18 h 36. La température était de 22°, l’éclairage prit la teinte d’un coucher de soleil. L’ambiance « zen » de mon salon avait été programmée selon un algorithme évaluant ma condition mentale et physique afin de « relaxer le corps et apaiser l’esprit ». Pourtant, malgré les murmures du vent, le chant des oiseaux, et le parfum des huiles essentielles, je restai en ébullition. Une douloureuse sensation de manque m’accaparait l’esprit, j’avais besoin de me changer les idées. Tout en me grattant le cuir chevelu pour évacuer la tension, je m’écrasais sur le sofa, paré pour la détente. Un simple contact optique avec la diode centrale suffit pour projeter sur le mur le programme phare de cette rentrée « Des vieux dans l’espace ». Le pitch : trente-deux centenaires errent et s’affrontent à travers des défis dans une capsule spatiale. Si sur le papier, le concept paraissait absurde et dépassé, ce condensé d’émotions et de suspense m’avait conquis dès la première minute. Chaque épisode gardait un rythme haletant tout en se concluant inévitablement sur un formidable retournement de situation, souvent un coma ou un arrêt cardiaque. Tous les téléspectateurs gardaient en mémoire le « Red Wedding », quand, lors des noces de carbone des doyens du jeu, le plus fameux troll de la toile Billyzob34 avait piraté le système de chauffage et causé la mort de neuf participants. Malgré les polémiques concernant l’éthique de l’émission, tous concédaient qu’elle avait permis de rajeunir l’image de centenaires, devenus à présent cools et branchés. Les familles se ruaient sur les maisons de retraite pour adopter un vieux aussi drôle qu’Eugène le Grec ou aussi attachant que Monique la Borgne. Malheureusement, ils oubliaient que les participants « Des vieux dans l’espace » étaient soumis à une sélection rigoureuse et que le centenaire moyen était beaucoup moins distrayant. Dès lors, il n’était plus rare de croiser des vieillards abandonnés sur des aires d’autoroutes, victimes de l’image trompeuse transmise par les médias. J’avais moi-même songé à en prendre un pour compenser le départ de Pamela, une présence humaine m’aurait sans doute aidé quand je broyais du noir. Je palliais à présent mon manque d’affection en observant Ginette, François-Xavier, Georges, se détester, s’aimer, mourir… Ces vieux étaient en quelque sorte ma famille élargie. L’épisode en cours montrait la horde de vieillards en pleine compétition de cuisine. Le défi ne pouvait plus mal tomber, la myriade de plats ravivait les pensées qui me hantaient depuis 12 h 30. La faim raclait les parois de mon estomac aspirant toute mon énergie. Amorphe, j’essayais de dormir un peu. Échec. 18 h 41. Je commençais à croire les rumeurs affirmant que l’État contrôlait le temps. Théoriquement, le processus était d’une simplicité extrême, toutes les horloges étant synchronisées à l’ordinateur administratif. Selon les conspirationnistes, l’État aurait commencé lors des grandes grèves de la SNCF afin de calmer la colère des usagers liée aux retards incessants. Les effluves paranoïaques ne me font ordinairement pas frétiller les narines mais la faim aiguisait ma crédulité. 18 h 42. Encore une heure et dix-huit minutes, je n’arriverais pas à tenir, j’allais devoir négocier pour obtenir un repas avant l’heure. J’avais déjà usé tous mes bons d’urgences et il n’avait aucune raison de me faire crédit. Sans véritable espoir, je me dirigeais vers la cuisine repensant aux actualités. La loi Néfloton dite de « l’équilibre alimentaire » qui imposait la mise en place d’un système informatique gérant l’alimentation dans chaque foyer, allait fêter son septième anniversaire. Votée pour entraver l’augmentation de l’obésité, elle aidait les citoyens à adopter une alimentation « saine et équilibrée ». En pratique, les réfrigérateurs étaient reliés aux sanitaires et à une balance située dans la douche afin de composer le menu idéal pour garder « un esprit sain dans un corps sain ». L’accès à la nourriture ainsi réglementé, le choix des plats était limité et les excès prohibés. Pour ne pas me plier à ces lois liberticides, je m’étais longtemps fourni chez Paulo, un ravitailleur alimentaire qui opérait dans le nord-est. Malheureusement, la brigade l’avait arrêté lors d’une descente et je me retrouvais fort dépourvu. Mes réserves étaient vides et mon réfrigérateur ne m’accorderait jamais un repas avant 20 h 00. Avec mes 87 kg pour 1 m 73, j’étais un poids de catégorie six, autant dire qu’une ristourne sur l’horaire n’était pas au programme. 18 h 44. Une voix féminine m’accueillit dans la cuisine avec les répliques d’usage.
