Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Réalisme/Historique
Atoutva : Le secret d'Yvette
 Publié le 26/08/23  -  5 commentaires  -  36637 caractères  -  66 lectures    Autres textes du même auteur

Le passé peut s’estomper mais il revient toujours et demain n’est que la suite d’hier.


Le secret d'Yvette


Elle fut surprise de ne rien trouver.

Mais après tout, c’était normal puisqu’elle n’avait rien commandé. Par acquit de conscience, elle replongea sa main dans la boîte aux lettres, qui, bien qu’aux normes en vigueur était toujours trop grande pour le peu de courrier reçu, la fouilla et refouilla lentement. Non, rien. De toute façon, elle le voyait bien ! La boîte aux lettres était vide ! Même pas la plus petite feuille de publicité. Alors pourquoi ce courriel qu’elle venait de recevoir ?

Un avis de La Poste lui signifiait que son colis venait d’être livré à son adresse. C’était en toutes lettres affiché sur l’écran de l’ordinateur. D’ailleurs, les mains vides, elle ne put que rentrer dans la maison, s’installer à nouveau devant cet écran, relire le message. « Votre colis vient de vous être livré. » Oui, c’était bien écrit en toutes lettres et donc, elle aurait dû recevoir un colis. Pourtant, à l’heure qu’il était, le facteur était certainement déjà passé. Elle se souvenait à présent, elle avait entendu le bruit caractéristique du moteur de la Kangoo. Le facteur avait fait sa tournée habituelle à l’heure habituelle, ne s’était pas arrêté, n’avait donc rien déposé. Mais si, elle se rappelait, le facteur s’était arrêté, mais pas devant chez elle, trois ou quatre maisons plus loin sans doute, et puis, de l’autre côté de la route, c’est-à-dire un numéro pair alors qu’elle se trouvait à un numéro impair.

Alors, le facteur se serait trompé d’adresse ? Il aurait livré le colis… Impossible, son numéro avait un chiffre alors que celui supposé en avait deux. Le facteur savait lire ! Et d’ailleurs, même s’il y avait erreur, jamais elle ne pourrait réclamer son dû au voisin que d’ailleurs elle ne connaissait pas. Et comme lui-même ne la connaissait pas… D’autant que ce ne pouvait être qu’une supposition.

Quoique… ce colis prévu… En réfléchissant bien, cela l’étonna un peu, puisqu’elle n’avait rien commandé par correspondance. Du moins ne s’en souvenait-elle pas. D’ailleurs, avec le budget dont elle disposait, elle ne pouvait pas se permettre des achats coups de cœur. Et comme elle ne connaissait personne susceptible de lui envoyer un cadeau quelconque… pourquoi recevrait-elle un colis ? De la part de qui ? Et lequel ?

Elle passa mentalement en revue tout ce qu’elle possédait. Un trois-pièces même au milieu d’une courette fleurie, on en a vite fait le tour. Des meubles jusqu’à la plus petite soucoupe en passant par le matériel informatique, les vêtements et autres bibelots. Du strict nécessaire. L’alimentaire, bien sûr, ne pouvait faire partie d’un éventuel colis. Tout cela ne constituait que de bien pauvres objets. Des objets utiles, rien de plus. Elle réfléchit longtemps à ce qui pourrait lui manquer. Et décidément non, il ne lui manquait rien ! Et si tout avait bien sûr l’usure du temps, rien n’était cassé et n’avait nullement besoin d’être remplacé. Et donc, il n’y avait aucune raison pour qu’elle ait effectué une commande quelconque ! D’ailleurs, elle n’avait jamais osé commander toute seule, ainsi, à distance, par ce moyen tout nouveau appelé Internet.

Ou alors, quelque nabab lointain avait mystérieusement découvert dans une boule de cristal son adresse postale et voulait lui faire un cadeau… royal ! Du moins, tant qu’à faire, pouvait-on espérer qu’il en soit ainsi. Il ne restait qu’à l’attendre, puisqu’apparemment, il n’était pas encore livré.

Mais alors, ce message, qui le lui avait envoyé ? Et pourquoi ? La Poste ! Mais en réfléchissant bien, jamais auparavant La Poste ne l’avait ainsi prévenue qu’elle venait de déposer une lettre ou un paquet dans sa boîte. Et si le message de La Poste était un faux ? Si on lui avait volé son adresse ? Ses adresses, postale et électronique. Mais dans quel but ?

Elle avait entendu dire que les surprises étaient le sel de la vie. Eh bien voilà, la surprise du jour, c’était qu’il n’y avait rien. Et fataliste, elle éteignit son ordinateur pour se ressourcer sur le banc de sa courette fleurie.


À dire vrai, Yvette ne resta pas longtemps sur le banc, seule avec ses pensées. Derrière les hautes grilles qui fermaient son petit domaine, elle avait le spectacle de la rue et c’était l’heure de la rentrée. La rentrée des écoles. Il y avait un collège à cent mètres de là et elle aimait bien les remous occasionnés par la jeunesse qui déambulait. Ça mettait un peu d’ambiance dans sa solitude voulue. Quoique… les jeunes d’aujourd’hui n’étaient plus ceux d’hier. De son banc, elle voyait et entendait les bandes qui allaient par quatre ou six, aux débats si volubiles et au vocabulaire bien peu conventionnel. Il devait être aux alentours de treize heures. Bien sûr, les jeunes traînaient leurs sacs de toile épaisse, ornés d’inscriptions en langue étrangère ou de badges clignotants. Des sacs poussifs, non entretenus. Ah, se dit-elle, c’est sûr que ça ne vaut pas les cartables de mon temps. Et une image surgit dans la toile des souvenirs. Son cartable.

