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Fantastique/Merveilleux
baldr : Le temple
 Publié le 22/01/25  -  4 commentaires  -  6489 caractères  -  13 lectures    Autres textes du même auteur

Aventures dans l'Himalaya.


Le temple


— Kourak ! Bon à rien ! tonna soudain le maître avec une sévérité que nul ne lui connaissait. Tu as déjà vingt-cinq ans et tu ne sais toujours rien faire, excepté rester assis par terre à attendre que nous te servions ta pitance ! Tu n’as jamais suivi un seul de mes conseils ! Tu ne cherches pas à satisfaire les dieux ni à travailler dur pour obtenir un diplôme digne de notre communauté ! Crois-tu que l’imitation du bouddha contemplatif se limite à la passivité ? Dès demain, nous irons au temple pour te délier de tes obligations religieuses, que tu n’as jamais pris la peine de remplir !

— Mais j’ai mal à la jambe, protesta Kourak mollement.

— C’est parce que tu ne t’en sers pas, dit le maître avec autorité. Aussi, la douleur disparaîtra pendant la marche. Nous partirons demain, aux premiers rayons du soleil.


Kourak passa la nuit à se réjouir de l’idée d’être délié de ses fonctions et que ce fût officiel. Aux premiers rayons du soleil, le maître remua le corps de Kourak, pour le réveiller, en se servant de son bâton, et ils se mirent en route.

Le chemin était court et la montée très douce. Pourtant Kourak souffrait, car il n’avait pas l’habitude de marcher autant. Un beau soleil couleur d’or rayonnait.

Ils marchaient sur la crête des montagnes quand le temple apparut. Un petit dodécaèdre azur, or, ouvert et entouré d’une balustrade, surmonté d’un toit, surplombait une falaise vertigineuse. C’était le temple dont l’accès était le plus facile et dont la puissance était la plus élevée dans l’ordre de la hiérarchie spirituelle. C'était le temple le plus prestigieux de tout l’Himalaya. Le maître fit halte.


— J’ai très soif, Kourak, et n’ai plus la force de continuer. Prends cette gourde et remplis-la. Il y a un puits au pied de cette montagne. Il te suffit de suivre le chemin perpendiculaire.


Kourak était pressé d’être délié de ses fonctions et prit la gourde d’un geste. Il descendit de la montagne en glissant maladroitement, manquant de tomber plusieurs fois, et, arrivé au pied de la montagne, aperçut un village qu’il ne connaissait pas.

Sur la place de ce village, il y avait un puits, et Kourak en fit remonter un seau. Il s’apprêtait à en verser l’eau dans la gourde quand il aperçut une jeune fille à la beauté extraordinaire, blanche comme une porcelaine de Chine, peut-être une Chinoise. C’était la première fois qu’il voyait une femme. Il en avait entendu parler. Le cœur de Kourak se mit à battre si fort qu’il crut mourir sur le coup.


— Donnez-moi votre eau, s’il vous plaît, dit-elle.


Kourak s’exécuta.


— Vous voulez bien remplir mes calebasses ? continua-t-elle.


Kourak s’exécuta, remontant autant d’eau que nécessaire. Il était ébloui. Kourak eut la hardiesse des timides. Le courage est une vertu durement apprise dans l’expérience alors que la hardiesse a quelque chose d’enfantin.


— Voulez-vous être ma femme ? dit-il.

— Vous plaisantez ? Savez-vous qui je suis ? Vos bras et vos jambes sont frêles comme des brins de paille. Si vous voulez me demander en mariage, il faut bien que vous forcissiez. En attendant, aidez-moi à porter les calebasses chez moi.


Kourak suivit la jeune fille et porta les calebasses pleines d’eau jusque chez elle, la maison d’à côté.

Kourak était résolu à forcir et commença à porter de lourds seaux à tous les gens du village contre un peu de monnaie. Le reste du temps, il portait des bouts de bois, des troncs d’arbre de plus en plus lourds et mangeait comme quatre. Un an plus tard, il avait considérablement forci et heurta à la porte de la jeune fille. Quand elle ouvrit, il souleva un rocher que cinq hommes normaux n’auraient pas fait bouger.


— Regardez comme je suis fort à présent ! Voulez-vous être ma femme ?