– Bonjour monsieur Kognatowski, avez-vous passé une bonne journée ? Votre repas sera servi dans 1 h 16 mn. – Je souhaiterais dîner maintenant. – Votre repas sera prêt à 20 h 00, nous vous remercions de la confiance que vous nous accordez, répondit le système d’une voix plus douce. – J’ai une urgence, je dois être au multiplexe dans 1 h, répliquai-je d’un ton ferme.
(Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été très mauvais menteur, même devant un réfrigérateur.)
– Nous pouvons nous adapter à vos contraintes, pouvez-vous nous présenter votre billet. – Non, je vais avec un ami, c’est lui qui a les places. – Dans ce cas, nous vous recommandons d’attendre. – Mais je n’ai pas le choix, vous devez me servir, affirmai-je en haussant la voix. – Nous vous remercions de votre patience, répondit le système ignorant mon ton agressif, votre repas sera prêt à 20 h 00. – Quel est le menu ? – Pour le dîner, nous vous proposons une armada de céleri sur un lit de tomate aux poireaux. – Juste des légumes ? Je n’ai rien eu au déjeuner, donnez-moi au moins des féculents. – Selon nos informations, vous avez pris une escalope frites au restaurant de votre entreprise malgré nos recommandations vous enjoignant d’éviter la viande rouge et les accompagnements frits. – Mais je n’ai pas pu la manger, ma collègue a renversé mon assiette et je n’ai… – Nous n’avons aucune mention de cet incident, dans le doute, nous vous recommandons d’attendre votre dîner de 20 h. – MAIS JE NE VEUX PAS ATTENDRE, hurlai-je le visage collé contre la paroi, servez-moi maintenant.
Le réfrigérateur resta silencieux. Je n’en revenais pas, c’était tellement injuste, d’autant plus que cette fois, l’histoire était vraie. Ma collègue Vanessa avait malencontreusement fait basculer mon plateau d’un coup de sac à main pendant que je m’affairais à chercher des serviettes. Dépité, je n’avais pas osé accepter son assiette en dédommagement. Le goinfre de poids Gamma dévorant la ration d’un idéal poids alpha de 55 kg, je ne pouvais pas me permettre de laisser cette scène s’imprimer dans l’esprit de mes collègues. Avec un air niais, faussement pressé, j’avais dit que ça m’arrangeait, que j’avais beaucoup de dossiers à traiter et j’étais parti arborant un affreux sourire plaqué, rougissant jusqu’aux oreilles.
– Servez-moi maintenant, je vous ai dit que je n’ai pas déjeuné. – Nous n’avons pas été prévenus de cet incident, selon nos informations vous… – JE ME FOUS de vos informations. – Afin de mieux répondre à vos attentes, nous vous proposons de servir l’armada de céleri sur un lit de tomate aux poireaux à 19 h 45. – Non, des féculents. – Ce menu a été élaboré pour préserver votre santé, Anima sane in corpo sano « un esprit dans un… » – STOP !
De rage, je frappais frénétiquement la paroi du réfrigérateur. Dans un élan naïf, je tentais de forcer la porte en tirant de tout mon poids. Un message d’erreur s’afficha, « N-32 Rqst failed !!!* », une vague de lassitude interrompit ma colère. « N-32 Rqst failed !!!* » c’était le même message que je voyais quotidiennement sur les droïdes ventouses Klingox pour lesquelles j’élaborais des correctifs visant à les protéger des attaques externes. Je n’en pouvais plus, mon boulot, mon frigo, ma vie était devenue un enfer.
– Nous comprenons votre anxiété monsieur Kognatowski, nous tenons toutefois à vous rappeler que les réfrigérateurs Klingox sont la propriété de l’État. Toute dégradation volontaire est considérée comme une infraction.