Son cartable de cuir marron clair. Un seul cartable qu’elle avait traîné ou plutôt, porté, une grande partie de sa scolarité. Avec deux compartiments intérieurs, l’un pour les cahiers et la trousse, l’autre pour les livres. Il était lourd le cartable, porté quatre fois par jour, de la maison à l’école et de l’école à la maison. Entre les livres et les cahiers, la trousse au porte-plume plastique rongé et au crayon à demi cassé, au Bic tout nouveau, il était lourd le cartable qui pendait toujours au même bras. Mais on en prend vite l’habitude.

Ah, comme elle le cirait, son cartable, la veille de la rentrée des classes. Toute la boîte de cire y passait ! Et il brillait, le cartable, c’était un plaisir ! Et toute la maison sentait bon la cire. Mais année après année, il vieillissait. Un peu mal, d’ailleurs. Si mal, même qu’elle n’avait pas pu le mener jusqu’au bout. Son cartable d’école était passé au collège, comme elle ! Mais il s’était arrêté en sixième, et pas seulement à cause de la cire qui ne le protégeait sans doute plus de tous les aléas !

Parce que… un cartable si lourd, ça peut servir d’arme défensive ! Elle se rappela ce jour de l’attaque. Et c’est sans doute pour cela qu’il avait terminé sa vie, le cartable.

Ce jour-là, elle s’en revenait chez elle pour la pause du déjeuner. Elle était à cinquante mètres de son immeuble quand tout à coup, une voiture s’arrêta au bord du trottoir. La conductrice en descendit, ouvrit la portière arrière et un chien énorme surgit, aboyant férocement et se jetant sur la pauvre écolière. Terrifiée, pour se défendre, la malheureuse lui jeta son cartable en pleine gueule et s’enfuit hurlante et pleurante se réfugier dans l’appartement auprès de sa mère. C’est cette dernière qui partit chercher le pauvre cartable qui gisait au milieu de la route, écrasé plusieurs fois par des voitures.

Depuis ce jour, la peur des chiens ne la quitta plus. Quant au cartable, si elle consentit à le garder jusqu’au bout de l’année, elle le refusa absolument l’année suivante. Pour elle, il conservait toujours l’odeur du chien.

Avec tous les déménagements, où était-il, à présent, ce vieux compagnon de chaînes ? ! Dans la toile des souvenirs, elle le voyait dans une malle, dans une cave. Mais c’était il y a longtemps et ailleurs.

Un rayon de soleil moqueur lui fit tourner la tête et elle aperçut l’étendoir où séchait encore le torchon de cuisine. Elle eut un sourire parce que, juste à côté de ce morceau de tissu, comme épincée par les épingles à linge, elle aperçut une autre toile, plus fine, celle-là. Une toile d’araignée qui brillait. Elle avait toujours aimé voir une araignée le soir, à cause de l’espoir, avait toujours craint de la voir le matin pour le chagrin. Quant au jour, elle s’était toujours demandé ce qui pourrait bien arriver. Jour… bon ou mauvais ? Four ? Tour ? Amour ?

Et soudain, son visage se rembrunit. Une toile d’araignée… comme un piège. Une toile… le Web. Et elle repensa au curieux message reçu. Est-ce qu’elle serait tombée dans un piège, comme ce moucheron qui se débattait au milieu de cette toile ?


À cet instant, devant ces deux toiles, l’une réelle et l’autre fictive, Yvette aurait bien voulu connaître l’avenir. Ou du moins, ce qui arriverait prochainement. Quoique, ne dit-on pas, tout arrive à qui sait attendre ?

Elle se souvenait de cette jeune Créole des Trois-Îlets, à la Martinique. L’histoire, apprise au lycée, l’avait frappée, celle de Joséphine de Beauharnais, alors Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie. On raconte qu’une diseuse de bonne aventure avait prédit à la jeune fille qu’elle serait plus que reine. Et… elle devint impératrice des Français ! C’est donc que les révélations pouvaient s’avérer exactes !

Quel rapport avec un prétendu colis ? Aucun sans doute, mais sans doute aussi, quelque chose de nouveau dans sa vie allait-il se produire. Comme une prémonition.

Et puis elle fit grise mine. Une diseuse de bonne aventure… n’en avait-elle pas consulté une, un jour, il y a longtemps ? Dans une fête foraine qui revenait deux fois l’an, dans sa bourgade natale… Fée Demain, en lettres dorées et argentées, qu’il y avait d’écrit sur la roulotte verte et violette ! D’après ce qu’on en colportait, elle savait tout sur votre avenir, grâce à ses cartes à jouer, et à sa boule de cristal. Et beaucoup venaient la consulter, ayant obtenu des révélations exactes… à ce qu’on en disait ! Donc, ce jour-là, elle avait osé monter les trois marches qui permettaient l’accès à cette chambre sur roues, avec… avec lui… Lui… mais ça, c’est une autre histoire à oublier.

