Les personnages
PIERRE, 35 ans ROXANE, sa femme, 34 ans MICHEL, un ami, 38 ans JACQUES, mari de Jeanne, 36 ans JEANNE, femme de Jacques et amie de Roxane, 33 ans
Le rideau se lève sur un salon. Un divan, face au public des fauteuils, une table basse couvert de magazines. Au fond à gauche, une grande bibliothèque bien garnie. Sur la droite, un piano demi-queue. Une porte à droite au fond, et deux portes sur la partie latérale gauche. Seul en scène, Pierre est dans une position parfaitement décontractée, sur le canapé Les deux jambes droites et écartées. Les bras en croix, posés sur le dossier du canapé. Il baille affreusement et les yeux au ciel, il s’écrie « Je suis heu-reux ! ». Un peu moins fort, il répète « Je suis heu-reux ! » Puis il se lève vient à l’avant scène et s’adresse à la salle.
PIERRE : Vous, je ne sais pas. Mais moi, je suis heu-reux. Vous pourriez l’être aussi. C’est simple. Figurez-vous…
À ce moment, la sonnette d’entrée retentit. D’un geste, Pierre s’excuse auprès du public
Je reviendrai. Je vous expliquerai.
Il se dirige vers la porte au fond à gauche. Il sort et revient avec Michel. Ce dernier parait très abattu. C’est l’archétype du « loser ».
PIERRE : Alors, mon bon Michel, ce n’est pas la forme ?
MICHEL : Ce n’est jamais la forme, mais là…
PIERRE : Allons, Allons, j’allais justement expliquer que tout le monde pouvait être heu-reux !
MICHEL : Tout le monde ? Peut-être. Mais pas moi !
PIERRE : Mais bien sûr, toi aussi. Raconte, raconte. Quel est ton problème ? Tu verras, je trouverai une solution.
MICHEL : Ça m’étonnerait !
PIERRE : Dis toujours !
MICHEL : Ma femme me plaque !
PIERRE : Bon. Et puis ?
MICHEL : Quoi, et puis ?
PIERRE : Tu me dis que ta femme te quitte. Ce n’est pas très grave. Et comme tu me sembles malheureux, je pense qu’il y a autre chose. Alors je te dis : et puis ?
MICHEL (un peu désarçonné) : Et puis rien. Tu ne trouves pas que c’est assez : ma femme me quitte !
PIERRE : Ouf ! Je dois te l’avouer, tu m’avais fait un peu peur. Alors, ce n’est que ça ? Ta femme te quitte ?
MICHEL : Mais enfin c’est terrible. J’ai même envie de me suicider !
PIERRE : Parce que ta femme est partie ?
MICHEL : Alors toi tu trouves que ce n’est pas une catastrophe ?
PIERRE : Tu ne sais plus ce que tu dis. Ce n’est pas une catastrophe. C’est une bénédiction !
MICHEL : Mais…
PIERRE : Tais-toi !Je connais ta femme aussi bien que toi. Elle n’est pas très jolie. Hein ? tu l’avoues ? elle n’est pas très jolie. Elle n’est pas très intelligente. Toujours d’accord ? D’ailleurs soyons francs, elle est même bête. De plus, elle se permettait d’être jalouse. Tu ne me diras pas le contraire ? Non ! tais-toi ! Ne me dis pas le contraire. Tu ne pouvais même pas avoir une petite fredaine… extraconjugale. C’est vrai ou non ?
MICHEL : Mais c’est ma femme, et elle est partie !
PIERRE : Bon vent. Que perds-tu ? Elle n’avait que des défauts. Donc tu ne perds rien. Et pense à tout ce que tu gagnes ! Tu es libre ! Personne pour t’épier sans arrêt ! Tu peux faire ce que tu veux sans la crainte de reproches violents. Si tu as envie d’une blonde très mince, tu trouveras une blonde très mince, si, te sentant plus langoureux, tu veux une brune bien en chair, tu trouveras une brune bien en chair.
MICHEL : Permets, permets. D’abord, on ne trouve pas une femme… qui veut bien aussi facilement, et ensuite ma femme, à côté de ses défauts a aussi de grandes qualités.
PIERRE : Mais mon bon Michel, tu as vécu à l’ombre de ta femme et tu ne connais rien de la vie. Mais si ! Si tu désires une femme tu peux toujours coucher avec elle ! À une condition !
MICHEL : Laquelle ?
PIERRE : Il faut le lui demander. Ah ben oui ! Il faut un minimum. Si tu ne demandes rien tu n’auras rien. Mais demande et tu auras.
MICHEL : Ça ! Je ne te crois pas. De plus, je te l’ai dit : je tiens à ma femme qui a de très grandes qualités
PIERRE (péremptoire) : Elle n’a pas de qualité.
MICHEL : Mais je la connais quand même : c’est ma femme !
PIERRE : Mais moi aussi je la connais bien. J’ai couché avec elle !
MICHEL (outré) : Quoi ? Tu as couché avec ma femme ? Toi mon meilleur ami ?
PIERRE : Oui. J’ai couché avec ta femme. Mais virtuellement bien sûr.
MICHEL : Qu’est ce que ça veut dire virtuellement ?
PIERRE : C’est là, mon bon Michel mon secret du bonheur. Moi aussi je suis marié. Depuis huit ans. Que veux-tu ? les sentiments ont une vie plus courte que la vie humaine. C’est comme ça. On n’y peut rien. Il faut donc faire avec. Donc, ma femme ne m’attire plus beaucoup. Alors, je décide qu’elle est la femme d’un autre. Un jour, ma femme est la femme du percepteur. Tu sais la petite brune, très vive et qui rit tout le temps ? Hé bien en prenant ma femme dans mes bras, c’est la femme du percepteur qui est contre moi. Je l’entends glousser, son corps est mince et nerveux. Je passe des moments merveilleux avec elle. Et puis « après », je regarde ma femme et je me félicite d’avoir préféré la femme du percepteur. Une autre fois, je jette mon dévolu sur ta femme. Elle est belle, elle est spirituelle, et je ne m’en étonne pas : c’est tout simplement parce qu’elle est avec moi. Je passe avec ta femme des moments proches de l’extase, et quand je la compare à ma femme, je ne regrette rien. Bien sûr, cela ne dure que lorsque je suis au lit. Une fois debout, je vois ta femme comme elle est, quand elle n’est pas seule avec moi : pas très futée, pas une beauté, il faut bien le dire. Une emmerdeuse enfin. Avec mon système, tout le monde est content. Dans l’ordre d’importance : moi, d’abord, ma femme ensuite, et je te fais remarquer que je ne fais de tort à personne.