18 h 47. Désemparé, les bras ballants, je me traînais vers le salon. Seul le vrombissement des robots ménagers me coupait de mon angoissante solitude. Depuis le départ de Pam, ma vie était un chaos total. Mon bordel intérieur contrastait douloureusement avec l’harmonie de l’appartement. Ma simple présence semblait salir les murs, j’étais comme un clochard errant dans un quatre étoiles. Anéanti, l’estomac en fureur, je rêvais au passé ; surtout à Pam. Pam le matin m’embrassant avec sa moue boudeuse et sexy, Pam le soir me câlinant de ses petits bras de poupée, Pam la nuit blottissant son petit corps tout chaud contre ma carcasse épuisée, Pam cet océan de tendresse qui m’avait tout donné et que je n’avais su garder. Ces derniers mois avaient été les plus sombres de mon existence, mon travail me consumait, tous mes liens avec le monde extérieur s’étaient progressivement rompus, tout comme mes boutons de chemises… Dans le bon vieux temps, avec mes 68 kg, mon réfrigérateur ne se serait jamais comporté de la sorte. Avancer l’heure du dîner n’était alors pas un problème, mon réfrigérateur avait une réelle amitié pour moi qu’il illustrait par de multiples attentions. Un petit blues en sortant du bureau ? Je recevais en rentrant un délicieux burger pour me réconforter. Une dispute avec Pam ? Le merveilleux plat concocté pour l’occasion nous permettait de nous réconcilier en quelques minutes. Tout avait basculé quand une nuit, ivre de chagrin après le départ de Pam, je m’étais levé et sans même comprendre pourquoi, j’avais dévoré toutes mes réserves de nourriture. J’avais ingurgité les viandes, les fromages, les desserts, sans rien goûter, sans même laisser les aliments s’étendre sur mon palais. Bien sûr, je n’avais pas pris 20 kg en une nuit, ce n’était que le commencement. De manière compulsive, j’avais traqué tout aliment susceptible de combler mon vide intérieur, j’étais tombé dans une spirale infernale. Mon réfrigérateur m’avait lancé des avertissements puis tenté de me restreindre mais c’était impossible. Paulo, mon ravitailleur, était toujours disponible pour m’assurer des doses de nourriture. Toujours disponible… Jusqu’à aujourd’hui. Ma vie m’échappait complètement, j’étais comme un cavalier traîné dans la poussière, le pied coincé dans l’étrier. Chaque parcelle de ma vie transpirait l’abandon, la faiblesse, la lâcheté. J’étais tellement lâche ! Tellement lâche au bureau quand j’acceptais tout et n’importe quoi dans le seul espoir d’éviter une mauvaise note de ma hiérarchie, tellement lâche à la cantine quand je me privais d’un repas par crainte des moqueries, tellement lâche dans la rue quand je baissais la tête devant des enfants singeant mon pas éléphantesque, tellement lâche dans ma cuisine quand je me soumettais à un réfrigérateur tyrannique. Prostré dans mon canapé, une curieuse sensation abreuva mes pensées, la honte laissait place à une colère, chaude, sourde. La brusque montée d’agressivité laissa émerger une solution trop longtemps masquée par ma soumission. Si je ne pouvais faire plier mon réfrigérateur par mes ordres ou ma force physique, je pouvais pirater ses instructions ! Le système de la cuisine était fondé sur un logiciel N-32, j’avais juste besoin de certaines caractéristiques techniques pour parvenir au code source, et je savais où les trouver ! Mon interface personnelle établit directement une connexion cryptée à travers Thor afin d’accéder aux pages hors du contrôle de l’État. Les forums des différentes factions de la rébellion nécessitaient une anonymisation du protocole de données afin d’éviter une géolocalisation par la police. Un groupe m’intéressait particulièrement : le CIK. S’inspirant des préceptes de vie d’un chanteur hawaïen obèse du 20e siècle, la confrérie d’Israël Kamakawiwo’ole mettait tout en œuvre pour lutter contre les lois de l’équilibre alimentaire. Des tentatives de piratage du réseau central aux distributions de burgers inopinées dans des rues passantes, le CIK représentait la principale opposition aux lobbys prônant la nourriture saine. Leur fondateur, Liliponk$53, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, avait réussi à s’exiler sur la petite île de Kokomo où tout en pilotant la stratégie des rebelles, il dévorait des burgers aux ananas à longueur de journée, exposant son ventre dodu aux palmiers. Présentant ma requête à travers des propos sibyllins sur la page de garde du forum, je fus immédiatement contacté par Hercule_29-Mandibule :
– Bonsoir, peux-tu décliner ta problématique ? – Réjane-Karine refuse de se plier à mes désirs, auriez-vous des conseils pour m’aider à reprendre le contrôle de la situation ?