Il pleuvait ce jour-là, elle était triste, la foire, avec ses manèges immobiles. Mais Fée Demain laissait sa roulotte ouverte et continuait ses consultations. Il ne fallait pas lui en vouloir, c’était son gagne-pain, pluie, vent ou soleil ! Et ils avaient pénétré dans la petite pièce, main dans la main, Yvette et… et l’autre, intimidés et collés l’un contre l’autre. Ils n’avaient pas dix-huit ans. « Mariage pluvieux, mariage heureux ! » Cela avait été les mots de bienvenue de cette femme assez lourde, dans sa robe écarlate, le visage peint de rose et de rouge, un foulard épais cachant sa chevelure dont une longue mèche brune et graisseuse dépassait. Elle trônait derrière une table recouverte d’un tapis de velours marron à la propreté douteuse et sur lequel gisaient rois reines valets et nombres, des rouges des noirs, des piques des trèfles des carreaux ou des cœurs, tous en vrac, sans oublier une grosse boule de verre emballée dans un carton ouvert. C’est tout ce dont elle se rappelait. Cette femme rouge derrière cette table brune et hétéroclite. Le reste de la roulotte était comme invisible. Du moins il lui fut impossible de se la rappeler.

Bref, ils étaient entrés, Fée Demain leur avait demandé leur date de naissance, avait joué un moment en silence avec ses cartes, les battant et les rebattant, les coupant et les recoupant, puis en étalant sept d’entre elles devant elle. Et très solennellement, elle leur avait déclaré qu’ils seraient très heureux et qu’ils formeraient une famille nombreuse.

Tous deux étaient repartis heureux et confiants. N’a-t-on pas l’avenir à soi, quand on n’a pas dix-huit ans ? Ils ne connaissaient pas encore les quelques vers de Victor Hugo. « Non, l'avenir n'est à personne ! Sire, l'avenir est à Dieu ! À chaque fois que l'heure sonne, Tout ici-bas nous dit adieu. L'avenir ! l'avenir ! mystère ! »

Trois mois plus tard, il la quittait pour une autre fille.

Et Yvette éclata de rire. Heureux. Une famille nombreuse… ! C’était bien loin, toute cette aventure de jeunesse. Elle était toujours restée célibataire et contente de l’être ! Allons, se dit-elle en revenant dans la salle commune, il vaut mieux être seul que mal accompagnée ! Et souriant béatement au cadre désuet, mais douillet qu’elle avait patiemment élaboré des années durant et d’où s’exhalait une bonne odeur de café chaud, « mieux vaut un petit chez soi à soi qu’un grand chez les autres ! » dit-elle tout haut, se servant une tasse du breuvage noir.


La comtoise chanta ses trois coups. C’était l’heure de son rendez-vous mensuel au parc voisin avec Sylviane. Une vieille relation qui l’avait aidée, autrefois, à une certaine époque, et qui ne l’avait jamais abandonnée. Sylviane apportait son tricot. Elle avait toujours un pull en route pour l’un de ses nombreux enfants et petits-enfants. Une famille par procuration pour Yvette, comme elles aimaient plaisanter. C’était aussi un moulin à paroles. Yvette, elle, ne faisait rien, ne disait rien, écoutant et apprenant seulement ce qui se passait au loin ou à côté, dans la ville.


– Ah ma chère, c’est d’un ennui…

– Et le pire, c’est que l’on ne sert plus à rien !

– On ne sait même plus quel jour nous sommes.

– Oui, dans le temps, il y avait le jour des mamans qui gardaient leurs petits, bavardant ou tricotant, les jours des touristes qui s’extasiaient devant ce bassin toujours vide. Et les écoliers chahutant en attendant leurs heures de cours ! Et le jour du marché, quand les forains venaient partager leurs gamelles ! Et…

– Et le soir avec les amoureux, tu t’en souviens ?

– Oh ceux-là, ils n’étaient pas bien gênants, à roucouler des heures durant !

– Oui, aujourd’hui, tout est fini. Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Plus personne ne vient dans ce petit coin tranquille. Même en ville, tous les bruits sont étouffés. Et quand on voit quelqu’un traverser rapidement les lieux, il est tout bizarre, avec son masque sur la figure.

– Aujourd’hui, ma pauvre amie, nous rouillons. Regarde notre belle peinture verte tout écaillée… C’est tout ce que nous faisons, stupidement seules et muettes. Ah, je ne sais plus qui a dit ça, mais la solitude, quel enfer !

– Ah non, regarde, c’est le jour des copines sur le banc…


Le banc de pierre, face au bassin toujours à sec parce que le jet d’eau reste muet toute l’année sauf le 14 juillet. La ville se permettait cette largesse de débourser de l’eau, ou de l’argent, pour fêter la grande Histoire. Une femme entre deux âges s’avançait et s’asseyait sur ce banc juste à côté des deux chaises. C’était Yvette qui, le café siroté, venait au jardin public attendre son amie.


– Oui, les copines… mais à part elles, tout le monde nous délaisse.

– Vous savez, avec le temps qui fait…

– Le printemps en hiver et le givre à Pâques, oui, tout est chamboulé. Mais pas que…

– Vous êtes bien agressive, aujourd’hui.

– Que non pas, que non pas ! Mais je me plains qu’aujourd’hui, plus personne ne nous soigne. Dans le temps…

– Ma foi, dans le temps, on ne prenait guère soin de nous, nous trimbalant dans tous les coins sans ménagement. Et voilà le résultat, nous sommes toutes rouillées et au bout du rouleau !

– C’est vrai. Et nous étions plus nombreuses… Maintenant, on nous abandonne. On est seules.

– Pas autant que le pauvre bougre qui a fait du buisson de romarin son abri au quotidien.

– Oui, lui est seul. Vraiment seul… Voulue, sa solitude ?


