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Réalisme/Historique
Benbarek : Le Ventoux pour finir
 Publié le 03/04/18  -  8 commentaires  -  7294 caractères  -  73 lectures    Autres textes du même auteur

Même en prenant toutes les précautions une sortie à vélo réserve parfois des surprises.


Le Ventoux pour finir


On le sait bien dans le petit monde du vélo, quels que soient le niveau, l'âge ou la forme, on ne se présente pas au pied du Ventoux, surtout côté sud, tranquille et sans appréhension : ceux qui le connaissent savent d'expérience la férocité de ses pourcentages et ceux qui le « font » pour la première fois en ont tellement entendu sur lui qu'ils n'espèrent qu'une chose : arriver en haut si possible en bon état !


Il s'est préparé depuis le printemps et a pu choisir le jeudi de l'Ascension pour mener à bien sa conquête : il fait beau, pas de vent, chaud mais pas trop, les conditions sont idéales ; il s'est échauffé entre Malaucène et Bédoin ; il a de l'eau, de quoi manger pour éviter le « coup de barre » qui flingue une sortie.

Voilà, le sommet est à 20 kilomètres, il déclenche son chrono, il arrivera dans un peu plus de deux heures ; deux heures quinze ce serait bien, il espère un peu moins, pour un bonhomme de 65 ans plutôt en forme et expérimenté comme lui.


Tout se déroule comme prévu : les pourcentages font mal, très mal, c'est long, on le dépasse, il double aussi ; ces grands cols parsemés de cyclos appellent à la modestie et, curieusement à la solitude. Il déteste son corps qui parfois semble faire du surplace, quant à la souffrance qui l'accompagne, il faut croire qu'il l'aime...

Le chalet Reynard s'annonce, il souffre moins et se refait une santé. Pas question de s'arrêter pour se reposer, manger ou boire. Il se sent mieux et aperçoit le sommet avec son antenne. Bientôt il ne reste à grimper que 5 kilomètres, dans un paysage de roche blanche ; le chrono indique 1 heure 47, il reste 5 kilomètres, à 10 à l'heure, il peut arriver autour des deux heures et quart, ce sera parfait.

Tout son être est concentré sur cet objectif, grandiose et dérisoire : deux heures et quart sur le Ventoux à 65 « balais » et il en a doublé des plus jeunes ! Bon des plus vieux lui ont bien mis le compte aussi...

Dans le dernier kilomètre, celui qui fait très mal, un souffle assez fort dans son dos le pousse vers la fin.

Bizarre quand même ce vent qui se lève, ici et maintenant, ou alors il est en grande forme pour finir aussi vite, bon tant mieux. De fait il double quelques cyclistes qui en chient étrangement plus que lui.


Voilà, il touche au but, le dernier virage en épingle est à portée, il s'y engage, le prend à la corde pour frimer un peu, il y a toujours du monde qui regarde ; dès qu'il a tourné il sait qu'il lui reste 100 mètres à monter, à souffrir...

En sortie d'épingle il sent comme une lourdeur de son vélo qui se transmet à son corps maltraité par l'épreuve qu'il vient de lui imposer.

Merde, j'ai crevé ! pense-t-il. Il force un peu plus encore et encore pour livrer toute la marchandise au Dieu provençal, lui, son vélo et les accessoires : bidon vide, coupe-vent, téléphone, compteur GPS, barres énergétiques, carte d'identité avec son groupe sanguin et petit sac à dos.

Dût-il y rester, pas de pied à terre si près de la fin.

Encore 50 mètres tout son corps se déchire, la sueur coule intarissable sur le guidon, il reste assis collé à la selle, ses reins le torturent, l'air lui manque. Putain ça n'en finit pas !

Encore 30 mètres, il voit des formes colorées qui s'agitent, là, en haut, certaines descendent et le croisent, des encouragements fusent comme d'habitude à cet endroit mais il les devine plus qu'il ne les entend clairement. Il se met en danseuse pour soulager le bas du dos.

Encore 20 mètres, la tête tourne un peu, les jambes sont si lourdes dures comme du bois, il voit le sommet et jette un œil à l'antenne enfin à portée de pédale.

Encore 10 mètres, il l'aura mérité celui-là ! Il lui semble qu'il flotte dans un brouillard de sons de couleurs et de formes.

Encore 5 mètres, quasi instinctivement, comme tous ceux qui sont montés l'ont fait, il regarde son compteur super sophistiqué et constate que le nombre de ses pulsations cardiaques est exactement de 0 bpm.

À cet instant ses jambes ne répondent plus, ses mains ne tiennent plus le guidon sa tête heurte le sol quand il tombe sur la ligne d'arrivée.