MICHEL : Mais tu es un salaud ! Tu couches en pensées avec toutes les femmes. C’est dégueulasse !
PIERRE : Pourquoi dégueulasse ? Qui en souffre ?
MICHEL : Qui en souffre ? Je ne sais pas. Si ! Tiens : moi, par exemple ! Je sais qu’en pensées, tu as couché avec ma femme.
PIERRE : Mais c’était virtuel !
MICHEL : Virtuel, virtuel ! je ne sais pas comment t’expliquer, mais je suis sûr que c’est dégueulasse !
PIERRE : Quand tu auras trouvé pourquoi, tu me le diras. En tous cas, moi, je suis heu-reux. Alors, toi qui es malheureux, ne viens pas me dire ce qui est bien ou n’est pas bien. Tu n’es pas crédible. Pour en revenir à ton cas personnel, tu n’as même plus besoin d’avoir recours à du virtuel. Tu es libre. Tu peux en profiter.
MICHEL : Tu perds de vue une chose Pierre. C’est que j’aime ma femme !
PIERRE : Allons, allons, pas à moi ! Tu aimes ta femme parce que tu ne l’as plus, mais quand tu l’avais, ce n’était pas terrible, hein ?
MICHEL : Bien sûr, nous avions de petites disputes… mais… mais, pas plus que dans les autres ménages, et… nous nous aimons.
PIERRE : Dis plutôt que vous êtes habitués l’un à l’autre. Ce ne sont pas tes sentiments qui sont touchés par votre séparation, ce sont tes habitudes !
MICHEL : Remarque, je ne suis pas d’accord avec toi, mais admettons, admettons une seconde que tu aies raison. Perdre des habitudes, c’est déstructurant !
PIERRE : Mais le changement d’habitudes est régénérant. Tu es d’autant plus gagnant que tu as le choix de ton genre de vie. Alors qu’auparavant, les choses étaient immuables, monotones lassantes.
MICHEL : Mais dis donc, toi qui dis que la séparation d’avec sa femme est une bonne chose, tu es toujours avec la même.
PIERRE : Apparences, apparences, en apparences seulement. Quand je le veux, je change de femme, je te l’ai expliqué.
MICHEL : Tu joues sur les mots. C’est toujours Roxane, ta femme, qui se réveille dans le lit à côté de toi le matin. Vous prenez, en vous asseyant toujours à la même place, votre déjeuner en tête-à-tête. Vous avez des habitudes. C’est toujours toi qui fermes les volets le soir, et Roxane qui les ouvre le matin. C’est toujours toi qui sors les poubelles… Alors ne me fais pas rire ! Si Roxane te quittait, tu serais malheureux.
PIERRE : Je ne peux pas être malheureux. Je suis allergique à ce truc-là. Moi, je suis heu-reux. Imagine, imagine, que Roxane, entre, là, maintenant, et qu’elle me dise : « Pierre, je suis désolée, je ne t’aime plus. J’aime un autre homme. J’ai décidé de partir avec celui que j’aime. (Tiens imaginons que ce soit toi) J’ai décidé de partir avec celui que j’aime : ton ami Michel. Imaginons… »
MICHEL : Ce serait trop beau !
PIERRE : Quoi, ce serait trop beau ?
MICHEL : Que Roxane m’aime !
Un long silence…
PIERRE : Bon… Ne rêve pas… c’était un exemple… Alors, tu aimerais que Roxane t’aime ? Tu l’aimes donc ?
MICHEL : Je te fais remarquer que c’est toi qui as émis cette hypothèse.
PIERRE : Comme tu le dis, c’était une hypothèse. Alors, vraiment, tu aimes Roxane ?
MICHEL : Mais enfin, c’est toi qui es en train de me dire que si Roxane partait avec moi, cela ne te ferait rien du tout.
PIERRE : Pardon, pardon ! Je n’ai jamais dit que cela ne me ferait rien du tout. Tu extrapoles !
MICHEL : Mais tu m’as dis que tu étais allergique au malheur. Que tu étais (l’imitant) heu-reux, toujours.
PIERRE : C’est fou ce que tu manques de nuance. (d’un air apitoyé) Mais tu sais que tu n’es pas très intelligent ?
MICHEL : Non, je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que tu es inconséquent !
PIERRE : Je vais te poser une question. Une seule. Pourquoi, Roxane aurait-elle envie de me quitter ? Hein ? Répond. Pourquoi ?
MICHEL : Mais c’est toi qui as fait cette hypothèse.
PIERRE : Voilà. C’est toi qui l’as dit : une hypothèse. C’est ce que l’on appelle une démonstration par l’absurde. Il est absurde de penser que Roxane pourrait me quitter. Mais c’était pour te démontrer que l’on peut toujours trouver des avantages à une situation et que l’on peut toujours être heureux. Décidément, il n’est pas possible de discuter avec toi. J’ai mis la discussion sur une hauteur que tu ne peux atteindre.
MICHEL : Il est possible que je sois moins intelligent que toi. Moi, ma femme me quitte, et je le sais. Alors que toi, quand tu dis que Roxane ne pourrait pas te quitter, tu manques singulièrement de clairvoyance.
PIERRE (soudain inquiet) : Qu’est-ce que tu essaies de me dire ?
MICHEL : Je n’essaie rien du tout. Je te dis clairement: Si tu penses que Roxane ne pourrait pas te quitter, c’est que tu manques de clairvoyance.
