Je m'appelle Howard Carter, mais mon nom n'a pas d'importance. Je ne suis pas le protagoniste de cette horrible histoire. Je n'en suis que le terrible témoin. J'espère même n'être que l'aliéné créateur de fables tirées d’un esprit malade. Ce que je vais vous raconter va vous paraître très étrange, incroyable, dépassant la raison. Et c'est bien pour cela que je dois coucher tout cela sur le papier : pour retrouver ma raison. Je rencontrai le premier acteur de cette histoire lors d'une vente aux enchères à Providence. Cette dernière concernait un ensemble d’objets ayant appartenu à feu George McArty historien réputé du fait de son grand intérêt (pour ne pas dire obsession) pour les mythologies sauvages. Les artefacts venaient de tous les coins reculés du monde, où des peuplades indigènes vénéraient des panthéons de créatures épouvantables. Très peu soucieux de ces considérations occultes, c’était le travail d’artistes étrangers qui m’avait attiré là. Plusieurs photos des objets, vues dans le journal, m’avaient convaincu de me déplacer. Une horloge en particulier, qui semblait tout droit sortie d’un esprit dément, aurait bien comblé mon désir d’exotisme, mais je n’avais que peu d’espoir de l’acquérir au vu de mes moyens limités. Je me contentai donc d’un œuf en obsidienne gravé de signes kabbalistiques. Ce fut ainsi que je rencontrai Ethan : le funeste acquéreur de cette horloge. Allant le féliciter pour son achat des plus mystérieux, nous débutâmes une conversation fort plaisante où il me demanda si j'étais intéressé pour venir admirer l’étrange pendule lorsqu’elle aurait été livrée chez lui. Surpris, mais très heureux de cette proposition, j’acceptai sans plus y réfléchir. Il prit alors congé me griffonnant l’adresse de son manoir, dans mon vieux carnet, où il m'invitait deux semaines plus tard.
***
Je fus à peine étonné quand j'appris que la demeure d'Ethan se trouvait en Louisiane dans un sinistre marécage prénommé le Bayou du Roi. Mais rien ne m’aurait empêché d’aller voir ce que je prenais à l’époque pour une exceptionnelle œuvre d’art. Je regrette aujourd'hui d'avoir accepté, mais, alors, je ne savais rien de ce qui m'attendait, et de l’atroce nature de l’antiquité. C'est donc avec un certain engouement que je traversai en barque les eaux immondes et pestilentielles, afin d'atteindre le manoir d'Ethan. À mon arrivée, je fus accueilli par Arthur le majordome. Les traits ridés et tirés, il aurait dû prendre sa retraite depuis une éternité au moins. Il était réservé et discret, faisant son travail humblement. Accompagné au petit salon, je fus surpris d’y trouver deux personnes qui m’étaient étrangères. En même temps, Ethan ne m’avait-il pas invité sans rien connaître de moi ? Arthur me présenta Phyllis Hermitage, une vieille dame d’allure austère dans une robe noire à col montant, ses cheveux en chignon bien serré. Elle me lança un regard sévère, et j'eus l’impression détestable, durant une fraction de seconde, que ces yeux sondaient mon âme en profondeur. Enfin, elle esquissa un sourire et vint me saluer. Puis ce fut le tour du professeur Hans Wolfstein, un homme beaucoup plus avenant. Avec un grand sourire il vint me serrer la main chaleureusement tout en se présentant. Aliéniste de profession, il travaillait à l’hôpital Sainte Geneviève depuis huit ans et avait connu Ethan, quelques mois auparavant, pour l’aider à surmonter la perte de ses parents morts lors d’un tragique accident de noyade dans le Bayou. Je sentis tout de suite une certaine animosité entre ces deux personnages. Malgré leur amitié partagée pour Ethan, tous deux avaient une vision très différente de ce qui pourrait faire du bien au jeune