Personnages :
ALAIN BRON , 28 ans JEANNE BRON , 26 ans, sa femme MATHILDE , 22 ans Maître LEVE
Le rideau se lève sur un salon banal
Alain BRON est seul en scène. Il porte une très jolie veste d’intérieur, un peu râpée, assis dans un fauteuil, il lit son journal… un temps.
ALAIN (regardant de plus prés un article du journal) : Ah ! Par exemple, Ah par exemple ! (Il semble surpris et joyeux, il crie) Jeanne !Jeanne, vient vite ! Puis sur un ton normal Ah par exemple ! Ah par exemple !
Jeanne entre rapidement. Elle porte une vieille robe de chambre tachée. Des bigoudis multicolores ornent son chef. Elle semble affolée
JEANNE : Que se passe-t il Alain ? Tu n’es pas bien ?
ALAIN (riant) : Oh, si, ça va ! Ça va même très bien. Oui ça va très bien !
JEANNE : Idiot ! Tu m’as fait peur, j’ai cru…
ALAIN : Je ne sais pas ce que tu as cru, mais tu avais tort !Tu ne pouvais pas deviner !
JEANNE : Mais deviner quoi ?
ALAIN : Tiens-toi bien : L’oncle Paul est mort !
JEANNE : Non ?
ALAIN : Si ! JEANNE : Mais il n’était pas malade quand on l’a vu la semaine dernière !
ALAIN : C’est possible. En tout cas, il est mort ! C’est chouette, hein ?
JEANNE : Oui, c’est chouette… mais on ne devrait peut-être pas dire ça ?
ALAIN : Oh, écoute, il était vieux. Il était temps que d’autres que lui, profitent de sa fortune.
JEANNE : Le fait est que, s’il a su gagner de l’argent, il n’a pas su le dépenser. ALAIN : Remarque, nous n’avons pas à nous en plaindre !
JEANNE : Mais es-tu certain que c’est nous qui héritons ?
ALAIN : Qui veux-tu qui hérite sinon nous ? Il ne s’est jamais marié, et je suis son seul neveu.
JEANNE : Ça va nous faire combien ?
ALAIN : Je ne sais pas… (Il devient soudain sérieux et préoccupé) . Mais j’y pense. Qui a fait passer l’annonce de son décès dans la presse ? Et pourquoi n’avons-nous pas été les premiers prévenus ?
JEANNE : Oh, Ça n’a pas d’importance. Ce qui est important c’est qu’il soit mort et que nous soyons les seuls héritiers.
ALAIN (soucieux) : Oui, mais quand même, j’aimerais bien savoir…
A ce moment-là, le téléphone sonne. Alain va décrocher
ALAIN (au téléphone) : Oui… oui… bien sûr… à 17 heures demain ? Oui, d’accord. Avec ma femme ? Ah, bon d’accord… A demain.
ALAIN (raccrochant) : C’était Maître Lève, le notaire. Il me dit que les obsèques de l’oncle auront lieu demain à 16 heures, ça je le savais déjà, c’était précisé dans le journal. Je suis convoqué immédiatement après dans son étude pour l’ouverture du testament. Il n’est pas nécessaire que tu viennes. En revanche, il y a quelque chose qui me chiffonne. Il m’a dit : l’autre personne sera là aussi…
JEANNE : Tu n’as pas demandé qui est l’autre personne ?
ALAIN : Hé non ! J’étais tellement surpris ! Qui cela peut-il être. ?
JEANNE : Je ne sais pas. Il avait peut-être un ami ?
ALAIN : Tu sais très bien qu’il n’avait pas d’ami.
JEANNE : Pour l’annonce, c’est peut-être le notaire qui en a pris l’initiative.
ALAIN : C’est peu probable. Les notaires ne prennent pas d’initiatives. Et puis cela n’explique pas «l’autre personne» qui va assister à l’ouverture du testament.
JEANNE : Peut-être avait il une maîtresse cachée ?
ALAIN : Sûrement pas. Tu l’as entendu parler des Femmes ? C’était un ultra misogyne
JEANNE : Alors, peut-être… aimait-il un homme ?
ALAIN : Tu n’y penses pas ? Il était farouchement catholique.
JEANNE : Oh, tu sais, chez les ecclésiastiques, c’est bien connu, il y a des homosexuels.
ALAIN : Non, non. Ça je n’y crois pas. C’est autre chose, mais quoi ?...
Alain et Jeanne, sont effondrés dans des fauteuils et restent silencieux un bon moment. Puis le timbre de la porte d’entrée retentit
ALAIN (qui regarde sa montre) : Il va être midi. Qui peut avoir le culot de venir au moment du repas ?
JEANNE (qui se lève pour aller ouvrir) : Nous allons vite le savoir.
Jeanne sort. On entend des voix dans l’entrée, puis Jeanne revient dans la pièce suivie d’une jeune femme sympathique et vêtue simplement, mais très agréable à regarder.
L’INCONNUE : Vous êtes sans doute Madame et Monsieur Bron ?
ALAIN : C’est exact. A qui avons-nous l’honneur ?
L’INCONNUE : Je m’appelle Mathilde Jeandreau.
ALAIN : Enchanté… Que pouvons-nous pour vous ?
MAHILDE : Oh je ne viens rien vous demander. Je suis venue pour me présenter à vous.
ALAIN : C’est très aimable à vous. Et je crois que c’est fait, madame … ou mademoiselle Mathilde Jeandreau
MATHILDE : Mademoiselle !
ALAIN : Soit. Mademoiselle.
Un petit silence.
MATHILDE : Vous n’avez pas entendu parler de moi ?
ALAIN : Ma foi, non. Et toi Jeanne, as-tu entendu parler de Mademoiselle ?
JEANNE : Non. Ou du moins, je ne m’en souviens pas.
ALAIN : Mais qui aurait pu nous parler de vous ?
MATHILDE : Mais… Votre oncle Henri, évidemment !
ALAIN : Ah ? Vous connaissiez l’oncle Henri ?
MATHILDE : Si je connaissais l’oncle Henri ? Mais je suis sa fille !
JEANNE : Sa fille ? Mais l’oncle n’était pas marié !
MATHILDE : C’est vrai. Mais je suis sa fille, et il m’a reconnue.
ALAIN : Mais, c’est fou, ça ! Mon oncle ne s’appelait pas Jeandreau !
MATHILDE : Vous avez raison. Je me suis présentée avec mon nom habituel, Mathilde Jeandreau, c’est le nom de ma mère, mais officiellement je m’appelle Mathilde Bron.
JEANNE : Mais alors, pourquoi ne portez-vous pas son nom ?
MATHILDE : Bon. Il vaudrait mieux que je reprenne depuis le début. Votre oncle, allait tous les ans passer ses vacances en Suisse. Il y a 23 ans, il a connu ma mère, et ils ont eu une liaison. L’année suivante je naissais. Ma mère n’avait rien dit à mon père. Lorsqu’au mois d’août suivant, il est revenu en Suisse, il a revu Maman et a su qu’il avait une fille de 3 mois. Il parait qu’il était furieux. Je ne sais pas si c’était le fait d’avoir un enfant, ou si c’était parce que Maman ne lui avait rien dit. Les choses sont restées, en l’état, et je m’appelais Mathilde Jeandreau. Chaque année, mon père revenait en Suisse, chaque année, il revoyait Maman, bien qu’ils n’aient plus eu… de rapports intimes. Il me faisait de jolis cadeaux, et il était très gentil avec moi. J’avais 12 ans quand Maman est morte dans un accident de la route. Il faut vous dire que Papa et maman ne s’écrivaient jamais. Ils se voyaient au mois d’août, et c’est tout. Je ne connaissais pas son adresse en France, et il n’a pu être prévenu de l’accident de Maman. J’étais externe dans un pensionnat religieux. Comme je me retrouvais seule, les sœurs me prirent comme interne. Maman avait souscrit une assez grosse assurance vie. Je n’avais aucun parent, aussi, il ne pouvait être question de partir en vacances pour moi. Je vivais au pensionnat. Au mois d’août (l’accident de ma mère avait eu lieu en février) mon père, comme tous les ans est revenu en Suisse. Par des voisins, il a su ce qui était arrivé. Il est venu aussitôt me voir. Il m’a dit qu’il allait me reconnaître et me donner son nom. Il m’a donné son adresse à Paris, mais m’a dit qu’il m’interdisait de venir le voir. Il a toujours été très généreux avec moi, mais n’a jamais voulu que je vienne le voir à Paris. Mes études terminées, j’ai quitté le pensionnat pour travailler dans un cabinet d’avocat (j’ai une licence en droit). Il avait donné des instructions à son notaire. En cas de décès, je devais être prévenue aussitôt, en priorité, je devais venir aux obsèques, et avant d’aller voir le notaire, je devais prendre contact avec Monsieur et Madame Bron. C’est ce que je fais. Je n’en sais pas plus.
