Arrivé la veille à Douala, j’ai passé une excellente nuit dans ma chambre de l’hôtel des Cocotiers, bercé par le ronronnement du climatiseur. Je téléphonai pour avoir mon petit-déjeuner dans ma chambre. Je voulais profiter au maximum de cette calme ambiance, agréable, de la climatisation particulièrement appréciable ici, où la chaleur humide de l’extérieur est difficile à supporter. Je sais que la journée sera dure, peut-être pas dangereuse, mais sait-on jamais ? Il y a 12 ans que je travaille pour le 2e Bureau Français et je suis payé (assez mal d’ailleurs) pour savoir que dans mon activité les situations délicates peuvent surgir à n’importe quel moment. Or, j’étais aux basques d’un assez gros morceau et j’avais tout lieu de penser que je n’étais pas le seul... Ce qui était source de complications. Mon déjeuner terminé, avec un soupir de regret, je quittai ma chambre... et ma tranquillité d’esprit. Les choses sérieuses allaient commencer. J’avais rendez-vous à 10 heures, près de la piscine de l’hôtel, avec un représentant de l’ambassade de France qui, comme moi en fait, travaille pour le colonel Dubois.
Vous connaissez tous le colonel Dubois et je n’ai aucun scrupule à révéler son nom puisque Pierre Nord l’a fait avant moi. J’étais hier matin dans son bureau et il m’avait donné ses dernières instructions :
- Pierre, je ne sais pas si je vous offre un voyage d’agrément ou si la piste que nous suivons est sérieuse… - Mon colonel, je serais surpris que vous m’offriez un voyage d’agrément d’après les éléments que vous m’avez fournis hier, nous le savons vous et moi. - Ce que je voulais dire c’est qu'Hussein Hussein, que vous allez rencontrer, n’est peut-être que du menu fretin. - Du menu fretin ? Il y a 99 chances sur cent pour qu’il soit à la base de ce projet d’attentat dans le métro parisien. - Hé bien voilà. Vous venez de le dire : ce n’est pas une certitude... Mais ne perdons pas notre temps en discussions oiseuses. - Le lendemain de votre arrivée, vous rencontrerez Sabatier, attaché commercial à l’Ambassade de France... et qui travaille un peu pour nous. - Il a trois hommes qui sont chargés par roulement de surveiller Hussein Hussein, 24 heures sur 24. Nous l’avons "logé" depuis 3 jours et Sabatier vous tiendra au courant de ses faits et gestes avec précision. Bien entendu, Hussein Hussein est "sous bretelle" ( note de l’auteur : son téléphone est sur écoute) et il semble être souvent en contact avec un imam de la banlieue parisienne, à Villeneuve-la-Garenne. Ils utilisent des expressions qui paraissent anodines mais qui semblent bien être des codes... Enfin, vous verrez ça avec Sabatier. Nous aurons une vacation radio chaque jour à 19 heures. Sabatier vous fournira un appareil émetteur receveur et les armes que vous désirerez. - Cette mission, Pierre, est peut-être très importante et le paramètre temps sans doute primordial, car je sens que leur attentat est prévu pour bientôt. Et puis pour être franc, il y a un élément qui m’amène à le sentir : nous sommes le 15 janvier or, lors d’une conversation entre Hussein et l’imam, par deux fois il a été question de 26-1, noyé dans une phrase qui n’avait rien à voir avec une date, mais cela pourrait correspondre au 26 janvier. Voici vos papiers, vous êtes représentant de la Compagnie Commerciale du Cameroun, la C.C.C. et vous vous appelez Marc Ariste.
ooOOOoo
À 10 heures, j’étais à une table sous un parasol, près de la piscine. Il faisait une chaleur étouffante et je buvais mon premier Baby Whisky and soda de la journée. Un homme d’une trentaine d’années à la carrure d’athlète vint devant moi. - Vous êtes Marc Ariste, sans doute ? - Parfaitement. Comment m’avez-vous reconnu ? - C’est très simple : vous êtes la seule personne que je ne connaisse pas. - C’était simple en effet. Asseyez-vous. - Merci. J’ai du nouveau. Et c’est du tout frais. Je n’ai pas encore mis le colonel au courant - Ah ? Je vous écoute. - Justement, à propos d’écoute. Vous savez sans doute que nous écoutons les conversations de Hussein Hussein. Or, il y a moins d’une heure, Hussein Hussein a appelé un numéro en Syrie. Il a demandé : - Ibrahim ? - Oui. - Tout est Ok. Moins dix. Et il a raccroché. - Cela semble confirmer la date du 26 janvier, puisque nous sommes le 16. - Cette information est intéressante, mais que se passera-t-il le 26, et où ? - Je reconnais que nos connaissances sont succinctes. Il y aura un attentat à Paris dans le métro. C’est vague. - Nous avons sous la main quelqu’un qui sait : c’est Hussein Hussein. Nous pouvons le kidnapper et le faire parler. Qu’en pensez-vous ? - Je pense que nous devons conserver cette solution pour le dernier moment, si nous n’avons pas d’autres solutions. En effet, si nous le capturons maintenant, d’une part nous ne sommes pas certain qu’il parlera, d’autre part, même s’il voulait parler, il n’est pas sûr qu’il connaisse tous les détails de l’opération. Vous savez que le cloisonnement est largement utilisé dans les milieux islamiques, enfin, et surtout, nous risquons de les mettre en éveil et si nous ne pouvons pas "coxer" les têtes pensantes, les attentats seront peut-être simplement retardés. Nous devons donc essayer d’en savoir plus sans qu’Hussein Hussein se sente découvert. À ce propos, êtes-vous certain que vos bonshommes chargés de la planque soient assez discrets. Il ne faut à aucun prix que H.H. puisse avoir la puce à l’oreille. - Ce sont des pros. D'ailleurs, vous aurez l’occasion de les voir à tour de rôle, vous les jugerez vous-même. - Bien. Je suppose que vous avez tous les enregistrements de conversations téléphoniques. Je veux les entendre avant toutes choses. - Ok. Je vais partir le premier. Voilà une adresse.