Yvette haussa les épaules. La solitude. La solitude, ça n’existe pas ! C’est Bécaud qui chantait cela. Il y a toujours la radio et la télé pour vous donner le temps et l’heure. Oh bien sûr, avant, dans sa jeunesse, elle était de toutes les réunions, de toutes les festivités. Mais pour ce que ça lui avait servi… Quand elle travaillait, il lui avait bien fallu composer avec la société : que d’obligations ! Mais depuis trois ans qu’elle était à la retraite, la solitude, ah, voilà la liberté rêvée et absolue ! Et à présent que son amie n’était pas là, est-ce qu’elle se sentait seule ? Nullement ! Et puis, elle n’était pas seule puisqu’elle entendait les chaises parler !

Mais cela faisait longtemps qu’elle attendait en vain. Pourquoi son amie ne venait-elle pas ? Aurait-elle attrapé elle aussi ce vilain virus qui circulait et bloquait toute vie de par toute la ville et plus loin encore ? Ce mois-ci, elle n’aurait pas les nouvelles du quartier et si cela tout d’abord la déçut, elle se souvint de Moustaki : « Non je ne suis jamais seul avec ma solitude ». Alors non, Yvette, tout d’abord surprise, ne fut pas désespérée ! Et c’est en chantonnant qu’elle partit retrouver son cher petit domaine.


Comme elle arrivait à sa porte d’entrée, Yvette entendit le téléphone sonner à l’intérieur. Malheureusement, aussi vite qu’elle fit, elle arriva trop tard jusqu’à l’objet qui venait de cesser de pleurer. Elle pensa que ce devait être Sylviane qui lui donnait des nouvelles. Mais comme elle supputait à propos de l’éventuel message, le téléphone reprit sa chanson et elle décrocha aussitôt.


– Allo, madame Chausson ?

– Heu… oui…

– C’est Le Prêt-en ligne, à l’appareil !

– Heu… oui…

– Voilà, on a pour vous, en ce moment dans notre boutique, votre robe !

– Ma robe ?

– Oui, la robe que vous allez commander tout de suite !

– Hein ?


Et Yvette raccrocha immédiatement. Mais en voilà encore, une histoire ! Malheureusement à peine avait-elle fait trois pas vers sa cuisine que le téléphone se remit en branle. Sylviane ?


– Madame Chausson ? On a été coupés… je vous disais… Le Prêt-en ligne est une formule où, pour 10 euros par mois, vous pouvez commander les toutes dernières nouveautés de la mode à prix bradés et sans sortir de chez vous et…

– Mais enfin…

– Vous profitez des dernières nouveautés à prix réduit, avec l’obligation toutefois d’acheter pour 50 euros minimum quatre fois l’an minimum. Pulls, chemises, manteaux, et surtout de merveilleuses petites robes…

– Mais enfin, je n’ai besoin de rien !

– En êtes-vous certaine ?

– Mais…

– 10 euros par mois pour une nouvelle tenue, n’est-ce pas tentant ?

– Euh… oui… enfin…

– Ah ! Alors je vous envoie le formulaire à remplir et à renvoyer. Vous êtes bien au 7 de la rue…


Exaspérée, Yvette raccrocha. Quelle journée ! Mais quelle journée ! On la prévenait d’un colis dans sa boîte aux lettres qu’elle ne trouvait pas, Sylviane ne venait pas et maintenant, on voulait lui faire acheter un vêtement ! Entre les pièges du Web et ceux du téléphone…

Une robe, quelle drôle d’idée ! Et Yvette partit dans sa chambre consulter la vieille armoire. Mais non, elle n’avait besoin de rien ! D’autant qu’elle n’avait guère l’habitude de sortir et qu’elle était toujours en pantalon. Alors une tenue pour la maison et une autre pour faire les courses et un ou deux rechanges… que demander de plus ? Une robe, quelle drôle d’idée !

Mais Yvette s’arrêta, soudain songeuse. Une robe… Le téléphone aurait-il eu l’effet de la madeleine de Proust ? La voilà partie bien loin dans le passé.

Durant son enfance, elle n’avait jamais eu de vêtement à elle. Elle portait ceux de sa grande sœur, de cinq ans son aînée, et que leur mère, excellente couturière, remaniait à sa taille. Elle portait le choix de sa sœur, on ne lui avait jamais demandé son avis à elle. Et puis, elle avait toujours été considérée comme la petite. La petite, et donc celle qui n’a rien à dire et ne sait rien faire, qui doit seulement accepter.

C’est vrai que sa sœur savait tout faire, réussissait tout. Alors qu’elle… Oh, elle n’avait pas été malheureuse ! Le parfum d’enfance ? Un monde entre deux eaux, en demi-teinte.

Jusqu’au jour où…

Elle avait douze ans. Et la famille avait bien voulu croire qu’elle n’était plus vraiment enfant. D’ailleurs pour son anniversaire, sa mère avait décidé de lui confectionner une robe pour elle, seulement à elle ! Elle avait eu le choix du tissu, de la couleur, de la forme. Une petite robe pour le printemps qui s’annonçait.

Cette robe, Yvette s’en souvenait bien. Une cotonnade blanche parsemée de fleurettes rouges et jaunes. Des manches bouffantes et courtes pour laisser libre la rondeur des bras. Un col légèrement échancré qui montrait bien la naissance du cou. Le volant de l’ourlet arrivait juste au-dessus des genoux. Une petite robe au parfum fleuri d’un gai printemps.

Oui, elle la revoyait bien, cette petite robe. Soudain, elle avait fait partie des grands. Enfin, l’enfance au parfum aigre-doux cédait la place au monde des « grands » ! Avec son parfum capiteux d’aventures et de conquêtes ; un monde plus merveilleux ?