ALAIN : Alors, si je comprends bien, vous êtes légalement la fille de mon oncle… et la seule héritière.
MATHILDE : Je vous le répète, je n’en sais pas plus. Je crois que vous devez venir demain, à l’ouverture du testament, après les obsèques de mon oncle. C’est donc que vous figurez dans ce testament.
ALAIN : Ce n’est pas certain. Je suis, ou du moins j’étais son seul parent connu, mais si vous êtes réellement sa fille, c’est vous qui devez hériter
JEANNE : Ce qui n’est pas très juste. Car enfin c’est surtout nous qui avons vu notre cher oncle, et lui avons rendu plein de menus services, alors qu’il ne vous voyait qu’une fois par an…
MATHILDE : Avant de parler de justice ou d’injustice, peut être serait il préférable d’attendre de connaître les dispositions prises par mon père.
ALAIN : Elle a raison Jeanne. Attendons demain. Nous verrons bien. (S’adressant à Mathilde) avez-vous une idée de l’importance de l’héritage ?
MATHILDE : Non. Le notaire m’a parlé d’un important héritage. C’est tout ce que je sais. Mais sur ce point aussi, nous serons fixés demain. Maintenant, si vous le permettez, je vais prendre congé. Je suis partie en catastrophe et il faut que je fasse quelques courses. A demain… mes cousins.
ALAIN (souriant) : Demain cousine. (Il l’accompagne vers la sortie, puis revient dans la salle de séjour.)
ALAIN : Elle est très gentille notre nouvelle cousine.
JEANNE : Gentille, gentille ! Tu en as de bonnes ! Elle vient nous voler notre héritage !
ALAIN : Tu n’exagères pas un peu ? Elle n’a rien demandé cette jeune fille. Ni de naître, ni d’être reconnue par un père riche, qui se trouve être l’Oncle, ni de figurer sur le testament.
JEANNE : Qu’en sais tu ? C’est peut être une aventurière ?
ALAIN : Comme tu y vas ! Une aventurière ? Avec ce joli minois ?
JEANNE (furieuse) : Joli minois ??? Ma parole, elle t’a tapé dans l’œil !
ALAIN : Allons ! Ne sois pas ridicule. Je t’ai dit que ce n’est pas une aventurière. C’est tout.
JEANNE : Et qu’elle a un joli minois !
ALAIN : Hé bien ? Ce n’est pas vrai peut être ?
JEANNE : Ce n’est pas ça l’important. L’important c’est qu’elle nous prend notre héritage
ALAIN : Le fait est que j’aurais bien aimé avoir une grosse rentrée d’argent… mais après tout, attendons l’ouverture du testament. Nous aurons peut être quelque chose !
JEANNE : Oui… Des miettes.
ALAIN : Nous n’en savons rien. Et puis, ce n’est pas Mathilde qui a fait le testament. C’est mon oncle.
JEANNE : Pourquoi dis-tu MON oncle ?
ALAIN : Ce n’est pas mon oncle ?
JEANNE : Si. Mais nous disions toujours «L’oncle». Seulement il va peut-être laisser quelque chose, alors tu dis «Mon» oncle !
ALAIN : Tu sais qu’il t’arrive d’être pénible. De plus en plus souvent d’ailleurs.
JEANNE : Ça signifie quoi cette réflexion ?
ALAIN : Zut !
Un moment de silence
JEANNE : Vivement demain soir. Que l’on sache…
Le rideau tombe
Le lendemain en fin d’après midi. Même décor. Jeanne, visiblement énervée et impatiente, arrange machinalement quelques bibelots en marchant de-ci, de-là dans le salon. Elle est habillée très simple, et même négligée. Elle n’a plus de bigoudis mais une résille qui tient ses cheveux plaqués.
JEANNE : Mais qu’est ce qu’il fiche ? Il ne faut pas 3 heures pour lire un testament ! En tout cas, lui il sait, et moi… quelle incertitude ! Il va bien nous laisser quelque chose, l’oncle. On a toujours été très gentil avec lui. Bien sur, nous aurions dû l’inviter plus souvent… Mais qu’est ce que c’est que cette fille ? (A ce moment, on entend ouvrir la porte d’entrée) Ah ! Le voilà ! (Alain entre)
JEANNE : Alors ? Alors ? On a quelque chose ?
ALAIN : Oui et non
JEANNE : Ça veut dire quoi, oui et non.
Les deux personnages s’installent dans des fauteuils
ALAIN : Nous étions donc trois. Le notaire, Mathilde et moi. Le notaire a sorti une grande enveloppe, et nous a lu le testament. Voilà en gros ce qu’il nous a dit : «Par le présent testament, je vais faire connaître mes dernières volontés concernant environ le quart de mon patrimoine. Un codicille sera lu trois mois après la date de mon décès, qui dispose du reste de mes biens. Je lègue mon appartement actuel à ma fille Mathilde. Je désire qu’elle en prenne possession immédiatement. Comme il y aura sans doute des modifications à apporter pour que cet appartement réponde à ses goûts, Maître Lève a des instructions pour lui remettre immédiatement un chèque de 50.000 Euros. Maître Lève remettra également un chèque de 15.000 Euros à mon neveu Alain. Par ailleurs, je possède un commerce dans le 13ème arrondissement. Dans le contrat de l’actuel gérant, il est précisé que ce contrat sera résilié, un mois après mon décès. Il recevra une indemnité fixée par ailleurs. Mon désir est que mon neveu Alain et ma fille Mathilde gèrent ensemble ce commerce. Ils ne pourront le vendre avant 2 ans. Dans trois mois, vous vous réunirez pour la lecture de mon codicille»
JEANNE : Il est bizarre l’oncle. D’ailleurs il l’a toujours été. Mais ce commerce, qu’est ce que c’est ? Et pourquoi veut il qu’il soit géré par toi et par Mathilde conjointement ?
ALAIN (qui semble gêné) : J’ai posé ces questions à Maître Lève.
JEANNE : Bon. Et alors ? Il faut t’arracher les mots ? C’est un commerce de quoi ?
ALAIN : C’est un commerce un peu spécial.
JEANNE : Alain, tu m’énerves, tu m’énerves ! Tu vas parler, oui ?
ALAIN : Hé bien ce commerce a un bon chiffre d’affaires… et les marges bénéficiaires sont importantes.
JEANNE (très énervée) : Je sens que je vais faire une crise de nerfs ! C’EST QUOI CE COMMERCE ???
ALAIN : Mais calme toi… Ce n’est pas un commerce illicite, si c’est ce que tu crois… Non… C’est simplement un commerce spécial, c’est tout !
JEANNE (hurlant) : Tu vas finir par me le dire, ou je téléphone au notaire ??? C’EST QUOI CE COMMERCE ?
ALAIN (gêné) : Un sex shop.
JEANNE : QUOI ??? Un sex shop ? L’oncle avait un sex shop ? Mais ce n’est pas possible. Tu te fiches de moi ! Dis-moi que ce n’est pas vrai !
ALAIN : Si, c’est vrai. Et le notaire nous a dit que l’oncle voulait nous donner la cogérance avec Mathilde, parce qu’il tient à ce que toi et moi d’une part, Mathilde d’autre part, nous apprenions à bien nous connaître. Maître Lève nous a laissé penser que c’était important pour la suite du testament, mais n’a rien voulu nous dire de plus.
Un long moment de silence.
JEANNE : Et ce chèque de 15.000 Euros, il te l’a donné ?
ALAIN : Oui. Le voilà. Et demain matin, avec le notaire, nous devons Mathilde et moi aller visiter «A votre plaisir»
JEANNE : «A votre plaisir» ???
ALAIN : Oui. C’est le nom de notre commerce.
JEANNE : Mais enfin, Alain, tu ne vas pas accepter de gérer cette saleté… et avec cette fille en plus. ?
ALAIN : Cette «saleté» comme tu dis, est un commerce parfaitement légal, quant à «la fille» il s’agit, ne l’oublie pas de ma cousine.
JEANNE : Mais enfin, et ta situation à l’agence immobilière ?
