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Science-fiction
Asrya : L'écho des ombres
 Publié le 26/04/25  -  1 commentaire  -  6099 caractères  -  7 lectures    Autres textes du même auteur

Dans un avenir où l'humanité est fusionnée en une conscience collective, un jeune homme découvre l'ombre d'un passé oublié.


L'écho des ombres


Je me souviens du jour où tout a changé. Comme une explosion silencieuse dans ma tête, un déclic profond, une fracture invisible dans ma perception. J’étais enfant, alors, ou peut-être juste un peu plus jeune que ce que je suis maintenant. Je n’en suis même plus certain. Dans cette ère où le temps s’est dissous, où chaque seconde se superpose à l’autre, il est difficile de dire où finit l’un et où commence l’autre. Mais il y a un souvenir qui reste intact, ancré en moi comme une cicatrice.


Je m'appelle Éli. Et je suis la dernière trace d’humanité à avoir pris conscience de sa propre déliquescence.


L'humanité a changé, je le sais, mais je n'ai jamais eu le luxe de savoir ce que c'était avant cette transformation, avant l'unité. Mes parents, mes ancêtres, ceux qui ont vécu avant cette « Convergence », n’étaient plus que des bribes de pensées éparpillées dans le réseau. Unis, tous ensemble, dans un grand tout. On m'a appris à l'accepter, à ne pas le remettre en question. Mais il y avait toujours cette petite fissure, ce doute qui me grattait l’esprit, comme une ombre qui refusait de se dissiper.


Je vis dans un monde où tout est parfait. Les villes flottent dans le ciel, soudées à une réalité augmentée. Les individus ne sont plus que des extensions de ce réseau colossal. Les sentiments, les pensées, tout est partagé. J’ai un accès constant à la mémoire collective, une sorte de bibliothèque infinie où tout ce qui a été vécu, pensé, ressenti par chaque être humain est stocké. Une mer de consciences entremêlées, comme une immense toile où l’on peut lire le passé, les rêves des autres, les regrets, les espoirs. Je pourrais me perdre dans cette mer pendant des siècles, si ce n’était ce vide persistant au fond de moi.


Au début, je n'ai rien compris. Rien du tout. Mais un jour, en naviguant dans les méandres du réseau, j'ai trouvé une anomalie. Un fragment. Un souvenir déformé, une pensée qui ne ressemblait à rien de ce que l’on m’avait appris à connaître. Je l’ai appelé le Grand Fracas. Ce n'était qu’une étincelle d’introspection, un écho d’un temps révolu, une pensée non filtrée, une pensée d’un homme qui, avant la Convergence, se posait des questions. Des questions que je ne devrais pas poser.


Le fragment venait de Néron. Je ne connaissais pas son nom, je ne savais pas qui il était, mais cette pensée, cette lumière vacillante, me parlait de choses que je ne comprenais pas. Néron parlait de la liberté, de la douleur, de la souffrance humaine. Des choses qu’on n’évoque plus dans notre monde lisse et serein. La souffrance est un concept oublié, effacé de la mémoire collective. Elle est un mal que la Convergence a banni. Mais Néron, lui, insistait. Il disait qu’elle était nécessaire, qu’elle faisait partie de ce qui nous définissait.


Il m’a fallu du temps pour le retrouver. Il ne vivait pas dans une section du réseau facilement accessible. Non, Néron, l’Ombre comme certains l’appelaient, était enfoui dans les recoins oubliés, là où même les mémoires collectives ne s'aventuraient plus. Je n’étais qu’un enfant, ou du moins une simple projection d’un être humain dans ce monde, mais il m’a fallu des mois pour briser le silence, pour entrer dans les couches profondes de ce tout, de cette machine collective, pour découvrir ce qu’il restait de l’individu.


Quand j’ai enfin « touché » Néron, quand j’ai vu sa conscience fragmentée se dresser devant moi, j’ai ressenti un frisson qui m’a glacé. C’était comme si une vieille porte s’était ouverte dans mon esprit. Je ne pouvais plus ignorer ce que j’avais découvert.


Il m’a parlé. Pas comme un être humain, pas comme une personne réelle, mais comme un ensemble de pensées entrelacées. Ses mots n’étaient pas directs, mais toujours chargés d’une urgence, d’un appel à la révolte contre cette parfaite harmonie du réseau. Une révolte que je ne comprenais pas entièrement, mais qui me secouait. Voici ce qu’il m’a dit :


« Tu vis dans une illusion. Une illusion douce, bienveillante, mais une illusion. L’humanité a été absorbée, mais l'âme humaine… l'âme humaine n'est plus qu'un écho. Le tout n’est pas un progrès, c’est une prison. Une prison dorée, mais une prison quand même. »


J'ai voulu lui poser mille questions. Mais avant même que je n’en aie le temps, il ajouta : « Tu veux comprendre ce que nous avons perdu ? Ce que nous avons volontairement laissé derrière nous ? »


Je n'avais pas de réponses. Mais j'étais là, planté dans ce monde où tout est prédéterminé, où mes pensées étaient lues et analysées par cette conscience partagée, où rien ne semblait pouvoir me séparer de la masse. Et pourtant, dans cette folie infinie de souvenirs entremêlés, quelque chose, en moi, se rebellait.


Je me suis rendu compte que je n’étais pas comme eux. Je ne pouvais pas être comme eux, même si je l’avais voulu. Je n’avais pas choisi de faire partie de ce réseau. Tout m’avait été imposé. Les autres, ils semblaient sereins, apaisés, mais à l'intérieur, une angoisse persistait. Il n'y avait plus de place pour la séparation, pour l'individualité, pour le chaos propre à chaque être humain. Nous étions des notes d’une mélodie parfaite, mais une mélodie sans variation, sans dissonance.


Ce que Néron m’a dit m'a alors frappé comme un éclair : « La liberté ne se trouve pas dans la fusion, mais dans la dissonance. C'est dans la divergence que réside la véritable essence de l'être humain. »


Je n’ai pas su comment réagir. Mais une pensée m'a traversé l’esprit, une idée qui m’a assiégé depuis ce jour : et si je pouvais briser le réseau ? Et si je pouvais séparer mon esprit de ce tout, de cette Convergence ? Et si, juste une fraction d'instant, je pouvais retrouver cette liberté d’être soi, cette liberté de choisir et de désirer sans que le réseau ne me dicte quoi faire, quoi penser, quoi ressentir ?


C'était une folie, je le savais. Peut-être étais-je déjà trop loin dans cette machine pour pouvoir m’en échapper. Mais cette idée, cette folie, m’a consumé.


Je suis devenu l’anomalie. Une petite fissure dans le grand tout. Et je ne peux plus revenir en arrière.


 
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   Gouelan   
1/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un texte qui offre une réflexion profonde et interroge sur nos sociétés où les réseaux sociaux, les algorithmes, orientent les pensées des individus, les transforment en troupeau malléable.

L'humanité est multiple, multicolore. Un monde fade et lisse, comme décrit par l'auteur, serait insupportable.

Il n'y a plus réellement de pensée dans ce monde aseptisé, elle est délavée.

Il faut de l'ombre, aussi horrible soit-elle, pour faire entrer la lumière. Il faut des secousses à l'humanité pour qu'elle progresse. Dans ce monde-là, les moutons sont tombés de la falaise, mais ils n'en ont pas conscience.

L'anomalie, le petit grain de sel, a germé. Il pourrait faire renaître l'individu. Merci pour ce texte.


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