Ce n’est pas un hasard. Enfin, je me plais à penser qu’il ne s’agit pas d’un hasard. Depuis trente ans, je m’intéresse à la civilisation Mu. Il était normal que ce soit moi qui trouve des éléments nouveaux sur ce continent disparu.
Je résume ce que tout le monde sait déjà. Il y a plus de cent mille ans, un continent se trouvait dans l’hémisphère sud. Le soubassement de ce continent contenait de longues et nombreuses galeries remplies de gaz. Il y a douze mille ans, un formidable séisme fit littéralement exploser tout ce continent qui s’abîma dans l’Océan pacifique. Il ne reste plus que quelques vestiges (Hawaï, les îles Fidji, l’île de Pâques…) Ce continent, qui s’étendait sur cinq mille kilomètres du nord au sud et sur huit mille kilomètres d’est en ouest, était, au moment de sa disparition, peuplé d’environ soixante millions d’habitants (pensait-on). Les habitants de Mu avaient colonisé le monde. Des tablettes retrouvées aux Indes (voir les livres de Churchward) racontaient l’histoire de Mu et, un peu plus tard, Niven trouvait tout à côté de Mexico deux mille cinq cents tablettes sur le même sujet… et dans la même écriture.
Non, ce n’est pas par hasard. C’est sans doute pour me récompenser de l’intérêt que je portais à Mu que le Destin me fit découvrir onze grandes tablettes… de la même écriture.
J’habite dans le Vaucluse, et au cours d’une balade dans le sud de la Drôme, entre Nyons et Rémuzat, mon petit-fils Lambert et moi, sac au dos, au cours d’une pause, avons découvert à flanc de montagne, sous un fourré, ce qui ressemblait à une entrée de grotte. Il semblait que nous avions trouvé une cavité naturelle qui paraissait très profonde, car après avoir pénétré dans un tunnel obscur, nous avons fait une centaine de mètres, avant de revenir sur nos pas, car ma petite lampe électrique risquait de nous laisser dans un noir absolu d’un moment à l’autre. Après que j’aie demandé à Lambert de ne parler à personne de notre découverte, nous sommes revenus le lendemain avec des lampes torches plus sérieuses, une corde et un piolet. Notre deuxième visite nous apprit que le tunnel unique se divisait en trois branches au bout de cent cinquante mètres. Afin de ne pas risquer de nous perdre, nous ne sommes pas allés plus avant ce jour-là. Il fut indispensable de nous procurer de longs rubans de plastique que nous déroulions derrière nous, pour être sûr de bien retrouver la sortie. Chaque jour, durant trois semaines, nous sommes retournés dans notre grotte, mais nous ne sommes allés au bout d’aucune des trois branches, dont deux au moins se subdivisaient à plusieurs reprises. C’est au cours de la troisième semaine que nous nous sommes trouvés en ence d’une petite ouverture sur notre gauche. L’entrée était exiguë et je ne pus la franchir. Lambert, qui est mince et souple comme un serpent, me proposa d’y aller. Je lui fis bien sûr un tas de recommandations, attachai une corde à sa taille et le laissai entrer. Il me dit qu’il se trouvait dans une sorte de pièce au plafond très bas (environ un mètre vingt) et d’à peu près dix mètres sur dix. Je lui demandai d’en faire le tour, très lentement, en regardant bien où il mettait les pieds, et je l’entendis soudain crier : - Il y a quelque chose ! - Il y a quoi ? - Tu sais, Papé, c’est bizarre, il y a des pierres. - Oh, qu’il y ait des pierres dans une grotte, c’est un peu normal ! - Oh mais non, non, ce ne sont pas des pierres normales ! - Bon ! Qu’est-ce qu’elles ont, tes pierres ? - Hé bien d’abord, ce sont des rectangles bien taillés, tous de la même dimension. Elles sont posées l’une sur l’autre, et pour qu’elles ne se touchent pas, il y a des petites pierres entre chacune d’entre elles, aux quatre coins je crois.
