Paul Reboux et Charles Muller ont écrit des « À la manière de… » qui ont eu en leur temps un immense succés. Il n’est pas question d’imiter… les inimitables, mais le jeu est amusant. Je vais m’y essayer.
À la manière de Madame de Sévigné
Lettre à sa fille, la comtesse de Grignan :
Il faut que je vous conte, ma chère, une historiette qui je l’espère vous divertira un peu. Vous savez que le marquis de Cochelutte aime beaucoup avoir à ses côtés la comtesse de Roquebrune. En particulier quand ils sont dans une alcôve. Après un dîner pris en commun, dîner au cours duquel leur fut servi outre quelques autres bagatelles, un tendre chapon dont l’aile se détachait à la première sommation, une côte de cerf à l’armagnac et une blanquette qui fleurait bon les herbes de Provence, Cochelutte et Roquebrune décidèrent de chercher une chambre pour se délasser. Ils la trouvèrent. Ils étaient dans l’activité frénétique du repos à deux, lorsque soudain, la porte s’ouvrit, et nos deux jouvenceaux, virent entrer le Roi suivi par Madame de Maintenon. Vous le pensez bien, nos deux amis, furent ponceaux de honte, cependant que Sa Majesté, un sourire aux lèvres leur dit
- Il semble que dans cette alcôve, le Roi ne soit pas le Maître des lieux. Je vous souhaite bien du plaisir !
Puis, toujours suivi par Madame de Maintenon, le roi sortit, à la recherche d’une autre alcôve moins encombrée.
Voilà ma chère fille ce que je voulais ce jour vous conter et dont la cour se divertit fort.
Votre affectionnée…
À la manière de Jacques Prévert
La montre
Elle tourne la grandeEt la petite aussiPetit à petitElles tournent ensembleEt le soleil les suitEt la terre aussiElles tournent les aiguillesInsensiblesElles cisaillent les secondes, les heuresElles cisaillent les jours de bonheurEt les mois de malheur.C’est par elles,CruellesQue le vent du TempsEst haché dans le Présent,Et recollé dans le PasséEn souvenirs.Ce sont ellesEncore ellesQui créent l’avenirComme elle ont tuéLe PasséComme elles ont brisé le PrésentLe Présent qui est passéComme l’avenir qui passeÀ présentMontre, Ô monstre,RaconteTes méfaitsJe te haisTu as tué ma puretéTu as tué ma PassionTu as tué mes illusions, Et tu t’en fous…Elles s’en foutent les aiguillesElles tournentComme l’âne autour du puits arabe, Comme la Terre autour du Soleil, Comme la Lune autour de la TerreComme le Politicien à tous les ventsElles tournentD’un mouvement bêtePas de fêtePas de bon tempsElles tournentUniformémentAveuglémentBêtementLentement et rapidementElles tournent…Hé bien allez-y tournez !Cassez tout, gâchez toutFoutez-vous de toutDe nousEt puis, moi aussi, je m’en fous.
À la manière de Chateaubriand
Le disque rougeoyant de l’astre de la nuitMonte dans l’indigo du ciel semé d’étoiles, Le poète a senti son implacable ennuiSe couvrir lentement d’un impalpable voile
Les airs sont sillonnés de formes fantastiquesL’aigle et l’orglano blanc, poussés par le zéphyrFormes indistinctes, Ombres fantomatiquesS’enfuient silencieux muant en souvenir
… Et de Pierre Loti
Ouopatou mon amie, grimace à mes côtésElle traque ses puces et les croque gourmandeMon Dieu, qu’elle est jolie, féminine beautéC’est mon profond amour, que son regard quémande
Cette nuit nous ferons tout deux un bel enfantUne fille Homme-Singe qui aura de sa mèreLa beauté absolue aux canons triomphantsEt tout l’esprit puissant de son modeste père
À la manière de… Shakespeare
Le Cocu
Acte Unique
BRISBALE Où est-il ce crapaud visqueuxCe détritus de fausse coucheCe putride chien galeuxQui déshonore ma couche ?
BEAUTYBOY entre en pleurant Tu me cherches, Brisbale ? Dis ! qu’as-tu à me direEn ce jour si fatalOù j’ai perdu le rire
BRISBALE Tu oses devant moiParaître encore ce jourOù sur mon front des boisSont fixés pour toujours !Par tes agissementsDans les cocus de l’arméeJe suis tout bonnement Enrôlé, désarmé.Je vais de tes viscèresHachés et persillésRepaître ma panthère…Mes yeux sont décillés !
BEAUTYBOY Je ne veux plus t’entendre !Être cocu n’est rienSais-tu que notre TendreEst morte ce matin ?
BRISBALE Ah ? Morte ce matin ?Les Dieux m’ont donc vengéPrenant cette catin…S’ils veulent vendangerPour les aider je vaisToi aussi te tuer
Brisbale plonge son poignard dans le ventre de Beautyboy, arrache toutes les tripes, les découpe en morceau dans un chaudron.
BRISBALE Je vais pour ma panthèreAgrémenter le metsEt de tes yeux perversAjouter le fumet
Brisbale désorbite les yeux de Beautyboy et les jette dans la marmite, puis tombant dans la démence, il s’écrie :
Voilà justice est faite !Cocu plus ne seraiFaisons donc tous la fête !Au Paradis j’irai !
Brisbale éclate d’un rire dément et se met à danser autour du corps de Beauty Boy, pendant que le rideau tombe.
FIN
|