Sabatier donna un bristol à Pierre.
- Je vous y attends... disons dans une demi-heure. Ça colle ? - D’accord !
L’adresse notée sur le bristol était celle d’une épicerie à proximité de la Poste. Il y avait 5 ou 6 clients à l’intérieur. À peine entré dans la boutique, une jeune femme vint vers moi et me dit : - Nous en avons dans la réserve. Si vous voulez bien me suivre ? Ce que je fis immédiatement . Nous avons emprunté un long couloir puis un escalier qui menait à un petit appartement où se trouvait Sabatier qui nous présenta l’un à l’autre. - Hélène, je vous présente Marc. Marc, c’est Hélène qui travaille à l’épicerie, mais avant tout, pour nous.
Nous nous sommes regardés longuement Hélène et moi. Bon sang, quel charme possédait cette femme ! Par la suite, j’ai constaté qu’elle était admirablement faite, mais sur le moment je ne vis que des yeux noirs nimbés d’une tristesse qui me serrait le cœur. Cette femme avait dû et devait encore souffrir mais Sabatier ne me laissa pas le loisir de contempler davantage cette émouvante personne.
- Voilà les enregistrements. Il y a eu en 4 jours, 12 communications. Hussein Hussein a reçu 8 communications et en a donné 4. Toutes les conversations sont en français sauf la dernière qui venait de Damas et s’est déroulée en arabe. Vous les écoutez maintenant ? - Non. Je vais d’abord dire ce que je sais sur cette affaire puis vous me direz si vous avez des renseignements complémentaires. Enfin, nous écouterons les enregistrements. Tout a commencé par l’arrestation d’un jeune pyromane qui mettait le feu à une voiture à Stains. Lors de son interrogatoire il a dit «qu’il savait des choses importantes», mais qu’il ne parlerait que si on lui assurait l’impunité. Il a fini par dire qu’il s’agissait d’un projet d’attentat. C’est comme ça que ce jeune délinquant s’est retrouvé devant le colonel Dubois. Il ne tarda pas à vider son sac. Ce jeune garçon habite dans "une barre" à Villeneuve-la-Garenne. Il a pour voisin un Hussein Hussein, qui reçoit beaucoup de monde, et en particulier un imam localement assez connu. Il avait entendu une conversation entre ces deux hommes où il était question de «réaliser» un attentat à Paris dans le métro, en janvier prochain. Cette conversation a eu lieu en septembre, il faisait très beau temps, les fenêtres étaient ouvertes et c’est ainsi qu’il avait pu entendre cette conversation. L’iman avait dit «qu’il fournirait le matériel début janvier, pour l’opération dans le métro». Mais il n’a pas précisé de quel matériel il s’agissait. Le colonel a placé Hussein et l’imam sous surveillance et le seul élément qu’il a pu recueillir, c’est que l’imam était en contact avec un ingénieur d’une société de produits chimiques. Il est probable que c’est cet ingénieur qui fournira le produit (explosif ? gaz toxique ?) qui sera utilisé lors de l’attentat. Lorsque Hussein Hussein a pris un billet pour Douala, le "Vieux" a décidé de m’envoyer ici. Pourquoi ce terroriste vient-il à Douala avant l’attentat ? Nous n’en savons rien. Avez-vous des lumières à ce sujet ?
C’est Hélène qui me répondit :
- Je n’ai aucune certitude mais il est possible et même probable qu’Hussein Hussein soit venu ici pour prendre contact avec Moulay Idriss qui travaille à l’ambassade de Syrie à Yaoundé, mais qui est avant tout un membre du "Serpent vengeur" ; une organisation qui a déjà plusieurs attentats à son actif, notamment à Nairobi et en Égypte. C’est ce groupuscule qui engage, forme, et endoctrine de jeunes kamikazes. Il est donc probable que l’attentat projeté à Paris sera l’œuvre d’un, deux, ou plusieurs kamikazes. - Et ce "Serpent vengeur" aurait son camp d’entraînement à Douala ? - Non. Pas à Douala même, mais à N’kongsamba, la capitale Bamiléké, au pied du mont Cameroun. - Puisque vous semblez avoir situé ce camp d’entraînement, que savez-vous à son sujet ? - En fait de camp d’entraînement, ce sont deux cases où logent dans l’une 3 instructeurs et dans l’autre, 4 ou 5 "élèves" qui font des séjours de 3 à 4 mois, avant de partir... définitivement pour réaliser l’attentat pour lequel ils ont été programmés. Or, les "stagiaires" actuels, au nombre de 4, sont là depuis plus de trois mois. Il est certain qu’ils sont opérationnels. Monsieur Sabatier m’a chargée de surveiller ce camp et j’ai deux collaboratrices, des femmes Bamilékés, qui sont sur place et me tiendront au courant dès qu’un départ sera prévu. Je vais vous demander de m’excuser, je vais devoir retourner au magasin. - D’accord. Je reste un moment avec Sabatier. Il faudra que je vous voie pour vous tenir au courant de nos décisions. Dînons ensemble ce soir, voulez-vous ? - Normalement je ne vous connais pas. Vous êtes un simple client de l’épicerie. À ce propos, en partant il serait bon que vous m’achetiez quelque chose... pour justifier votre présence. Pour nous voir le plus discrètement possible, venez chez moi à 20 heures. Sabatier vous indiquera l’entrée à l’arrière de la maison. À ce soir !