homme. Les présentations faites nous nous dirigeâmes vers la bibliothèque où avait été livrée la caisse la veille au soir. Arthur nous laissa sans mot dire. Ethan glissa, avec un sourire en coin, que le pauvre vieux était terrorisé par cette horloge et qu’il refusait tout net de se rendre dans la bibliothèque à présent. Il avait tout fait pour dissuader Ethan d’ouvrir la boîte de transport, lui disant qu’une aura maléfique s’en dégageait et qu’il valait mieux la jeter dans le marais. À l'aide d'un pied-de-biche Ethan et moi fîmes sauter le couvercle en bois vermoulu. Un craquement se fit entendre et une odeur étrange, mélange de renfermé et de temps anciens, s’échappa de la caisse. Après avoir déposé le couvercle, le souffle court, mon regard se posa sur l’horloge. Elle n’avait pas été exposée durant la vente aux enchères. Seule une photo, en noir et blanc, la présentait. La raison officielle avait été que l’objet était trop massif pour la petite salle exiguë et trop fragile pour les nombreuses lampes à huile. Mais, maintenant que je l’avais devant moi, une peur primaire me saisissant, je me demandais si qui que ce soit l’aurait achetée en la voyant ainsi, dans son inconcevable réalité. Imposante avec ses plus de deux mètres de haut, d’un bois obscur et tortueux, elle se composait d’innombrables boursouflures monstrueuses qui donnaient l’impression non pas que l’horloge avait été sculptée mais qu’elle était vivante et atteinte d’une horrible maladie infectieuse. À la manière des illusions d’optique présentées dans les fêtes foraines, l’œil ne pouvait se poser correctement sur l’un ou l’autre de ses côtés sans être détourné par une autre forme semblant bouger à la frontière du champ de vision, forme qui disparaissait dès que le regard se posait dessus. Plus je l’observais, et plus je me disais que l’apparence de l'horloge était au-delà de la compréhension humaine. Cependant, derrière toute cette aversion, je ressentais une incontrôlable attirance pour cet objet. À la fois terrifié et hypnotisé, j’aurais dû fuir à ce moment. Pourquoi ne l’ai-je fait ? Mon corps tout entier se révulsait à la vue de cette chose, alors pourquoi n’ai-je pu échapper aux monstruosités cosmiques qui m’attendaient ? Je n’ai pas eu la force de résister à la fascination et de rentrer chez moi pour oublier cet endroit, ces gens et cette abomination. Au lieu de cela, j’observais la scène qui se jouait devant moi. Ethan était aux anges, un sourire béat sur les lèvres et les yeux emplis d’une lueur d’adoration (je n’eus osé penser « lueur de folie » à l’époque, mais je l’admets maintenant, il devint fou dès que son regard se posa sur l’artefact). Phyllis regardait l'horloge sous toutes ses coutures et demanda à ce qu'on la sorte rapidement de la caisse. Ce que nous fîmes avec l'aide du professeur Wolfstein. Sur pied l'horloge parut encore plus effroyablement imposante. Je ressentis le vertige d'un passant qui se retrouvait pour la première fois devant l'un des gratte-ciel de New York. Après un nouveau tour minutieux de l’objet, Phyllis se mit à fouiller l’intérieur de la caisse en bois :
– Mon cher, je ne trouve pas de clé pour remonter la machine.
Nous fouillâmes de fond en comble la boîte sans résultat. Après quoi nous remarquâmes qu’il n’y avait pas plus de serrure que de clé. Nous finîmes par nous demander si cette horloge en était bien une. Peut-être n’était-ce que l’excentricité d’un artiste fou, trouvant drôle de créer une pendule sortie tout droit de ses cauchemars mais sans aucun moyen de la faire fonctionner. Mais Ethan objecta :
– Je vous assure, mes amis, que cette horloge fonctionne, son puissant tic-tac m’a réveillé cette nuit.