La veille avait-elle été un jour trop rude en péripéties ? Quoi qu’il en soit, le lendemain, Yvette s’éveilla dans la bonne humeur, plus tard qu’à l’ordinaire, et ayant tout oublié de ses mésaventures. Les jours se suivent, mais ne ressemblent pas, avait-elle pensé sur le moment. D’ailleurs, pourquoi toujours ressasser les ennuis quand ils sont terminés ! Et la matinée se déroula gaiement ou du moins sans soucis. C’est-à-dire s’adonner aux rituelles petites tâches quotidiennes et bayer aux corneilles.

C’est lorsque le facteur passa que les choses se mirent en mouvement dans la petite maison et surtout dans l’esprit d’Yvette. Quand la Kangoo habituelle se fut arrêtée devant le portail, elle pressentit que ce nouveau jour apporterait aussi son lot d’inquiétudes et elle se rendit précipitamment à la boîte aux lettres, comme une intuition. Et là, elle demeura un peu médusée en découvrant… un colis ! C’était une boîte rectangulaire, peut-être à chaussures. Le paquet prévu par mail ? La robe du Prêt-en ligne ?

Revenue dans sa cuisine, surprise et perplexe, longtemps elle tourna et retourna le paquet, palpa, tâta, remua, imaginant son contenu et cherchant bien des explications. Il n’était pas lourd, le paquet et il y avait bien son nom et son adresse, il lui était donc bien adressé à elle. Mais que pouvait-il contenir ? Qui pouvait le lui avoir envoyé ? Et quand enfin, malhabile de fébrilité, elle ouvrit cet emballage, quand elle arracha tous les papiers, quand elle eut tout déplié, elle eut la surprise de trouver… une grenouillère de bébé, tricotée. Saperlipopette !

Époustouflant ! Les jambes flageolaient, ne la portaient plus, il fallait qu’elle s’asseye immédiatement. Le cœur allait lâcher tant il s’emballait. La figure soudain blanche se remplissait de suée. Yvette demeurait comme pétrifiée, incapable du moindre geste comme incapable d’articuler un mot. Car elle ne pouvait que reconnaître ce petit vêtement ! Les yeux exorbités, elle regardait l’objet ou le vague d’un infini, loin, très loin d’elle, il y avait… il y avait si longtemps. Jusqu’à ce qu’enfin, « non, mais… pince-moi ou je rêve ! » murmura-t-elle enfin, tout ébaubie, à son matou qui s’en revenait de ses lointains vagabondages. Mais comment était-ce possible ? Comment le passé pouvait-il revenir ? Et de bien mauvais souvenirs se réveillèrent soudain.

L’odeur âpre du monde des grands se mêlait à celle, plus printanière, du linge. De la laine rose, un peu passée, un peu vieillie, mais un lainage qui sortait de la machine à laver. C’est elle, Yvette, qui avait tricoté ce petit vêtement, il y avait maintenant… Mais depuis si longtemps, après toutes ces années de silence, le réveil semblait brutal et bien douloureux. Non, la vieille histoire n’allait pas resurgir ! La vieille histoire avec A., le copain avec qui elle était allée voir Fée Demain et qui l’avait abandonnée trois mois plus tard, quand… Parce que, quand elle avait su les fourberies de Scapin, elle avait préféré le dépit amoureux au mariage forcé. Kaï, s’il fallait résumer ma vie, ce serait une comédie de Molière ou une tragédie ? pensa-t-elle, désabusée.

Ce vêtement aujourd’hui, devant elle… c’était si décalé, puisqu’elle avait tout fait pour oublier ! On dit que le temps efface tout. Mais quelque quarante-cinq ans plus tard, cette grenouillère était toujours d’actualité, c’est-à-dire un paquet toujours aussi encombrant. Et si à l’époque on avait tout fait pour étouffer le tintamarre de l’affaire, ce n’était pas pour qu’elle resurgisse aujourd’hui. Non, ce n’était pas le moment de divulgâcher la vieille histoire. Et puis à son âge, avec sa petite vie de retraitée tranquille, à quoi bon remuer ainsi le passé ? Qui avait intérêt ? Mais surtout, qui avait retrouvé ce vêtement ? Et où ? Qui avait pu farcer ainsi ? Puisque personne ne savait.

Si, Sylviane savait, mais jamais elle n’aurait pu lui jouer un si mauvais tour.


Tout cela, c’était la faute à Titine qui était tombée en panne en pleine campagne.

Titine, la 4 CV d’un copain. Ou plutôt celle de son père à qui il l’avait empruntée. Tout d’un coup, des années plus tard, dans sa cuisine silencieuse, Yvette entendait fort bien le moteur fringant de la vieille bagnole sur la route de campagne. Un ronron régulier et satisfait.

C’était un samedi, alors qu’ils revenaient de la ville où ils étaient allés en boîte de nuit. Il devait être près de minuit. Ils étaient bien six dans la guimbarde, dont André et elle. Six garçons et filles dont le plus âgé n’avait pas vingt ans, à chahuter à qui mieux mieux.

Ils n’étaient guère qu’à cinq ou six kilomètres de leur bourgade quand Titine montra soudain des signes de fatigue. Cling ! Cling ! Et au conducteur qui la poussait à bout, elle répondait par des greu ! greu ! jusqu’à finir par un refus absolu d’avancer… pour enfin, s’arrêter net ! Et impossible de la faire redémarrer ! Ils n’étaient guère qu’à cinq ou six kilomètres de leurs domiciles, ils auraient pu facilement rentrer à pied. Mais la nuit était si belle ! C’était la mi-octobre, pourtant l’automne conservait des relents estivaux. Oui, la nuit était douce et chaleureuse, et deux par deux, ils s’étaient éparpillés dans la nature.

