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Fantastique/Merveilleux
Banshee : Le Manoir
 Publié le 18/03/07  -  3 commentaires  -  8950 caractères  -  108 lectures    Autres textes du même auteur

Le Manoir... Qu'est-il ? Où est-il ? Où commence-t-il ? Où se termine-t-il ? Et qu'y fais-je, d'ailleurs ?


Le Manoir


Voici déjà trois jours que je suis avec elle dans le manoir. Seul dans le sombre dédale des parois vacillantes à la lueur des chandeliers moribonds. Je marche seul et l’écho de mes pas éveille d’antiques tourbillons de poussière, leur insufflant une vie vampirique. Et la pénombre des vastes antichambres renvoie les appels éperdus que je lance, vainement, au vide sans fin. Seule elle me répond, narquoise, et se rit de mon isolement.


- Toi ! ai-je imploré hier le vol gélatineux des chauves-souris qui hantent les combles.

- Toi ! ont-elles piaillé en chœur, et leurs ailes me frôlèrent le visage en une fugitive caresse membraneuse, ultime rappel de sa présence.



* * * * *



Le quatrième jour a creusé un sillon de plus dans le mur de la ruelle. Les draps du lit ont levé à mon geste leurs rides de fantômes désabusés puis se sont affaissés à mes pieds en loques ricanantes.

Elle était penchée au-dessus du lit et me coula son haleine embaumée de charogne sur les cheveux. Momie. Bandelettes. La maison se moque de mon malheur et une insidieuse terreur s’infiltre en mon âme.

Dans mes pérégrinations quotidiennes une porte m’a refusé le passage. Ses traits fermés à quadruple tour n’ont rien laissé percer. J’ai plaqué l’oreille contre son bois noir. La texture m’en est inconnue. C’est une porte gigantesque, faite de deux battants d’un seul tenant. Le silence absolu qui est le souverain maître des étendues que dissimule cette porte glaça mon cœur sans que j’en susse la raison.



* * * * *



Elle m’a aujourd’hui mené au-dehors. Elle m’a désigné les kobolds qui dansaient autour des pierres moussues :


- Ce soir, je les enfermerai pour l’éternité.


Nous sommes restés à les observer, tapis derrière un bouquet de fougères nauséeuses. Les kobolds grincent leurs dents noires et c’est là l’unique discordante mélopée qui rythme leur pas de danse. Ils n’ont cessé de tout le jour. Au crépuscule, quand la lune gibbeuse a baigné de sa clarté blafarde le signe écarlate du cycle de monolithes, l’un des nains a gravi le roc central et maudit l’astre nocturne. Ses congénères ont réintégré leurs arbres. Lui est resté sur sa pierre à invectiver les étoiles.

Elle s’est avancée et, de sa main décharnée, a tracé un cercle à la craie sur le sol autour du roc. Le kobold a supplié sur des tons éraillés. Mais ses caricatures de mains n’ont même pas pu s’élever au-dessus du cercle. Et ainsi de chacun des arbres.

Les kobolds ont grincé leurs dents noires. Elle m’a entraîné vers le manoir.



* * * * *



Le givre matinal a couvert de brume les carreaux des fenêtres. Il me semble voir de vagues ombres s’agiter à l’extérieur mais, lorsque je suis sorti, il n’y avait que le kobold sur sa pierre. Il m’a adressé un geste désespéré pour que je brise le cercle. Je lui ai tourné le dos. On ne brave pas impunément ses décisions.

La porte a tenu contre mes assauts. J’ai pris conscience au moment où je voulais la crocheter qu’aucune serrure ne défigurait son bois noir et uni. J’aurais pourtant mis ma main au feu que j’en avais vu une. Je ne sais plus. La peur, la peur me domine. Elle me noue les entrailles dans son gantelet d’acier glacé. Le silence derrière la porte semble s’être intensifié et cependant, des borborygmes ironiques ont rétorqué avec malice à mes coups frénétiques.

Elle n’a pas daigné me faire grâce de sa présence au souper. La flamme chancelante de la bougie a été ma seule compagne.



* * * * *



Un souffle fétide a déposé sa moiteur sur ma main. Il a rampé sournoisement depuis la porte, obligeant les tentures vénérables à ployer l’échine sur son passage. Un rai de lumière scindait les deux battants et enluminait l’obscurité. Il s’est évanoui à mon approche, et la porte m’est apparue à nouveau solide et inébranlable. J’ai cru déceler un halètement rauque accompagné d’une course précipitée derrière le bois. Que cache donc cette porte ?



* * * * *



Le kobold sur le rocher n’est plus qu’un cadavre en putréfaction dont le cuir se décompose à grande vitesse. Les grincements de dents se sont tus mais des arbres s’exhale la même puanteur de mort…

J’ai perdu le compte des jours.



* * * * *



Où est-elle ?

La porte bruit désormais d’un raclement continu de griffes sur ce qui semble être des dalles. J’ai peur à présent, comme je n’ai jamais eu peur, de ce que la porte est à même de libérer.



* * * * *



… Des pas traînants accompagnent maintenant les miens. Lorsqu’il m’arrive de m’arrêter dans ma fuite éperdue et qu’agonise l’écho de ma course, les pas continuent quelques instants de me tourmenter de leur obséquieuse fidélité.



* * * * *



On a verrouillé la porte d’entrée et quelqu’un a gravé sur son linteau le mot Vie. Demi-vie ? Les salles se succèdent sans que je voie la fin de cette maison maudite. Elle n’était pas si spacieuse lors de la visite que je fis avant d’en faire l’acquisition à ce bizarre petit homme tout tordu.