Une fois Hélène sortie, je ne pus m’empêcher de poser quelques questions au sujet de notre collaboratrice.
- Êtes-vous certain qu’Hélène est fiable à 100 pour 100 ? La connaissez-vous depuis longtemps ? - Son mari était mon camarade d’enfance. Il était consul de France à Damas. Il a eu "un accident de voiture" en allant au Liban, il y a 8 mois. En fait c’était un sabotage des freins. Nous savons sans pouvoir le prouver vraiment que cet attentat a été commis par le "Serpent vengeur". Cela doit répondre à votre question sur la fiabilité d’Hélène - On voit que cette femme a souffert et souffre encore. Elle était très amoureuse de son mari ? - Il faut que je vous parle de ce problème, bien que nous soyons dans le domaine des hypothèses. Hélène était très amoureuse de son mari, qui de son côté semblait moins attaché à elle. Lorsqu’il est mort, elle a été extrêmement malheureuse… Mais elle l’est encore plus aujourd’hui. Je vous l’ai dit, nous sommes dans le domaine des hypothèses mais en mettant de l’ordre dans les papiers de son mari elle s’est rendue compte qu’il avait de curieux rapports avec une autre organisation terroriste intitulée «Les Vrais Musulmans». Je me suis renseigné auprès du colonel Dubois. Le mari d’Hélène ne travaillait pas pour nous… Alors… les hypothèses les plus graves peuvent être envisagées. Le colonel m’a donné son accord pour qu’elle travaille avec moi. Mais la pensée que son mari trahissait son pays la mine et elle est affreusement triste. - Bien. Revenons à notre problème de base. Nous connaissons plusieurs maillons de cette chaîne terroriste, Hussein Hussein, L’imam de Stains, Moulay Idriss, 3 instructeurs et 4 kamikazes en formation. Il faut rapidement que nous déterminions : 1/ Quel est l’élément faible de cette chaîne ? Il y en a forcément un. 2/ Si cet élément peut nous fournir les précisions que nous cherchons, à savoir : a/ Où et quand doit avoir lieu l’attentat ? b/ Quel sera l’explosif ou le produit utilisé ? c/ Si possible, quels sont les commanditaires ? Nous allons nous partager la tâche. Je vous demande de réunir tous les renseignements qu’il vous sera possible sur Moulay Idriss. En particulier a-t-il des points faibles ? (le jeu, l’alcool, les femmes, etc.) Moi je vais m’occuper d'Hussein Hussein. Je demanderai ce soir à Hélène et ses deux collaboratrices de glaner le maximum de renseignements sur les trois instructeurs et les 4 kamikazes. Vous allez m’expliquer comment aller chez Hélène par la porte à l’arrière de la maison, je lui donnerai sa mission, ensuite nous ne nous reverrons plus durant trois jours. Rendez-vous, ici le 19 à 15 heures. Vu ? - D’accord !
Sabatier m’expliqua comment aller chez Hélène, puis, en partant par le magasin, j’ai acheté une bouteille de whisky, un rasoir à main et de la mousse à raser avant de rentrer aux "Cocotiers".
Au restaurant de l’hôtel, j’avalai un repas de cuisine internationale, servi par des garçons aux tenues chamarrées rouges et blanches... et pieds nus. Ce qui surprend la première fois. Après une merveilleuse sieste dans ma chambre climatisée, je décidai d’aller roder près de chez Hussein Hussein. Je n’eus aucune peine à repérer l’homme mis en planque par Sabatier. Il faisait les cent pas devant le domicile d'Hussein... Je me mis derrière un fromager au tronc déjà imposant et lorsque "le pro de la planque" vint vers moi, je lui fis signe de venir me rejoindre. Bien que manifestement surpris, il vint derrière le fromager.
- Félicitations, jeune homme. Pour un pro de la planque, chapeau. On vous voit comme une mouche dans une tasse de lait. Vous pouvez aller rejoindre Sabatier et prévenir vos deux collègues que la surveillance est levée. Si Hussein ne s’est pas aperçu qu’il était sous surveillance, c’est qu’il est le dernier des crétins ! - Mais… mais… mais… - Oh, inutile de bêler ! Vous faites assez la bête sans parler. Regardez votre montre. Vous allez rester dix minutes derrière cet arbre et vous partirez ensuite. Je ne veux pas qu’en plus, Hussein sache que nous avons, vous et moi, partie liée. À propos, il loge où Hussein ? - Au premier. Appartement de gauche. - Ok. Restez ici 10 minutes montre en main et puis allez dire à Sabatier qu’il vous offre des cours de filature et de planque. Allez !
Je sortis de derrière le fromager, et je réfléchis tout en marchant (Oui, la nature généreuse m’a conçu pour que je puisse faire deux choses en même temps) Hussein Hussein se savait repéré, c'était certain. Je décidai de foncer.
Arrivé derrière la porte de l’appartement d’Hussein, j’entendis de la musique arabe. Il était certainement là. Je sonnai. La musique fut coupée et plusieurs secondes s’écoulèrent. L’examen qui dut avoir lieu à travers le judas avait dû m’être favorable car la porte s’ouvrit.
- Bonjour. Vous êtes Monsieur Hussein Hussein ? - Oui. C’est à quel sujet ? - Je ne puis vous le préciser sur un pas de porte.
Il hésita un moment puis s’effaça pour me laisser entrer.