André et elle avaient rejoint une vieille bergerie, déjà occupée par quelques bêtes qui se mirent à bêler, furieuses d’être dérangées. Les jeunes gens s’équipèrent alors d’une botte de foin, se replièrent dehors, derrière le mur pour s’allonger, un peu dans l’herbe, un peu dans le foin. Ah, le bon moment côte à côte dans ce petit coin de paradis, sous la voûte étoilée ! Pourtant, impossible de dormir ! La nuit était pleine de bruits. On croit la campagne silencieuse. C’est faux. Même la nuit, elle vibre de multiples agitations. Ce ne sont que des bruissements, des frôlements, des grouillements, des grognements. Et avec le raffut des moutons près d’eux, les jeunes gens restaient éveillés, à l’affut de tout ce remue-ménage. Même les étoiles semblaient vouloir les surprendre.

Mais au milieu de cette cacophonie bon enfant, au milieu de ce paysage doucereusement vivant, est-ce que vraiment ils avaient envie de dormir ? Il arriva ce qu’il devait arriver. Et puis, très vite, Yvette avait été prise d’une crise d’éternuement. Cela les avait fait rire un moment, un rire clair dans la nuit tendre. Et elle avait été prise aussi d’un soudain et désagréable besoin de démangeaison sur tout le visage.

Dès l’obscurité pâlie, les six s’étaient retrouvés, spontanément, chacun ravi de cette nuit, bienheureuse et inattendue. Abandonnant sans regret Titine, marchant en file indienne sur le bord de la petite route campagnarde tout en jacassant, la petite troupe avait réintégré le village au petit jour seulement. Les chaussures résonnaient sur le macadam et lançaient comme une chansonnette de joyeuse blague. Deux ou trois voitures les avaient croisés, ou dépassés ; les moteurs, arrivés à leur hauteur, faiblissaient et les conducteurs intrigués par cette bande de garçons et de filles les regardaient avec étonnement. Des garçons et des filles qu’ils reconnaissaient, bien sûr !

Mais des jeunes gens seuls en pleine nuit, ça avait bien jasé, dans les maisons, à cette époque-là, même si on avait tenté d’étouffer l’affaire ! Dans un hameau, tout le monde se connaît ! On avait un peu plaisanté de cette crise d’eczéma due sans doute au pollen, attrapée par trois ou quatre d’entre eux. Mais surtout, il y avait eu une autre conséquence… un peu plus fâcheuse, celle-là. Du moins pour Yvette qui, quelques mois plus tard, partait vivre chez une tante, dans le calme et l’anonymat de la ville voisine.

Et des décennies plus tard, dans sa cuisine silencieuse, Yvette, rêveuse, revoyait et entendait cette nuit spéciale, se remémorant tous ces évènements anciens, disparus de sa mémoire. Oui bien sûr, Sylviane savait, puisqu’elle était là, cette nuit-là, puisqu’elle était une cousine éloignée d’André…


La sonnerie du téléphone la tira de sa rêverie.

Le téléphone ? Ah, ça n’allait pas recommencer… mais peut-être était-ce Sylviane et Yvette se hâta de décrocher.


– Oui ?

– Yvette ? C’est moi ! Je ne peux pas te parler au téléphone, mais il faut que je te voie tout de suite. Tu me rejoins au Rétro à 15 heures.

– Au Rétro ? Le café sur la place… Et pourquoi pas au parc…

– Pas le jour… Au Rétro ! À tout de suite !


Et Yvette demeura stupéfaite de cet appel de… Sylviane, bien sûr ! Un rendez-vous au café n’était pas pour lui déplaire. Cela faisait longtemps qu’elle ne traînait plus dans les cafés, mais ça lui changerait les petites habitudes. Et puisque Sylviane avait dit…

Moins d’une heure plus tard, Yvette rejoignait l’établissement, aux abords de la grand-place centrale, le rendez-vous des intellectuels de la ville, à ce qui se disait.

À cette heure-ci, la terrasse profitait de l’ombre rafraîchissante de deux platanes presque centenaires. Il y avait des jeunes qui riaient et fumaient devant leurs bocks ou leurs glaces. Elle ne les aimait pas, ces jeunes, ils devaient avoir une vie dissolue, elle en était certaine. Les garçons et les filles montraient des manières peu correctes. D’ailleurs, elle-même, n’avait-elle pas été ainsi dans sa jeunesse ? Et où cela l’avait-il menée !? Et puis, elle en était un peu jalouse, de cette jeunesse si heureuse semblait-il. Elle, que personne n’avait jamais aimée. Elle qui ne pourrait plus jamais aimer personne.

Ombre pour ombre, Yvette préféra s’installer à l’intérieur, à l’abri de quelque regard indiscret. Et elle fit un pas vers l’établissement et s’arrêta un long moment sur le seuil.

Le Rétro portait bien son nom. Toute la décoration intérieure était clinquante. Le zinc argenté reluisait. De grands miroirs style 1930 renvoyaient la lumière. Trenet, Fréhel, Mistinguett, Tino Rossi. De grandes affiches de chanteurs et chanteuses de l’époque recouvraient les murs. L’une, surtout, intéressa Yvette, celle de Joséphine Baker. J’ai deux amours… C’est vraiment rétro, songea-t-elle. L’amour, non, elle ne voulait plus en entendre parler depuis longtemps. Depuis hier, l’ombre glaciale du passé planait comme une chape de plomb.