PIERRE : Pourrais-tu être plus clair ?
MICHEL : Hé, non. Je ne peux pas être plus clair. Tu le sais bien, tu me l’as dit, je ne suis pas très intelligent, alors je ne m’exprime pas très bien.
PIERRE : Arrête de faire l’idiot ! Si tu sais quelque chose, parle !
MICHEL : Que veux-tu que je te dise ? Rien d’intéressant, puisque tu me l’as dit, je suis un crétin. Un crétin cocu ? Crétin et cocu.. Alors que toi, au moins, tu n’es pas crétin.
PIERRE (de nouveau inquiet) : Tu veux insinuer quelque chose ?
MICHEL : Oh, moi, je ne suis pas à la hauteur. Ça aussi, tu me l’as dit.
Un temps.
Tu connais bien Jacques ?
PIERRE : Oui. Je connais Jacques. Pourquoi me demandes-tu ça ?
MICHEL : Pour savoir si tu connais Jacques ! c’est simple, non ?
PIERRE : Mais quel intérêt y a-t-il à savoir si oui ou non je connais Jacques ? C’est le mari de la meilleure amie de Roxane. Alors je le connais, comme ci comme ça.
MICHEL : C’est un très bel homme, non ?
PIERRE : C’est possible. Mais pour moi ce n’est pas d’un grand intérêt.
MICHEL : Pour toi non, bien sûr.
PIERRE : Ecoute, j’en ai marre ! tu débites des bêtises sans queue ni tête, et moi, gentiment, je t’écoute ! Je suis trop bon ! D’ailleurs tu ne réussiras pas !
MICHEL : Réussir quoi ?
PIERRE : Moi, je suis heureux, toi tu es cocu, et tu voudrais essayer de m’inquiéter, de me troubler, de me rendre moins heureux. Mais ça ne marche pas ! Maintenant, pour en revenir à ton cas, je te le répète, si elle est partie, c’est une bonne chose pour toi. Profite de ta liberté, et c’est tout.
MICHEL : Bon, merci. Tu es de très bon conseil. Finalement, j’ai eu raison de venir te voir. En fait, ce qui m’arrive peut arriver à n’importe qui, n’est ce pas ?
PIERRE : N’importe qui, peut être pas (il prend un air non concerné par cette hypothèse) mais enfin, ça arrive.
MICHEL : Et puis au fond, il vaut mieux le savoir. On a l’air moins bête…
PIERRE : Là, tu n’as pas tort. Les cocus qui sont les seuls à ne pas être au courant, sont ridicules.
MICHEL : Ça, c’est bien vrai ! Bon, je te laisse, toi et ton bonheur, je vous laisse tous les deux.
Il sort
Pierre, s’avance vers l’avant scène, et s’adresse au public :
PIERRE : C’est un pauvre type. Pas méchant, mais un pauvre type. Parmi vous, il y en a sans doute qui ont un vécu derrière eux. Et bien vous avez dû le remarquer : il y a beaucoup de gens, qui pour être un peu moins malheureux, veulent se persuader que les autres non plus ne sont pas heureux. C’est dégoûtant ? Hein ? Mais avec moi, ça ne prend pas. Parce que je suis toujours heureux. J’ai un truc !
Il prend un air futé :
D’abord, je profite de tous les bons moments de la vie. Et quand les choses sont moins drôles, je rentre dans un autre monde. Celui du virtuel. Et là, j’arrange les choses, pour qu’elles soient selon mes désirs. Si j’ai envie de faire l’amour et que Roxane a été gentille toute la journée, et se trouve en beauté, je reste dans le réel. Si elle a été désagréable, a été mal fagotée, je pense que c’est avec une autre que je fais l’amour. Soit une femme que je connais, soit une femme que mon imagination fabrique. C’est très pratique, et avouez que cela ne fait de mal à personne. D’ailleurs…
A ce moment là, la sonnerie de la porte d’entrée retentit.
Oh zut, zut et zut. J’aurais aimé discuter encore un peu avec vous. Surtout que vous êtes intelligents : vous êtes d’accord avec moi. Mais bon. Il faut que j’aille ouvrir.
Il y va, sort, et revient presque aussitôt avec un homme.
PIERRE : Entrez, Entrez. Vous êtes, je crois, le mari de Jeanne, la meilleure amie de ma femme.
JACQUES : C’est exact. Je suis Jacques, le mari de Jeanne qui est une amie de Roxane.
PIERRE : Oui. Nous avons eu l’occasion de nous rencontrer une ou deux fois.
JACQUES (gêné) : Oui. Une ou deux fois
Un silence.
PIERRE : Heu…Vous pensiez peut être trouver nos femmes ici ? Elles n’y sont pas !
JACQUES (toujours gêné) : Non. Je savais qu’elles n’étaient pas ici.
PIERRE : Ah, bon ?
Un autre silence.
PIERRE : Alors, c’est moi que vous venez voir ?
JACQUES : Oui. C’est vous.
Autre silence.
PIERRE : Dans quelle partie travaillez-vous ?
JACQUES : Dans les assurances. Je suis agent général d’assurances.
PIERRE : Ah bon. Et vous voulez me proposer un contrat ?
JACQUES : Non. Je ne veux pas vous proposer un contrat.
PIERRE (qui commence à s’énerver) : Alors ? Que voulez-vous ?
JACQUES (toujours gêné) : Ce que je veux ? C'est-à-dire que c’est assez difficile…
PIERRE : À dire ?
JACQUES : Voilà. À dire.
Un autre silence.
PIERRE (très énervé) : Si c’est impossible à dire, il vaut mieux que vous partiez. Si c’est possible, faites-le tout de suite. Je vous écoute.
JACQUES (qui se décide) : Vous avez raison. Parfaitement raison. Quand on a une chose difficile à dire, mieux vaut le faire rapidement. Après on est débarrassé ? Pourquoi tergiverser ? La chose à dire, restera toujours une chose à dire. Alors cela ne sert à rien de la retarder.