Il est étendu sur le dos il voit pour quelques secondes encore le ciel bleu merveilleux.

Silence total ; les formes colorées s'agitent autour de lui.

Il ne souffre plus et a juste le temps de comprendre ce que seuls les guillotinés, les décapités au sabre, les motards qui perdent la tête pour cause de vitesse excessive enfin les étêtés de tout poil savent preuve à l'appui : quand on est mort que le cœur ne bat plus le cerveau continue de fonctionner un moment et les yeux peuvent parfois voir le reste du corps...


Accessoirement il a aussi le temps de penser que son cardiologue est un enfoiré.


Et voilà que l'alcyon, fabuleuse sentinelle dédiée au Ventoux, messager de Velox Vélocio l'inventeur de la bicyclette, descend vers lui et sans se poser ne serait-ce qu'un instant, le voudrait-il qu'il ne le pourrait pas, saisit entre ses pattes si frêles son âme de cycliste.

C'est lui qui a emporté celle de Simpson, perclus d'amphétamines, le plus célèbre mort de cette montagne mythique mais aussi celles de tous les autres foudroyés par l'effort. Depuis qu'on lui grimpe sur les flancs, le Ventoux, parfois, se met en colère et prend une vie pour calmer un peu les ardeurs des pédaleurs arrogants qui finiraient par croire qu'il se laisse conquérir sans risque !


Les vents sont porteurs et l'oiseau merveilleux, gracile métamorphose d'Alcyone la fille d'Eole, paré des couleurs du deuil, vole, plane et vole encore et encore guidé par Velox jusque sur le Pico Veleta, le père de tous les cols d'Europe.

Au sommet du port, monstrueux paradis, il dépose l'âme du cycliste qui sera pour toujours parmi les siens des plus humbles qui ont tant souffert pour vaincre les cols, aux plus glorieux qui volaient légers comme l'alcyon lui-même sur des pentes indicibles.

Parfois ceux-là s'arrachaient au goudron fondant de l'été, comme en suspension devant les autres tel un mirage intouchable.

Parfois ils accéléraient glacés de pluie froide, malgré leurs doigts gourds et leurs pieds trempés, pour assommer des adversaires à la peine, émerveiller des suiveurs motorisés, surexciter des spectateurs gavés de sandwiches saucisson-beurre, perfusés au rouge, à la bière ou au Casanis et qui éructent leur admiration sans limite, sans réflexion ni détour intellectuel dérisoire ; admiration brute, viscérale et pour tout dire bestiale. Elle fait crier et jouir à l'unisson la haie d'honneur qui louvoie, aspire les coureurs et les propulse vers les nuages.


Les disparus du vélo, morts d'efforts surhumains, de maladie ou de vieillesse, sont là, ils l'attendent et même les plus grands le saluent comme un des leurs.

Les tricheurs, les gavés de trop de médecines dopantes, montent pour l'éternité, dans des souffrances hallucinantes, les pentes du Pico Veleta, descendent puis remontent encore et toujours, véritables Sisyphe de la route.

Bien fait !


Velox Vélocio, le génial inventeur, saint Pierre des cyclos, l'accueille en souriant :


– Bienvenue parmi nous, mais tu ne nous aurais pas rejoints aujourd'hui si tu avais utilisé le 30 dents avec ton triple ! Vous êtes bien tous les mêmes, après le chalet vous croyez que c'est plus facile...

Siete tutti uguali, tutti...



 
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   plumette   
9/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Une nouvelle qui parle de l'ascension du Ventoux à vélo ne pouvait que m'attirer, j'ai eu l'occasion de poser, sans complexe aucun , le pied à terre à plusieurs reprises avant d'atteindre son sommet pelé et venté,et de m'y faire dépasser par toutes sortes de puristes de la performance.

Vous avez su ménager un suspens dans ce dernier kilomètre et quel destin que de s'écraser sur la ligne d'arrivée en pensant à son cardiologue!

alors que ce texte a un côté tragique, son traitement donne plutôt le sourire car c'est une sorte de fable à l'adresse de tous les amateurs cyclistes et de leur masochisme.

Plutôt divertissant et agréablement écrit avec quelques envolées presque lyriques.