- Vous connaissez mon nom. Je n’ai pas le privilège de connaître le vôtre. - Je suis Marc Ariste. Je travaille à la C.C.C. - Je ne pense pas être en affaires avec cette société. - Aussi n’est-ce pas pour cette société que je suis venu vous voir. Permettez-moi une question, Monsieur Hussein Hussein. Pourquoi n’aimez-vous pas la France ? - Mais... qui vous dit que je n’aime pas la France ? - Si vous aimiez la France, vous ne prépareriez pas un attentat dans le métro de Paris. - Qui vous a raconté cette sornette ? - Vous possédez bien notre langue Monsieur Hussein Hussein. Cependant, je répète ma question : pourquoi préparer un attentat contre des Français si vous ne les détestez pas ? Or vous savez que la France entretient d’excellents rapports avec de nombreux pays arabes. Nous avons essayé d’éviter la guerre avec l’Irak. Dans le problème israélo-palestinien nous sommes partisans de la constitution d’un état palestinien. Alors ? Pourquoi tant de haine ? - Mais je vous assure. - Écoutez, je vous ai parlé franchement. Faites-moi l’amitié d’en faire autant. - Asseyez-vous, Monsieur Ariste. Je ne comprends rien à ce que vous me dites. - Vous croyez que je bluffe ? Que je plaide le faux pour savoir le vrai ? Détrompez-vous. Nous savons beaucoup plus de choses que vous ne pouvez le croire. Comment et quand vous allez procéder. - Si vous savez tant de choses et pour autant qu’elles soient exactes, pourquoi venir m’en avertir ? - Parce que bien souvent des actes graves et irréversibles sont commis à la suite d’un simple malentendu. Nous ne sommes pas anti-arabes, vous le savez. Alors dites-moi franchement quel est votre problème ? - Votre attitude n’est pas celle des services secrets. - Et vous les connaissez bien, n'est-ce pas ? - ... et puisque ce ne sont pas les méthodes ordinaires, j’en conclus que votre venue ici est une initiative personnelle. - ... et qu’il suffirait de me supprimer n’est ce pas ? Non, Monsieur, je ne suis pas un enfant... ni un franc-tireur. De notre côté, tout est sous contrôle. Je ne pourrai prolonger notre entretien au-delà d’une demi-heure sans que toute votre petite affaire... et vous-même, soyez détruits. Alors je vous en prie. Soyons sérieux. - Mais enfin que voulez-vous ? - Je veux en premier lieu pouvoir avoir confiance en vous. Avouez que jusqu'à maintenant vous n’avez rien fait pour cela. Je veux que vous me disiez ce que je sais déjà, que vous me prouviez par là que vous ne me cachez rien. Et si la confiance s’installe entre nous, je vous ferai une proposition. - Monsieur Ariste, vous êtes un homme sympathique, mais je ne comprends pas la moitié de ce que vous me racontez... - Vous n’en comprenez pas la moitié, mais... vous ne pouvez comprendre l’autre moitié sans être concerné par le problème qui m’amène ici. - Je n’ai pas l’intention de discutailler avec vous. J’ai cru comprendre que vous avez des amis qui vous attendent… ne les faites pas…poireauter (je crois que c’est le mot n\'est-ce pas ?) - Vous possédez parfaitement notre langue, je l’avais déjà constaté. Quel dommage - surtout pour vous - que vous refusiez une discussion franche. - Des menaces, Monsieur Ariste ? N’oubliez pas que le Cameroun est un état indépendant. Vous n’êtes plus chez vous ! - Ah ? C’est à cause de notre ex-colonialisme que vous nous détestez. - Je ne déteste pas les Français. Maintenant si vous voulez bien me laisser. - Je m’en vais. Mais c’est dommage... pour vous.
Une fois sorti de chez H.H., je me dirigeai vers la Poste pour téléphoner à Sabatier. Je le mis au courant en quelques mots en lui demandant surtout d’enregistrer toutes les communications d’Hussein. En fait, je me demandais si je n’avais pas fait une grosse bêtise en allant voir Hussein qui n’avait pas été déstabilisé par mon initiative. Avant d’aller chez Hélène je sus qu’Hussein avait passé coup sur coup 3 coups de fil aussitôt après ma visite chez lui. Dont 2 en arabe. C’est Hélène qui faisait les traductions de l’arabe et les enregistrements allaient lui être portés. À 20 heures j’entrai dans la villa d’Hélène par une petite porte qui ouvrait sur le jardin à l’arrière de la maison (qu’on appelle la case, même si elle est construite en dur).
J’eus en la voyant la même impression que la première fois. Je n’avais jamais rencontré une femme au charme plus prenant et dont la tristesse me donnait envie de la prendre dans mes bras. Faites-moi la grâce de penser qu’il n’y avait pas simplement une attirance sexuelle, mais quelque chose de plus profond, de plus "entier" si vous voyez ce que je veux dire. J’ai ressenti un bonheur intense lorsqu’en me voyant elle eut un sourire qui effaça un instant ce voile de tristesse qui semblait l’entourer. Elle me fit entrer dans un salon élégant dans l’agencement duquel, l’on voyait "la patte" d’une femme de goût. Hélène me dit immédiatement qu’elle venait d’écouter les trois conversations d'Hussein qu’elle avait reçues.
- Voulez-vous les écouter ? Je vous traduirai les 2 conversations en arabe. - Oui, bien sûr il faudra les écouter, mais j’ai la conviction que nous ne trouverons rien d’intéressant. Hussein Hussein se savait observé et en vieux renard il se doutait certainement qu’il était sur écoute. Les conversations téléphoniques ne nous apprendront rien et peut-être même auront pour but de nous lancer sur de mauvaises pistes. J’ai pris cette après-midi une initiative qui, soit est une grosse bêtise, soit va peut-être nous aider. L’avenir nous le dira.