PIERRE : Cela ne sert à rien et c’est idiot. Je vous écoute. Maintenant, pour vous mettre à l’aise, je vais vous dire une chose. Je suis heu-reux. Toujours heureux. Alors, ce que vous pouvez dire.
Il fait un geste par-dessus son épaule pour dire qu’il s’en fiche.
JACQUES : Je vous remercie de me faciliter les choses. Dans d’autres circonstances, j’aurais été heureux d’être votre ami.
PIERRE : Comme nos Femmes
Devant l’air incompréhensif de Jacques, avec impatience :
Ben oui. Nos femmes sont amies.
JACQUES : C’est vrai. Elles sont amies. Mais nous nous ne le pourrons pas !
PIERRE : Ah ? Et pourquoi ?
JACQUES : Parce que je suis l’amant de votre femme !
PIERRE : De Roxane ?
JACQUES : Oui. Pourquoi ? Vous avez plusieurs Femmes ?
PIERRE (décontenancé) : Hein ? non. Je n’en ai qu’une. Et vous venez me dire ça comme ça ?
JACQUES : C'est-à-dire… je ne vois pas de quelle autre façon..
PIERRE : Pourquoi ?
JACQUES : Quoi, pourquoi ?
PIERRE : Pourquoi êtes-vous venu me dire ces sornettes ?
JACQUES : Quelles sornettes ?
PIERRE : Que vous êtes l’amant de ma femme. C’est impossible !
JACQUES : Impossible ? Pourquoi ?
PIERRE (condescendant) : Parce que si vous étiez l’amant de ma femme, c’est qu’elle me tromperait.
JACQUES : Et alors ?
PIERRE : Impossible. Totalement impossible. Mais ce que j’aimerais bien savoir…
JACQUES : Oui ?
PIERRE : C’est pourquoi vous venez me dire ces bêtises.
JACQUES : Mais…
PIERRE (qui s’illumine) : Ah, j’ai trouvé. Oui. C’est ça. Un pari, hein ? Vous êtes venu à la suite d’un pari ?
JACQUES : Je vous assure que ce n’est pas à la suite d’un pari que je suis devenu l’amant de Roxane. Je l’aime.
PIERRE : Ah, ça au moins, je peux le croire. Que vous aimiez ma femme est tout à fait normal. Elle est jolie, intelligente, douce…
JACQUES : C’est vrai. Et c’est pour tout cela que je l’aime.
PIERRE : Bon. Vous aimez ma femme. Mais mon pauvre vieux, je ne peux rien pour vous. Continuez à l’aimer, cela ne me gêne pas.
JACQUES : Mais… C’est que Roxane m’aime !
PIERRE : Allons, allons ! Je sais ce que c’est. Vous voudriez être l’amant de ma femme, alors vous croyez l’être ! mais mon pauvre vieux, c’est impossible !
JACQUES : Pourtant c’est vrai !
PIERRE : Bien sûr que non. En revanche, je ne comprends toujours pas pourquoi vous êtes venu me dire ces bêtises. Vous me jurez que ce n’est pas un pari ?
JACQUES (qui commence à être excédé) : Mais enfin… Comment faut-il que je vous le dise ? Roxane et moi, nous voulons vivre ensemble !
PIERRE (continuant à réfléchir) : Vivre ensemble ? Bon. C’est un élément supplémentaire. Oh, mais je trouverai, je trouverai… c’est peut être une question d’appartement ? Roxane a inventé ça pour me faire comprendre qu’elle voudrait changer d’appartement. C’est ça ?
JACQUES (vraiment excédé) : Non, Non, Non, ce n’est pas ça ! Ce n’est pas d’appartement que Roxane veut changer, c’est de mari !
PIERRE (se tapant le front) : Mais c’est ça, bien sûr ! Roxane a fait l’amour avec vous, comme j’ai fait l’amour avec votre femme !
JACQUES : Quoi ? Vous avez fait l’amour avec ma femme ?
PIERRE : Mais bien sûr ! Plusieurs fois. Uniquement en hiver par exemple ! elle est un peu grasse, elle me tient chaud. Je la choisis quand il fait froid.
JACQUES : Mais vous êtes complètement fou ?
PIERRE : Fou ? Non ! Mais organisé, Oui !
À ce moment-là, le téléphone sonne. Pierre va décrocher.
PIERRE : Ah, c’est toi Roxane ? Oui, il est ici. C’est à lui que tu veux parler ? Ah, bon, je te le passe (à Jacques) C’est Roxane. Elle veut vous parler. Cela fait partie de votre plan débile ?
Il lui tend l’appareil.
JACQUES : Oui ? Mais si je le lui ai dit ! Mais il ne veux pas le croire ! Quoi ? Jeanne vient ici ? Ah, bon. Elle au moins, elle a cru tout de suite. Non tu as bien fait de le lui dire, nous allons enfin crever l’abcès. Tu arrives aussi ? D’accord !
Il raccroche. À Pierre :
Voilà. Ma femme est maintenant au courant. Elle va arriver. Et Roxane suivra.
PIERRE (tranquille) : Bon. Vous êtes trois dans le coup. Je ne comprends pas où vous voulez en venir, mais vous y mettez le paquet… (semblant avoir une illumination) Ah ! je crois comprendre ! C’est de la jalousie ! Vous savez que je suis heureux, et vous pensez qu’en me disant « Pierre, vous êtes cocu » cela va assombrir mon humeur, c’est ça, hein ? Et bien c’est raté. Il faudra trouver autre chose. Roxane ne PEUT pas me tromper. Elle m’aime trop. Vous avez perdu mon pauvre vieux !
JACQUES : Que vous soyez heureux ou malheureux, permettez-moi de vous dire que je m’en fous éperdument !
PIERRE : Trop aimable !
JACQUES : Roxane et moi, nous nous aimons. Je suis venu vous le dire, très loyalement. Vous préférez rester aveugle, ne pas voir les réalités, c’est votre problème. Ma femme va arriver, vous verrez qu’elle, elle sait que c’est vrai !