J’avais suffisamment baroudé sur les pages profondes du réseau pour savoir qu’il fallait rester discret. Ne jamais présenter clairement la situation, les initiales RK pour Réfrigérateur modèle Klingox suffisaient pour me faire comprendre. Les forums étaient infestés d’espions du gouvernement, au moindre faux pas, j’étais bon pour la brigade.
– Très bien, quitte ce forum, connecte toi sur le groupe « lke984d$+ndz7 » avec le pseudo « 98JHdz] », efface tout signe qui permettrait d’identifier ton appart’ et mets une cagoule, tu vas basculer en visio-conférence sécurisée.
Je me pliais aux instructions sans m’appesantir sur leur ton autoritaire. Mon salon était impersonnel, modèle n°27 du catalogue IKEA 2031, aucun risque de ce côté-là. Je détachai le cadre représentant Pamela avec une légère amertume. Dépourvu de cagoule, je pris une casquette, une paire de lunettes de soleil et recouvris mon visage de ma serviette, façon bandits de western. La connexion se fit instantanément, trois personnes me faisaient face, arborant des masques d’un Israël Kamakawiwo’ole hilare. Le décor derrière eux tressauta une milliseconde, sans doute une projection 3D pour masquer les pistes…
– Racontez-nous votre histoire !
Le ton glacial associé à ces faces joviales donnait une allure sinistre à cette mise en scène. Je n’étais plus très confiant, le gouvernement pouvait très bien envoyer des espions pour piéger les citoyens. Tout en détaillant mon histoire, je pris soin de dissimuler les détails trop personnels, ajoutant des fausses informations pour brouiller les pistes.
– Les instructions vont s’afficher à l’écran, avec vos connaissances du système Klingox vous devriez y arriver sans trop de difficultés. Nous désactivons notre caméra mais vous pouvez correspondre avec nous pendant l’opération. Dès la fin de la procédure, supprimez immédiatement l’interface Thor. Veillez à formater régulièrement vos données personnelles afin de vous protéger en cas de contrôle.
Le réfrigérateur ne commenta pas mon arrivée dans la cuisine. Plus troublant, il resta silencieux quand mon interface se connecta au système. Sans m’appesantir sur cet étonnant manque de réactivité, je commençais à coder, suivant à la lettre les informations affichées sur l’écran. La sonnerie de l’entrée troubla la procédure « Un visiteur vous attend sur le palier ». Je balayais toute crainte de mon esprit, il était impossible d’identifier une connexion sécurisée par Thor, c’était juste une coïncidence. Je ne devais pas arrêter mon travail, l’esprit alerte, je dupliquai le code source du forum.
– Police, ouvrez !
Une décharge d’angoisse interrompit mon action. J’avais été balancé ! Les trois guignols avec leurs masques… Des taupes…
– Comment pouvez-vous faire ce métier, leur murmurai-je la voix brisée par le désespoir.
Ils ne répondirent pas. Je les imaginais dans une salle du commissariat avec leurs collègues, spectateurs d’une humiliante arrestation comme je l’avais moi-même été maintes fois lors des émissions traquant les clients de prostitués ou les maris volages.
– Police, ouvrez !
Je débranchai ma tablette et me ruai vers le salon pour effacer toutes les traces. La porte s’ouvrit, un violent flash m’aveugla.
– Agent 223, ne bougez plus !
La panique me paralysait, la peine maximale pour ce type de piratage était de cinq ans. Cinq ans de prison, sans compter l’amende qui siphonnerait toutes mes économies.
– Retournez-vous, les bras tendus en arrière, mains ouvertes.
Cinq ans ! Ma vie s’achevait, incapable de réaliser, je laissais le chiffre clignoter dans mes pensées.
– Retournez-vous, les bras tendus en arrière, mains ouvertes, si vous n’obtempérez pas, nous utiliserons la force.