— Vous plaisantez ? Savez-vous qui je suis ? Vous êtes sale, mal vêtu, malodorant, on croirait que vous vous êtes échappé de la forêt et que vous n’avez pas le sou. Il faut bien que vous vous enrichissiez avant de me demander en mariage.


Kourak était résolu de plaire à la jeune fille et monta un commerce. Tout en continuant à soulever des rochers, parallèlement, il fabriqua des harnais et des fers pour les chevaux, mit en place un élevage de chèvres et de moutons, et fonda une banque. Il travailla sans relâche. Au bout d’un an, il prit un bain, s’acheta un parfum, les plus beaux vêtements, et heurta à la porte de la jeune fille…


— Je suis riche à présent. Je pourrais acheter plusieurs fois le village, dans son ensemble. Voulez-vous être ma femme ?

— Vous plaisantez ? Savez-vous qui je suis ? Votre tournure est celle d’un paysan, votre esprit est mal dégrossi.


Kourak était bien résolu à s’éduquer. Il s’acheta les cinq livres disponibles dans l’Himalaya : un livre de géographie, un livre d’histoire, un livre de mathématiques, un livre de philosophie et un livre sacré, le Sūtra Piṭaka, corbeille des enseignements bouddhiques.

Tout en continuant à soulever des arbres et des rochers et à faire tourner son commerce, il se mit à étudier les livres, et à les apprendre par cœur. Un an plus tard, il alla heurter à la porte de la jeune fille.


— Vous plaisantez ? Savez-vous qui je suis ?

— Vous êtes la femme que j'aime depuis toujours, et pour vous plaire, j’ai passé trois ans à forcir, à m’enrichir et à m’éduquer. Cela ne me donne-t-il pas l’espoir d’une possibilité de vous proposer quelques cadeaux ?

— Absolument pas ! dit la jeune fille.


Et elle ferma la porte, d’un coup.

Kourak était désabusé. Il lui fallait oublier cette jeune fille qui en voulait toujours davantage. Il regrettait tous ces efforts, qui n’avaient servi à rien. Il posa les livres sur le rebord d’une fenêtre, vendit ses commerces et en donna le prix à un mendiant. Il marchait tristement dans les rues du village et se lamentait sur la misère du monde et le malheur qui vous dévore quand, soudain, il se souvint de la gourde !

Il courut au puits. Elle était encore là ; elle n’avait pas bougé. D’un geste rapide, il la remplit, et gravit avec vigueur le sentier perpendiculaire.

Le maître était allongé sur le chemin.


— Ah, Kourak ! Te voici ! J’espère que tu as rempli la gourde.


Kourak fit boire son maître lentement. Puis celui-ci se releva et soupira en faisant : « Ouf ! »

Le temple n’était qu’à une cinquantaine de mètres. Ils se remirent en route, et, arrivés, ils entrèrent, saluèrent la statue de Bouddha, touchèrent les pierres et les tissus sacrés, et firent tourner la roue.

Puis, ils contemplèrent le panorama.


 
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   Dameer   
8/1/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Hello,

Un conte merveilleux, bâti sur une incohérence : Kourak est parti chercher de l’eau pour son maître, mais ne revient que trois ans plus tard. Pourtant le maître est toujours allongé sur le chemin à l’attendre, et ne remarque aucun changement chez Kourak qui a forci et s’est éduqué, alors qu’il n’était au départ qu’un jeune homme faible et paresseux. Comme si ces trois années n’étaient rien, comme si elles s’étaient effacées, comme s’il avait vécu un enchantement !

En même temps, ce conte nous apprend que tout est question de choix, de but et de motivation dans la vie : la vie monastique n’offrait rien d’exaltant pour Kourak, rien ne le motivait pour sortir de sa léthargie « Tu ne cherches pas à satisfaire les dieux ni à travailler dur pour obtenir un diplôme digne de notre communauté ! »
Dès qu’un but digne d’intérêt se présente sous la forme de cette jeune fille à la beauté extraordinaire, « blanche comme une porcelaine de Chine », qu’il souhaite prendre pour femme, il oublie sa paresse et exécute successivement les travaux qu’elle lui impose : forcir son corps, s’enrichir, s’éduquer.