Bonne continuation


Plumette

   Anonyme   
10/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Il n'y a que des cyclistes qui peuvent vraiment saisir la substance de votre texte et, vous avez de la chance, j'en suis un ! Autant dire que mon avis perd du coup de son objectivité tant je raffole de ce type d'épopée sur deux roues.
Le Mont Ventoux c'est en effet un must pour tout cycliste qui se respecte. Personnellement j'ai plus été gêné par le vent que les pourcentages dans cette ascension mais j'ai l'habitude des sommets pyrénéens parfois plus difficiles.
Vous avez su retranscrire avec justesse l'effort et la ténacité nécessaire pour arriver au bout, la douleur qui accompagne. Le cyclisme rime avec le dépassement de soi et votre personnage l'exprime parfaitement puisqu'il va jusqu'à y laisser la vie ! Cependant ce n'est pas tourné d'une façon tragique, on a plutôt tendance à sourire devant l'insistance de ce forcené sexagénaire et ses visions post mortem. Surtout avec la dernière remarque sur les pignons.
Un texte original, servi par une écriture dynamique comme le thème l'exigeait.

   vb   
11/4/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Merci pour votre texte que j'ai trouvé bien écrit et qui m'a fait pensé à mon père qui a renoncé il y a quelques années au cyclisme pour cause de limite d'âge.

Je ne suis cependant pas vraiment enthousiaste. En cours de route, je me suis demandé où cela menait. Je me suis demandé pourquoi tout ca. Est-ce que des extra-terrestres vont débarquer? Qu'est-ce qui va se passer? Et au lieu d'extra-terrestres voici de pseudo divinités greco-romaines (j'ai dû chercher sur internet pour trouver qu'Alcyon - mot qui se répète un peu trop à mon goût - est une marque de vélos, vélox veut dire rapide en latin et veloccio est l'orthographe approximative de Velocio l'inventeur du cyclo-tourisme).

Pourquoi pas? Mais, tout compte fait, ca ne m'emballe pas. Ca me laisse sur ma faim. Comme s'il manquait quelque chose... une conclusion... une profondeur supplémentaire à la psychologie du personnage.

   Anonyme   
3/4/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour

Ah, le sommet mythique du Ventoux, ce haut lieu du Tour de France,
là, où les victoires prennent forme et les défaites aussi.
Je scinderai cette nouvelle en deux parties : la première, l'ascension
proprement dite et la seconde l'envol vers d'autres cieux à 100 m de la ligne.
Je préfère la première, terriblement bien décrite où l'on sent percer
le cycliste amateur avec moult détails techniques et physiques.
Je trouve la seconde plus hésitante mais c'est normal puisque
c'est un peu de la science-fiction, toujours plus difficile à
appréhender.
Au final, une nouvelle courte comme je les aime, et qui se laisse
lire avec plaisir, surtout dans sa première partie.

   papipoete   
3/4/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Benbarek
Vous avez monté en vélo le Ventoux, cela se voit, se ressent à travers ce défi porté au Géant de Provence, de le vaincre en 2 H 15 ! On vous a doublé, vous en avez doublé ... mais à la hauteur de la stèle dédiée à Simpson, l'arrivée si près n'arriva jamais !
NB je pédale avec vous, et ça tire dans mes jambes qui n'en peuvent plus, jusqu'au moment où le sol touche votre peau, où votre âme s'envole vers les " pédaleurs " montés plus haut que l'antenne du Ventoux !
Le dénouement de votre récit pourrait être pathétique, mais le " Saint Pierre " des cyclos vous acceuillant sur le seuil de l'au-delà, nous permet de sourire face à cette mort lente ...

   Anonyme   
4/4/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Salut Ben ! Le Ventoux je l'ai monté avec vous et ça m'a rajeuni de quelques dizaines d'années car je l'avais déjà "fait" deux ou trois fois... en voiture au volant de ma vieille Peugeot qui avait failli rendre l'âme ou tout au moins le joint de culasse dans les derniers kils.
Passons, j'ai beaucoup aimé cette ascension et votre façon de nous la faire partager... Bien aimé aussi les Sisyphe de la route et finalement la dernière phrase dédramatise cette mort brutale

Un texte sympa, sans prise de tête et plutôt réaliste quand on a "fait" le Ventoux... ne serait-ce qu'en voiture !
Au plaisir...

   Robot   
5/4/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ah ! le Ventoux !

Souvenir touristique ou télévisuel. Le rythme de votre écriture me semble suivre le courageux cycliste au fil des difficultés vaincues.

Je prends votre texte comme une fable pour ceux qui s'étonnent de l'inutilité de l'effort, comme la réponse à la question, pourquoi gravir les montagnes ? parce qu'elles sont là !

Votre écriture m'a permis d'accompagner votre "héros" jusqu'à l'ultime arrêt. Et terminer ce texte avec une morale pleine d'humour permet d'achever la lecture dans un sourire un tantinet ironique.

   BigSur   
22/4/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Magnifique. C'est léger, frais, poétique et évocateur. Je me souviens avoir vu les cyclistes gravir le mont Ventoux lors de ma dernière ascension a pieds, votre écrit m'a rappelé de délicieux souvenirs.


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