Je racontai ma visite à Hussein et je restituai avec le maximum de précisions et de fidélité notre conversation. Ayant terminé mon compte rendu, j’attendai qu’Hélène me fasse une observation sur l’erreur que j’avais peut-être commise.
- Marc est-il votre vrai prénom ? - Mais... pourquoi me demandez-vous ça ? - Parce qu’il ne vous va pas... Excusez-moi... c’était hors de propos... Il est certain que la visite que vous avez rendue à Hussein sort des méthodes habituelles... mais justement parce que c’est inhabituel, ils vont peut-être, en face, réagir eux aussi d’une façon inhabituelle… - Vous pensez à quelque chose en particulier ? - Oui. Ils savent que vous connaissez beaucoup de choses mais ils ignorent quoi précisément. La plus élémentaire prudence les amène à changer leurs plans. Ils ne peuvent plus agir comme si vous n’étiez pas intervenu. C’est déjà un résultat appréciable. - Merci de me réconforter un peu. Mais notre problème est déplacé sans être résolu. - Que croyez-vous ? Que vous allez tout seul régler dans le monde le problème du terrorisme ? Je crois comme vous-même que l’attentat prévu sera au moins retardé. C’est toujours ça de pris. Avez-vous prévenu Paris de votre contact avec Hussein ? - Non. Je n’ai pas demandé à Sabatier l’émetteur récepteur qu’il doit me fournir.
Hélène hésita un instant.
- Si vous le voulez, vous pouvez le faire d’ici. Je suppose que si le colonel vous a confié cette mission c’est qu’il a confiance en vous. Je ne peux faire moins que lui. Je dois donc vous dire que je suis la filleule du colonel, que je travaille avec son service depuis 5 ans et que... Je ne m’étais pas aperçue que mon mari travaillait, lui, pour un groupe islamiste... ce qui m’a démolie plus que sa mort même... Voilà. J’ai moi-même un émetteur récepteur, si vous le voulez, je sais ou vous pouvez toucher le colonel à cette heure-ci.
À vrai dire, je n’étais pas pressé de tenir le colonel au courant... et de me faire engueuler…mais après tout, un peu plus tôt, un peu plus tard…
- Soit ! Allons-y.
Pour un problème d’antenne, le poste était dans le grenier. En quelques minutes Hélène eut le colonel Dubois, me passa l’appareil et redescendit par discrétion dans la salle de séjour. Je fis au colonel un compte rendu de tout ce qui s’était passé : la surveillance un peu trop voyante, ma décision de foncer chez Hussein Hussein et la conversation que nous avons eue. Lorsque j’eus fini, le colonel resta plusieurs secondes silencieux, puis à ma grande surprise me dit :
- Vous avez sans doute bien fait. Un coup de pied dans la fourmilière amènera une agitation qui pourra, éventuellement, nous être profitable. Je vais renforcer la surveillance de l’imam et de son ingénieur fournisseur. En ce qui concerne les kamikazes, ils ne doivent en aucun cas quitter le Cameroun. Vous devez les en empêcher par tous les moyens. Je dis bien : par tous les moyens. Tenez-moi au courant demain.
Je redescendis dans la salle de séjour. La climatisation ronronnait doucement, Hélène avait préparé l’apéritif et les amuse-gueule (oui, amuse-gueule est invariable… j’ai vérifié sur le dico). Elle portait une robe moulante et… mon Dieu que cette femme est belle ! et comme elle me semble destinée, je le sais.
- Alors, Marc... - Comme ce prénom vous va mal - je parie que mon parrain n’est pas mécontent de ce que vous avez fait. - Exact. Il pense que donner un coup de pied dans la fourmilière peut avoir des effets bénéfiques. Espérons qu’il voit juste et que je n’aurai pas à regretter mon initiative. Le Vieux, (pardon, le colonel) tient absolument à ce que les kamikazes soient sous contrôle. Ils ne doivent en aucun cas quitter le Cameroun. Pouvez-vous me parler de vos 2 collaboratrices qui sont à N’kongsamba. - J’ai une confiance absolue en elles. Elles ont réussi à se faire embaucher, l’une comme femme de ménage, l’autre comme cuisinière par Moulay Idriss. Elles savent parfaitement jouer les braves filles pas très futées alors qu’elles sont très intelligentes et loin d’être incultes. Elles logent ensemble et je peux les toucher le soir après 22 heures. Si vous désirez leur parler, vous pourrez le faire tout à l’heure. - Oui. Il faudra les prévenir de redoubler d’attention… et de précaution. En face, ils savent que nous avons connaissance de beaucoup de choses et ils vont soupçonner un peu tout le monde. Qu’elles soient très prudentes !!
(J’avais entrepris de vous raconter cette Alerte Rouge et je ne pense pas que mes problèmes personnels puissent vous intéresser. Il est donc inutile que je reprenne ici les longues discussions que nous avons eues, Hélène et moi, au cours desquelles nous faisions connaissance, moi, avec ravissement et elle, ma foi avec un certain plaisir, je me plais à le croire.)
Vers 22 heures 30, Hélène prit contact avec ses deux collaboratrices et me présenta à elles. Une information me sembla particulièrement intéressante. Elles avaient remarqué que sur les 4 kamikazes, 3 d’entre eux, parfaitement endoctrinés, se faisaient une joie de donner leur vie pour leur Cause. En revanche, le 4e était de plus en plus perturbé à l’approche du sacrifice suprême.