Mon cœur commençait à battre la chamade. Si les choses étaient bien telles que Lambert me les décrivait, il y avait sans doute dans tout cela une intervention humaine
- Reviens, Lambert. Va doucement, regarde où tu mets les pieds.
Lorsqu’il ressortit, je lui demandai :
- Raconte-moi exactement ce que tu as vu. - Hé bien comme je te l’ai dit, dans l’angle de la pièce il y a des pierres, mais des pierres bien taillées, toutes de la même largeur, longueur et épaisseur. Il y a entre chaque plaque des cailloux pour qu’elles ne se touchent pas, et j’ai vu, sur celle du dessus, qu’il y avait des drôles de dessins.
Cette fois, j’étais certain que la découverte était d’importance.
- Quelles dimensions ont-elles, à peu près, ces pierres ? - Je ne sais pas… peut-être un mètre pour le petit côté et un peu plus pour l’autre, et pour l’épaisseur, c’est à peu près comme ça… (Il me faisait voir entre le pouce et l’index, environ dix centimètres.) - Bon. Tu vas y retourner, mais surtout, reste très prudent. Tu vas prendre les deux torches pour bien y voir, moi je n’en ai pas besoin. Voilà des rubans plastiques. Tu les couperas avec ton couteau, l’un pour mesurer la largeur, un pour la longueur, un pour l’épaisseur. Je vais te donner mon carnet et un crayon. Tu vas essayer de copier les premiers dessins qui sont sur la pierre du dessus. Ça ira ? Tu veux bien y retourner ? - Bien sûr que je vais y retourner ! Mais tu sais, pour les dessins, je ne suis pas très fort ! - Ce n’est pas grave. C’est juste pour avoir une idée.
Lambert parti, je me trouvais dans le noir le plus absolu. Ne voulant surtout pas qu’il soit pris par la peur, je lui parlais sans arrêt, et sur un petit ton excédé, il me dit :
- Écoute, Papé, comment veux-tu que je travaille sérieusement si tu parles tout le temps ?
J’étais rassuré. Le gamin était pris par l’ambiance du mystère, et surtout, il avait conscience de jouer un rôle important. Au bout d’un moment, je lui dis :
- Ne te crois pas obligé de copier tous les dessins de la pierre. Une ou deux lignes suffiront. - D’accord, Papé. J’ai copié trois lignes. Je reviens.
C’est avec un immense soulagement que je le vis revenir. J’avais eu très peur qu’il arrive quelque chose alors que je ne pouvais pas, moi, pénétrer dans la pièce. Aussitôt après le soulagement, c’est la curiosité qui prit le dessus, et je fixai la lampe sur les dessins rapportés par Lambert. Les analogies avec les tablettes de Niven étaient certaines, mais bien sûr, il faudrait étudier ça minutieusement à la maison.
- Tu sais, Lambert, je crois bien que notre découverte est sensationnelle. Avant de repartir, je vais mesurer les dimensions du trou par lequel tu es passé. Donne-moi les rubans que tu as coupés, je vais voir si la largeur des pierres leur permet de passer par ce trou.
Non. Elles ne passaient pas. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres, et précisément c’était l’épaisseur des concrétions déposées autour du trou. Ce qui prouvait déjà que les pierres avaient été déposées là depuis très, très, très, longtemps. Rentré à la maison, je demandai à Lambert de ne parler à personne de notre découverte. C’était très important… et cette importance rejaillissant sur lui, je savais qu’il ne dirait rien.