Son ton nonchalant s’était ragaillardi à la dernière phrase, sa matraque le démangeait. Arrêter des pirates de frigos ne devait pas être très excitant. De pauvres types en surpoids tétanisés par les forces de l’ordre ne donnaient que rarement l’occasion de se défouler. Je levais les yeux, essayant de deviner l’expression du visage derrière le casque. De la colère ? Du mépris ? ou juste l’immense lassitude de faire un travail ridicule ?
– Bon tu te bouges mon gros, t’es pas le seul que je dois embarquer.
Vraisemblablement du mépris, j’essayais de me représenter son visage. Sans doute un petit front, une mâchoire inférieure volumineuse et des petits yeux enfoncés. Malgré la peur, je ne pus m’empêcher de plaider pour ma cause.
– Mais vous ne voyez pas que c’est ridicule ! Vous m’arrêtez sur les ordres d’un frigo, mon frigo ! pour quel délit ? Souhaiter manger à ma faim ? – Fallait faire attention, gros tas ! Les gens comme toi, ils s’arrêtent jamais, vous êtes des animaux, tout ce que vous voulez c’est vous empiffrer.
Plus que du mépris, du dégoût, le dégoût d’un homme élevé dans le culte des corps musclés et la haine du gras.
– Vous ne pouvez pas faire ça. – Si on peut ! Et je vais même te dire une chose, si c’est pour empêcher les gens de ton espèce de se répandre comme de la vermine, si c’est pour les remettre sur le droit chemin on peut tout faire. Et maintenant tu te retournes et tu mets tes bras en arrière. – Non.
Je tremblais, tous mes muscles étaient tendus, j’atteignais un point de rupture entre haine et désespoir. J’avais deux options, lui écraser la tête contre le mur ou exploser en sanglots. Je voulais crier ma détresse, hurler contre cette injustice.
– Quoi, non ? Si tu n’es pas tourné dans 3 secondes, je t’électrocute.
Lentement, je me tournais vers la caméra de mon interface, caméra par laquelle m’observaient les trois traîtres du forum, et prononçais ces quelques phrases qui changèrent ma vie. En quelques jours cette courte tirade devint le slogan de la rébellion qui ferait abroger trois mois plus tard, l’infâme loi Néfloton.
– Non. Non vous ne pouvez pas tout faire. Vous ne pouvez pas améliorer les individus en les mettant sous le joug des robots ; vous ne pouvez pas forcer la volonté en annihilant toute liberté ; vous ne pouvez pas rationaliser l’homme sans détruire son humanité.
L’agent 322, un peu décontenancé, reprit vite ses esprits et cria en levant sa matraque. Surpris, je me décalai brusquement, repoussant par réflexe le bras de mon agresseur. Déséquilibré, l’agent s’effondra sur le sol, laissant sa matraque rouler vers mes pieds. Terrorisé par mon geste, je m’abaissai pour lui rendre son arme de service.
La suite je ne la connaîtrais que quelques jours plus tard. Alors que j’étais courbé pour ramasser l’arme, l’agent m’envoya une décharge de son pistolet électromagnétique en plein visage. Inconscient, je ne garderais aucun souvenir des douze coups de pieds dans les côtes et des vingt-trois gifles qu’il m’assena avec sa crosse. Lui non plus d’ailleurs, si l’on se fie à son témoignage durant le procès Westwoord V. Klingox un accès de rage incontrôlable dû à une fragilité aux lobes frontaux aurait aboli sa responsabilité au moment des faits. Le juge accorda cependant peu de crédit à sa version et l’agent 323 aussi connu sous le nom d’Ernie Crouper fut condamné à 1 an de prison ferme. Lors du procès il fut également établi que ce n’était pas les membres du forum qui avaient prévenu la police. La vérité était ailleurs, les réfrigérateurs Klingox, munis d’un système de protection, alertaient automatiquement la centrale en cas d’agression. Quand dans ma colère, j’avais secoué mon réfrigérateur, un opérateur Klingox avait aussitôt été prévenu. Grâce aux micros du réfrigérateur, il avait pu écouter ma conversation sur le forum pour finalement contacter la police.
Quant à moi grâce aux indemnités, je pus enfin quitter Detroit pour Kokomo où je mangerai des burgers aux ananas jusqu’à la fin de mes jours !
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