Le docteur lui indiqua gentiment qu’il avait sans doute rêvé. La pendule n’ayant pas servi depuis la mort de son propriétaire elle ne pouvait pas être remontée à son arrivée hier soir. Pourtant, Ethan n’en démordit pas et avec Phyllis ils passèrent une bonne heure sur l’artefact discutant, émettant des hypothèses et les testant les unes après les autres, pendant que le professeur et moi-même entreprîmes une partie d’échec. Arthur vint ensuite nous chercher pour le déjeuner. La plus grande partie de la conversation porta, bien sûr, sur la raison de notre présence à tous. Je ne participai guère, me sentant nauséeux et écrasé par la chaleur humide. J’appris cependant avec surprise que madame Hermitage était une grande praticienne de magie divinatoire et vaudou. Qui sait où une dame de son statut avait appris ce genre de savoirs plus digne des gitans et des Noirs. Mais, après le dessert, elle nous proposa de résoudre l’incompréhensible mystère de l’horloge par la lecture des cartes de Tarot. Le professeur Wolfstein émit un rire sarcastique disant qu’il n’était pas intéressé par ces enfantillages, Ethan le convainquit toutefois de se prêter au jeu le temps d’une séance. Nous nous installâmes dans la bibliothèque. Le professeur un peu à l’écart fumait un cigare, Ethan et moi étions assis en face de Phyllis, elle-même tournée de manière à voir l’artefact. Elle battit le paquet de cartes usées pendant un certain temps, les yeux fermés. Elle nous demanda de visualiser mentalement l’horloge puis de l’imaginer en fonctionnement. Ce que je fis. Un frisson me parcourut dès lors que j’imaginai le pendule se balancer, car je crus percevoir un faible tic-tac. Elle déposa ensuite trois cartes sur le napperon poussiéreux, et parla sur un ton d’outre-tombe.
– Ceci est le Monde. L’horloge est puissante et influence tout ce qui l'entoure.
Sa main ridée pointa la seconde carte :
– La Grande Prêtresse. L’horloge ne livrera pas son secret à n’importe qui. Il lui faut une connexion entre notre dimension et la sienne.
Je sentais Ethan de plus en plus crispé sur sa chaise, se penchant de plus en plus vers l’avant les mains crispées sur les accoudoirs de sa chaise.
– L’Empereur. La personne qui s’emparera du pouvoir contenu dans l’horloge se verra offrir une puissance incommensurable (elle éleva la voix tremblante de tout son corps) : sur d’innombrables réalités il régnera depuis la grande cité de Kadath par-delà le mur du sommeil. (Se levant, maintenant, elle criait presque) De Ulthar à Hatheg et sur la rivière Skaï son nom sera craint et respecté !
Phyllis s’écroula alors à terre dans d’atroces convulsions. Ethan se jeta à terre. Je n’aurais su dire ce qui l’avait le plus déstabilisé : la prédication de la veuve ou bien son évanouissement soudain. Hans Wolstein riait dans sa barbe tout en saluant les talents d’actrice de la dame. Je dus insister auprès de lui pour qu’il consentît à examiner cette dernière.
– Allez donc lui chercher des sels et un verre de whisky, lâcha-t-il avant de retourner près de la fenêtre.
Nous allongeâmes madame Hermitage sur le canapé et la laissâmes en compagnie du professeur Wolstein pour aller chercher un remontant et une serviette fraîche dans la cuisine. Le majordome n’étant pas dans la cuisine, nous mîmes un certain temps pour trouver ce dont nous avions besoin. En retournant vers le hall, nous entendîmes des voix en train de se disputer. Nous accourûmes dans la bibliothèque et nous trouvâmes Hans, avec dans une main le sac de madame Hermitage et dans l’autre une vieille clé d’argent, accusant Phyllis de l'avoir cachée dans ses affaires. Cette dernière, encore faible et à moitié allongée, avait a priori surpris le professeur en train de fouiller ses effets personnels. Nous voyant arriver ils prirent tous deux Ethan à partie. Les voix montèrent, Ethan s’interposa en essayant de garder son calme. Je fus soudainement étourdi. Je secouai la tête, ma vision se troublait. J’entendais toujours la dispute derrière moi quand mon regard se posa sur la fenêtre. Mon cœur s’accéléra. Je marchai hésitant, écartai un peu plus les rideaux. Quel sort impie était-ce là ? Je dus m’y reprendre à plusieurs fois pour attirer l’attention de mes compagnons, ma faible voix eut beaucoup de mal à couvrir les cris. Ils s’approchèrent enfin, intrigués.
– Dehors, dis-je seulement pointant du doigt l’insondable obscurité qui s’étendait par-delà la vitre.
La nuit. La nuit était tombée dehors alors que nous n’étions qu’en début d’après-midi. Nous nous précipitâmes à l'extérieur afin de comprendre ce qu'il se passait. Arthur nous rejoignit alors, nous demandant ce que nous faisions à l'extérieur. Mais comment pouvait-il ne pas se rendre compte du problème ? Il nous regarda avec des yeux d'incompréhension et nous répondit simplement :
– Mais monsieur il est 19 h.