Je passais deux jours à étudier les signes relevés par Lambert sur la pierre supérieure. C’est vrai que mon petit-fils, comme moi-même, n’était pas très doué pour le dessin. Mais aucun doute ne subsistait. Il s’agissait bien des mêmes caractères que ceux qui avaient été relevés sur les tablettes de Niven, et dés la première ligne, le symbole de Mu s’y trouvait. Mon problème était de sortir les tablettes sans ameuter trop de monde. Mon camarade d’enfance, Pierrot, est entrepreneur de maçonnerie. C’est tout naturellement à lui que je m’adressai, en lui demandant de ne pas ébruiter ma découverte pour l’instant. Nous sommes partis un matin, Pierrot avec sa camionnette, Lambert et moi. Nous avions construit une petite remorque étroite, pour pouvoir pénétrer dans la pièce où étaient entreposées les pierres gravées, après que nous aurions enlevé les concrétions. Pierrot était aussi excité que nous, et avec une dextérité admirable, muni d’un simple ciseau à froid et un marteau, en moins d’une heure, il agrandit l’ouverture de la pièce, et nous avons pu enfin y pénétrer.
- Mais comment ont-ils pu faire ça ! s’exclama Pierrot.
« Ça », c’était la coupe parfaite des pierres. Elles étaient strictement identiques les unes et les autres. Les surfaces rigoureusement planes, les bords à angles droits parfaits. Les signes, nets comme s’ils avaient été faits la veille, étaient sculptés en creux, avec une précision stupéfiante. Tous les creux des signes étaient recouverts d’une « peinture », sans doute un colorant naturel, rouge. J’ai aussitôt pensé que ce colorant pourrait m’aider à évaluer la date de ces « écrits ». Entre chaque plaque, cinq petites pierres, elles-mêmes toutes identiques, étaient disposées, l’une au centre, les quatre autres aux quatre coins. Nous avons constaté que chaque plaque de pierre était gravée recto et verso. Une à une, avec notre petite remorque, nous les avons transportées dans la camionnette. Cela représentait un assez gros travail car pour chaque pierre nous devions parcourir plus de six cents mètres aller et retour.
Au milieu de l’après-midi, nous arrivâmes chez moi, où nous avons entreposé notre trésor dans un petit bâtiment qui me sert de miellerie au moment des récoltes de miel. Nous les avons disposées comme elles l’étaient depuis des millénaires, l’une sur l’autre, dans le même ordre (nous avions numéroté chaque pierre de haut en bas de 1 à 11, sur les tranches) et séparées par les petites pierres qui avaient été spécialement taillées à l’époque. J’avais pour déchiffrer le dessus de la première pierre un travail qui me demanderait plusieurs jours. Lorsque cela serait nécessaire, Pierrot s‘était gentiment offert de venir m’aider à la manutention.
En fait, il me fallut près de trois mois pour déchiffrer les vingt-deux faces des tablettes. Je mis quinze jours pour terminer la première face, puis j’allais de plus en plus vite et je n’eus besoin que de quarante-huit heures pour décrypter la dernière pierre, recto, verso. Le texte était d’une clarté absolue. Je vais essayer de vous rapporter les extraordinaires révélations de ce message, qui nous parvient à travers des millénaires.
Borah et sa jeune femme, Kloun, nés sur le continent Mu, avaient été envoyés par le gouvernement Mu pour implanter, dans la région où se trouve actuellement Nyons, la culture de l’olivier. Cela se passait il y a douze mille ans, à cinq cents ans près (d’après la datation au carbone qui a été effectuée plus tard par un laboratoire spécialisé, sur le colorant déposé dans les creux des signes). Peu après leur arrivée ici, ils apprirent que tout le continent Mu avait été englouti dans le Pacifique, à la suite d’une gigantesque explosion consécutive à une éruption volcanique. Mais tout cela, nous le savions. Ce qui fait la valeur incommensurable de ces tablettes, c’est qu’elles nous apprennent ce qu’était la vie sur le continent Mu, et surtout que cette civilisation, dans bien des domaines, avait des connaissances que nous ne possédons plus. En apprenant la disparition de la mère-patrie, Borah et Kloun décidèrent de laisser un témoignage de cette époque. Ils savaient qu’ils vivaient la fin d’une civilisation. Ce qui m’a le plus frappé peut-être à la lecture de ces tablettes, c’est que la tournure d’esprit des deux auteurs est très proche de notre façon de penser aujourd’hui. Si je puis dire, le style n’a pas vieilli.