ALAIN : Oh, tu sais ma «situation» dont tu parles, c’est simplement vendeur à la commission. Je verrai demain les comptes de «A votre Plaisir», et je suis certain que je gagnerai d’avantage comme cogérant. Et puis, il y a encore les trois-quarts de la fortune de mon oncle… Va savoir les conditions qu’il va encore exiger. Je préfère faire ce qu’il demande… (Un temps) Vas-tu chez ta mère demain ?
JEANNE : Bien sûr. Demain, c’est Vendredi, et j’y vais chaque Vendredi. Pourquoi ?
ALAIN : J’irai t’attendre au train de 18 heures 05 ?
JEANNE : Comme d’habitude. Mais enfin pourquoi toutes ces questions idiotes ?
ALAIN : Oh pour rien de particulier. Tu sais cette histoire d’héritage me perturbe un peu.
JEANNE : Je vois. Bon. Je descends faire quelques courses
Jeanne sort. Alain attend un moment, écoutant visiblement la sortie de sa femme, puis il va vers le téléphone et forme un numéro.
ALAIN : Allo ? C’est Mathilde ? Oui, c’est Alain. Nous devons aller demain matin voir le… heu… commerce avec le notaire. Je voulais vous demander : nous pourrions déjeuner ensemble et nous viendrions chez moi pour discuter de nos problèmes ? Bon. D’accord. Alors à demain.
Alain raccroche, et le rideau tombe.
Le rideau se lève sur le même décor, au moment ou Alain et Mathilde entrent
ALAIN : Asseyez vous, mettez-vous à l’aise. Comme je viens de vous le dire, à mon avis, nous pourrions travailler chacun à mi temps. Vous pourriez être au magasin le matin et moi, l’après midi, ou inversement, cela ne me dérange pas. Je pourrais ainsi continuer mon travail à l’agence immobilière à mi-temps également.
MATHILDE : Pas de problème pour moi. Nous pourrions si vous le voulez bien alterner chaque semaine. Une semaine, je viendrais le matin, la semaine suivante je viendrais l’après-midi.
ALAIN : Parfait, parfait. En ce qui concerne l’appartement de votre père, envisagez vous de gros travaux ?
MATHILDE : Je n’ai pas encore pris de décision, mais je pense, oui.
ALAIN : Bien sûr, il faudrait que j’en parle à Jeanne, mais je pense que vous pourriez loger ici durant vos travaux.
MATHILDE : Vous êtes très gentil, mais parlez-en à votre femme. Je ne voudrais à aucun prix vous déranger.
ALAIN : Je lui en parlerai bien sûr. Mais elle sera d’accord. (Un moment) . Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de notre… commerce. Ne trouvez-vous pas curieux que votre père, que je connaissais comme très… puritain, ait acheté un sex shop ?
MATHILDE : Non. Pas curieux du tout. Mon père se dédoublait…
ALAIN : Se dédoublait ? Que voulez-vous dire ?
MATHILDE : Hé bien, il y avait d’une part l’homme privé, c’est, je pense, celui que vous avez connu, et il y avait l’homme d’affaires. L’un n’avait rien à voir avec l’autre. En ce qui concerne le magasin, il était dans la légalité, et son rapport était particulièrement intéressant. L’homme d’affaires ne faisait entrer en ligne de compte aucune autre considération.
ALAIN : Vous avez connu l’homme d’affaires ?
MATHILDE : Oui. Mais si vous permettez, je ne vous en parlerai que plus tard. Je voulais vous demander : Vous travaillez dans l’immobilier, peut-être dans votre activité, avez-vous eu l’occasion de connaître des professionnels sérieux dans le bâtiment ? Bien sûr je ne connais personne ici, et si vous connaissez des gens de confiance…
ALAIN : Pas de problème. Maçon, plombier, menuisier, je fais travailler des gens sérieux pour les clients qui achètent des maisons ou des appartements. Vous pouvez avoir confiance.
MATHILDE : Merci. Maintenant, pour en revenir à notre commerce, nous avons pris un accord, nous nous sommes organisés sur le plan commercial : la vente au magasin. Mais il y a un autre aspect très important : C’est le département achat. Il faut non seulement se réapprovisionner mais se tenir au courant des innovations. Comme je n’aurai pas comme vous, une autre activité, je pourrais m’en occuper. Cela m’amuserait… et bien entendu cela ne changerait en rien notre partage des bénéfices moitié-moitié.
ALAIN : Mais ce ne serait pas juste puisque vous travaillerez plus que moi. Je suis, je l’avoue un peu surpris de vous voir entrer dans cette activité nouvelle, si… naturellement, si… simplement… sans la moindre gêne.
MATHILDE : Vous trouvez ? C’est peut être que je ressemble à mon père. Le travail est un domaine à part. Et pourtant…
ALAIN : Et pourtant ? Qu’alliez vous dire ?
MATHILDE : Non… rien…
ALAIN : Mathilde, il y a beaucoup de mystère en vous.
MATHILDE : Oh, non. Détrompez vous ! Simplement un petit secret… qui ne le sera plus pour vous dans quelque temps. Patience. Non, je ne suis pas une Femme mystérieuse.
ALAIN : En attendant, vous m’intriguez
MATHILDE (en souriant) : Il n’est pas mauvais qu’une femme intrigue un homme.
ALAIN : Oui, mais Heu… pour moi, vous n’êtes pas une femme.
MATHILDE : Ah ? Tiens ? Alors que suis-je ?
ALAIN : Vous êtes ma cousine Germaine !
MATHILDE : Ah ! bien sûr !
ALAIN : Et puis, … je suis marié…
MATHILDE (toujours souriante) : Bien sûr, bien sûr… Alors je ne suis pas une Femme. En fait, à vos yeux, il n’y a qu’une seule femme : la vôtre. C’est merveilleux ! Vous devez être profondément heureux !
ALAIN : Heureux ? Ah non alors !!
MATHILDE : Je ne vous comprends pas.
ALAIN : Comme je suis marié, j’ai le devoir d’être fidèle. Mais je ne suis pas heureux !
MATHILDE : Vous excluez toutes possibilités de tomber amoureux d’une autre femme que la vôtre ?
ALAIN : Vous savez, dans ce domaine, je préfère ne pas trop me poser de question.
Mathilde se met à rire
ALAIN : Pourquoi riez-vous ?
MATHILDE : Parce que vous venez de me dire que vous n’avez jamais trompé votre femme, et… que vous tenez un sex shop.
Alain réfléchit un moment, puis lui aussi éclate de rire
ALAIN : Vous avez raison. C’est cocasse. Mais… les choses sont peut-être en train de changer. (Redevenant sérieux, l’un et l’autre, ils se regardent longuement) . Evidemment, vous êtes ma cousine germaine…
Mathilde le regarde encore et ne répond pas
MATHILDE : Votre femme est absente ?
ALAIN : Oui. Pour la journée. Chaque semaine, elle passe une journée chez sa mère.
MATHILDE : Ah ? Bien. Elle n’est pas là ? (Elle se lève) J’ai pas mal de choses à faire. Il faut que j’y aille. Je vous laisse. A bientôt. Nous nous reverrons sans doute avant de «prendre nos fonctions» dans notre «A votre plaisir». Pas mal comme enseigne… c’est parlant.
Alain se lève à son tour, à regret semble t il
ALAIN : Il est dommage que vous soyez obligée de partir si vite. Mais bien sûr nous nous reverrons avant de prendre «nos fonctions». D’ailleurs, nous y sommes obligés. Souvenez-vous, c’était le désir de mon oncle… que nous nous connaissions bien.
MATHILDE : Nous nous téléphonerons
Ils sortent tous deux pendant que le rideau tombe
3 mois plus tard Le rideau se lève sur le même décor. Alain, portant une très jolie veste d’intérieur, d’une allure plus soignée que précédemment, est assis dans le même fauteuil qu’au début de la pièce. Il lit son journal. Jeanne entre, un chiffon à la main. Elle porte toujours des bigoudis multicolores, est attifée plutôt qu’habillée. Pendant qu’elle époussette quelques meubles, Alain abaisse son journal pour regarder sa femme. Après quelques instants…
ALAIN : Décidemment, je t’ai demandé plusieurs fois de faire des efforts pour être un peu plus présentable, mais tu t’en fous éperdument
JEANNE : Tu es de mauvaise foi. Si j’ai mis des bigoudis c’est pour être bien coiffée tout à l’heure.