La cuisinière, collaboratrice d’Hélène, avait pu converser avec ce dernier. C’est le neveu du grand chef et sa présence parmi les kamikazes était celle d’un "volontaire désigné". Son oncle ne lui avait pas demandé son avis. Il lui semblait normal qu’un jeune garçon de sa famille puisse bénéficier de l’honneur de servir La Cause. Mais Ali, le neveu, se sentait de moins en moins la vocation de martyr. C’était peut-être là le maillon faible de la chaîne que je cherchais. Autre nouvelle apportée par les jeunes femmes : l’un des instructeurs devait venir demain à Douala. Il est probable qu’il vienne pour aller chercher les billets d’avion pour la France. Je leur demandai de nous prévenir dès que l’instructeur partirait de N’kongsamba et de nous préciser les caractéristiques du véhicule utilisé. Il fallait absolument qu’on le prenne en filature à son entrée à Douala, pour vérifier si l’hypothèse de l’achat des billets se confirmait.
La vacation radio terminée je restai encore quelques minutes avec Hélène avant de rentrer aux "Cocotiers", d’où je téléphonai à Sabatier. Je lui ai demandé d’organiser la filature d’un véhicule dont je lui donnerai les caractéristiques et l’heure approximative d’arrivée à Douala, dans la matinée du lendemain. Il avait été convenu que je viendrai chez Hélène vers 9 heures pour attendre les renseignements concernant la venue de l’instructeur. C’est vers 10 heures 30 que nous avons reçu l’appel de N’kongsamba.
- Le véhicule était une Opel corsa qui était partie à 10 heures 25.
Je donnai aussitôt le renseignement à Sabatier qui avait disposé un premier guetteur à 10 km de Douala, un autre à l’entrée de la ville et 3 autres à proximité des lieux où des billets d’avion pouvaient être vendus. Tous bien entendu étaient munis de portables. Nous n’avions plus qu’à attendre. C’est ce que nous avons fait Hélène et moi. Elle me racontant sa vie, l’amour qu’elle avait eu pour son mari, son désespoir à sa mort et l’affreuse désillusion lorsqu’elle s’était rendue compte que cet ancien consul de France avait trahi son pays. De mon côté, je lui racontai surtout mon enfance en Provence et j’essayai de me montrer discret sur mon activité professionnelle... Vieux réflexe que je trouvais d’ailleurs idiot car ma confiance en elle était pratiquement totale. Nous avons appris dans la journée, tout d’abord que l’instructeur avait effectivement acheté 5 billets à destination de Paris pour le surlendemain soir, puis la cuisinière de N’kongsamba nous dit qu’elle avait eu une nouvelle conversation avec Ali, qui savait que le départ pour la France était proche et qui semblait extrêmement perturbé. Je décidai d’aller le lendemain matin à N’kongsamba, pour tenter d’entrer en contact avec "le maillon faible".
Il était en effet urgent de passer à l’action, puisque le colonel Dubois m’avait intimé l’ordre de ne pas laisser les kamikazes sortir du Cameroun. Je suis d’ailleurs entré en contact radio avec mon chef et la vacation radio a duré plus d’une heure durant laquelle nous avons mis au point un plan d’action et envisagé plusieurs hypothèses, ainsi que notre exfiltration.
Nous avons eu, Hélène, Sabatier et moi, une réunion au cours de laquelle nous nous sommes réparti les taches. Sabatier devait s’occuper de Moulay Idriss (dont nous ne savions pas très exactement le rôle qu’il jouait dans cette affaire, mais il en jouait un) et Hussein Hussein. La mission de Sabatier était simple à définir, plus difficile à réaliser. Il devait capturer les deux hommes impérativement dans la journée d’après-demain et les amener sur la route de N’Kongsamba à Dschang, à 20 km de N’Kongsamba et à 16 heures. Il avait pour réaliser sa mission, 6 hommes à sa disposition sans compter "l’œil" que nous possédions à l’ambassade de Syrie et qui devait jouer un rôle important.
Le lendemain matin, Hélène et moi prenions la route de N’Kongsamba après avoir chargé des matériels divers... La cuisinière étant aux fourneaux, nous avions rendez-vous avec la femme de ménage à 11 heures dans une case où elles habitaient située à 300 mètres du camp de kamikazes. La cuisinière avait eu le matin même une troisième discussion avec Ali. Ce dernier était de moins en moins emballé par sa mission suicidaire… et semblait prêt à saisir toutes les occasions de sortir de l’engrenage implacable qui l’amenait vers le sacrifice suprême. Pour se rencontrer ils avaient mis au point une méthode. Les WC étaient situés dans un petit édicule à l’extérieur et commun aux deux cases. Le rendez-vous manquait de romantisme, certes, mais c’était la seule façon de ne pas alerter les autres. Je notai cette disposition des lieux qui pouvait nous servir. Pensant que je voudrai sans doute prendre contact avec Ali, il avait été convenu entre la cuisinière et ce dernier, qu'il viendrait aux WC à 15 heures. En attendant cette entrevue, j’ai longuement étudié le terrain, sans trop m’approcher des cases et à l’aide des jumelles je pus me faire une idée très précise de la configuration des lieux . J’examinai attentivement les ouvertures des deux cases et la situation des WC par rapport aux deux habitations. De mon entrevue avec Ali dépendait le déroulement de l’opération que je projetais. Dès 14 h, le temps de constater que nous pourrions facilement discuter, lui à l’intérieur, moi à l’extérieur. J’avais simplement écarté des branchages pour cela. Dès qu’il referma la porte des WC, je m’adressai à lui :
- Ali, tu le sais, vous devez partir demain soir pour la France. Tu sais que tu ne reviendras pas vivant de cette mission. Je peux te sauver. Le veux-tu ?