Il y avait un couple au fond de la salle, caché par le pilier. La femme était bien jeune et Yvette pensa qu’elle était la maîtresse de l’homme certainement marié dont elle ne voyait que le dos. Debout, au comptoir, deux hommes se parlaient à voix basse. Des hommes en bleu de travail et donc à l’allure louche, estima-t-elle. Peut-être préparaient-ils une attaque ? Cette ambiance feutrée, que cachait-elle ? Tout et n’importe quoi. Le silence, c’est bien, il permet l’envol de l’imaginaire, parce que c’est amusant de se faire du cinéma avec la vie d’inconnus. Et Yvette sourit intérieurement à la pensée de toutes ces divagations que lui permettait cette salle lumineuse et protégée.

Le barman la regardait curieusement, un peu en biais, cela la gêna et elle entra résolument pour s’installer à une table juste à côté du billard dont les boules attendaient le client. Elle se retrouvait ainsi au milieu de la salle, mais, même si elle était à la vue de tous, elle pouvait surveiller l’entrée.

D’ailleurs, à peine installée, une ombre se profilait déjà. Sylviane, enfin !

Souple dans sa corpulence moyenne, une femme d’un certain âge se hâtait de la rejoindre, pour tirer vivement une chaise à ses côtés, s’installer sans ménagement et :


– Tu as commandé ?


Et devant le mutisme d’Yvette, elle cria : « Deux cafés ! » au barman qui se précipitait déjà.

Il se passa un long moment de silence. Un silence rempli d’électricité. Même les rares consommateurs se taisaient. L’une voulait savoir, l’autre devait dire, et aucune n’osait commencer. Puis tout se passa très vite.


– Alors… tu vois, le passé ne meurt jamais ! Mais tu verras, c’est une bonne surprise que je t’apporte ! Tu ne le regretteras pas, crois-moi !

– Comment sais-tu ?

– Un pur hasard… de vieilles connaissances qui ont resurgi et qui m’ont mise sur la piste d’hier.

– La grenouillère… c’est toi ?

– … Oui… et le prêt en ligne aussi. Facile de contrefaire sa voix au téléphone.

– Une fille ?

– Non.

– Un garçon, alors.

– Non plus… Ils seront là devant chez toi, demain, à 11 heures.

– Ils seront… ?


Mais Sylviane se leva, répéta : « 11 heures demain ! » et partit sans répondre, sans même avaler le café, laissant Yvette stupéfaite.


« Ils seront… » Pour une surprise c’en était une ! Comme épouvantée, Yvette se tassa, s’enfonça dans sa chaise ; le café lui parut bien sombre et étouffante son ombre. Mais au milieu de quelle toile se mouvait-elle ? Alors elle sortit précipitamment et courut se réfugier chez elle où elle ferma portes et fenêtres.

Bien excitée, elle ne dormit pas cette nuit-là, ressassant le cinéma de son enfance ou de sa jeunesse. Et dès le début de la matinée, elle attendit sur le banc de la cour la venue de l’inattendu. Tout à ses pensées, elle remarqua néanmoins une petite branche qu’elle avait toujours crue morte, près de la porte du garage. Simple bout de bois marron jusque-là. Aujourd’hui, la branche semblait reverdie, portait une feuille qui se dépliait doucement. Ainsi, elle aurait pris racine ? L’enfant… Les enfants ? Elle ne se souvenait pas que… Mais fille ou garçon, ils devraient avoir cinquante ans aujourd’hui !

Mais on se présentait au portail : une jeune femme d’une trentaine d’années accompagnée de deux enfants, garçon et fille, cinq ou six ans peut-être, des jumeaux sans doute. Un démarchage à domicile ? Ah non, ce n’était pas le moment !

Mais la jeune arrivante ouvrait déjà le portail :


– Madame Chausson ? Yvette Chausson ? Je suis Mélanie Paludau, votre petite-fille.


Yvette n’a rien dit, top muette d’effarement. D’un geste, elle a fait signe d’entrer, et tout le monde s’est installé autour de la table dans la salle commune. Même les gosses qui ne semblaient pas avoir froid aux yeux !

Après un long instant de silence gêné, la jeune femme a sorti de son cartable une liasse de photos et de papiers qu’elle a étalés sur la table. Et elle a parlé. Elle a expliqué.

Sa mère, Chantal, après plusieurs établissements, avait été adoptée vers l’âge de quatre ans, mais elle avait toujours su qu’elle avait été abandonnée à sa naissance. C’est quand elle avait eu elle-même un enfant, elle avait alors vingt ans, que, délaissée par le père, elle avait compris son passé et qu’elle s’était mise à rechercher sa vraie mère. L’histoire se serait reproduite ? Sa quête avait duré des années ; elle était allée en mairie et à la maternité, avait interrogé ses parents adoptifs. Ses recherches aboutissaient quand elle avait eu ce stupide accident de voiture – un chauffard – il y avait quatre mois de cela. Alors elle, sa fille, avait repris à son compte les volontés de sa mère.

En fait, les parents adoptifs étaient voisins de ceux de Sylviane, mais à cette époque-là, cette dernière avait quitté le domicile familial et elle n’avait pas pu faire le rapprochement. Ce n’est que récemment, par hasard, au cours de discussions anodines, qu’elle avait eu vent de la vieille histoire. Alors, de recoupement en recoupement, la tragédie tournait à la comédie. Molière n’aurait pas mieux écrit.

Aujourd’hui, la jeune femme se trouvait partagée entre la douleur d’avoir perdu une mère et la joie de trouver une grand-mère.

Yvette regarda les photos. Sa fille… c’est qu’elles auraient un air de famille ! Le regard peut-être. Un regard dans le vague, comme inquiet.