ALAIN : L’ennui c’est que tu mets des bigoudis le matin et que tu ne les enlèves que le soir, pour mettre une résille. Tu n’es donc jamais bien coiffée. De plus sur le plan vestimentaire.
JEANNE : Quoi, sur le plan vestimentaire ? Je ne vais pas mettre une robe de soirée pour enlever la poussière ! Fais le ménage toi-même, et je pourrais me pomponner !
ALAIN : Te pomponner ? Tu ne le sais pas. Tu ne l’as jamais su !
JEANNE : Si tu trouves que je n’ai pas changé, je trouve moi que tu as beaucoup changé. Depuis que ta cousine est venue nous prendre notre héritage, tu lui fais les yeux doux. Je ne suis pas idiote, j’ai bien vu ton manège auprès d’elle. Tu crois qu’elle va te donner un morceau du gâteau ? Tu es bien naïf mon pauvre vieux. !
ALAIN : L’héritage, l’héritage ! C’est ton seul intérêt dans la vie ?
JEANNE : Oh, Ça te va bien de jouer à l’homme désintéressé ! Oui, l’argent m’intéresse, et toi aussi tu es intéressé ! Mais moi je le reconnais.
ALAIN : Tu ne vas pas dire que notre situation matérielle n’a pas évolué depuis que nous avons notre commerce. Si tu es habillée comme une souillon, ce n’est pas une question d’argent. Et si tu en avais 10 fois plus, tu ne ferais pas un effort vestimentaire pour cela !
JEANNE (imitant son mari) : «Depuis que nous avons notre commerce» ! Tu parles d’un commerce ! Tu vends des saletés à des tarés, des malades mentaux ! J’ai honte, et si j’aime l’argent, je n’aime pas l’argent sale. Quand je pense à cette sainte Nitouche qui vend un tas de choses pour faire des saletés… Ça me dégoûte !
ALAIN : Je préférerais que tu sois plus large d’esprit, et que tu sois plus soignée. Vas t’arranger un peu, Mathilde va arriver
JEANNE (en sortant) : Oh, mais moi, je n’ai pas à lui plaire à cette fille ! Et je n’ai pas honte devant elle ! Elle a peut-être de plus belles robes que moi, mais je ne gagne pas d’argent en favorisant les vices et les détraqués !
Alain hausse les épaules et reprend son journal. Sonnerie de la porte d’entrée. Alain plie rapidement son journal et se précipite pour aller ouvrir. Il sort et revient avec Mathilde.
ALAIN : Que vous êtes jolie, Mathilde ! Malheureusement, vous êtes ma cousine.
MATHILDE (en souriant) : Et ne l’oubliez pas : Vous êtes marié.
ALAIN (avec un ton de regret) : C’est vrai. Je suis marié.
Un petit moment s’écoule.
MATHILDE : Cela fait deux mois que nous cogérons notre commerce. Pouvez-vous me dire très franchement, si vous êtes heureux d’exercer cette activité… spéciale. ALAIN : Je crois que c’est Nietzsche qui disait : «Oui et non, ne sont pas des réponses». En fait les choses sont toujours complexes. Il est certain que le rapport matériel de ce commerce n’est pas inintéressant. Il est certain aussi, que je ne déteste pas travailler avec vous. Maintenant, je l’avoue, je ne suis pas emballé par le genre de clientèle que nous avons, et je ne suis pas très fier vis-à-vis des autres de faire ce commerce. Puis-je vous poser à mon tour la même question ?
MATHILDE : Je crois que vous et moi, sommes des gens normaux. Nos réponses sont donc très proches. Mais il y a une autre question à laquelle nous devons répondre. Avez-vous l’intention de continuer cette activité ?
ALAIN : Je crois que cette question ne se posera vraiment que demain. Demain, cela fera trois mois que votre père, mon oncle, est décédé, et nous avons rendez-vous chez le notaire à 15 heures pour l’ouverture du codicille. Voyons les choses en face. Le contenu de ce codicille va influencer nos décisions respectives concernant le commerce. Nous ne pouvons prendre de décisions sans avoir toutes les données en main.
MATHILDE : Vous avez raison, Alain. Nous ne pourrons prendre des décisions qu’en parfaite connaissance de cause. Mais je vous rappelle que ma question était : «Etes vous heureux d’exercer cette activité ?» Il aurait été possible que votre réponse soit nettement affirmative. Je ne vous cache pas que je préfère votre réponse…très nuancée…
Ils restent silencieux un moment
ALAIN : Puisque nous en sommes à nous parler très franchement, je dois ajouter que notre organisation ne me donne pas entièrement satisfaction. Nous tenons le magasin à tour de rôle, et… Nous ne nous voyons pas beaucoup.
MATHILDE : Nous avons une réunion de travail chaque Lundi.
ALAIN : Oui. Une réunion de travail. Ah, voilà Jeanne !
Jeanne entre. Elle n’a plus de bigoudis mais ses petites bouclettes sont un peu ridicules. Elle a des chaussures sans talon, et une robe qui la boudine un peu.
JEANNE : Alors, les commerçants, les affaires marchent ?
ALAIN : Tu dois le savoir. Tu as plus d’argent à ta disposition.
JEANNE : Oh ! Il y a argent et argent.
ALAIN : Tu te trompes. 10 euros, c’est 10 euros. Si les billets ne sont pas faux, ils ont le même pouvoir d’achat
JEANNE : Je me comprends !
ALAIN : C’est déjà ça ! Mais Mathilde n’est pas venue pour entendre une dissertation sur la valeur des monnaies. Nous prenons l’apéritif ? (Alain se lève et va prendre dans le bar, des verres et des bouteilles, puis se dirige vers la cuisine). Je vais chercher des glaçons, excusez moi un instant (il sort).
JEANNE (très vite, à Mathilde) : Je me demande comment vous pouvez vendre toutes ces saletés à des tarés. Moi, je ne pourrais pas !
MATHILDE : Je ne vous le cache pas, c’est quelquefois difficile. Mais je n’ai jamais eu une vie facile, et je me dis que ce n’est peut-être qu’un passage.
JEANNE : Oui. Vous allez toucher le gros paquet de… votre pseudo père.
MATHILDE : Pourquoi dites vous pseudo père ?
JEANNE : Votre mère et l’oncle n’étaient pas mariés, et si votre mère n’était pas décédée, l’Oncle ne serait pas votre père.
MATHILDE : Oui. Si… Mais mon père m’a reconnu, et je suis sa fille.
JEANNE : Une fille qui ne s’est pas beaucoup occupée de son père, et qui vient maintenant, parce qu’il y a des sous à prendre.
ALAIN (qui vient de rentrer) : Mais enfin, Jeanne…
MATHILDE : Laissez, laissez, Alain ! (S’adressant à Jeanne) Si je n’étais pas venue à Paris pour le voir, c’est parce qu’il me l’avait interdit. Je me suis conformée à son désir. Et si je suis là, c’est parce qu’il l’a expressément demandé dans son testament, et qu’il a voulu que j’habite immédiatement son appartement. Là encore, je n’ai fait que me conformer à son désir.
JEANNE : Ça vous arrange bien !
MATHILDE : Si vous voulez me faire dire que j’aime bien mon appartement, je vous le dis. Oui j’aime beaucoup cet appartement.
JEANNE : Et votre commerce de saletés, vous l’aimez aussi, ça rapporte bien ?
MATHILDE : Vous devez le savoir, vous avez la moitié des revenus
JEANNE : Oui. Et ça me dégoûte !
ALAIN : Ecoute, Jeanne, je ne te pardonne pas ton attitude agressive à l’égard de Mathilde. Fais-lui des excuses.
JEANNE : Oh, ça, jamais !
MATHILDE : (à Alain) Je vais me retirer. Ne vous tracassez pas pour les propos que vient de tenir votre femme… ce n’est pas très grave.
ALAIN : Si, c’est grave !
JEANNE : C’est moi qui vais sortir. Vous pourrez discuter tranquillement. Vous avez tellement de points communs. (Elle sort en claquant la porte)
Après un moment de silence
MATHILDE : Elle n’a pas tout à fait tort.
ALAIN : Quoi ? Vous approuvez toutes les insanités qu’elle a déversées sur votre compte ?
MATHILDE : Non, Oh, non. Je n’approuve que ce qu’elle a dit sur le fait que nous avons des points communs.
ALAIN : Sur ce plan d’accord. Je pense qu’il y a plus d’affinités, entre vous et moi, qu’entre ma femme et moi.
