrance, d’un orgueil perdu, de la fierté d’appartenir à un peuple égal ou supposé être égal à un autre. J’appartiens au clan Mveign. Qui s’en soucie ici où tous les nègres se confondent et sont confondus.


Pourtant, dans une nuit qui me semblait pareille à tant d’autres, des hommes robustes m’ont saisi sur ma couche et traîné pendant toute la nuit jusqu’au sous-sol noir et puant d’un bateau. Cette horreur qu’un jour mon père avait publiquement dénoncée. Les peuples de la côte en faisaient un commerce très lucratif. J’eus l’horrible douleur de découvrir, après plusieurs jours de traversée, qu’une de mes sœurs avait également été enlevée. Pour faire taire mon père, on lui avait enlevé deux de ses enfants. La colère ne servait à rien, mais impuissant je la sentais m’envahir et brûler mes veines sans qu’il soit possible de l’éteindre. Injures, violences, fouet. On était tous morts à l’arrivée. Je suivais les autres en vaincu. Ils m’avaient anéanti. Dans ma chair, mon esprit, des sensations que je ne connaissais pas. Par-dessus tout, j’avais en tête les rires d’un plaisir de profanateur que ces hommes à la peau en inflammation avaient et des pleurs de nos sœurs. On racontait dans les cales qu’elles n’avaient pas de répit. Les hommes se les passaient sans s’en lasser.


Les mois qui passaient n’avaient eu aucun effet sur ma conscience. Je fus surpris de voir que l’aspect d’un être humain déterminait sa supériorité absolue. Sur le grand marché aux esclaves je fus immédiatement retiré de l’estrade. Je compris bien assez vite que toutes les personnes à la peau claire étaient retirées de l’estrade. Issus du peuple Fang, nous étions nombreux à avoir la peau jaunâtre. Mais ma petite sœur était née avec une peau d’ébène. Et voilà que je suis converti. Je dis "mais", avant de désigner ma sœur. Voilà comment des enseignements barbares prennent du pouvoir.


On la vendit, complètement nue. Et elle partit. Je vis bien qu’elle ne voulait pas me regarder. Et elle est partie. J’eus une femme. J’eus plutôt des femmes. À aimer, à ensemencer. Je préférais ne pas aimer. Les Blancs m’aimaient bien. Ils trouvaient ma présence moins insultante. En Caroline du Sud c’était un privilège. À l’occasion je surveillais d’autres esclaves dans les plantations, et à d’autres j’accompagnais certains maîtres dans des tâches "plus propres". Je prenais de l’âge, mais j’étais mort il y a longtemps.


Je dus reprendre le bateau pour l’Afrique. Quand il me l’annonça, le maître me fit très clairement comprendre que je reviendrais avec eux. Je regardais les plantations de coton qui s’étendaient à perte de vue avec l’espoir, bien sûr stérile, que je ne les reverrais plus. Les femmes éreintées portaient de gros ballots, avec entre leurs jambes des enfants, quelquefois des mulâtres. Ces créatures que certains hommes noirs avaient du mal à regarder en face. Ils rappelaient trop souvent la violence en plein champ, au détour d’une ruelle, dans une chambre à nettoyer, ou sur un ordre tout simplement.


Deux autres esclaves m’accompagnaient. Au début méfiants, nous avons fini par nous parler. Ils venaient tous les deux du Sénégal et n’avaient toujours pas réalisé qu’ils avaient été vendus par leur propre peuple. Sans chaîne au pied, sans fouet violent sur le dos, le voyage nous parut moins pénible. Mais notre arrivée fut des plus violentes. Lorsque le bateau accosta sur les côtes gabonaises. Une bonne dizaine de jeunes filles nous attendaient, ou plutôt attendaient la descente des hommes Blancs. Ils furent accueillis de sourires et cadeaux. Les filles se faisaient aguicheuses au grand dam des deux autres esclaves qui avaient tout comme moi en mémoire les viols de ces hommes sur des femmes de leur race.


Un homme avec des habits coutumiers s’avança, démarche inspirée de l’instruction des grands colons. Il se dégageait de cet individu un sentiment de noblesse. On les surnommait les rois, bien qu’ils ne fussent en réalité que chefs coutumiers. Je l’avais déjà vu, plus jeune. Il me regarda avec une sorte de ricanement.


- Le temps a passé, dit le chef coutumier dans un anglais qu’il voulait élégant. Ça va là-bas ?


Il continua de ricaner. C’étaient les ennemis de mon père. Il était plus qu’évident qu’ils restaient à l’origine de ma déportation, de ma déshumanisation. En fidèle esclave, je restais de marbre. Le chef coutumier se mit à l’écart avec deux des hommes blancs et désignait sans cesse les jeunes filles retournées s’asseoir sur le tronc des cocotiers. Il en désignait surtout une qui portait le même pagne supposé princier que lui. Elle était chétive, et d’une peau noire absolument sans défaut. Les deux autres esclaves qui comprenaient par sous-entendus échangèrent brièvement un coup d’œil.