Je savais qu’Ali, de nationalité marocaine, parlait fort bien le français et j’en eu confirmation :
- Si vous pouvez me sauver, je suis prêt à faire ce que vous me direz. - Écoute bien : je te demande deux choses et je me charge du reste. Il faut en premier lieu que tes compagnons ne se doutent de rien. Ils ont dû remarquer qu’avant l’action tu hésitais un peu. Il ne faut pas que tout d’un coup tu aies l’air soulagé. Il faut que tu paraisses préoccupé mais bien décidé à accomplir ton devoir. C’est très important. Pourras-tu jouer ce rôle pendant 24 heures ? - Je crois que je pourrai. Mais quelle est la deuxième chose ? - Celle là est très simple. Il faut que demain, au cours du repas, tu t’absentes pour venir aux WC. À 12 heures 30. C’est tout. Mets ta montre à la même heure que la mienne : Il est 15 heures 08. Si tu remplis correctement ton rôle, tu es sûr d’en sortir vivant. Sinon, tu mourras certainement… avant l’heure prévue par tes chefs pour l’attentat. Dis-toi bien que de toute façon cet attentat n’aura pas lieu. Tu as fait ton choix ? - Soyez sans crainte. Je ferai exactement ce que vous m’avez demandé. - Parfait. Alors à demain. Et rentre vite maintenant, pour ne pas les mettre en éveil.
Nous avons passé le reste de l’après-midi à nous promener en voiture dans la brousse avec Hélène. Pas une seule fois nous n’avons parlé de notre mission. Certes, j’avais tout naturellement connu pas mal de femmes mais jamais, et de très loin, je n’avais ressenti cette attirance totale qui me portait vers Hélène. Je crois avoir un esprit critique assez aiguisé, mais impossible de trouver en elle un détail qui m’agace un peu. J’aimais tout en elle . Son physique, sa voix, ses gestes empreints de grâce, sa tournure d’esprit, sa culture. Je ne dis pas qu’elle était parfaite, ce serait idiot. Je dis qu’elle avait tout ce que j’aime. Et ma seule crainte était qu’elle ne ressente pas la même attirance à mon égard. Nous avions pris 2 chambres à l’hôtel sur la grande place et il avait été convenu qu’à 22 heures nous irions dans la case des deux collaboratrices d’Hélène qui en auraient fini avec le travail de la journée.
C’est lorsque nous nous sommes trouvés réunis tous les 4 que je dévoilai le plan des opérations. Dans la matinée du lendemain, la femme de ménage et la cuisinière devraient s’assurer que les 2 fenêtres de la salle à manger où toute l’équipe (instructeurs et kamikazes) prenait ses repas, que ces fenêtres donc, étaient bien fermées. La clé de la porte de communication avec la cuisine devait être mise côté cuisine. Quant à la clé de la porte de sortie, elle devait être mise à l’extérieur.
Voici comment les choses devaient se passer. Le repas commençait toujours vers 12 heures 15. À 12 heures 30, Ali sortirait pour aller aux WC. Dès qu’Ali sera sorti, Hélène viendra tourner la clé de la porte extérieure. Une ou 2 minutes plus tard, la femme de ménage entrera avec un plat dans la salle à manger. Entre temps je serai entré dans la cuisine. Dès que la serveuse sera sortie de la salle à manger, elle et la cuisinière sortiront par la porte de derrière. Je balancerai deux grenades défensives (les plus puissantes) dans la salle à manger, je fermerai la porte à clés et sortirai. Hélène et moi de part et d’autre de la case serons armés d’un P.M. Si l’un parvenait à s’échapper, nous l’abattrions. Notre véhicule sera à 50 mètres. Ali, Hélène et moi, monterons dedans, quant à vous, Mesdames (je m’adressais aux deux collaboratrices d’Hélène) vous pouvez si vous le désirez venir avec nous, ou avoir un véhicule si vous préférez rester au Cameroun.
- Nous aimerions avoir un véhicule pour aller à Douala immédiatement ou nous avons des affaires à régler et nous partirons un peu plus tard pour la France car nous ne serons plus en sécurité ici. - Vous aurez votre véhicule, à côté du nôtre, demain. Je tiens à vous remercier et à vous féliciter pour le rôle primordial que vous aurez joué dans cette affaire. - C’est nous qui vous remercions. Nous avions un compte à régler avec la clique du "Serpent Vengeur". Mais il y en a d’autres que ceux d’ici. - Si tout se passe selon nos plans, Hussein Hussein et Moulay Idriss seront arrêtés et notre exfiltration est prévue dans l’après-midi. Pas d’autres questions ? - Non, dit Hélène. Une seule constatation. Nous avons beaucoup de chance qu’il y ait une serrure et une clé à la porte de séparation de la cuisine et de la salle à manger. Ce n’est pas très courant ici. - Oui, nous avons un peu de chance . Mais nous nous serions adaptés à d’autres conditions. Espérons qu’il n’y aura pas un grain de sable qui viendra détraquer nos plans. En tout état de cause aucun terroriste ne doit en sortir vivant. Sauf Ali bien entendu, Hussein et Moulay Idriss, auxquels nous tenons car nous les débrieferons à notre arrivée à Paris. Ils auront des choses à nous dire sur l’organisation du "Serpent Vengeur". C’est surtout sur Ali que nous comptons car il n’aura plus rien à perdre à nous dire tout ce qu’il sait.
La journée du lendemain s’annonçait bien remplie. Nous sommes, Hélène et moi, rentrés à l’hôtel et en la quittant devant sa chambre, je lui ai simplement serré fortement l’épaule.