MATHILDE : Je le pense aussi. Mais les choses étant ce qu’elles sont…
Les échanges des répliques suivantes doivent faire ressortir une certaine gravité, un changement d’atmosphère
ALAIN : Les choses sont ce qu’elles sont. Mais elles peuvent bouger. En tout cas, certaines peuvent bouger. Et je commence à y penser très sérieusement.
MATHILDE : Vous êtes sous le coup de l’éclat que vient de faire Jeanne. Laissez les choses se calmer. Et puis n’oubliez pas que demain nous avons rendez-vous chez le notaire. Ni vous ni moi ne savons quelles décisions avait prises mon père. Cela peut modifier bien des choses
ALAIN : Les dispositions prises par votre père peuvent modifier les conditions matérielles. Mais il y a d’autres problèmes, qui eux, ne sont pas d’ordre matériel, et qui elles, ne peuvent pas bouger.
MATHILDE : Evidemment, je suis la fille de votre oncle, par exemple…
ALAIN : Par exemple… mais je ne sais pas si c’est important…
Après un moment de silence, Mathilde reprend
MATHILDE : Nous parlons à demi-mot de choses importantes, mais je crois qu’il est trop tôt, pour en parler ouvertement.
ALAIN : C’est bien mon avis. Demain, pour aller chez le notaire, voulez-vous que j’aille vous prendre chez vous ?
MATHILDE : Volontiers. A demain donc !
Mathilde sort et le rideau tombe.
Le rideau se lève sur une étude de notaire. L’étude est de style classique. Meubles austères. Un bureau de couleur sombre occupe le centre de la scène, perpendiculairement à la rampe. Des classeurs verts foncés, tapissent les murs. Maître Lève, à son bureau, de profil lit machinalement des papiers, mais l’on sent qu’en fait, il attend une visite. On frappe et Mathilde, Alain, et Jeanne entrent.
LE NOTAIRE se lève, vient serrer la main de chacun et dit à Jeanne : Pardonnez-moi Madame de ne vous avoir prévenue qu’hier au soir que votre présence était indispensable.
JEANNE (manifestement heureuse d’être là) : Mais pas du tout, Maître, je n’avais rien de prévu aujourd’hui, cela ne me gêne absolument pas.
Le notaire fait asseoir ses visiteurs.
Maitre LEVE : Bien. Le codicille est enfermé sous pli séparé que je vais ouvrir devant vous.
Il le fait De la grande enveloppe, sortent trois enveloppes.
Maitre LEVE : Je trouve trois enveloppes. L’une vous est adressée Mademoiselle. Il est spécifié que vous ne l’ouvrirez qu’après la lecture du codicille. La seconde est à votre nom Monsieur Bron, avec la même demande de ne pas l’ouvrir tout de suite. La troisième doit contenir le codicille lui-même. (Il ouvre la troisième enveloppe et lit) : «Je veux tout d’abord parler de la première partie de mon testament. Je pense, Mathilde et Alain que vous avez été surpris de vous retrouver cogérants d’un commerce de sex shop. Je vais m’expliquer.
J’ai parfaitement conscience de ne pas être très drôle dans la vie courante, alors, j’ai voulu m’amuser une fois avant de partir. Il y a deux mois, j’ai acheté ce commerce, et cela m’amuse beaucoup d’imaginer vos têtes; à l’un comme à l’autre. Mais il y a une seconde raison plus sérieuse. Je voulais que les deux personnes les plus proches de moi, se connaissent bien .La meilleure façon, était de les faire cogérants d’un commerce très spécial. La nature de ce commerce ne pouvait qu’entraîner des réactions chez l’un comme chez l’autre, et c’est dans les circonstances anormales que les personnalités se découvrent le mieux. Cela fait deux mois que vous êtes cogérants. J’espère que vous vous connaissez bien… et que vous vous appréciez. J’en viens à mes dispositions sur mes autres biens. Je possède une fortune principalement en actions. J’en ai fait deux listes.
Ma petite Mathilde, je ne suis pas un démonstratif. Néanmoins, il m’est plus facile de m’exprimer dans cette circonstance, par écrit. J’ai pour toi, non seulement une immense affection, mais beaucoup d’estime pour tes qualités. La première liste concerne les actions qui te reviennent. J’ai évalué ces valeurs aujourd’hui à un montant de presque 4 millions d’euros. Cela te laissera une entière liberté pour choisir ta voie. La réalisation de tout ou partie de ces valeurs te permettra de réaliser tes rêves.
Mon petit Alain, pour toi aussi, j’ai une grande affection et si je devais te faire un petit reproche, c’est que tu t’es mal marié… (cris de Jeanne qui suffoque de fureur) …mais peut-être les choses pourraient-elles s’arranger. Qui sait ? J’ai fait une deuxième liste d’actions qui à ce jour représente environ 1Million d’euros. Je suis certain que tu en feras bon usage. Maintenant, Jeanne, si vous avez récupéré votre sang froid, vous allez savoir pourquoi je vous ai demandé d’assister à cette réunion.
Je possède à Marseille un salon de coiffure. Ce salon de coiffure, laisse, tous frais payés, environ 2500 euros par mois. Au-dessus de ce salon, j’avais acheté un appartement de 4 pièces, pour loger mon gérant. Ce dernier vient de faire construire une maison. Ainsi, cet appartement est vide Hé bien, Jeanne, ce salon de coiffure, et cet appartement que vous pouvez occuper vous appartiennent. A une condition : Votre divorce avec Alain, doit être prononcé dans les 9 mois qui suivent ce jour. A vous de choisir. Si dans le délai imparti, votre divorce n’est pas prononcé, ce salon de coiffure et cet appartement, bien entendu, reviendront à Mathilde, mon héritière naturelle. Je dois attirer votre attention Jeanne, sur le fait que si vous devenez propriétaire de ce salon, vous aurez la possibilité de vous faire coiffer gratuitement… Ce qui ne vous obligera plus à vous promener toute la journée avec votre parure de bigoudis. J’espère avoir fait pour le mieux pour tous. Maintenant, Mathilde et Alain, vous pouvez lire vos lettres. Adieu mes enfants. Soyez heureux.»
Lorsque le notaire termine sa lecture, les trois visiteurs sont comme statufiés. Jeanne, la main devant sa bouche, les yeux fermés, semble en catalepsie…
Le premier, le notaire reprend la parole.
Maitre LEVE : Je suppose que vous allez me demander quelle a été l’évolution de la bourse depuis la rédaction du testament. Il y a une plus value d’environ 22%.
Sortant ensemble de leur torpeur, Mathilde et Alain ouvrent leurs enveloppes. Mathilde est très pâle, et Jeanne reprend vie
JEANNE : Mais pourquoi me traite-t-il comme ça, l’oncle ? J’ai toujours été très gentille avec lui. Je pense qu’il n’a pas le droit d’exiger mon divorce. Ce testament doit pouvoir être cassé !
Maitre LEVE : Je crois, Madame, que le testateur ne vous devait rien Il ne vous lèse en rien. Il vous fait un legs sous condition, c’est tout. Vous remplissez la condition, le legs vous est acquis, dans le cas contraire, le legs reviendra à l’héritière légitime.
JEANNE (après avoir réfléchi un moment) : Il suffit que le divorce soit prononcé pour que je recueille ce legs ?
Maitre LEVE : Exactement. Dans le délai imparti bien sûr. A ce propos, je dois vous préciser que si vous prenez trop de temps pour réfléchir, la décision se prendrait d’elle-même, car vous ne pourriez respecter le délai de 9 mois.
JEANNE : Oh, mais ça ira très vite. Alain, rentrons, nous avons à parler !
ALAIN : Si nous devons parler des dispositions de ce testament, il est indispensable que Mathilde assiste aux conversations.
JEANNE : Mais… Le problème de notre divorce ne la regarde pas !
ALAIN : Mais bien sûr, cela la regarde. Si nous divorçons, elle perd les biens de Marseille…
JEANNE (après un moment de réflexion) : Bon. Qu’elle vienne. Après tout, cela ne me gêne pas.
MATHILDE (en souriant) : D’ailleurs, mon intérêt est que vous restiez mariés. Et c’est ce que vous désirez, n’est ce pas ?
JEANNE : Vous verrez bien ce que je désire. Nous y allons ?
Les trois visiteurs prennent congé.
Resté seul, Maître LEVE murmure : Pas idiot, ce testateur ! Elle est imbuvable cette Jeanne !