– Je vais chercher mon mari et Sylviane, ils m’attendent au Rétro. Jules et Lorie… je peux laisser les petits… ?


Yvette a acquiescé, bien sûr, et pendant que Mélanie s’éloignait, elle regarda les petits qui semblaient déjà chez eux, qui s’ébattaient, insouciants, s’amusant avec des cailloux ou imitant le bruit d’un train ou d’une voiture ou d’un avion. Comme s’ils connaissaient depuis toujours cette vieille dame qui les contemplait, admirative, émerveillée, presque. Les petits…

Et Yvette songea. Une petite-fille. Des arrière-petits-enfants. Sa descendance… La branche que l’on croyait morte avait pris racine, portait des fruits. Plus de solitude ? Et Yvette se prit à rêver. Une famille. Un proverbe disait : plus on est de fous, plus on rit. Pourquoi ne s’installeraient-ils pas ici, dans la maison. Bien sûr, ce n’était pas grand, mais on pouvait aménager le grenier. Au bout de la cour, il y avait une grande remise en ruine qui ne servait à rien. Alors, avec des travaux, la maison pouvait être agrandie…

Oui, tel un bout de bois, elle avait pris racine. L’avenir se présentait sous de bons auspices.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Jemabi   
11/8/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Le début intrigue et, comme c'est plutôt bien écrit, on a vraiment envie d'en savoir plus sur ce colis à venir. Ensuite, même si les premiers souvenirs sont bien amenés et décrits, leur accumulation finit par lasser. Ça enrichit certes la personnalité d'Yvette, mais à partir d'un certain moment on ne discerne plus ceux qui seront importants, pour la suite, et ceux qui le seront moins. Il me semble que le récit gagnerait en rhyme s'il y avait moins de souvenirs. Pour ce qui est de la fin, et même si je comprends qu'il fallait qu'il y ait une explication à l'intrigue du début, elle a un côté "tout le monde il est gentil" trop affirmé, et cela n'a guère réussi à me toucher.

   jeanphi   
14/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

J'aime beaucoup la manière dont toutes les digressions entraînent progressivement au cœur de l'intrigue. Je relève juste un fait moins cohérent dans les dernières paroles de la descendante, j'aimerais vous renvoyer à la lecture des préconisations multiples sur childfocus.com.
Une histoire que certains jugeront peut-être avec moins d'intérêt, pour ma part, l'impression d'apaisement que j'en retire prend l'ascendant sur le sentiment de lenteur éprouvé durant la première moitié malgré une écriture digne à maintenir l'intérêt. Il y a une plume pour bien raconter du vivant d'une part, et ce ballottage digressif d'un passé révolu d'autre part. Vous entretenez bien la curiosité du lecture.
La situation finale me paraît exagérément positive, ceci dit, le personnage semble avoir vécu suffisamment de détresse pour que cette rencontre le lui paraisse immédiatement.
Bien cordialement,
Jean-Philippe

   Malitorne   
27/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Heureusement que l’écriture est propre et agréable à parcourir sinon je n’aurais pas atteint la fin du récit que j’ai d’ailleurs survolé. C’est peu de dire que les tribulations d’Yvette ne m’ont guère passionné, voire franchement ennuyé. Inconvénient de ce type d’histoire, où on a l’impression que l’auteur évoque d’abord des souvenirs personnels au détriment d’une réelle intrigue. Vous devriez mettre votre plume au service de quelque chose de plus fort, accrocheur, que la perdre dans cette description d’une grand-mère sans relief.

   Corto   
27/8/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Pour tout dire c'est d'abord le style et la qualité d'écriture qui m'ont convaincu de lire cette longue nouvelle jusqu'au bout. Je me suis dès lors laissé prendre par un rare plaisir de silence, d'introspection, de vie intérieure, où à bien y regarder il ne se passe rien. Rien que du concret, des souvenirs, de l'imaginaire, de l'hypothétique: autrement dit presque tout !

Cette sensation et ce constat d'une richesse basée sur le passé, le présent hésitant ou surprenant, les menus incidents d'une vie quotidienne sans guère de reliefs, m'ont paru étonnants et rafraichissants. La vie trépidante du monde extérieur est systématiquement tenue à distance.

L'écriture est raffinée, précise, évocatrice, et ce sont de belles qualités.

Le final arrive un peu trop brutalement à mon goût. Il oblige le lecteur à quitter le cocon passé, présent ou imaginaire pour revenir dans la "vraie vie" et on a presque envie de retourner en arrière !
Vous me direz qu'il fallait bien trouver un final...

Grand bravo pour ce beau texte, rare dans sa maîtrise et même dans son audace.

   Lariviere   
1/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonjour Atoutva,

Je suis assez séduit pas ce texte, le thème n'est pas ma tasse de thé au premier abord mais à l'heure où la mode est au texte court, expéditif, je trouve cette nouvelle intéressante et bien construite.

Effectivement, il ne se passe pas grand chose de captivant ou de sensationnel dans ce récit mais pourtant l'écriture maitrisée et le traitement du thème ébauchés patiemment par petites touches à petit coup de feed back sont suffisamment évocateur pour que le lecteur attentif reste aux aguets et trouve un certain plaisir dans le déroulé de la trame narrative.

Un petit bémol sur la fin que je trouve peut être trop hâtive et en deçà du rythme de croisière utilisé sur le reste du texte.

Un bon moment de lecture en tous cas, tout en finesse, et merci pour ça !

bonne continuation


Oniris Copyright © 2007-2023