PIERRE : Allons, allons ! vous êtes tous de mèche ! Mais on ne me la fait pas à moi. Je sais que Roxane m’aime. Maintenant, je l’avoue, je ne sais pas encore pourquoi vous avez monté cette blague tous les trois.
JACQUES : Je vois. Il est inutile que nous discutions d’avantage. Quand nos femmes seront là, vous ne pourrez plus nier l’évidence.
Sonnerie à la porte d’entrée.
Tiens ! ce doit être Jeanne !
Pierre hausse les épaules et va ouvrir. Il revient accompagné de Jeanne. C’est une femme un peu enveloppée, en pleurs, et qui se précipite sur Jacques.
JEANNE : Tu es un beau salaud ! Coucher avec ma meilleure amie ! Je suis sûre que c’est toi qui es allé la baratiner. Ce n’est pas elle qui t’aurait fait des avances.
PIERRE (goguenard) : Bravo, Bravo ! bien montée votre petite histoire, et Madame, vous avez un talent certain. Encore bravo. Mais avec moi, ça ne prend pas.
JEANNE (interloquée se tournant vers Pierre) : Mais… Mais… qu’est ce que vous racontez ? Mon mari et votre femme sont amants, et tout ce que vous trouvez à faire, c’est d’applaudir ?
PIERRE (très protecteur) : Mais mon petit, vous n’allez pas les croire ? c’est faux ! Roxane ne peut pas me tromper : elle m’aime. Par exemple, je ne sais pas la raison de cette comédie.
JACQUES (découragé) : Je ne sais plus que lui dire. Mais devant les faits, il faudra bien… Ce n’est pas ce que nous avions prévu, mais, bon ! puisque vous ne voulez pas comprendre, je vous préviens : ce soir, Roxane et moi, partirons ensemble. (se tournant vers Jeanne) je suis désolé, Jeanne, je n’avais pas l’intention de brusquer les choses, mais il est têtu comme un âne.
JEANNE : Non, non, ne pars pas ce soir ! Attends, attends ! nous devons discuter. Je suis sûre que c’est une bêtise que tu veux faire… Laisse-moi t’expliquer…
PIERRE : Hola ! hola ! N’allez pas trop loin quand même !
À ce moment, on entend une clé qui tourne dans la porte d’entrée. Roxane entre. Elle est très pâle, et se dirige vers Jacques.
ROXANE : Tu lui as tout dit ? JACQUES : Oui. Mais il ne veut pas le croire ! C’est incompréhensible, mais il est têtu comme un âne ! Il croit que c’est une plaisanterie.
PIERRE (qui commence à ne plus rire du tout) : Mais enfin, Roxane, dis-moi la vérité, toi. Tu m’aimes n’est ce pas ?
ROXANE : Je t’ai aimé, mais je n’en peux plus ! Tu es tellement sûr de toi ! tellement certain que tu ne peux qu’être heureux ! Tu estimes que puisque je me suis donnée à toi en me mariant, j’étais ta chose ! Que les sentiments restent figés ! Je dois t’aimer pour l’éternité et tu n’as aucun effort à faire pour mériter mon amour. Les petites attentions sont inutiles ! Tu es heu-reux, comme tu dis, à perpétuité ! hé bien non.
JEANNE (à Jacques) : Tu vois bien qu’elle ne t’aime pas vraiment. C’est par dépit qu’elle s’est tournée vers toi. C’est parce qu’elle avait besoin que quelqu’un fasse attention à elle, mais elle ne t’aime pas.
PIERRE ( se dressant d’un coup) : Assez ! Assez ! Ainsi, c’était bien vrai ? Roxane, tu avais l’intention de devenir la maîtresse de ce fantoche ?
ROXANE : Mais Pierre, tu ne veux vraiment pas comprendre ? Je n’avais pas l’intention de devenir la maîtresse de Jacques. Je suis sa maîtresse. Je l’aime, et suis prête à vivre avec lui !
Jeanne et Pierre en même temps :
Salope !
ROXANE : Pourquoi cette injure ? Les sentiments évoluent. Comme toute chose sur terre, ils naissent, vivent et meurent… L’amour vient de naître entre Jacques et moi. Vous devez enregistrer ce fait qui est très naturel. Je conçois que cela vous rende malheureux (elle se tourne vers Pierre) sauf toi bien sûr, puisque tu es toujours heu-reux !
PIERRE : Ne te fous pas de moi par-dessus le marché. Sortez ! sortez vite tous les trois, ou je fais un malheur ! Sortez !
Les trois personnages sortent.Pierre reste un moment, prostré les bras ballants. Le rideau tombe.
***
Le rideau se lève sur le même décor.
Pierre est assis sur le canapé, exactement à l’endroit où il se trouvait en début de pièce, mais son attitude a changé. Les coudes sur les genoux, le menton dans les mains. Puis il se lève lentement et s’avance vers l’avant scène et s’adresse au public...
PIERRE : Ne vous moquez pas de moi. C’est vrai, je vous ai dit des bêtises. Mais j’étais de bonne foi. Je pensais vraiment que le bonheur était une question de volonté. Je croyais que l’on pouvait toujours « s’arranger » pour être heureux. C’était idiot. Je le sais maintenant. Que j’étais bête, mon Dieu, que j’étais bête.
La sonnerie d’entrée retentit. C’est un homme vaincu qui se dirige à pas lents vers la porte d’entrée. Il sort et revient avec Michel. Ce dernier a également changé, mais en sens inverse si l’on peut dire. Il semble heureux, guilleret.
MICHEL : Oh, mon cher Pierre, je viens te remercier. Merci pour ce que tu as fait pour moi. Je savais que tu étais plus intelligent que moi, mais là ; alors ! Tes conseils ont été judicieux, et grâce à toi, je suis heureux !
PIERRE : Ah ? Tu es heureux ?