Le rideau tombe
Le rideau se lève sur le même décor qu’au premier acte. La scène est vide. Le rideau levé, trois personnes entrent : Alain, Jeanne et Mathilde. Les acteurs doivent donner l’impression que depuis leur sortie de l’étude du notaire, pas un mot n’a été prononcé.
Alain se dirige vers un placard. Il sort une bouteille, et se sert un verre de Whisky. Puis d’un signe de tête, et levant son verre, il regarde Mathilde pour lui demander si elle en veut. Elle hoche la tête pour accepter et fait signe du pouce et de l’index, qu’elle n’en veut pas beaucoup. Alain sert dans un deuxième verre, puis se tournant vers Jeanne, il la questionne avec les mêmes mimiques. Jeanne fait non de la tête. Alain donne un verre à Mathilde, et avec le sien, vient s’asseoir dans un fauteuil. Encore un petit moment de silence.
ALAIN : Bon. Si nous sommes là, c’est pour parler, non ?
JEANNE (désignant Mathilde d’un mouvement de tête) : Celle-là ne devrait pas être là. Mais bon, après tout, elle ne me gêne pas. Pour que je puisse bénéficier de ce petit héritage, nous devons divorcer, Alain. Mais il n’est pas exigé que nous ne vivions plus ensemble. Nous pouvons donc divorcer pour faire plaisir à l’oncle, et continuer à vivre ensemble. D’ailleurs, ce problème de testament étant réglé, rien ne nous empêchera de nous remarier, mon chéri. C’est la solution la plus simple. Je pense que tu es d’accord. D’ailleurs, ce petit salon de coiffure, c’est une goutte d’eau à coté de l’héritage de Mathilde. Elle ne perdra pas grand-chose.
ALAIN : Normalement, Mathilde devrait être la seule héritière. Mon oncle, par gentillesse, a voulu me laisser quelque chose, et à toi aussi, si nous divorçons.
JEANNE : Mais pourquoi, moi seule, hérite sous condition ?
ALAIN : Parce que seule tu n’es pas une parente de mon oncle.
JEANNE : Mon oncle, mon oncle ! Tu m’énerves. Tu disais toujours L’oncle ! Mais tu n’as pas répondu à ma proposition.
ALAIN : Ma réponse est simple. Mon oncle désirait que nous nous séparions, et pour cela prévoyait une indemnisation matérielle à ton profit.
JEANNE : Tu parles d’une compensation ! Il parle de 2500 euros pas mois, et ce n’est même pas certain. C’est une aumône en comparaison de ce que vous recevez l’un et l’autre.
Un silence qui doit durer plusieurs secondes
ALAIN : Je constate que tu mets le problème matériel en avant. C’est d’ailleurs son vrai plan. Soit ! Ne parlons que de problèmes matériels. Divorçons. Tu deviendras propriétaire à Marseille, et de surcroît je te cèderai ma part sur «A Votre Plaisir»
JEANNE (véhémente) : Quoi ? Cette cochonnerie ?
ALAIN : Cette cochonnerie, pour ma seule part, représente 4.000 euros par mois !
JEANNE (beaucoup moins outrée) : 4.000 euros, 4.000 euros….mais c’est quand même un sex shop !
ALAIN : C’est un sex shop, mais ça te rapporterait 4.000 euros….. (Un court silence, puis elle ajoute. Et je serais associée avec elle ? (De la tête, elle montre Mathilde)
Après un autre silence
MATHILDE : Je vais faire une autre proposition. Je prends le salon de Marseille, et je vous donne ma part sur «A votre Plaisir». Ainsi, vous seriez seule propriétaire, vous ne seriez pas associée avec «celle -là, et vous auriez des revenus mensuels importants de 8.000 euros par mois. De plus il y a un petit 3 pièces qui est bien aménagé.
JEANNE : 8.000 euros ? (Visiblement, elle se livre à des calculs en Francs). Evidemment, mais c’est un commerce dégoûtant.
MATHILDE : Absolument légal !
JEANNE : Légal mais dégoûtant. Qu’en penseront mes amies ? Et puis, ces 8.000 euros, c’est peut être en mois de pointe ?
MATHILDE : Les livres sont à votre disposition. Vous verrez que 8.000 euros, c’est une moyenne. Cela peut monter à prés de 10.000 en mois de pointe.
JEANNE : Mais dites-moi ? Quel est votre intérêt dans cette histoire ?
MATHILDE : Vous savez, je n’aurais jamais pensé avoir un jour la fortune que me laisse mon père. Alors que nous soyons trois heureux, c’est bien.
JEANNE : Vous n’êtes pas honnête. En fait vous voulez que je divorce et qu’Alain soit libre.
MATHILDE : Je crois qu’en effet, Alain désire être libre. Je l’estime énormément. Si je peux l’aider, je le fais, voilà !
JEANNE : Voilà… mais pas voilà tout. Il y a autre chose. Vous aimez Alain.
MATHILDE : Il me semble que cette réunion devait porter sur un problème de divorce. Je trouve un peu curieux que les problèmes de sentiment n’interviennent que maintenant. Jusqu’ici nous n’avions parlé que de questions matérielles. J’avoue que j’en suis très surprise.
JEANNE : En attendant vous n’avez pas répondu à ma question.
MATHILDE : Il me semble que la vraie question est : Aimez-vous assez votre mari pour renoncer à un héritage ? La réponse est : Cela dépend du montant de l’héritage.
JEANNE : Et vous ne répondez toujours pas à ma question
MATHILDE : Mais enfin, Jeanne, vous n’êtes pas mon confesseur. Et d’ailleurs, cette question que vous me posez, je n’ai pas à me la poser puisque Alain et vous êtes mariés.
JEANNE : Oh ! Quelle grandeur d’âme. Un homme est marié, on ne peut ressentir aucun sentiment pour lui !
MATHILDE : Faux. Je travaille avec Alain et j’ai beaucoup d’estime pour lui. Je ne l’ai pas caché.
ALAIN : Excusez moi d’intervenir. Mais je crois, en effet, que le vrai problème, est : Que faisons-nous au sujet de ce divorce ? Il me semble que nous sommes arrivés à un accord, mais il faut que les choses soient très claires. Sommes-nous tous les trois d’accord sur ces bases ? Jeanne et moi, divorçons avant 9 mois. Ayant satisfait les dernières volontés de mon oncle sur ce point, Mathilde et moi-même abandonnons nos parts sur «A votre Plaisir », dont Jeanne devient la seule propriétaire, ainsi que de l’appartement adjacent. Le salon de coiffure revient à l’héritière naturelle : Mathilde.
JEANNE : Que gagnes-tu, dans cette solution ?
ALAIN : La liberté.
JEANNE : Donc, subitement, tu veux divorcer ?
ALAIN : En tout état de cause, je veux divorcer. Qu’au moins cela te rapporte quelque chose !
JEANNE : Tu es un beau salaud ! Tu ne m’avais jamais parlé de ton désir de liberté jusqu’à l’arrivée de celle-là (elle désigne Mathilde d’un coup de tête) . Mais je n’ai encore rien accepté. Je veux d’abord voir les livres de compte du commerce, et je veux évidemment visiter l’appartement.
MATHILDE : «Celle-là» se fera un plaisir de vous donner satisfaction sur ces deux points. Disons demain matin à 10 heures, au magasin ?
JEANNE : Au magasin… au magasin… je ne sais pas si j’oserais y entrer.
MATHILDE : Ce sera peut-être dur la première fois, mais lorsque vous aurez vu les livres de comptes, vous verrez, vous n’aurez plus aucun problème. Bon, sur ce, je vous laisse. (S’adressant à Alain) vous venez au magasin l’après midi ? Je reviendrai donc vers 14 heures, pour que nous discutions en fonction des décisions de Jeanne. A demain donc.
Elle sort, accompagnée par Alain jusqu’à la sortie. Puis Alain revient dans la pièce
JEANNE : J’ai l’impression d’être la victime d’un coup monté.
ALAIN : Une victime qui reçoit un commerce qui rapporte 8.000 euros par mois !! Quand au coup monté, crois-tu que c’est moi qui ai écrit le testament de mon oncle ?
JEANNE : Je me comprends !
ALAIN : Tu as de la chance. Moi je ne te comprends pas. En tout cas, je vais prendre rendez-vous avec un avocat pour entamer une procédure de divorce, et ce, quelle que soit ta décision définitive.
JEANNE (pour la première fois elle semble très malheureuse) : Alors, c’est vrai ? Tu ne m’aimes plus ?