Mais lorsqu’il essuie un refus définitif de sa part, il choisit de se défaire de ses biens, retrouve la gourde qu’il devait remplir et court vers son maître. Tout ce qu’il a acquis en trois ans n’était qu’un verni, il retrouve sa nature servile de petit moine !

J’ai lu avec plaisir ce conte au déroulement traditionnel, le suspens est là pour savoir si Kourak arrivera à ses fins et le lecteur qui s’est identifié à lui ne peut que s’attrister de le voir se dépouiller de sa nouvelle personnalité acquise après tant d’efforts pour retourner à la passivité de la vie monastique.

   Cleamolettre   
16/1/2025
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour,

Je me suis laissée embarquer avec plaisir dans ce "conte" dont j'ai apprécié la fluidité de l'écriture et donc de la lecture. Mais je ne suis pas bien certaine d'en comprendre le sens et la fin m'a semblé un peu paradoxale.

Je m'explique : Kourak, dans sa dernière année, étudie des livres, dont la philosophie et des enseignements bouddhiques. A mon sens il devrait donc en retirer une certaine sagesse ou du moins la force de supporter l'ultime rejet de la jeune fille. Ou, au moins, ne pas penser qu'il a fait des efforts pour rien. Il a forci, est devenu riche (moins en argent qu'en savoir) et cultivé. J'aurai préféré qu'il se sente reconnaissant que la jeune fille le pousse ainsi à faire quelque chose de sa vie et à grandir, ou bien qu'il en tire un enseignement, ou que le texte en dégage un sens de la vie, de l'amour ou de la foi.

Je pense deviner que le puits et le village étaient une épreuve que le maître lui soumet, la fin semble indiquer qu'il ne cherche plus à être délié de ses fonctions et qu'il trouve sa voie dans le temple en agissant comme son maître. Mais ses réflexions précédentes sur la misère du monde et le malheur semblent suggérer que c'est à défaut d'autre chose et pas une vocation ou un apprentissage, et je me demande donc, finalement, à quoi tout ça a servi.

En résumé, j'aurai aimé que la fin ou la "morale" soient plus claires et plus en adéquation avec ce qui s'est passé pendant 3 ans. Mais peut-être que je suis passée à côté de quelque chose.

   Donaldo75   
16/1/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Je suis à proprement parler bluffé par la qualité narrative de cette nouvelle. Tous les ingrédients du conte sont réunis pour emporter ma lecture, jusqu'à la fin que je trouve à la fois mystérieuse et poétique. C'est ubuesque dans un sens, décalé, savoureux jusque dans les dialogues qui n'essaient pas d'en faire des tonnes. Cela me rappelle les contes orientaux ou africains, avec une forme de philosophie éloignée de nos canaux occidentaux. Je pourrais commenter pendant des lignes cette histoire tellement je la trouve réussie, que ce soit dans la forme dont l'écriture est la meilleure version de ce que j'appelle de l'impact, que dans le fond qui amène le lecteur loin des sentiers battus.

Philosophique en plus, ce qui n'est pas mal dans un conte.

Bravo !

   Cyrill   
22/1/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Kourak a-t-il rempli la gourde ou le gourd ? Toujours est-il que le voilà à présent dé-gourdi, plein d'expériences et de savoirs. On supposera que c'est ce qu'a voulu son Maître en affectant la soif et l'envoyant chercher de l'eau à 50 mètres du temple, alors qu'il le tance avec verdeur : "Tu as déjà vingt-cinq ans et tu ne sais toujours rien faire".

"C’était le temple dont l’accès était le plus facile et dont la puissance était la plus élevée dans l’ordre de la hiérarchie spirituelle. C'était le temple le plus prestigieux de tout l’Himalaya." : un paradoxe étonnant, qui à ce stade de la lecture n'inclut pas l'épreuve qui va suivre mais contribue à l'aspect conte de cette nouvelle.
Par une distorsion du temps, le Maître n'est pas mort de soif pendant la longue quête de Kourak.
Les ingrédients du conte philosophique sont là, bannissant la logique.
La fin reste très ouverte. Il semble qu'une contemplation avertie - aboutissement d'une somme d'expériences - soit supérieure aux possessions terrestres.
J'ai pris plaisir à cette lecture. L'écriture est limpide, sans encombrements superflus, et reprend les codes du genre avec subtilité.
Merci et bravo.

édité pour qq précisions.


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