MICHEL : Oui. J’ai été idiot, je le reconnais d’autant plus facilement que maintenant j’ai compris. Tu avais raison, cent fois raison. Ma femme est partie ? La belle affaire ! Dans les 48 heures j’ai rencontré Mathilde… Le grand Amour, mon vieux. Elle est sensationnelle. Grâce à toi, je sais maintenant que le bonheur est une question de volonté.
PIERRE (sceptique) : Tu te crois heureux, mais l’es-tu vraiment ? Tu ne penses jamais à ta femme.
MICHEL : Je suis sûr d’être heureux, et oui, il m’arrive de penser à ma femme… pour la comparer à Mathilde… Et je me demande pourquoi j’ai été malheureux, car je j’ai été, je ne le nie pas, quand elle m’a quitté. Comment ai-je pu vivre si longtemps avec elle ?
PIERRE (qui commence à reprendre du poil de la bête) : Alors, c’est un peu grâce à moi que tu es heureux ?
MICHEL : C’est totalement grâce à toi. Seul, j’aurais continué à pleurer ma femme infidèle. Quel crétin j’étais. Merci, merci, Merci…
PIERRE : Hé bien je suis très heureux pour toi. (tout en parlant, il croit de plus en plus à ce qu’il dit) Vois tu, lorsqu’une femme vous quitte, elle prouve par là qu’elle ne tourne pas rond. Elle ne se rend pas compte de ce qu’elle perd. Disons le tout net : en partant, elle prouve sa bêtise. Alors pourquoi regretter une femme bête ? Hein ? Pourquoi ? Quand on est intelligent, comme toi et comme moi, on en cherche une autre plus digne de nous. Et voilà ! Je suis très content d’avoir pu te tirer de ce mauvais pas.
MICHEL : Je tenais à passer pour te remercier, mais je ne peux m’attarder. Mathilde m’attend. Je suis sûr que tu me pardonneras de partir si vite.
PIERRE : Embrasse-la pour moi. Et soyez heureux !
MICHEL : Alors là, pas de problème ! Nous sommes faits l’un pour l’autre. À bientôt !
Michel sort. Pierre qui s’était requinqué devant Michel, retombe peu à peu dans sa tristesse.
PIERRE (s’adressant au public) : Le pauvre type ! Décidément j’ai toujours un coup d’avance sur lui ! Son histoire avec Mathilde ? Un feu de paille ! Les sentiments ont une vie courte… Sauf celui que j’avais pour ma femme… et qui se trouve revigoré par son départ. Mais elle me reviendra, j’en suis sûr… C’est sûr… C’est une question de temps.
Après un temps :
Enfin… j’en suis presque sûr. C’est probable…
Un temps.
C’est possible… enfin disons que ce n’est pas impossible. En tous cas, soyons honnête… Je ne suis pas heureux…
La sonnette à la porte d’entrée…
C’est peut être elle ?
Il se précipite pour aller ouvrir, sort et revient avec Jeanne.
JEANNE (très abattue) : Il fallait que je vous voie ! Après tout, nous sommes dans la même situation. Avez-vous des nouvelles de votre femme ?
PIERRE (essayant d’être décontracté) : Ma femme ? Euh, non. Pas depuis quelque temps.
JEANNE : Savez vous où elle est ?
PIERRE : Ma foi, non. Vous savez, Roxane et moi, elle a dû vous le dire, nous sommes très libres, très modernes. Nous avons chacun notre vie.
JEANNE : Allez, vous vous arrêter de jouer la comédie ? Votre femme est partie avec mon mari. Je suis malheureuse comme les pierres, et vous aussi, malgré vos airs détachés.
PIERRE (cessant de jouer) : Bon. Ça va ! moi aussi je suis malheureux. Je n’ai peut-être pas su l’apprécier quand elle était avec moi.
JEANNE (méchante) : D’après ce que Roxane me disait, il est certain que vous étiez horripilant avec vos certitudes et votre bonheur ostensiblement affiché. C’est à cause de vous si elle est partie, et c’est à cause de vous si elle a pris mon mari ! PIERRE : Mais dites donc ! Si votre Mari est parti avec elle, ce n’est certainement pas sous la menace d’un pistolet ! Vous aussi vous avez dû lasser votre mari avec vos pleurnicheries. Je peux dire aussi, que c’est à cause de vous s’il m’a enlevé ma femme.
JEANNE : En tous cas, elle était consentante !
Un temps.
PIERRE : Et si vous me disiez pourquoi vous êtes venue ?
JEANNE : Pour savoir si vous avez des nouvelles !
PIERRE : Non. Il y a autre chose !
JEANNE : Autre chose ? Mais quoi ?
PIERRE : Je ne sais pas…peut-être une idée de vengeance ?
JEANNE : C’est vous qui parlez de vengeance…
PIERRE : Hola, hola ! Doucement ! C’est une hypothèse que je faisais.
JEANNE : Bon. C’était une hypothèse… Et que pensez-vous de cette hypothèse ?
PIERRE : Je ne sais pas très bien. C’est vous qui êtes venue me voir et pas l’inverse. À vous de me dire si c’est la bonne hypothèse, et… ce que vous en pensez !
JEANNE : En ce moment, ils sont ensemble tous les deux, ils doivent être heureux. Nous sommes ensemble, et nous ne sommes pas heureux. Ce n’est pas juste.
PIERRE : Ah, ça ! Je ne dirais pas le contraire. C’est même dégueulasse !
JEANNE : Dégueulasse. C’est le mot. Aussi j’avais pensé que peut-être…
PIERRE : Vous avez pensé que peut-être ?...
JEANNE : Vous m’avez parfaitement comprise !
PIERRE : Oui, mais expliquez quand même !
JEANNE : Ecoutez ! c’est moi qui suis venue ! J’ai fait un gros bout du chemin. Alors un peu à vous de bouger… si vous en avez envie, bien sûr. PIERRE (après un moment de réflexion) : OK. Je prépare une valise, puis nous passons chez vous pour que vous preniez aussi quelques affaires, et nous partons ensemble pour trois ou quatre jours. D’accord ?