Une seule chose me titillait dans l’opération que nous devions réaliser. Nous avons en face de nous des terroristes. Des gens qui normalement sont toujours sur le qui vive. Or, aucune mesure de défense ne semble avoir été prise. Par exemple pendant le repas, ils se retrouvaient tous dans la même pièce et il n’y en avait pas un pour assurer une garde. Et puis je pensais que les déclarations des deux femmes constamment en compagnie du groupe étaient sans ambiguïté. Les terroristes se sentaient absolument en sécurité. Il est vrai que lorsque l’on est en permanence en contravention avec les lois d’un pays étranger, on finit par considérer que rien ne s’étant passé il ne se passera jamais rien. Enfin, j’espérais que nous n’aurions pas de mauvaises surprises en cours d’action. Le chef de "l’Agence tous risques" - une série télévisée - aime dire : «J’aime qu’un plan se déroule sans accroc». Il aurait été heureux de mener l’opération que j’avais conçue car tout se passa selon le plan prévu…
Ali avait pu, dans un premier temps, se rendre aux WC sans aucun problème. Hélène avait fermé la porte extérieure de la salle à manger. La serveuse une fois sortie, j’avais pu lancer mes deux grenades défensives (beaucoup plus meurtrières que les grenades offensives) personne n’avait pu sortir de la pièce et j’avais pu constater rapidement que les 6 terroristes étaient morts. Lorsque les autorités locales viendraient sur les lieux, elles ne manqueraient pas de constater l’armement et le matériel des terroristes prouvant l’activité illicite de ce groupe. Nous savions, le colonel Dubois et moi-même, que les choses n’iraient pas plus loin. L’enquête serait sommaire et classée très vite. Hélène, Ali et moi, avons sauté dans la voiture et nous nous sommes dirigés vers la route de Dschang. Nous avions fait notre travail. Il nous fallait espérer que Sabatier de son côté avait pu "coxer" Hussein Hussein et Moulay Idriss. Ali semblait complètement assommé par les évènements. Faire de ce garçon un kamikaze était une erreur monumentale. L’ayant questionné à plusieurs reprises, il finit par me dire. Je n’ai jamais été volontaire : «C’est mon oncle, Moulay Idriss, le chef des "Serpents vengeurs" qui a voulu m’inscrire…»
- Moulay Idriss est réellement le grand chef ? - Oui. C’est lui qui a créé le mouvement il y a 6 ans. Mais quand il va savoir ce que j’ai fait… - Écoute, Ali, il est possible qu’il ne le sache jamais. Si tout s’est passé normalement, il a dû être arrêté et nous allons le voir. Nous allons te passer des menottes, ainsi vous en serez au même point. Il ne pourra te suspecter.
À vrai dire, je pensais qu’il valait mieux lui passer des menottes par précaution. Peut-on savoir les réactions de ce garçon si le remords ou la fibre familiale venaient l’amener à une réaction insensée ? Au lieu dit, à l’heure dite, un hélicoptère nous attendait dans un champ sur la droite de la piste. Une voiture était à ses côtés. En nous voyant arriver, Sabatier vint vers nous. Le pouce en l’air nous signifiait que de son côté également tout s’était déroulé selon le plan prévu. Hussein Hussein et Moulay Idriss étaient restés dans la voiture, menottes aux poignets et sous la garde d’un homme armé. Quand Idriss vit son neveu également menotté, il pâlit un peu plus. Il venait de comprendre l’échec total de son opération. Sabatier me raconta comment avait pu avoir lieu l’arrestation des 2 hommes... Prévenu par "l’œil" à l’ambassade de Syrie, que Moulay Idriss avait un rendez-vous dans un café en ville, il avait supposé que cette entrevue était forcément liée à notre affaire.
Il avait donc posté 3 hommes à proximité du café. Ces trois hommes virent arriver Idriss et quelques instants plus tard, Hussein Hussein suivi par les deux hommes que Sabatier avait attachés à ses basques. Avec ses 5 hommes, Sabatier n’eut aucune difficulté à intercepter les deux terroristes à la sortie du café. Hussein Hussein et Idriss montèrent dans l’hélicoptère puis l’homme armé et Hélène. Enfin, Ali et moi avons pris les places du fond. Je ne voulais pas que l’oncle et le neveu puissent communiquer. Nous avions prévu avec le colonel Dubois que l’hélicoptère nous amènerait à Maroua dans le Nord Cameroun ou se trouvait un petit aérodrome. Là, un avion d’affaires nous attendait pour nous emmener à Dakar. Un accord avait été pris par le colonel avec les autorités sénégalaises. Nous pouvions sauter directement de l’avion d’affaires dans l’avion de ligne sur Paris. Sans formalités de douane ou de police. Au petit matin, nous atterrissions à l’aéroport Charles de Gaulle. Le colonel lui-même vint nous accueillir. Il dit à sa filleule :
- Beau travail, fifille. Vous aussi, Pierre, me dit-il en se tournant vers moi. En tout cas, l’attentat prévu n’aura pas lieu. Bon. Vous êtes libres tous les deux. Je prends la suite. Je vais déculotter vos trois olibrius. Vous êtes libre, Pierre… jusqu’à demain… je veux vous voir à mon bureau à 9 heures. Hélène me regardait avec un merveilleux sourire. - Je vous avais bien dit que Marc est un prénom qui ne vous convenait pas. Mais Pierre, ça va… Il y avait tant de douceur dans son regard, tant de… et puis zut !!! Je m’étais proposé de vous raconter une histoire de terroristes, dans laquelle j’étais intervenu. Mon rôle dans cette histoire est terminé. Quelque chose me dit qu’une autre histoire va commencer. Une histoire qui va durer sans doute très très longtemps ; qui ne sera pas une histoire d’espionnage. Elle sera d’un tout autre genre, un genre dans lequel Barbara Cartland était tellement douée que je n’oserais pas lui faire concurrence. Je pris Hélène par la main. Notre avion avait atterri, mais nous, nous étions toujours dans les nuages. F I N
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