Au moment où vivaient Borah et Kloun, le continent Mu comptait environ cent millions d’habitants. Cette population était harmonieusement répartie sur tout le continent. Il n’y avait pas une seule concentration humaine supérieure à dix mille habitants. La base de l’activité était agricole. La vie était douce, simple, agréable (Certains ont avancé l’idée que le Jardin de l’Éden se trouvait sur le continent Mu. Je n’ai trouvé aucun élément corroborant ce fait, dans mes « documents »). À côté de cette vie qui peut sembler un peu primitive, Mu possédait des connaissances extrêmement développées et que nous ne possédons plus dans deux domaines. Celui des infrasons. Celui des forces magnétiques.
Borah et Kloun racontent qu’ils sont venus, de Mu à la région où j’habite actuellement, en une matinée ! Ce transport à des vitesses ahurissantes était effectué grâce à l’utilisation de forces magnétiques. Les forces magnétiques varient d’un lieu à l’autre. Le différentiel était utilisé pour faire se déplacer des véhicules aériens à une vitesse énorme. Pour user d’une comparaison, c’est un peu comme le vent qui se déplace en fonction des différences de pression atmosphérique. Ces véhicules étaient utilisés pour les déplacements à longue distance. C’est grâce à ces véhicules que Mu avait colonisé le monde entier. Borah et Kloun confirment ce que nous savions déjà, par les découvertes de tablettes aux Indes et au Mexique. Les habitants de Mu sont allés partout sur Terre.
Pour les déplacements plus courts, soit sur terre, soit sur mer, les habitants de Mu avaient des véhicules qui utilisaient l’énorme puissance des ultrasons. Le principe était assez simple. Dans chaque véhicule, il y avait un appareil analogue à nos diapasons. Un système comparable à celui de nos horloges permettait à une baguette de frapper ce diapason avec une violence et une cadence variables, qui permettaient d’atteindre des vitesses plus ou moins élevées. À l’avant du véhicule était installée une plaque, fabriquée à partir de différents métaux dans une proportion précise. Les ondes émises par le diapason passaient à travers tous les autres matériaux (ou les corps humains), mais ne pouvaient passer à travers la plaque. Cela engendrait une puissante poussée. Par analogie, c’était un peu la force que nous utilisons dans nos réacteurs. Mais la puissance était sans commune mesure. C’est grâce à la maîtrise des ultrasons que des blocs énormes de pierre pouvaient être déplacés avec une précision millimétrique. C’est cette technique qui avait été utilisée pour parsemer l’île de Pâques de ses géants. Bien que ce ne soit pas précisé dans l’ouvrage de Borah et Kloun, je pense que c’est grâce aux ultrasons qu’ils avaient pu tailler les plaques de pierre sur lesquelles ils écrivaient.
Toutes ces précisions que je viens de vous donner étaient contenues dans les idéogrammes des sept premières pierres. La huitième et la neuvième pierre, recto verso, parlaient du pays ou Borah et Kloun ont passé leur vie. Notre actuelle Provence.
Cette région, à leur arrivée, était peuplée de nombreuses bêtes sauvages et d’hominidés qui, sur le plan morphologique, étaient des hommes mais vivaient en gros comme des animaux. Ces hominidés n’étaient pas sédentarisés. Ils vivaient en groupes d’importances variables, entre trente et cinquante individus. Ils étaient dirigés par un chef tout-puissant. C’est l’homme qui s’était révélé le plus fort, lors de réunions qui se tenaient chaque printemps.