JEANNE : D’accord. Je vous attends. Pierre sort et va dans sa chambre attenante. Ils continuent à parler en criant un peu bien sûr.
JEANNE : Puis-je vous dire quelque chose, Pierre ?
PIERRE (off): Bien sûr !
JEANNE : Hé bien j’ai toujours eu un petit faible pour vous. Mais vous étiez marié, et avec ma meilleure amie, alors vous comprenez…
PIERRE : Oui. Je comprends. On a beau dire, les principes, ça compte
JEANNE : Oui. Moi je suis très à cheval sur les principes !
PIERRE : Alors vous vous asseyez dessus…
JEANNE : QUOI ?
PIERRE : Je dis que si vous êtes à cheval sur les principes, c’est que vous vous asseyez dessus.
JEANNE (qui ne rit pas) : Ah, oui. C’est drôle !
Un temps.
Et vous ?
PIERRE : Quoi, moi ?
JEANNE : Je vous ai dit que j’avais un… fort faible pour vous. Alors je vous demande : et vous ?
PIERRE : Oh moi ! J’ai couché assez souvent avec vous !
JEANNE : Quoi ?
PIERRE : Vous ne pouvez pas comprendre ! Demandez aux spectateurs, eux ils savent. Ou alors je vous le dirai pendant les trois jours que nous allons passer ensemble.
JEANNE : Je préfère que ce soit vous qui me l’expliquiez.
Pierre entre avec une petite valise.
PIERRE : Alors ? Prête pour l’aventure ? Nous partons ?
JEANNE : Allons-y. Je vais beaucoup mieux
Jeanne prend le bras de Pierre et ils sortent. Le rideau tombe.
***
Le rideau se lève sur le même décor. Pierre est assis sur le canapé, prostré serait plus exact. Les yeux baissés. Il ne bouge pas. Comme absent. Sa valise est posée près de lui. Puis il lève les yeux, semble apercevoir le public, se lève lentement et vient à l’avant-scène.
PIERRE : J’ai tout faux. J’étais bien content de voir tant de monde (d’un geste circulaire du bras, il fait voir la salle) me voir heureux. Maintenant j’ai honte d’avoir autant de témoins de ma bêtise. Oui, je suis bête. Je voudrais pouvoir dire : j’ai été bête, maintenant, je le suis un peu moins. Mais je ne suis plus sûr de rien... D’abord, j’étais heureux, avec ma femme Roxane. Puis elle m’a trompé, et j’ai été malheureux. Vexé serait peut-être le mot le plus juste. J’ai cru qu’avec Jeanne, je pourrais renouer avec le bonheur. Je dois vous faire un aveu : Nous sommes partis, Jeanne et moi. Nous sommes allés dans un hôtel à une vingtaine de kilomètres d’ici. Un cadre magnifique. Et… Nous avons pris deux chambres. Non. Il ne s’est rien passé entre elle et moi. Durant trois jours, nous avons parlé de choses et d’autres. Mais nos pensées étaient ailleurs. On ne peut pas aimer et être heureux sur commande. De cela, je suis à peu près sûr. Je dis à peu près, parce que je me suis tellement trompé ! À ce moment, on entend que quelqu’un ouvre la porte d’entrée. On entend des pas, et Roxane entre. Elle ne semble pas en meilleure forme que Pierre. Elle a sa valise à la main… Elle voit ce dernier.
ROXANE : Tiens ? tu es là ?
PIERRE : Je suis là. Tu es là. Nous sommes là.
ROXANE : Tu conjugues bien !
PIERRE : Sur le plan conjugaison, ça va. Mais sur le plan conjugal, je ne suis pas très fort..
ROXANE : Moi non plus. Sur le plan conjugal, je n’ai pas été terrible.
PIERRE : Il est réconfortant de penser que nous ayons au moins, un point commun.
ROXANE : Pierre, il faut que je te dise..
PIERRE : Roxane, il faut aussi que je te dise…
ROXANE : Non. Moi d’abord. C’est moi qui ai commis la première faute
PIERRE : Je sais. Mais ce que toi, tu ne sais pas… Il faut bien que je te le dise. Je suis parti trois jours avec Jeanne.
ROXANE : Ah ? toi et Jeanne ?
PIERRE : Oui. Nous sommes partis ensemble dans un petit hôtel charmant. Mais… Il ne s’est rien passé entre elle et moi.
ROXANE : Ah ? Il ne s’est vraiment rien passé ?
PIERRE : Oui !
ROXANE : Alors pourquoi êtes vous partis ensemble
Un temps.
PIERRE : Et toi ? Pourquoi es-tu revenue ?
ROXANE (après une hésitation) : À partir du moment ou tu as été au courant de mon infidélité, je n’ai plus voulu que Jacques me touche.
PIERRE : Evidemment. Puisque je savais, tu ne pouvais plus me tromper…
ROXANE : Je t’admire de pouvoir plaisanter dans ces circonstances
PIERRE : Figure-toi que pour moi, le fait de savoir que tu ne m’as plus été infidèle à partir du moment où je l’ai su, c’est plutôt une bonne nouvelle.
ROXANE : Vraiment ?
PIERRE : Bien sûr. Je pars du principe que lorsque l’on ignore quelque chose, c’est comme si elle n’existait pas. Je ne savais pas que tu me trompais, c’était donc comme si tu m’étais fidèle. Cela devenait grave à partir du moment où sachant ton infidélité, tu ne me trompais plus… mais j’étais cocu.
ROXANE (souriant pour la première fois) : Curieux ton raisonnement, non ?
PIERRE : Je ne sais pas s’il est curieux, mais il me semble que je suis un peu moins malheureux que tout à l’heure.
ROXANE : N’es tu pas en train de me dire que tu m’aimes encore… malgré tout ?
PIERRE : Je ne t’aime pas ENCORE. Je t’aime beaucoup plus. Ou plus exactement, je ne savais pas que je t’aimais autant.