Nous entendîmes alors sept coups macabres provenant de la bibliothèque et résonnant dans la moiteur de la nuit. Il était bien 19 h.
***
– Madame Hermitage il ne s’agit ni plus ni moins d’une hystérie collective. C’est un concept de plus en plus étudié par mes pairs et je vous assure qu’il n’y a rien de mystique là-dedans.
Le professeur Wolstein avait été le premier à recouvrer ses esprits après cet inexplicable saut temporel. Il était maintenant 19 h 30 et nous étions tous autour de la table de la salle à manger à picorer le dîner que nous avait servi Arthur. Après une longue minute d'hébétude passée devant la maison, ce fut la voix du majordome qui nous guida jusqu’au repas. Étrangement, aucun de nous n’essaya d’aller dans la bibliothèque, je n’y jetai même pas un coup d’œil. Je m’assis devant mon assiette, écoutant d’une oreille distraite le flot de paroles incessant de Phyllis. L’artefact avait sans doute des pouvoirs de voyage temporel, s’ils apprenaient à s’en servir cela repousserait les frontières de la réalité actuelle. N’y avait-il pas des livres dans la collection du vieil historien disparu ? Ethan ne s’en souvenait guère mais il promit d’envoyer des lettres dès le lendemain matin. La soupe me semblait fade et j’entendis à peine le professeur argumenter sur son hypothèse d’hystérie collective. Je regrettai enfin d’avoir accepté cette invitation, et je décidai de prendre congé demain à la première heure. La folie suintait des murs de cette maison. La vieille Hermitage et le pauvre Ethan étaient clairement atteints et le professeur restait sans doute motivé par une quelconque curiosité scientifique malsaine. Je n’avais rien à faire ici. Je remerciai Ethan pour son hospitalité et, après lui avoir fait part de ma décision de partir le lendemain à l’aube, j’allai me coucher. Ce sommeil fut le dernier à peu près paisible de ma vie.
Douze coups. À minuit je fus réveillé en sursaut. Dans le manoir raisonna l'horrible cloche de l'horloge. Tout en étant assez similaire pour ne pas avoir de doute sur sa provenance, le son émis en cette heure maudite n'avait pratiquement rien à voir avec les premiers que j’avais entendus. Incroyablement intense, j'aurais pu croire la pendule dans ma chambre. Ce fut d'ailleurs ma première idée à la sortie de mes songes, et mes yeux fouillèrent la pénombre à la recherche de son cadran indéchiffrable. Non. Elle n'était pas là. Pourtant les coups continuaient à faire vibrer ma poitrine. Au quatrième je ne tins plus et décidai de me rendre dans la bibliothèque où nous avions laissé cette horloge dérangeante. Après avoir enfilé chemise et pantalon je descendis l'imposant escalier desservant le rez-de-chaussée où je trouvai le professeur aussi intrigué que moi. Nous pénétrâmes dans cet antre de la connaissance au douzième coup. Ce dernier continua de flotter dans l'air bien plus longtemps qu'il n'est physiquement possible, du moins c'est l'impression que j'eus à ce moment. La veuve Hermitage en chemise de nuit et robe de chambre ainsi qu’Ethan se tenaient devant l'étrange artefact. Ils firent à peine attention à notre entrée, obnubilés qu’ils étaient par leur découverte : la serrure permettant d’accéder au mécanisme et remonter l’horloge. Comment avions-nous pu la louper ? Elle était juste là : entre le cadran et le pendule. Entourée de ces gravures cauchemardesques. C'est alors que je vis madame Hermitage tenant dans ses vieilles mains la clé. Je ne sais pourquoi je fus saisi d’une peur primaire. Il ne fallait en aucun cas introduire cette clé difforme dans la serrure. Ce n'était pas ma logique qui parlait, mais cet impérieux commandement habitait tout mon corps et me clouait sur place. Hans Wolstein dut avoir la même révélation car il se rua sur la vieille pour l’en empêcher. La clé tourna dans le mécanisme. Une lumière d’une couleur indéfinissable s'échappa de l'embrasure. Petit à petit, un rectangle se dessina dans l'espace de la pièce. L’ouverture devenait de plus en plus grande englobant tout d’abord mes deux compagnons puis toute la bibliothèque, tout le rez-de-chaussée, et enfin le manoir entier, atteignant une taille incommensurable. Le professeur Wolfstein prit la fuite. Je n’ai pas honte de dire que j’aurais voulu en faire autant mais mon corps s’y refusait. J’eusse préféré ne pas voir ce qu'il y avait derrière cette entrée croyez-moi, cela me hante jour et nuit depuis. Derrière l'ombre de mes amis se dessinait une incroyable cité cyclopéenne aux dimensions vertigineuses et à l'architecture aussi épouvantable qu’inconcevable. On aurait cru des tours infinies faites de vide plein. Je vis alors ce que je fais tout pour oublier depuis. Tout pour me convaincre que c'était l'air du marais qui m'avait fait délirer à ce moment-là. Cela me retourna l'estomac. L'horreur absolue que je découvris sous mes yeux permit que mes jambes reprissent vie. Je courus alors à travers le Bayou, sautai dans la barque moisie et fuis cet endroit maudit à jamais.