ALAIN : Tu ne vas pas me dire que c’est une découverte. Il y a longtemps qu’entre toi et moi, cela ne va plus. Et tu le sais bien !
JEANNE : Je pensais que c’était comme ça dans tous les couples. Au bout de quelques années…
ALAIN : Lorsque l’on peut éviter de continuelles disputes ou contrariétés, il serait idiot de continuer à souffrir.
JEANNE (qui fait maintenant un peu pitié) : Je suis ta Femme. Tu n’avais pas le droit de ne plus m’aimer !
Le rideau tombe.
Le rideau se lève sur la même pièce. Mais les meubles ont été changés. Tout est de bon goût, confortable. Seul en scène, Alain, dans une superbe veste d’intérieur, est assis devant une table, de nombreux papiers autour de lui. Visiblement, il fait des comptes.
Entre Mathilde. Elle aussi est très élégante dans sa tenue d’intérieur. Elle a changé de coiffure. Elle est souriante, sympathique. On la sent heureuse.
MATHILDE : Alors, mon petit Linou, les comptes sont satisfaisants ?
ALAIN (qui la regarde avec amour) : Je te l’ai déjà dit, ma Mathilde, je n’aime pas que tu m’appelles Linou.
MATHILDE : C’est vrai. Excuse-moi. Mais je ne sais comment exprimer tout l’amour que j’ai pour toi !
ALAIN : Oh ! C’est pourtant très simple. Viens m’embrasser. (Elle va s’asseoir sur les genoux d’Alain et l’embrasse). Tu m’avais posé une question ? Oui. Les comptes sont parfaits. Nous venons de faire encore un bon mois. Et l’ouverture de notre nouveau magasin est prometteuse.
MATHILDE : Mon Dieu ! Comme la vie peut être belle ! Et c’est à mon père que nous devons tout cela ! Grâce à lui, nous n’avons aucun souci d’argent. Et c’est lui qui a senti d’une part que ton couple avec Jeanne était mal assorti, c’est toujours lui, qui d’autre part a senti que nous étions faits l’un pour l’autre.
ALAIN : Tu as raison. Et comme je regrette de ne pas l’avoir vraiment connu. Pour moi, mon oncle était un homme sérieux, austère, qui ne se souciait que d’amasser de l’argent et pour qui les sentiments n’existaient pas. C’était au contraire un homme très sensible, et très clairvoyant dans le domaine des sentiments.
MATHILDE : Tu sais Alain, quand j’ai ouvert la lettre jointe au codicille et qui m’était destinée, j’ai été très malheureuse. Je pensais avoir un père et il aurait pu me laisser dans cette croyance, mais il a estimé que dans mon intérêt, il fallait qu’il parle. J’ai retrouvé sa lettre tout à l’heure. Je t’avais parlé de son contenu, mais je ne sais pas si tu l’avais lue. Je sais que dans celle qui t’était destinée, il n’y avait rien de spécial. Veux-tu lire la mienne?
ALAIN : Je sais ce qu’elle contient, mais je ne l’avais pas lue. Dans la mienne il me disait seulement qu’il avait une grande estime pour toi, et qu’il aimerait que je te connaisse mieux. Je veux bien lire ta lettre.
MATHILDE : La voici
ALAIN (lisant à haute voix) : «Ma petite Mathilde chérie. J’ai beaucoup hésité avant de t’écrire ces quelques mots. Mais je pense qu’il est de ton intérêt de savoir la vérité. Depuis ma jeunesse, j’avais l’habitude d’aller passer mes vacances en Suisse, au mois d’Août. J’ai connu ta mère, et nous nous sommes aimés. Cependant, je ne pouvais quitter Paris et elle avait sa situation en Suisse. Et comme elle voulait garder son indépendance… L’année précédant ta naissance, fin Juillet j’ai subi une opération. Cette année là, je ne suis pas allé en Suisse. Mathilde, il faut que tu le saches, tu n’es pas ma fille naturelle. Lorsque je suis retourné en Suisse, tu avais 3 mois. Ta mère m’a immédiatement tenu au courant de ton existence. Ton existence était le fruit d’une courte aventure avec un artiste en tournée. Je n’avais donc pas à te reconnaître. Lorsque l’horrible accident de ta Maman est survenu, je n’ai pas voulu que tu restes seule au monde. Et je t’ai reconnue. Mais tu es et tu resteras toujours ma fille dans mon cœur. Dans le tien, j’espère être toujours ton père. Si je parle aujourd’hui, c’est en prévision de ce qui peut arriver. Si, par hasard et par bonheur, tu deviens amoureuse de mon neveu Alain, il faut que tu saches qu’il n’y a aucune consanguinité entre vous. Adieu ma chérie. Je t’aime. Ton Père.»
ALAIN (relevant la tête après sa lecture) : Après lecture de cette lettre, je regrette encore plus de ne pas avoir su apprécier mon oncle comme je l’aurais dû. C’était un merveilleux homme de cœur.
MATHILDE : Oui. Et, pour moi, il restera toujours mon père.
A ce moment, la sonnette d’entrée retentit. Mathilde va ouvrir, et entre une Jeanne, furieuse. Elle a changé de «look» Certes toujours aussi peu soignée, mais avec ses chaussures sans talon, son jean fripé son allure garçonne, il ne lui reste plus aucune trace de féminité.
JEANNE : Je viens d’apprendre que c’est vous qui êtes les propriétaires du commerce à côté du mien.
ALAIN : C’est exact. C’est le fait du hasard, mais c’est exact. D’ailleurs, cela ne peut que t’être avantageux. Nous attirons une clientèle dont tu bénéficieras sans doute.
JEANNE (glapissant) : Tu te fiches de moi ! Avant, mon commerce était le seul de la rue. Il y avait peu de passants, et les clients entraient sans trop de crainte. Depuis que vous êtes là, il y a un monde fou, et toute ma clientèle pour laquelle la discrétion est indispensable ne vient plus. Vous êtes deux beaux salauds. Pour pouvoir vous marier, vous m’avez donné un commerce, et maintenant vous m’enlevez ma clientèle.
ALAIN : Mais enfin, Jeanne, nous ne faisons pas concurrence. Ce n’est pas le même genre de commerce !
JEANNE : La question n’est pas là. La question est que votre clientèle fait fuir la mienne. De plus c’est hautement immoral !
MATHILDE : Comment ça, « hautement immoral » ?
JEANNE : Parfaitement. Hautement immoral. Parce que moi, je joue un rôle social, quand vous ne vendez que de la bouffe.
ALAIN : Il faut bien que les gens «bouffent» comme tu dis. Et notre supérette permet aux gens de s’alimenter et donc de vivre. Quand à ton rôle social, je ne te comprends pas très bien.
JEANNE : C’est parce que tu es bouché. C’est pourtant évident. Je joue un rôle social, parce que les humains ont des besoins sexuels à satisfaire. Ceux qui n’ont plus de problème sur le plan sexuel, sont calmes, pacifiques, bien dans leur peau. La satisfaction sexuelle de tous, supprimerait les guerres, les crimes, toutes les choses horribles de l’humanité.
ALAIN : Mon Dieu comme tu as changé. Un sex shop a maintenant un rôle social à jouer. Il ne s’agit plus d’un commerce de saloperie ?
JEANNE : Je ne savais pas. Maintenant je sais. Mais le problème n’est pas là. Vous avez ce que vous vouliez, non ? Alors pourquoi nous faire ça ?
ALAIN : «NOUS » faire ça ? C’est un pluriel de Majesté ?
JEANNE (un peu désarçonnée et ne comprenant pas tout de suite) : Un pluriel de majesté ? Heu non. Ce n’est pas un pluriel de majesté. Nous, c’est Henriette et moi.
ALAIN : Henriette ? C’est ton associée ?
JEANNE (avec défi) : Oui. C’est mon associée. Et nous vivons ensemble.
ALAIN : Ah, bon !
JEANNE : Quoi, Ah bon ? J’ai le droit de vivre comme je l’entends !
ALAIN : Mais….personne ne le conteste. Je constate, c’est tout !
JEANNE : Réponds à ma question. Pourquoi nous faire ça ?
ALAIN : Je te donne ma parole que nous n’avons rien fait volontairement. Nous avions demandé à notre agent immobilier de nous trouver un emplacement assez grand pour établir une superette. Il nous a proposé celui là. Nous avons trouvé que le hasard était curieux, sans plus. Comme l’emplacement nous convenait, et que ne voyions pas en quoi cela pourrait t’apporter un préjudice, nous avons acheté. Il n’y a pas autre chose que ce que je te dis.