Chaque printemps, donc, toute la horde se réunissait dans une clairière. Une circonférence était tracée sur le sol. Toute la population restait à l’extérieur du cercle. Le chef actuel allait se placer au centre du cercle, et étendant les bras à l’horizontale puis les ramenant violemment sur sa poitrine, il poussait un hurlement. Il répétait cette cérémonie aux quatre points cardinaux. Cela voulait dire : « Moi, votre chef, je veux le rester. S’il y en a qui veulent se battre avec moi, qu’ils se fassent connaître. » Après le quatrième cri, ceux qui briguaient la place franchissaient le cercle et s’alignaient devant celui qui était encore le chef. Ce dernier s’avançait vers eux, et les classait côte à côte par ordre d’âge. Puis retournant au centre du cercle, et tourné devant ses futurs adversaires il faisait une dernière fois entendre son cri. Puis tout le monde partait.
Le lendemain, au lever du soleil, toute la population venait autour du cercle. Le chef et le premier candidat (le plus âgé) pénétraient seuls dans le cercle. Le chef faisait entendre son cri (c’était l’une de ses prérogatives) puis, presque immédiatement le combat commençait. Il se faisait à mains nues, et aucune règle n’était respectée. Mais le but n’était pas de tuer. Il fallait que l’un des combattants reconnaisse sa défaite. Il pouvait soit frapper sur l’épaule du vainqueur s’ils étaient au corps à corps. Il pouvait s’agenouiller s’ils étaient l’un devant l’autre. Il n’y avait qu’un combat par jour. Après sa victoire, le nouveau chef investi provisoirement émettait le cri. C’était soit l’ancien chef soit l’outsider victorieux. Le lendemain, au lever du soleil, un nouveau combat mettait aux prises le nouveau chef et un autre candidat. Lorsque tous les candidats étaient passés (cela demandait quelquefois huit ou dix jours), le chef qui sortait victorieux gardait ses pouvoirs jusqu'à l’année suivante.
Les diverses bandes étaient pacifiques. Elles ne se battaient jamais entre elles, mais évitaient en principe tous rapports avec les autres hordes. Ces hommes se nourrissaient de viande d’animaux tués avec la seule arme connue, le bâton. Durant la belle saison, ils se nourrissaient de fruits.
À ce propos, Borah et Kloun disent qu’il existait en abondance dans les forêts deux fruits principaux, « l’un à noyau lisse, l’autre à noyau sculpté ». Je pense que cela désignait les abricots et les pêches. Ce qui prouve que même si ces arbres fruitiers ont été introduits beaucoup plus tard dans la région, il y a plus de douze mille ans, ils préexistaient ici des variétés sauvages.
N’étant pas sédentarisés, les hommes, à l’époque, ne construisaient aucun abri, ni case ni hutte. Parcourant à peu près toujours les mêmes parcours de chasse, ils connaissaient des abris naturels qu’ils occupaient à chaque passage, grottes, roches en surplomb, arbres inclinés. Le climat d’ailleurs était très agréable, et il n’y avait aucune raison pour qu’ils fassent des efforts de logement. Ils communiquaient entre eux en émettant des sons qui n’étaient pas encore des mots mais simplement des syllabes. D’après Borah et Kloun, le vocabulaire était assez succinct mais suffisant pour qu’ils se comprennent entre eux.
C’est sur les faces verso et recto des pierres 10 et 11 que Borah et Kloun parlèrent d’eux et de la vie qu’ils menèrent durant plus de cinquante ans, loin de leurs racines, englouties dans l’Océan. C’est moins d’un mois après leur arrivée en Europe que Borah et Kloun apprirent l’affreuse nouvelle : la disparition du continent Mu et de ses cent millions d’habitants. Ils le surent par un habitant de l’île de Pâques qui, après la catastrophe où la petite île avait été épargnée, tournait autour du monde pour annoncer la terrible catastrophe. Il ne repassa jamais, et durant toute leur vie, Borah et Kloun ne virent jamais quelqu’un de la mère-patrie.