ROXANE : Tous les vieux dictons ne sont pas idiots. « A quelque chose malheur est bon ». Moi non plus, je ne savais pas que j’étais si attachée à toi.
PIERRE : Mais alors…
À ce moment, la sonnette d’entrée retentit.
ROXANE (prenant les valises et sortant) : Je vais mettre les valises dans notre chambre, et prendre une douche. Peux-tu aller ouvrir ?
PIERRE : Bien sûr
Pierre sort et revient avec Jacques.
JACQUES : Je tenais à venir vous voir pour vous présenter des excuses. Je suis à la base de l’éclatement de nos deux couples.
PIERRE : Vous savez, il est rare qu’un évènement n’ait qu’une seule cause. Peut-être avez-vous été l’élément déclencheur, mais si deux couples se sont désunis, c’est que leur état s’y prêtait.
JACQUES : Même si je n’ai été que l’élément déclencheur, je vous dois des excuses. Je sentais confusément que notre couple ne répondait pas à nos aspirations, mais, dans mon esprit, il y avait quelque chose de tabou dans une union. On ne pouvait mettre fin à un mariage. Alors, puérilement, j’ai pensé que sans remettre la forme en question, je pouvais à tout le moins me soustraire au devoir de fidélité. C’est ainsi, que connaissant Roxane, la meilleure amie de Jeanne, et sans aller chercher plus loin, je me suis efforcé de… retenir son attention. Mais dès que vous avez été au courant, si la surprise pour vous a été douloureuse, je me suis surpris également, en réalisant que je n’avais utilisé Roxane que comme un moyen pour me dégager des liens du mariage. Je ne sais si vous le savez, mais il ne s’est plus rien passé entre Roxane et moi, depuis que vous avez été au courant.
PIERRE (souriant) : Oui, je sais, je sais. Mais vous ne devez pas trop culpabiliser. La situation était mûre pour que quelque chose se produise
JACQUES : Voyez-vous, Pierre, nous avons eu une longue discussion, Jeanne et moi. Et les choses entre nous se sont entièrement clarifiées. Nous savons maintenant que l’un comme l’autre, nous voulions nous dégager de nos liens. Non pas pour en lier avec d’autres. Non. Nous voulons vivre libres et indépendants. Jeanne et moi allons devenir les meilleurs amis du monde. Comme je veux m’efforcer d’être sincère, je sais bien qu’en étant de simples amis, il pourrait arriver que nous soyons quelquefois des amis… de sexes différents… et qui en profitent… Mais cela ne serait que ponctuel.
PIERRE : Je rends hommage à votre sincérité. Et je ne puis faire moins que de vous parler franchement, moi aussi. Nous avons eu aussi, Roxane et moi, une discussion. Et nous avons constaté que nous sommes très attachés l’un à l’autre. Bref, notre couple sort renforcé de cette épreuve. Cette épreuve qui nous a changés et qui fait que nous nous aimons plus fort qu’avant.
JACQUES : Je suis sincèrement heureux de cette conclusion.
La sonnette d’entrée retentit de nouveau.
PIERRE : Attendez-moi une seconde, je vais ouvrir. Je n’attendais personne, ce ne peut être très important.
Pierre sort et revient avec Michel.
MICHEL (qui est épanoui, manifestement heureux) : Pierre, mon ami, je suis venu pour te remercier encore. Tu es un sage, un homme de bon conseil. Lorsque tu m’as dit qu’il fallait que je voie le bon côté des choses, que le fait d’avoir été quitté par ma femme n’était pas grave, je n’étais pas convaincu, je te l’avoue. Et puis, j’ai rencontré Mathilde, tu le sais, et j’étais déjà venu te remercier. Mais aujourd’hui, de plus j’y vois très clair. Je sais pourquoi j’étais si malheureux quand ma femme est partie. Je sais même pourquoi et je t’en demande pardon ; je t’avais laissé entendre que Roxane m’attirait. En fait, j’ai une peur affreuse de me retrouver seul. Pour moi, la vie de couple est absolument vitale. C’est grâce à toi que je peux aujourd’hui voir les choses en face. Ne voulant pas être seul, je ferai toutes les concessions qu’il sera nécessaire pour garder Mathilde. Tu es un ami. Tes conseils ont été précieux.
PIERRE : Arrête, arrête, tu me gênes, Michel ! Tu serais venu me remercier il y a quelques jours, j’aurais sans doute accepté tes remerciements comme un dû. Mais aujourd’hui, les choses sont bien différentes. Voyons les faits en face : il y a trois mois, nous tous les trois, nous étions mariés, et ne mettions pas nos unions en cause. Il y a deux mois, et pratiquement simultanément, nos trois couples ont volé en éclats. Et quelle est la situation aujourd’hui ? Mon couple avec Roxane, s’est reconstitué avec en prime un amour plus puissant, des liens plus forts. Vous Jacques, venez de découvrir que vous recherchez avant tout la liberté, l’indépendance. Et toi, mon vieux Michel, tu t’es rendu compte que ta grande crainte est la solitude, et que pour l’éviter tu es prêt à faire tous les efforts nécessaires. Alors, vous voyez qu’à partir de trois cas qui semblaient similaires, nous sommes arrivés à des solutions différentes. Alors, non, Michel, je ne suis pas l’homme de bon conseil que tu disais, car dans le domaine du couple, il n’y a pas de conseil à donner, de règles à observer. Il a fallu une période de crise pour que nous voyions clairs en nous, mais chacun de nous, tout seul est arrivé à SA bonne solution. Mes amis, soyons heureux dans nos choix !
Les trois hommes se donnent l’accolade, et le rideau tombe.
Lorsque le rideau se relève pour la présentation des acteurs : Pierre et Roxane, de profil par rapport aux spectateurs sont dans les bras l’un de l’autre et s’embrassent. Jacques et Jeanne, également de profil, se serrent longuement la main. Jacques et une femme (Mathilde) côte à côte, face au public, se serrent l’un contre l’autre.
FIN
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