Il y a de ça deux mois, j’ai rencontré une fille que je qualifierais d’étonnante. Âgée d’un certain nombre d’années – je ne sais à quand remonte la nuit des temps – elle fut créée pour contrôler la météo. Exilée dans une bulle au bout du monde et armée d’un piano couleur ébène, elle fait la pluie et le beau temps au gré de son humeur. Ses accords, mineurs ou majeurs, sont seuls maîtres des conditions météorologiques. Avant de vous expliquer comment cette machination des divinités fonctionne, je me dois de vous conter mon périple.

Je vais vous mettre en situation. Pendant plus de cinq ans, le soleil ne se couchait que pour des nuits de deux heures, parvenant à son zénith dix minutes après s’être levé. Les journées étaient donc incroyablement chaudes et les nuits n’étaient guère plus fraîches, la terre n’ayant pas le temps de rejeter la chaleur accumulée. Heureusement, le « Lac de la Vie », énorme étendue d’eau inépuisable, permettait au monde entier d’éviter la sécheresse. Après quatre ans et huit mois de canicule – cela fait donc un peu plus de sept mois –, la pluie s’est mise à tomber. Un vrai déluge ! Il ne cessait de tomber des cordes. Jour et nuit, nuit et jour, et même entre les deux ! Pendant un mois, les gens se sont démenés pour éviter les inondations. Et c’est dans un bar que l’histoire de ma rencontre a débuté.

Je buvais tranquillement une bière au comptoir du pub que tient mon ami Arthur. Je lui parlais de ce « fichu temps » qui pourrissait chaque jour de ma vie. C’est au moment où j’ai lancé que j’aimerais rencontrer « Seigneur Météo » pour lui dire deux mots, qu’un vieillard m’a interpellé et m’a tenu à peu près ce langage :

– Vous voulez dire « La Faiseuse de Temps », mon cher ami. Si vous tenez tant à lui parler, il vous suffit de vous rendre en Antarctique, mais attention, pour la trouver, il vous faut passer par les cinq continents…

Je ne sais exactement pourquoi, mais je l’ai cru, et le matin même, je démarrai mon pèlerinage. Je ne vous raconterai pas tout le voyage, rien à signaler, j’ai juste découvert d’autres cultures que la mienne. Soit, je suis arrivé en Antarctique et ai commencé à marcher, bravant le froid et la grêle – car là-bas les gouttes étaient gelées – pour trouver l’antre de cette « Faiseuse de Temps ». Je l’ai trouvée après un long moment d’errance. J’ai couru vers sa bulle et suis entré sans frapper. La première chose que j’ai remarquée, c’est la chaleur qui régnait dans la sphère. Alors qu’il pleuvait en dehors, la canicule avait pris place en dedans. Étonnant.

La femme, ou plutôt la fille, était là, assise sur son tabouret – aussi noir que le piano – et jouant une mélodie joyeuse. En entendant ces accords, j’ai ressenti l’envie de danser. Je me suis approché d’elle tout en me dandinant à la manière d’une poule. Arrivé à sa hauteur, je lui demandai pourquoi toute cette eau tombait du ciel. Sans s’arrêter de jouer, cela aurait perturbé l’écosystème, elle m’expliqua que quand elle était joyeuse, ses accords étaient mineurs, et la pluie tombait à l’intérieur de son globe, ce qui avait le don de provoquer le contraire à l’extérieur et quand elle jouait comme à l’instant où elle me parlait, le contraire se produisait. Je l’ai regardée de haut – après tout, elle était assise et moi debout – et lui ai demandé :

– Et pourquoi êtes-vous si heureuse, mademoiselle ?

Sa réponse m’a donné le sourire, et je le garderai tant que la pluie ne cessera de tomber. Je peux vous le dire, si elle est tant joyeuse, c’est parce que mademoiselle est amoureuse.