JEANNE (à moitié convaincue) : Tu savais que la présence de beaucoup de monde près de ma boutique empêcherait les clients d’entrer chez moi.
ALAIN : Mais enfin, si ta boutique joue un rôle social, tes clients doivent en être conscients, et doivent être plutôt fiers d’entrer chez toi !
JEANNE : Tu es de mauvaise foi !
MATHILDE : Permettez moi d’intervenir. La raréfaction de votre clientèle s’est-elle faite ressentir dans votre chiffre de vente du mois écoulé ? Si oui, pouvons-nous voir vos livres et arriver à un accord amiable ?
JEANNE (manifestement gênée) : C'est-à-dire… que nous n’avons pas encore clôturé le mois… Mais il me semble qu’il y a un fléchissement.
MATHILDE : Il faut que vous sachiez, Jeanne, que nous ne vous voulons aucun mal. Si nous vous avons causé un préjudice, nous le réparerons. Nous ne sommes pas vos clients, c’est vrai, mais nous sommes équilibrés et heureux. J’ai tout lieu de penser d’ailleurs qu’il en est de même pour vous, non ?
JEANNE (comme à regret) : Oui, oui, ça va, ça va… C’est vrai que je suis plus heureuse… qu’avant.
MATHILDE : Très sincèrement, Alain et moi en sommes très heureux. Et nous serions très heureux de connaître Henriette ?
JEANNE (qui s’illumine) : C’est vrai ? Vous pensez vraiment ce que vous dites ?
MATHILDE : Téléphonez-lui, et demandez-lui de se joindre à nous.
JEANNE : Chiche ?
MATHILDE : Mais bien sûr. Le téléphone est au fond.
Jeanne se dirige vers le téléphone à l’arrière scène. Alain et Mathilde restent à l’avant scène
ALAIN : Je ne la reconnais plus. Je crois que depuis qu’elle a découvert son homosexualité, elle est comme une écorchée vive. Tu as bien fait de lui dire de faire venir son amie Henriette. Si je le pouvais, je t’aimerais encore plus. Tu es merveilleuse.
MATHILDE : Il me semble que Jeanne ignorait complètement sa nature, et qu’elle va entrer dans une période plus calme, plus heureuse.
Jeanne revient à l’avant scène, radieuse.
JEANNE : Elle arrive. Vous savez, elle est très timide. Il ne faut pas l’effaroucher !
ALAIN : Pourquoi veux-tu qu’on l’effarouche ?
JEANNE : C'est-à-dire, que quelquefois, tu fais des plaisanteries. Oh je sais, qu’elles ne sont pas toujours méchantes, mais elle est tellement sensible !
MATHILDE : Tranquillisez-vous Jeanne. Et si ce gros ours commet une maladresse, je saurais bien la redresser
JEANNE : Merci, Mathilde. Vous êtes très bonne. Je crois que je vous avais mal jugée.
ALAIN (faussement en colère) : Très bonne ? Très bonne ? Elle me traite de gros ours, Elle pense que je peux commettre des maladresses ? Nous n’avons pas la même conception de la bonté !
Pour bien marquer qu’il ne pense pas un mot de ce qu’il vient de dire, il prend Mathilde dans ses bras et l’embrasse. Comme cela dure un peu trop longtemps.
JEANNE : Hum ! Hum ! Je suis là !
ALAIN (se séparant de Mathilde)) : Ah, oui ! Excuse-nous. Nous ne nous étions pas embrassés depuis ton arrivée. Dis-moi, Jeanne, peux-tu me répondre très franchement ?
JEANNE : Je peux en tout cas essayer.
ALAIN : Penses-tu réellement que ton chiffre d’affaires a diminué depuis que nous avons ouvert notre nouveau point de vente ?
JEANNE : C’est Henriette qui s’occupe des comptes. Alors, franchement, je ne peux pas te répondre !
ALAIN : Elle s’occupe des comptes et toi du commercial ?
JEANNE : Non. Elle s’occupe de tout. Elle sait tout faire. Elle est formidable, Henriette… Oui, formidable…
ALAIN : Je suis sincèrement très heureux pour toi
On sonne, Mathilde va ouvrir et revient avec Henriette. C’est une jeune femme, très fine, très élégante, un peu timide en effet, et qui vient aussitôt auprès de Jeanne, comme si elle cherchait une protection.
JEANNE : Voilà, je vous présente Henriette, ma collaboratrice. Henriette, voici Alain, mon ancien mari, et sa compagne Mathilde. C’est un peu grâce au père de Mathilde qui se trouvait être l’oncle d’Alain, que nous pouvons posséder notre commerce.
ALAIN : Jeanne a su trouver une collaboratrice charmante, et très compétente de surcroît, ce qui ne gâte rien.
HENRIETTE (en rougissant : Oh, compétente, c’est beaucoup dire ! Vous savez, je ne connaissais rien à ce… commerce.
ALAIN : Oh, vous savez, le commerce, c’est toujours le commerce. Si l’on est doué, on peut vendre n’importe quoi.
JEANNE (un peu agressive, pour défendre Henriette ) : Nous ne vendons pas n’importe quoi !
ALAIN : Excuse moi. Ce que je voulais dire c’est que lorsqu’une personne est douée, ses qualités lui permettent de réussir dans la vente, que ce soit dans un domaine ou dans un autre.
JEANNE : Ça, c’est vrai. Henriette est très douée. Les clients l’adorent.
ALAIN : Il parait, Henriette, que vous vous occupez également de toute la partie administrative
HENRIETTE : C’est exact. Et c’est normal, j’ai fait des études de comptabilité.
ALAIN : Mais vous êtes une perle ! Etes-vous satisfaite de votre chiffre d’affaires ?
HENRIETTE : Nous n’avons pas à nous plaindre, n’est-ce pas Jeanne ?
ALAIN : Le mois dernier a-t-il été aussi bon que d’habitude ?
JEANNE : Peut-être pourrions nous parler d’autre chose, non ?
HENRIETTE : Oh, cela ne me gêne pas de dire que notre chiffre d’affaires du mois dernier a encore été meilleur que d’habitude. Depuis qu’une supérette…
JEANNE : Bon, ça va ! Je le répète ; nous pourrions parler d’autre chose que de boutique.
MATHILDE : En tout cas, pour marquer notre plaisir de faire la connaissance d’Henriette, nous allons ouvrir une bouteille de champagne. (Elle sort) ALAIN : Va, ma chérie. Je ne crois pas me tromper en disant que tous quatre, nous sommes des gens heureux. Les affaires marchent, Mathilde et moi sommes pleinement heureux, je trouve Jeanne que tu as beaucoup changée, et que tu sembles plus heureuse aussi. Quant à Henriette, je ne vous connais pas encore très bien, mais vous ne me faites pas l’effet d’une femme malheureuse.
HENRIETTE : Oh, pour moi, c’est merveilleux ! Mon travail me plait énormément ; et… (elle rougit)
JEANNE : Tranquillise-toi, ma chérie, ils sont au courant
A ce moment, Mathilde entre avec une bouteille de champagne dans un seau à glace qu’elle dépose sur la table. Puis elle va chercher des flûtes de champagne dans un bar.
ALAIN : Nous allons boire au bonheur ! (il débouche la bouteille de champagne et remplit les quatre flûtes. Il en donne à chaque personne.) Mes amis, je voudrais que vous preniez conscience d’une chose. Nous quatre, sommes pleinement heureux. Nous avons des vies matérielles larges. Chacun de nous aime profondément, et cela, nous le devons à un seul homme. Un homme qui durant sa vie paraissait austère, et je n’hésite pas à le dire, assez peu sympathique. Ce n’est qu’après sa mort que nous avons su que cet homme d’exception, étant d’une intelligence exceptionnelle. Non seulement il a constitué une fortune importante, mais il avait une intelligence du cœur qui l’amenait à une sorte de divination. Il avait pressenti que le bonheur de Jeanne n’était pas auprès de moi. Il avait prévu que Mathilde et moi, nous nous aimerions. Mais en plus de ces diverses formes d’intelligence, cet homme était foncièrement bon. D’une certaine façon c’est lui qui a orienté nos vies dans des directions plus conformes à nos goûts. Le père de Mathilde, qui était aussi mon oncle, est notre sauveur. Je vous propose de lever nos flûtes à la mémoire de notre sauveur !
Tous les quatre lèvent leur verre et leurs yeux vers le haut et répètent : A notre Sauveur !
Et le rideau tombe
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