La foule s’éloigna après que les quelques présents de nos maîtres aient été déballés. Le chef du bateau fit signe à ses matelots pour regagner le navire. Les dix jeunes filles entrèrent dans le bateau. Un immense pincement au cœur me saisit. J’avais honte. De quoi ? Je ne sais pas. Mais j’avais honte, de ce que j’étais, de ce que les personnes de ma condition pensaient être obligées de faire pour avoir une vie meilleure. La fille du chef coutumier entra en dernier. Dans un grand éclat de rire, le capitaine la happa au passage et la jeta grossièrement dans les bras d’un matelot surnommé Fish. Il avait un début de lèpre, et le message glissé dans la correspondance de la fille d’un chef vers ce matelot que tout le monde fuyait était éclatant.


- Attention, fit le capitaine en riant bruyamment, elle s’appelle N’tangani ! C’est la fille d’un grand chef de l’estuaire. Nous sommes leurs esclaves ! Ensemence-la ! Sinon elle sera maudite !


Le capitaine, les huit autres membres de l’équipage, descendirent dans la cale du bateau avec les neuf autres filles. Chargés de surveiller le pont, nous regardâmes, éberlués, Fish arracher le pagne à N’tangani et la chevaucher à quatre pattes à même le parquet. Les rires du capitaine me vinrent dans les oreilles et je me dis qu’il avait raison de rire. Fish s’amusa avec la fille du chef une bonne demi-heure puis il la traîna comme ivre vers la cale. Nous n’échangeâmes aucun mot, ni regard. En Amérique, elles étaient forcées de coucher avec des hommes Blancs. Ici, sur les côtes gabonaises, quelque chose nous dérangeait.


- Hé ! Vous trois, on a besoin de vous !


C’était le capitaine. Nous le suivîmes dans le sous-sol du bateau le plus vite possible. Toutes les filles étaient nues. N’tangani était déjà occupée avec deux autres matelots. Saura-t-elle qui sera le père de son enfant, ou seule la couleur apporte la gloire ? Adossées, contre une des parois du bateau, cinq des filles, plus tard, furent jetées sur le sol par leurs partenaires multiples et déjà lassés.


- Allez-y, fit le chef en nous désignant les filles toutes humides du sperme de ses hommes.


Des cris d’effroi nous répondirent. Les cinq jeunes filles dont N’tangani nous regardèrent avec un dégoût qui me donna envie de disparaître.


- Ah, non ! s’écria N’tangani. Pas de nègre ! On ne veut plus de ça chez nous ! C’est pas ce qui a été convenu avec nos familles.

- Mais on veut s’amuser encore, dit le chef.

- Notre clan ne l’acceptera jamais. Nous sommes jeunes, nous avons une coutume. Nos premiers enfants doivent être Blancs, sinon on sera comme bannies.


Je ne connaissais pas cette coutume. Vu mes cheveux gris, je me dis qu’elle a toujours existé mais qu’elle s’est renforcée avec la consécration de l’esclavage du peuple noir. J’avais entendu dire que les habitants de la côte devenaient des assimilés à la culture occidentale. Mais de là à s’effacer soi-même….


- Moi, je n’accepte pas, reprit N’tangani. Les nègres c’est des sauvages. Mon père m’a dit de me méfier de celui-là, continue-t-elle en me pointant du doigt. Ces gens viennent du Nord, ils sont plus sauvages que les autres, de vrais envahisseurs. Un enfant de lui et on me tue ! Mon enfant doit avoir un père blanc, c’est obligé !

- Un père, reprend le capitaine d’un air éberlué, mais tu en as déjà eu six dans le cul, et ça va continuer.


La fille, comme les autres, hausse les épaules avec désinvolture. Pas de nègre dans le clan. Du moins pour le moment. Les quatre autres matelots ayant fini leurs travaux avec les autres filles se saisissent de N’tangani et de ses compères. Et la tragédie reprend de plus belle sous mes yeux. Dans quelques jours des esclaves occuperont cet espace rempli de sperme, empreinte d’une féminité offerte et auto-mutilée. Un autre outrage à notre martyr indéfini.


Quelques heures plus tard, du pont du bateau, nous les regardâmes s’éloigner. Et dans ma douleur, un sentiment d’hilarité s’empara de moi comme face à une situation ridicule. Sur le tronc du cocotier, d’autres jeunes filles et même des femmes avaient pris la place des précédentes qui disparurent rapidement dans les ruelles de Libreville, gardant sûrement bien au chaud la bénédiction des nouveaux ancêtres. Sur signe du capitaine, les douze femmes quittèrent le tronc du cocotier et se dirigèrent vers le bateau. Quelques-unes nous jetèrent des regards de dégoût en traversant la passerelle. Les deux autres esclaves, comme ressentant mon dépassement de la situation éclatèrent de rire.


- C’est fichu, dit l’un d’eux. Elles viennent chercher les enfants Blancs, ironisa l’autre sans rire. Elles vont pouvoir commander le monde avec ça.


 
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   Anonyme   
29/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Premier commentaire...