Au bout d’un mois, ils réalisèrent qu’ils devraient désormais s’organiser sur place, et subvenir eux seuls à tous leurs besoins. Ils avaient amené avec eux cinquante oliviers, qu’ils plantèrent et qui commencèrent à donner des fruits une douzaine d’années plus tard. Ils avaient, fort heureusement, car c’est ce qui leur permit de survivre, quatre chonas c'est-à-dire des sortes de diapasons qui émettaient des ultrasons. L’un servait au transport des objets, même très lourds, par lévitation. Le second était utilisé pour couper (c’est lui qui avait servi sans doute au découpage millimétrique des 11 pierres). Le troisième servait à projeter des ultrasons sur une plaque formée d’une combinaison de matériaux, et la poussée permettait à un véhicule de se déplacer. Comme ils avaient apporté l’une de ses plaques, ils construisirent aussitôt un véhicule et n’eurent jamais de problèmes de transport. Le quatrième chonas avait une utilité médicale. C’était un analgésique. Il n’avait aucun effet curatif mais permettait du moins à son possesseur de ne jamais souffrir. Sur Mu, la souffrance physique était inconnue.
Borah et Kloun expliquent sur leurs tablettes que l’utilisation des forces des ultrasons et les forces magnétiques n’étaient pas une conquête des habitants de Mu. Selon la tradition, un Dieu venu d’une planète lointaine était venu sur le continent. Il s’appelait Jova (il est à noter la curieuse ressemblance entre le nom de ce Dieu et Jéhovah, le Dieu de la Bible). Il était venu sur Terre en utilisant les rayons cosmiques, dont il ne voulut jamais livrer les secrets. En revanche, il procura les secrets, mineurs à ses yeux, du magnétisme et des ultrasons. Selon la Légende toujours, Jova resta un an sur Terre, et après avoir initié dix hommes dans chacune des spécialités, il repartit sur son vaisseau spatial, en emmenant une très jolie Terrienne qui, jusqu'à la fin de Mu, fut vénérée sous le nom de Varga.
Borah et Kloun se construisirent une maison en pierres de taille, comme sur Mu. Ils eurent un jardin magnifique qui les nourrissait très largement. Ce qui leur permit de fournir des légumes à une petite tribu de trente-cinq personnes, qui, un peu moins effarouchées que les autres, finirent par accepter la venue parmi eux, « en visite », de Borah et Kloun. Le but de ces derniers, était de sédentariser cette tribu, de leur construire des maisons et de leur apprendre les cultures vivrières. Ce qui leur demanda… quinze ans.
Les toutes dernières lignes de la dernière pierre ont été écrites par Kloun. Après 52 ans de vie commune sur leur terre d’exil, Borah venait de mourir. Kloun sentait (et elle semblait le souhaiter) que sa fin était prochaine. Je l’avoue, je n’ai pu déchiffrer les signes tracés en dernier lieu. Il pourrait s’agir de formules permettant de reconstituer les composés de métaux permettant d’émettre des ultrasons utilisables dans plusieurs cas.
Maintenant que je viens de rendre la chose publique, je vais remettre les onze pierres ainsi que toutes mes études sur la question aux autorités de mon pays. J’espère que des scientifiques pourront eux résoudre les équations de la fin du long message de Borah et Kloun. Avec Pierrot et mon petit Lambert, nous allons retourner vers notre immense grotte qui semble former un très long réseau de couloirs souterrains. Pour nous repérer, nous tracerons des signes sur les parois, et Pierrot, qui possède un bon coup de crayon, dessinera le plan de ce réseau. À vrai dire, je l’avoue, mon but n’est pas tellement de faire œuvre de géographe. J’ai le secret espoir de trouver d’autres tablettes écrites par Kloun et Borah.
Ainsi est faite la nature humaine. Si l’on m’avait dit que je trouverais des tablettes de plus de douze mille ans, j’aurais aussitôt affirmé que ce bonheur immense suffirait à remplir ma vie. Et maintenant, j’en voudrais d’autres. Perpétuelle insatisfaction de l’homme…
OUI. PLUS EST EN NOUS.
FIN
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