J’ai senti soudain son invisible présence à mes côtés, comme une lueur d’espoir dans cet océan de ténèbres, aussi libératrice que peuvent l’être les croisées illuminées d’une auberge solitaire au voyageur égaré.

Les salles se succèdent.

Semblables. Nues. Noires. Immenses. Silencieuses.



* * * * *



Je me suis endormi à même le sol. Elle m’a veillé toute la nuit, insinuante et réconfortante. Au matin, les dentelles de sa robe diaphane ont déposé leur trace visqueuse sur ma joue. J’ai balayé la sensation d’un geste rageur. Elle n’a pas paru s’en offusquer.



* * * * *



J’ai tourné en rond. Je me suis retrouvé devant la porte d’entrée. Mort a supplanté Vie sur le linteau. La fin approche.

Je ne peux plus sortir.

J’ai peur. Les pas traînants ont eux aussi fait place à un martèlement qui fait vibrer la maison par toutes les fibres de ses cloisons. Et me persécute, réglant son pas sur le mien, dans mes déplacements de plus en plus rares.

La porte noire semble près de céder sous les coups de boutoir qu’on lui assène de l’intérieur. Le fourmillement de l’écho se répand désagréablement et conquiert, un à un, les couloirs.



* * * * *



Ce matin – est-ce le matin ? – j’ai trouvé un livre à mon chevet. Un grimoire, noir comme tout ici, mangé aux vers, dont la couverture me révulse aux tréfonds de mon être. C’est un cuir racorni par les attaques du temps, et son grain singe abominablement celui de la peau humaine. Et dans le cuir est incrusté une sorte d’amas de tentacules qui grouillent et agrippent les failles les plus secrètes du manuscrit en y glissant leur marque baveuse. Sur la page de garde, il n’y a d’inscrit qu’un mot, en blanc, celui qui figure à présent sur le linteau : Erèbe. Et les autres pages sont noires, entièrement noires, d’un noir d’encre, sans le moindre signe.

L’Erèbe ?


[…Plus tard…]


J’ai compris. Un vestige de mes classes de latin resurgit brusquement à l’arrière-plan de mes souvenirs. Le livre n’a fait que confirmer mes pires terreurs. Je l’ai longuement parcouru et j’ai compris. Alors j’ai arraché sa robe diaphane, à elle, la seule lueur mouvante dans les ténèbres environnantes, après que mon dernier rat de cave ait fondu à dévorer le grimoire. Et je l’ai mise en pièces, et je l'ai déchirée en lambeaux, plein d’une extase malsaine, et je hurlais, et je psalmodiais :


- Mort ! Mort ! Mort ! Mort à la Mort elle-même !


Et elle disparut dans un pleur.



* * * * *



La maison s’ébranle à chacun de ses pas. La porte du couloir a cédé. Elle approche. L’atrocité suprême, celle que redoutent le plus les hommes. Elle veut reprendre sa robe. Mais je me battrai ! Je ne lui en abandonnerai pas la plus infime loque entre ses doigts crochus.

Les pas se rapprochent… Le martèlement s’accentue…

Seigneur Dieu, quand mon châtiment prendra-t-il fin ?






L’homme fut retrouvé au milieu des décombres. Il était accroupi sur une pierre noircie par l’incendie et ahanait des mots sans suite en déchiquetant une ample et longue mante sombre. Son cou portait des marques étranges, comme si des tentacules lui avaient imposé leur étreinte, son visage et son torse nu arboraient de multiples blessures courbes, qu’on aurait dit infligées par une faux.

Nous le saisîmes délicatement, eu égard à l’état de délabrement de son corps et, manifeste, de son esprit. Il se laissa choir dans nos bras, roula des yeux hagards, et dans son visage hâve, ses lèvres brûlées fendirent cette ultime question :


- Savez-vous ce qu’est… la mort ?


Son moignon de bras se leva d’un pied au-dessus des ruines – il parut nous les désigner – puis retomba sans force. Et il expira, sans que nous sachions qui il était, car personne ne l’avait jamais vu.


 
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   oxoyoz   
21/4/2007
Glaçant ! La surabondance d'adjectif et la complexité du lexique (pour mon niveau de vocabulaire) m'ont freiné au début. Mais une fois que le style pose l'atmosphère, le rythme et la volonté de comprendre nous entraîne jusqu'au bout. Le champs lexicale est très travaillé, additionné aux répétitions, le tout nous plonge dans ce qui ressemble aux divagations du personnage. Le rendu du mystère est parfait, et les indices laissés pour le résoudre sont un poil frustrant.

   Maëlle   
21/11/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Pas mal du tout. Les paragraphes sont un peu courts, ça n'aide pas "rester" dans le texte. Mais c'est le seul reproche que j'ai à faire.

   strega   
25/12/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Même remarque que Maëlle pour la longueur des paragraphes qui hache un peu trop le texte à mon goût.
Mais sinon, quelle fluidité, j'avais l'impression que mes yeux allaient trop vites pour mon cerveaux, les mots s'enchainent magnifiquement. Il n'y a pas de lourdeur. Ce qui, à la première lecture, pourrait passer pour de la pédenterie lexicale n'est en fait qu'un juste retour du sérieux du sujet et de son aspect fantastique et réel à la fois. Bref, cela sonne très juste je trouve. Merci en tout cas.


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