J'ai apprécié le style, l'histoire, malgré une gène ressentie... par les mises en gardes au début!
Je m'attendais à plus obscène, plus cru, plus dérangeant (oulà, je ne parle bien entendu pas de l'histoire et des faits qui y sont relatés, mais bien du style!!!) et donc, j'avais un à priori que j'ai du combattre, j'ai donc lu le texte deux fois.

Et ma foi, bien que je l'aurais probablement décrit autrement j'aime le thème, j'aime l'ambiance que tu décris, et j'aurais voulu que les descriptions soient plus longues,plus détaillées...
pour que dans cette horreur il y ait quelque chose qui humanise le récit...

là, et c'est peut-être voulu j'ai eu cette impression que quel que soit le camp, tous les personnages étaient insignifiants, des bouts de viande... tous esclaves de quelque chose, tous perdus dans leurs rôles dont les caractères ne seraient que les grandes lignes : le héros, les méchants, les victimes consentantes...

Ne te méprends pas, mais bien que détestant la larmoyance et pronant le coté brut des sentiments et des récits, j'aurais aimé un peu de sentiment (même le dégout, la haine, la lassitude, l'abattement, quoi que ce soit...) développé...

Voilà j'espère que tu comprends mon point de vue.
Je souhaite encore rajouter que le thème est vraiment quelque chose de difficile à aborder et que contrairement à ta frayeur, (voir avis) je ne décèle ni incitation à la haine raciale ni prise de parti (c'est ce dernier point qui me chifonne, comme un refus de prendre la responsabilité de pencher dans un camp ou dans l'autre, comme le personnage...)

Merci pour cet agréable moment de lecture, au plaisir de te relire.

   Tchollos   
29/6/2008
Un texte sur lequel j'ai un peu de mal à structurer mes idées... mmh... J'adore le thème et la volonté de l'auteur. C'est un texte important. Les textes "témoignages" ou engagés sont peu nombreux mais indispensables. J'ai donc abordé le texte avec bcp d'enthousiasme pour finir un peu déçu. Pourquoi? C'est très subjectif car le texte n'a pas vraiment de défaut. C'est juste que j'attendais plus d'émotion, plus de rage... Plus d'impact... J'attendais un coup de poing, j'ai reçu une mini gifle... Je crois que c'est à cause du parti pris stylistique à la "première personne", très classique.

Super thème, très belle écriture. Perso, j'aurais voulu plus de punch...

   Anonyme   
29/6/2008
Triste époque où l'intolérance est telle qu'un auteur, en préambule, se sente obligé de préciser que "non, mon intention n'est pas de..." et les publicateurs, de mettre un carré blanc ! Pauvre société, tellement frileuse, désormais, et déjà perdue...

Texte bien construit, même si assez nébuleux sur l'un ou l'autre point.... voire (à mes yeux) totalement incrédible !

En effet, outre qu'il me paraît hautement improbable que des esclaves soient, sur ordre de leurs maîtres, revenus en Afrique (le seul cas avéré de retour, à ma connaissance, ce sont d'anciens esclaves fondant le Liberia), je n'ai pas bien perçu quel était le rôle du héros, finalement.

Mais surtout, le fait de choisir délibérément de faire ensemencer des filles de la tribu par des Blancs, aux seules fins d'accaparer leur pouvoir, voilà qui me semble relever de la plus haute fantaisie !

Enfin, l'une ou l'autre incongruité, mais plus secondaires :

L'anglais étant une langue assez tardive en Afrique centrale, le fait qu'un chef coutumier puisse le parler est assez peu probable... surtout dans la région de Libreville, francophone depuis que l'homme blanc y a mis les pieds !

Donc, perso, j'apprécierais vraiment si l'auteur pouvait nous donner plus d'infos sur ces points plus qu'étonnants.

   David   
1/7/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Angoobiang,

La situation de viol permanent dans le voyage du début est un peu contradictoire avec une démarche mercantile qui essaie de limiter les pertes dans sa cargaisons humaines, je crois que la réalité était d'une horreur supérieure d'indifférence, mais l'écoeurement est un moteur de ton récit.

Les visages pâles sont des pantins lubriques tout au long, et l'histoire essaie de parler un peu de ce qui se passait entre peuples et tribus d'afrique de l'ouest, les esclaves ne sont pas des prises de guerre, peut être le fruit d'une chasse, le plus souvent issus d'un commerce établis il me semble.

J'ai bien aimé, je le garde comme une fiction historique, notamment pour la fin, les femmes qui cherchent un père blanc, de façon "mondaine", je veux dire que c'est reconnu dans leur société et que ce n'est pas le fruit d'initiative individuelle.

C'est peut être un peu tôt pour les romanciers et c'est un boulot d'historiens...merde, de journaliste.

   widjet   
19/7/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Avec la mise en garde du début, je m'étais préparé à souffrir...et puis...au final....non. Je ne dirais pas que le texte est tranquille, il est certes un peu cru, mais ce n'est pas franchement insoutenable (pour tout dire ça manque tout de même de puissance et d'émotion). En revanche le récit est assez confus à l'image du héros dont on ne sait que penser. L'étude psychologique du personnage principal aurait pu être poussée davantage. La structure ne m'a pas convaincue non plus....

Déception donc. Mais l'écriture est plus que correcte.

Widjet


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