***
Je m’éveillai plusieurs jours plus tard à l’hôpital Sainte Geneviève. Dès mon réveil un médecin me demanda ce qu’il m’était arrivé. Je contai mon histoire mais quand j’arrivai à la nuit funeste mon corps entier se mit à trembler et ma gorge à hurler sans que je pusse faire quoi que ce soit. Je fus alors transféré dans le département psychiatrique. J’y demandai des nouvelles du professeur Wolstein. On m’apprit qu’aucun professeur n’était connu sous ce nom, et que le seul Hans Wolstein de l’hôpital était un patient interné depuis seize ans. Ce fut une révélation qui me laissa dans une catatonie pendant près d’une semaine. Une semaine où je voyais un homme s’enfuir dans la nuit du Bayou, éclairé par une lumière extraterrestre. Au bout de cette longue semaine, je vainquis ma terreur et osai demander ce qu’il en était d’Ethan et Phyllis Hermitage. Tout d’abord, les infirmiers ne voulurent pas me répondre et c’est quand je vis le médecin qu’enfin j’appris la terrible vérité. D’une voix monocorde et détachée, caché derrière la fumée de sa cigarette, après m’avoir étalé tout un jargon psychiatrique, il m’expliqua qu’il n’avait jamais entendu parler d’une Phyllis Hermitage, que le manoir dans le Bayou du Roi était abandonné depuis des années après la noyade tragique du jeune Ethan. Que la police était allée voir et avait uniquement trouvé le vieux majordome de la famille complètement desséché dans un fauteuil de la bibliothèque. Et non il n’y avait aucune trace d’une quelconque horloge dans le manoir. C’est dans mon appartement que la police avait trouvé une ancienne et immense pendule décrépie, ainsi que nombre de coupures de journaux à propos de l’histoire d’Ethan. C’est avec ces faits objectifs que le médecin de l’hôpital concluait à la crise de paranoïa hystérique dont j’avais été victime. Il m’a dit d’écrire l’histoire telle que je crois m’en souvenir afin de me rendre compte que ce ne peut être la vérité. Mon esprit est-il vraiment dérangé ? A-t-il réellement inventé toute cette histoire ? Pourquoi ne puis-je me rappeler l’acquisition de l’horloge ? Je n’aurai sans doute jamais les réponses à ces questions. Je ne les veux pas. Je ne veux pas penser que mon corps ait pu passer dans une autre dimension. Je ne veux qu’une chose, retrouver ma femme et mon fils et oublier cette nuit impie. Oublier que quand mes yeux s'étaient habitués à la lumière derrière cette ouverture ce qu'ils virent me chamboula à jamais. Là, dans la lumière irréelle se tenaient des monstres à l'anatomie indicible, mélange impossible d'un corps squameux recouvert d'écailles et d'une tête de fourmilier. Mais ce qui me fit, enfin, tourner le dos à cette scène, fut le moment où la veuve Hermitage embrassa cette monstruosité, et, lançant un regard vers moi, m'invita à venir les rejoindre.
|